Pour une psychiatrie indisciplinée

Olivier Brisson, Pour une psychiatrie indisciplinée

Olivier Brisson est psychomotricien, formateur au sein des CEMEA et musicien expérimental.

Dans son ouvrage, paru aux éditions La Fabrique et intitulé Pour une psychiatrie indisciplinée, il part du postulat selon lequel toute tentative de soin en psychiatrie se retrouve, à un moment ou à un autre, entravée par de multiples injonctions néolibérales, ayant leurs effets problématiques : rendement, réclusion / isolement, dépersonnalisation, etc.

Mais ces impasses poussent dès lors à l’expérimentation, à bifurquer et à explorer d’autres formes de soin et de thérapie souvent marginalisée.

Au-delà de son expérience professionnelle, l’enjeu sera de comprendre comment Olivier Brisson compose avec l’héritage de la « psychothérapie institutionnelle » (Deligny, Tosquelles, Oury) que l’on peut rapidement définir comme la primauté du soin de l’institution plutôt que que la tentative institutionnelle de normer l’individu. Nous souhaitons également saisir le sens de son bricolage au quotidien, bricolage marqué par la conscience et l’influence d’une pratique révolutionnaire du soin, et qui compose avec les réalités du terrain.

À travers ce livre, nous voulons réactualiser les hypothèses et les expérimentations propres à la « psychothérapie institutionnelle ». Mais que faire, aujourd’hui, avec le mythe libertaire des cliniques telles que St-Alban ou de La Borde, fondées sur et par la praxis d’un égalitarisme radical, où soignants et soignés s’accompagnent mutuellement dans la vivance et où les gestes artistiques occupent une place centrale ?

Résolument, Olivier Brisson ne sépare jamais le geste esthétique d’une pratique de soin. Car il y a une fonction poétique de la psychothérapie. Quasiment toutes les avant-gardes artistiques et européennes ont d’ailleurs fondé leur politique sur cette ouverture à la création.

« Praxis bold as love », nous dit Olivier Brisson. Soigner réside et procède ici du domaine des musiques improvisées, bruitistes, dans les pratiques brutes de la musique, au sens où c’est le processus de création qui l’emporte sur l’œuvre aboutie.

Et c’est à partir de cette considération du sensible qu’une perspective de soin s’ouvre.

Le corps « autiste », « handicapé » est, coûte que coûte, aussi, du langage capable d’action, exprimant une réalité du monde. Et la musique sans cesse considérée comme moyen vitaliste ‒ spontanéisme ne s’inscrivant pas dans le champ du divertissement  permet la recherche d’une identité active, d’un poème et de son devenir en faveur d’une singularité existentielle trop souvent mise à mal.

Toutes ces frictions atonales n’en demeurent pas moins de l’ordre du partage. Cela fonctionne en réseau, avec ses sources, ses puits, ses passages, ses traces etc., dessinant une carte un peu mystérieuse, souvent ignorée, où des battements sensoriels résonnent avec larsens et cris des plus authentiques en matière d’amplification hic et nunc.

Jamais complètement idéologique ni pleinement artistique, perçues comme l’expression radicale d’un vécu corporel, les pratiques brutes de la musique en psychiatrie troublent toutes les définitions sclérosées en matière d’attente esthétique et de conduites humaines. L’improvisation en tant que telle invite à se laisser habiter par les sens, hors du sens, ce qui modifie le regard sur le handicap et rend caduque toute prétention à définir les normes.

À partir de là, que permettent les armes et les pistes laissées par la « psychothérapie institutionnelle » ? Plus pratiquement, quelles sont-elles ? Peut-on encore s’en servir, dans la mesure où la psychiatrie s’ouvre à mesure qu’elle isole ses usagers ? Grâce à la musique, soigner ne veut-il pas dire remettre du corps à l’heure où nous vivons une certaine crise de la présence ? De quel potentiel thérapeutique parlons-nous ? Que révèle notre condition d’auditeur passif face à des musiciens explorant la matière sonore au-delà ce qui est considéré comme écoutable ou admissible ?

Cette soirée se veut une invitation à la discussion et à la rencontre, car si nous avons l’intuition de la marche à suivre, il est parfois complexe de comprendre d’où partir.