MANIFESTE INTERNATIONALISTE

Les Peuples Veulent RÉVOLUTIONS DE NOTRE TEMPS

MANIFESTE INTERNATIONALISTE

Nous pourrions ne retenir de notre époque que les images de son effondrement en cours forêts en flamme, épidémies, mers devenues cimetières, famines et invasions meurtrières…

Mais nous pourrions aussi retenir autre chose : la puissance des soulèvements qui ont secoué les campagnes et les villes du monde entier sur les places, à Madrid, au Caire, à Paris, à Istanbul ; en Tunisie, en Syrie, à Hong-kong, au Chili, au Sri-Lanka ; les mouvements « Femme, Vie, Liberté » en Iran, ou Les Gilets Jaunes en France… La liste est longue.

C’est en 2019 dans la banlieue de Paris, métropole coloniale mais aussi carrefour d’exils, que des rencontres internationales appelées « Les Peuples veulent » ont eu lieu.

« C’est de la rage et de l’amertume de nos défaites, mais aussi du besoin de ne pas en rester là qu’est né le désir de se connaître et de se lier. Nous avons commencé à tisser un réseau de liaisons planétaires avec ceux et celles d’entre nous, qui de premières lignes en assemblées populaires, de grèves féministes en comité de résistance, de ronds-points habités en forêts occupées se sont découvert une sensibilité commune ».

La dernière de ces rencontre a rassemblé des révolutionnaires venus de quarante pays et des milliers de personnes sont venus les rencontrer. Un internationalisme ouvert, venu d’en bas, voyait le jour. Dans le même temps, le texte du manifeste internationaliste « Révolutions de notre temps – les Peuples Veulent » s’écrivait, enrichi des récits et des analyse de participant.e.s aux révolutions d’Égypte, du Soudan et d’Irak, aux révoltes paysannes en Inde, à la vague féministe en Amérique latine, au soulèvement pour Georges Floyd, aux résistances palestiniennes et à bien d’autres encore.

 

« Seuls les peuples sauvent les Peuples

avec des membres du réseau international « Les Peuples veulent »

de Syrie, du Soudan, d’Iran et de France

Présentation et discussion autour du livre collectif 

Révolutions de notre temps – Manifeste Internationaliste

Nous venons de vivre une histoire folle. Le nombre de soulèvements, de révoltes et de révolutions survenues ces quinze dernières années au sein de l’humanité est sans précédent. Quelque chose de l’ordre d’une révolution générationnelle s’est développée sur tous les continents dans des dizaines et des dizaines de pays et de régions du monde. Cette grande poussée n’est pas totalement retombée, elle fait toujours l’actualité en Serbie, par exemple. Dans ces mouvements massifs et protéiformes au cours desquels nombre de régimes sont tombés, une génération entière s’est politisée. Ce manifeste a d’abord souhaité rendre visible cette somme de soulèvements et a voulu rendre hommage à leurs centaines de milliers d’acteurs et d’actrices contraint à l’exil, emprisonné.e.s ou disparu.e.s

C’est en 2019 dans la banlieue de Paris, métropole coloniale mais aussi carrefour d’exils, que des rencontres internationales appelées « Les Peuples veulent » ont eu lieu. Il s’agissait de se comprendre et de voir ce que l’on pouvait apprendre de cette période. Après cette époque, il manquait un retour, une autocritique et un apprentissage à faire à partir de ce qui a été réussi, même transitoirement, et ce qui ne l’a pas été.

Nous avons à l’œuvre un mouvement révolutionnaire mondial qui se développe d’une double manière. D’une part, à travers des moments décisifs de soulèvement quand le pouvoir populaire, sa puissance venue d’en bas, fait défaillir le pouvoir en place ou même le dépose. C’est d’autre part, une révolution qui procède d’une construction lente, d’un processus cherchant à se développer dans les lieux de vie, de travail, dans les relations interpersonnelles, sociales, avec le vivant. Du croisement de ces deux mouvements et de leur réussite procéderait alors une vie nouvelle.

Mais c’est de la rage et de l’amertume de nos défaites, et aussi du besoin de ne pas en rester là qu’est né le désir de se connaître et de se lier. Nous avons commencé à tisser un réseau de liaisons planétaires avec ceux et celles d’entre nous, qui de premières lignes en assemblées populaires, de grèves féministes en comité de résistance, de ronds-points habités en forêts occupées se sont découvert une sensibilité commune ».

La dernière de ces rencontre a rassemblé des révolutionnaires venus de quarante pays et des milliers de personnes sont venus les rencontrer. Un internationalisme ouvert, venu d’en bas, voyait le jour. Dans le même temps, le texte du manifeste internationaliste « Révolutions de notre temps » s’écrivait, enrichi des récits et des analyse de participant.e.s aux révolutions d’Égypte, du Soudan et d’Irak, aux révoltes paysannes en Inde, à la vague féministe en Amérique latine, au soulèvement pour Georges Floyd, aux résistances palestiniennes et à bien d’autres encore. Il traite de quelques enseignements croisés des soulèvements populaires de ces 15 dernières années, de l’entêtement d’une génération révolutionnaire qui traverse les frontières, et promeut la constitution d’un réseau d’entraide mondial. 

De Gaza à l’Ukraine, de la Syrie au Soudan, du Chili à l’Indonésie, de la Serbie à la France, comment construire ensemble un internationalisme par en bas ?

Nous en débattrons avec des membres du réseau Les Peuples Veulent, de Syrie, du Soudan, d’Iran et de France.

https://www.auposte.fr/10-septembre-en-france-la-gronde-sur-la-planete-on-fait-quoi/

https://thepeopleswant.org/fr/

Ce manifeste est rédigé en arabe, espagnol, anglais et français,

 

 

 

 

 

ARMAND GATTI : RÉVOLUTIONS

ARMAND GATTI : RÉVOLUTIONS

Rencontre du 5 octobre 2024 au théâtre de l’Union – Limoges

à l’occasion du 100e anniversaire du poète et dramaturge

Première partie : lecture théâtralisée extraits du premier écrit d’Armand Gatti, Bas-Relief pour un décapité (Mars -A Publications, 2024).

Cette lecture à deux voix, interprétée avec force et expressivité par Eve Apfeldorfer et Mehdi Benguesmia, a été présentée par Marie Virole, l’éditrice de ce texte découvert et publié en Limousin, après la mort de son auteur en 2017. Marie Virolle indique notamment que tous les thèmes, motifs et conceptions que Gatti déploiera au long de son immense œuvre poétique, théâtrale et dramatique se retrouvent déjà dans ce récit de jeunesse qui « brûle, parcouru par le feu de l’époque » des guerres mondiales (cf. La Lettre du cercle Gramsci n° 223 , septembre-octobre 2024, p. 3).

 

Pourquoi nous soutenons les inculpé·es du 15 juin 2021

Communiqué

Pourquoi nous soutenons les inculpé·es du 15 juin 2021 ?

« Nous, “public”, “usagers”, “simples citoyens”, avons été placés devant le fait accompli. Ou plus exactement, comme c’est la règle en matière de nouvelles technologies, le débat n’a pas existé, car la technologie n’est pas censée être politique. […] Il n’existe ni lieu ni moment pour en débattre ».

Célia IZOARD, Merci de changer de métier,

Editions de la Dernière lettre, 2020

Le 15 juin 2021, la répression antiterroriste (SDAT, GIGN, PSIG) s’abattait en Limousin sur plusieurs personnes soupçonnées d’avoir provoqué des incendies pour dénoncer le déploiement du compteur Linky, puis de la 5G.

Les chefs d’inculpation sont : destruction et dégradation de biens par explosif ou incendie commises en bande organisée (véhicules Enedis, antennes TDF et Orange), atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation (antenne militaire), association de malfaiteurs, et tracé d’inscription, signe ou dessin n’ayant entraîné qu’un dommage léger.

Les peines encourues, en fonction des chefs d’inculpation, vont de 5 à 20 ans d’emprisonnement et de 75 000 à 225 000 € d’amende.

Le procès est en attente et aura lieu vraisemblablement en 2026.

Nous, regroupement de collectifs et d’individus, luttons contre l’informatisation de la vie et de la société et voulons ouvrir ce débat dans la société comme nous l’avons fait entre nous ce week-end. En ce sens, nous sommes solidaires des manifestations en actes de la critique du numérique.

Ces technologies sont voraces en eau, énergie, ressources minières et territoires. De plus, elles s’appuient sur une exploitation du travail allant jusqu’à l’esclavagisme dans certaines régions du monde (RDC, Chine…). Elles entraînent militarisation et guerres.

La numérisation engendre des dégâts sociaux, sanitaires (addictions, dépressions, effets des ondes…), de surveillance et de limitation de la démocratie.

 

Face à ces constats, toute opposition est légitime, et ce d’autant plus que, contrairement à ceux qui déploient ces technologies, notre résistance n’use jamais de moyens létaux.

Pour les inculpé·es, nous exigeons la levée immédiate des poursuites et l’annulation des chefs d’inculpation.

Nous appelons à une désescalade de la numérisation imposée et, comme nous l’avons fait ce week-end de fin juin 2025, à ouvrir des espaces dans lesquels il soit possible de faire la critique du numérique en public. Nous appelons également à s’organiser pour résister à la numérisation. Pour cela, rejoignons les contestations des vitrines des technologies numériques :

  • SIDO (Salon de l’Internet Des Objets) à Lyon le 17 septembre 2025
  • SIM (Salon de l’Industrie Minérale) à Orléans du 15 au 17 octobre 2025
  • Tech&Fest à Grenoble les 4 et 5 février 2026
  • Vivatech à Paris du 17 au 20 juin 2026

Étendons la solidarité aux autres personnes poursuivies dans ces luttes ainsi qu’aux employé·es menacé·es de licenciement pour leurs résistances à l’usage du numérique dans le cadre de leur métier ainsi qu’aux personnes qui y résistent dans leur quotidien.

 

Regroupement de collectifs et d’individus

Contre l’informatisation de la société

À Royère de Vassivière le 29 juin 2025

Comment faire collectif ?

Comment faire collectif ?
Retour sur 48 expériences contemporaines

  Enquête sur les

Comment faire collectif ?

Jean : au départ, les flyers annonçaient pour cette soirée Aïala Ellenberger et Archibald Peters. En fait, c’est Pomme Boucher qui est là ! Archibald n’ayant pas pu venir, Pomme s’est manifestée avant-hier pour le remplacer, donc un grand merci à elle ! C’est bien de pouvoir parler collectivement d’un livre qui s’est écrit en commun…

Jean et Hadrien, pour le Cercle Gramsci, présentent la soirée sous forme de dialogue, à partir d’une petite série de questions. L’idée est que ça reste ouvert et que vous puissiez intervenir au cours de la discussion.

Pour présenter très vite nos invitées : Aïala est membre du collectif Pivoine, une association d’éducation populaire de Faux-la-Montagne, et Pomme est membre de l’association Quartier Rouge de Felletin, qui travaille sur toutes les questions de diffusion et de médiation des processus artistiques en Limousin.

Le motif de l’invitation au Cercle Gramsci était la publication du livre « Comment faire collectif ? ». C’est un livre à deux entrées : côté pile, c’est une enquête du réseau des socianalystes, qui vise un retour d’expérience sur la vie des collectifs, ce qui les maintient, ce qui fait qu’ils se font et qu’ils se défont. Côté face, sont abordés les méthodes et récits de l’enquête elle-même, en même temps que les principes de la démarche socianalytique.

L’intérêt du livre est d’être partie prenante dans un processus de formation, en ce sens il est en parfaitement en accord avec l’esprit de l’éducation populaire. L’enquête qu’il restitue sur la vie des collectifs rentre dans le cadre d’une formation collective à la socianalyse, et agit donc directement comme processus et outil de transformation sociale.

Cette soirée sera retranscrite dans la Lettre du Cercle, à laquelle vous pouvez vous abonner. Le livre est en vente ici.

Aïala : Bonsoir, je suis Aïala Ellenberger, je travaille à l’association Pivoine depuis 2016-2017. Pivoine va bientôt fêter ses 20 ans. Elle est basée à Faux-la-Montagne, sur le plateau de Millevaches. Elle organise des formations, mais elle accompagne aussi des collectifs dans les difficultés qu’ils traversent. Elle essaye de s’inscrire sur le territoire et de faire des propositions qui font sens, donc des organisations matérielles diverses, ou de mettre en lien des personnes sur des questions, qu’elles soient pratiques ou moins pratiques.

Pomme : Bonsoir, moi c’est Pomme Boucher. Jean m’a présentée comme faisant partie de l’association Quartier Rouge. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je suis là ce soir. Quartier Rouge, n’est qu’à une demi-heure de Pivoine, et va aussi fêter ses 20 ans en 2026. Nous avons eu l’occasion de travailler ensemble à plusieurs reprises sur des projets collectifs, notamment l’Atelier de géographie populaire. Quartier Rouge accompagne des personnes autour de problématiques de société, donc ce sont plutôt des petits collectifs de gens qui viennent nous voir, et qui se posent des questions. Ces dernières années nous nous sommes un peu spécialisés sur les questions environnementales. Nous accompagnons un collectif actuellement à Limoges autour du projet de l’Appel à la Vienne. Du coup, nous invitons des artistes à travailler avec ces personnes, dans l’idée qu’une commande artistique peut aussi venir nourrir des questions de représentations et faire évoluer les relations qu’on peut avoir, notamment sur les questions environnementales. Nous avons travaillé sur le retour du loup avec des éleveurs et aussi avec des personnes qui s’intéressent à renouer un lien sensible avec la Vienne. Voilà le genre de choses que nous accompagnons de notre côté, en assurant la production. Dans toutes ces recherches, nous pilotons aussi des personnes dans des approches de la socianalyse, puisque Quartier Rouge a vécu aussi une socianalyse, c’est à dire une pratique d’investigation collective, dans le cadre de notre organisation interne.

Donc je peux vous faire part de ça ce soir. J’ai aussi participé, là plutôt à titre personnel, à la question de la non-directivité qui va être traitée dans l’enquête. Ce n’est pas à nous d’interpréter ce que les gens souhaitent mettre en place, il s’agit plutôt de nous mettre à l’écoute de leurs propositions et des problématiques qui sont les leurs.

Hadrien : D’abord sur le collectif qui est à l’origine du livre : comment vous vous êtes rencontrés, comment vous avez écrit ce livre ensemble ?

Aïala : le collectif est un réseau de socianalystes, c’est-à-dire de personnes qui ont comme dispositif de travail la socianalyse. Cet outil permet d’intervenir dans des collectifs, des organisations de travail ou des groupes, pour analyser la manière dont les choses se passent, les difficultés rencontrées, comment les comprendre et les transformer.

En fait, la socianalyse vient de l’analyse institutionnelle, donc d’un courant qui se penche sur l’institution des normes, des lois, des transformations qui traversent la société et qui la font bouger. Elle vise à en faire un dispositif appliqué pour pouvoir intervenir concrètement dans les institutions, et non pas un outil d’études universitaires qui serait enseigné et qui aurait peut-être des effets, mais en tout cas pas les mêmes qu’en intervention directe pour soutenir des organisations.

Ce dispositif de socianalyse existe depuis les années 70. Il a eu une première vie sans nous. Dans les années 2010, il y a eu une rencontre entre Christiane Gilon et Patrice Ville, qui sont les personnes qui nous ont transmis ce dispositif. La coopérative d’éducation populaire le PAVÉ traversait une crise. Elle a fait appel à ces socianalystes pour les aider à comprendre ce qu’ils pouvaient faire, comment ils pouvaient transformer la situation et y comprendre quelque chose. De là est venue la rencontre entre un des ex-membres de cette coopérative Le PAVÉ, Anthony Brault, avec Christiane Gilon et Patrice Ville, qui se sont mis à transmettre ce dispositif à des gens comme ceux de Pivoine. C’est-à-dire plutôt à des personnes qui étaient dans des associations d’éducation populaire, pas du tout formées à la sociologie ou alors de façon universitaire : ils avaient plutôt des manières de travailler au contact des publics et dans le questionnement de la société.

Cette rencontre a eu des effets, puisque plusieurs personnes se sont formées et ont commencé à constituer une sorte de réseau, qui s’est construit à partir de 2015, avec une formation assez courte, un condensé de la formation initiale, qui avait été pensée en milieu universitaire. Il y avait donc un certain nombre de lacunes, puisque ça ne durait que 5 jours. Une des lacunes, c’était justement la non-directivité pour pouvoir entrer en relation avec les gens, les écouter et comprendre des choses, des situations que les personnes vivaient, en ayant une écoute et une manière égalitaire de les questionner.

Ce réseau, au départ, comptait une dizaine de membres, pour arriver maintenant à 30 ou 40 personnes. La demande, adressée à Patrice Ville et Christiane Gilon, de nous former à la non-directivité, s’est faite sur une enquête par entretiens. Ça a donc été le point de départ de ce réseau. Moi j’avais aussi fait la formation à la socianalyse en 2016. Du coup, quand il y a eu cette opportunité, ça m’a tout de suite intéressée. Comme nous accompagnons aussi des collectifs en construction, en devenir, je trouvais important de travailler sur cette question de la non-directivité.

Hadrien : vous avez écrit ce livre à partir de ce collectif de socianalystes en formation, et vous avez abordé 48 expériences contemporaines, qui ont donné lieu à 48 entretiens non-directifs. C’est déjà assez ambitieux, mais avant de parler de l’enquête et des outils, peut-être, si ça vous dérange pas, pouvez-vous nous présenter la socianalyse et la façon dont elle se matérialise, comment elle se construit ?

Aïala : la socianalyse est un dispositif clinique. On va être dans la situation ensemble : les intervenants, l’équipe de travail et les participants, c’est-à-dire les membres d’une organisation ou des gens qui sont reliés entre eux par un but collectif. Cette organisation fait appel à des intervenants, parce qu’elle rencontre un problème, une difficulté, qu’elle est en crise et donc que les gens ne savent plus comment avancer, comment poursuivre, quoi changer, etc.

Les intervenants vont arriver avec la question : pourquoi faites-vous appel à nous ? C’est-à-dire pourquoi est-ce que la situation en est rendue à un point tel, que vous n’arrivez plus entre vous à comprendre quelque chose et à pouvoir la transformer, mais que vous avez besoin de nous, les intervenants, pour en saisir les tenants et aboutissants ?

Bien sûr ça provoque un peu, mais disons que c’est le premier jet de l’initiative. Puis nous construisons un dispositif de travail, en organisant une équipe d’intervenants. Le critère premier est d’être suffisamment divers pour pouvoir percevoir des choses différentes dans ce qui est vécu, pouvoir comprendre des choses dissemblables, avoir des manières singulières de se représenter la situation.

Ensuite, nous allons travailler avec ce qu’on appelle l’Assemblée, c’est-à-dire les personnes qui sont là, avec nous. Nous allons essayer d’analyser cet ensemble, c’est-à-dire creuser les endroits de division pour tenter de comprendre ce qui fait vraiment tension. Quelles sont les différentes positions, comment sont organisées les tensions à l’intérieur de ce collectif ?

Enfin, nous faisons appel à de la transversalité, ce qui revient à ramener le plus de points de vue différents, le plus de d’éclairages diversifiés. Donc nous invitons les gens qui ont un savoir sur la situation. Par exemple, pour une association qui emploie un certain nombre de personnes, nous allons aussi faire venir des anciennes salarié⸱e⸱s, des anci ennes bénévoles, des membres qui ne sont plus forcément actifs mais qui ont un regard sur la situation. L’idée, c’est de comprendre ensemble ce qui se passe pour pouvoir déjà en saisir quelque chose, se le représenter aussi, puisque c’est dans la crise qu’on voit apparaître tout ce qui était implicite : les normes, les règles, l’institué, c’est-à-dire le socle sur lequel l’organisation fonctionnait jusque-là, et qui ne marche plus. Cela doit être probablement transformé, mais déjà il faut le visibiliser.

À partir de là nous essayons de trouver des modalités de travail pour aller avec ce groupe, en prenant plutôt des sujets de division. Progressivement, nous tentons de comprendre ce qui fait les différentes positions et pourquoi le mouvement cale. Il y a un principe important, celui d’autogestion : c’est-à-dire que les intervenants ne prennent pas la main sur l’organisation matérielle et l’ordre du jour. C’est l’Assemblée qui doit déterminer de quoi elle a envie de parler, ce qui est le plus important et le plus urgent pour elle. Et surtout, c’est l’Assemblée qui décide de ce qui ne peut être traité sans nous. En effet il y a tout un tas de sujets que les personnes peuvent résoudre sans l’aide d’intervenants extérieurs, vu qu’ils savent très bien le faire déjà depuis longtemps. Nous visons donc les objets de travail qui nécessitent l’extériorité des intervenants. Mais par contre, ce ne sont pas les intervenants qui font l’ordre du jour ou qui préparent des temps de travail. Ils ne viennent pas en tant qu’experts pour analyser depuis l’extérieur et donner leur point de vue. Ils sont plutôt là pour soutenir un travail de compréhension de ce qui se passe par l’assemblée. Donc nous avons plusieurs principes de travail que nous essayons de mettre en œuvre.

Pomme : Je peux vous donner un exemple concret de comment ça s’est passé pour Quartier Rouge.

Il y a des commanditaires, et ce sont même les premières personnes avec lesquelles les intervenants obtiennent des informations. Ces personnes vont souvent organiser la suite avec l’Assemblée qui va se constituer.

Ce qui nous avait beaucoup surpris était la question : qui voudriez-vous inviter au-delà des salariés et du CA ? Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui seraient intéressantes à faire venir ? De fil en aiguille, nous nous sommes retrouvés le jour même, à finalement inviter des gens que nous pensions pas du tout intéressés par la question, mais qui avaient potentiellement des points de vue très divergents des nôtres. Or, c’était quand même très intéressant de les faire venir parce qu’ils n’étaient pas du tout d’accord, ou qu’il y avait eu des conflits avec eux. Finalement, au moment du démarrage de la socianalyse, l’intérêt de faire venir ces gens a été compris, pour nous dire aussi quel était leur point de vue, et qu’il fallait que nous en tenions compte le plus possible afin d’avancer dans la situation dans laquelle nous nous trouvions.

Tout ça pour vous dire que c’était un dispositif où il nous a été demandé de nous réunir tous pendant trois jours consécutifs. Nous avons dormi dans un gîte, où tout était en continu pendant les trois jours. C’est un peu sportif pour les intervenants ! Ils devaient faire le débrief plutôt la nuit, pendant que nous, nous essayions de dormir avec plein de trucs dans la tête en train de se mettre en marche.

Après cette séance, nous avons fait un retour. Il y a beaucoup de manières de faire la socianalyse, et nous en sommes plutôt un bon exemple, car nous avons fait plein d’accompagnements par la suite. Nous avons continué le travail, mais en soi, la socianalyse peut ne durer que 3 jours, pour mettre en exergue tous les endroits de crise. Ça peut faire éclater des choses. Certaines personnes peuvent partir, dire que la situation n’est plus tenable. Nous avons plutôt cherché à réinstituer des nouvelles choses derrière. Pendant plusieurs années après ça, nous avons sollicité un accompagnement sur de nombreux éléments, à partir du moment où, comme l’a dit Aïala, nous avions besoin d’une extériorité pour le faire. Ça a toujours été nous qui décidions. Après ces trois jours, nous n’arrêtions pas de nous appeler. Nous avions besoin de nous retrouver toutes ensemble. Un truc avait explosé. Il fallait absolument reconstruire quelque chose. D’où ce besoin de se concerter en permanence qui nous a plutôt rassemblées. Ce n’est pas le cas pour tout le monde.

Aïala : en fait, trois jours, c’est le minimum, c’est un peu un condensé. C’est-à-dire que nous passons entre trois et cinq jours ensemble, comme l’a décrit Pomme, pour travailler les différents points qui vont être mis à l’ordre du jour. L’idée, c’est que les intervenants partent quand il n’y a plus de points, que l’ordre du jour a été épuisé. En traitant un point, on rencontre tout un tas de tensions sous-jacentes, d’oppositions, avec l’histoire du collectif et les différentes manières de s’y rapporter. Il arrive que, une fois ce point traité, il n’y ait plus besoin de nous, puisque finalement, des choses se sont suffisamment éclaircies pour qu’après, l’Assemblée, qui a fait appel à nous, dise : « C’est bon, maintenant le reste, nous sommes tout à fait capable de le traiter sans vous. En ayant parlé de ça en votre présence, nous avons compris suffisamment de choses pour faire le reste tous seuls. »

Parfois, ça prend des formes plus étalées dans le temps, mais une période de 3 jours nous semble être le temps nécessaire pour se mettre au travail, apprivoiser aussi un peu cette manière de travailler… Un point important que je voulais ajouter, repose sur le principe de non-savoir. C’est-à-dire que nous les intervenants, nous nous gardons absolument de nous renseigner sur la nature de l’activité de l’association ou de l’entreprise avant de venir. Si on en sait quelque chose, on essaye de l’oublier. Nous sommes plutôt dans un questionnement, on vient et on se fait expliquer de quoi il s’agit, quelle est l’activité de cette organisation. Les explications des participants eux-mêmes vont nous faire comprendre le problème. C’est une manière de collectiviser le savoir, un moment rare où tout le monde est ensemble et se raconte ce que c’est que cette organisation, ce qu’on y fait, pourquoi on est là, ce qu’on cherche à faire ensemble, ce qu’on vit en commun. C’est un instant qui marque souvent l’histoire du collectif qui a pris ce temps pour se raconter, se dire pourquoi il est là. C’est comme si le savoir détenu partiellement par chacun et chacune était mobilisé pour justement faire ce travail d’analyse et de compréhension commun.

Hadrien : d’accord. Là c’est un peu sur l’analyse de la situation, sur une première partie de la rencontre qui est liée à une commande.

Avez-vous envie de parler de la commande qui est liée à la construction du livre ?

Aïala : Ce livre n’a pas commencé par une commande, mais par une demande de formation à l’enquête par entretien. Donc, pour se former et apprendre ce principe d’enquête par entretien, il fallait une question. C’est là où le réseau a fait appel à l’association Pivoine, qui en faisait partie. C’était un échange de services. Comme organisme de formation, nous avons porté administrativement l’enseignement collectif. En échange, le réseau nous a dit, profitez-en pour faire enquêter les étudiants de cette formation sur un sujet qui vous intéresse. À ce moment-là, comme nous faisons de l’accompagnement et de l’intervention dans des organisations en difficulté, nous nous questionnions justement sur les moyens de mieux comprendre ce qui entame la vitalité des organisations collectives.

Il serait intéressant d’intervenir sur le plan de la prévention et pas uniquement sur celui de la réparation. Cette commande a donc débouché sur cette question : « qu’est-ce qui selon vous entame la vitalité des collectifs ? ».

Nous avons organisé deux sessions de formation toujours avec Patrice Ville et Christiane Gilon. Une première sur : « comment conduire un entretien, qu’est-ce que la non-directivité ? » Nous nous sommes entraînés et avons formulé notre question. Nous avons aussi déterminé un échantillon, puisqu’il fallait se mettre d’accord sur qui nous allions interviewer. Nous avons plutôt choisi des organisations qui visent l’horizontalité, donc qui sont en autogestion, qui cherchent à être dans des liens non hiérarchiques, ou en tout cas le moins possible. Nous avons essayé de viser des organisations assez différentes, au moins en taille et géographiquement, conscients du côté partiel de notre démarche, sachant aussi que notre échantillon n’est quand même pas non plus très représentatif. Mais il nous intéressait de questionner ces organisations qui font aussi appel à nous comme intervenants.

À la fin de cette semaine de formation, chacun est allé faire son entretien, l’a retranscrit. Puis nous nous sommes retrouvés une semaine pour faire ensemble l’analyse du contenu. Avec l’analyse de la matière de ce contenu, nous n’y étions pas tout à fait, mais en tout cas on avait envie d’aller un peu plus loin, car on trouvait quand même dommage que notre récolte dorme dans un ordinateur, et soit oubliée à tout jamais. Nous avons choisi de le diffuser aux personnes enquêtées, dans l’idée de leur restituer ce que nous avions compris des entretiens faits avec elles et eux ; mais aussi, plus largement, aux différents collectifs que nous aidions à s’organiser.

Deux ans après, on s’est dit que, quand même, on pourrait essayer de le publier. Voilà.

Hadrien : peux-tu nous en dire un peu plus sur les 48 échantillons ? Peux-tu en faire une typologie ? Peut-être aborder les écoles ?

Aïala : e n fait, nous avons interviewé 22 personnes. Elles nous ont parlé de plusieurs organisations collectives dans lesquelles elles étaient investies. Pour finir, c’est ça qui fait les 48 expériences. Elles sont assez diverses. Ont été interviewés des participants, membres actifs de squats, de cinémas alternatifs, d’associations d’éducation populaire un peu reconnues, une clinique de psychothérapie institutionnelle, une commune qui avait un fonctionnement très collégial… D’autres organisations aussi, agricoles, soit de conseils, soit des collectifs de paysans en activité. Le lycée autogéré de Notre-Dame des Landes… C’était ce que nous trouvions intéressant de questionner : les moyens réels que nous avions de trouver l’interlocuteur ou l’interlocutrice qui allait bien vouloir dire oui sur l’enquête à des étudiants, des apprentis.

Parmi les gens que nous avions envie de contacter, certains ont refusé. Il y a aussi des organisations pour lesquelles nous étions un peu trop impliquées, et on ne se voyait pas y faire des entretiens. L’échantillon s’est dessiné comme ça. Mais ce n’était pas tout à fait sur l’échantillon ta question ?

Hadrien : si, si, c’est bien ! Parce que quand on voit 48 expériences, ça fait énorme pour des stagiaires qui réfléchissent à cette question dans un processus de formation. Et quand tu dis 22 personnes, c’est déjà moins impressionnant que 48 collectifs, qui peuvent représenter peut-être 100, 200, 300 personnes.

Aïala : Surtout que dans les 22, il y avait les 5 membres de l’association Pivoine, puisque dans le dispositif d’enquête auquel nous nous sommes formés, il y a comme consigne d’interviewer tous les membres du collectif qui commande l’enquête. Ça nous a posé un problème : 5 personnes sur 22, nous trouvions que c’était beaucoup. Mais, comme pour d’autres questions, Patrice et Christiane nous ont dit que notre dispositif était pensé comme ça. C’est normal puisque les commanditaires de l’enquête ont besoin d’être entendus individuellement, et puisque chacun porte un regard différent sur le pourquoi de cette enquête.

Pomme : Comme l’a dit Aïala, ce sont des personnes qu’on a choisies pour leurs diverses activités, mais qui étaient toutes au sein de collectifs. Et toutes avaient un point de vue sur la question du collectif. La manière dont nous avons formulé la question est aussi intéressante. Nous avions tous et toutes la même question, le même déroulé de questionnement auprès des gens qu’on allait rencontrer. Donc la question c’était : « qu’est-ce qui selon vous entame la vitalité des collectifs ? » Nous leur demandions de répondre en fonction de leur expérience spécifique dans le collectif pour lequel nous les avions interpellés. Chacun a répondu, et ensuite à nous de mener l’enquête de manière non directive, c’est-à-dire sans leur poser de questions extérieures.

Le principe était de bien comprendre leurs réponses, donc plutôt de les laisser s’expliquer, de donner plusieurs fils, parce que souvent il n’y en a pas qu’un seul. Puis, de suivre leur fil, mais de ne jamais nous dire : « ah bon, alors ça veut dire que c’est comme ça, etc. » C’est plutôt d’essayer de bien piger ce que la personne est en train de nous dire, de bien être sûre que nous avons saisi l’exemple qu’elle nous a donné. Sinon nous la poussons à nous donner un autre exemple pour qu’on comprenne bien de quoi il s’agit. L’idée c’est d’essayer d’explorer jusqu’où il est possible d’aller avec une personne en réfléchissant à cette question, en explorant toutes les réponses qu’elle peut y donner. Souvent il y avait quatre ou cinq fils que la personne suivait. C’est tout ça que nous avons analysé ensuite.

Les entretiens durent entre 2 h 30 et 5 heures. Il arrive que des entretiens individuels prennent moins d’une heure et demie.

Jean : juste par rapport à ce que tu viens de dire sur l’entretien non directif : d’un côté vous aviez le même déroulé, et en même temps l’idée n’est pas de poser des questions extérieures aux propos tenus par les gens que vous interviewez. Mais comment peut-on avoir un déroulé commun qui n’oriente pas déjà les choses ?

Pomme : oui, en fait c’est assez simple : nous expliquons dans un premier temps qui nous sommes, pourquoi les gens sont sollicités (il y a un petit récapitulatif dans le livre). Ensuite, nous leur posons la question.

Un exemple de réponse c’est « parce que les gens ne sont pas d’accord ». Je vais alors écouter, et m’assurer que j’ai bien compris ce qui a été dit. C’est-à-dire que je ne vais jamais reformuler, pour laisser les gens, dérouler tout simplement leur pensée. Nous assistons au déroulement de la pensée d’une personne sur la question. Nous accompagnons et recueillons simplement ce déroulé-là, qui peut durer, en fonction des personnes, de leurs expériences et de ce qu’elles ont à dire, peut-être une heure et demie et parfois beaucoup plus.

Aïala : Un petit ajout. Avant qu’on vienne leur poser la question, les personnes ne se sont jamais demandé ça tel quel. Par contre, on imagine qu’elles se font bien une représentation de ce qui entame, dans leur cas, la vitalité des organisations collectives. C’est le moment où l’enquêté a un espace pour penser au fond ce qu’il a à dire sur ce sujet et, à la fois, il est interpellé pour une organisation. Par exemple, j’ai fait un entretien dans un collectif d’agriculteurs. La personne que j’ai interviewée m’a parlé de ça, mais elle m’a aussi parlé d’autres expériences collectives qu’elle avait faites par ailleurs, et ce qu’elle en avait compris.

C’est assez fascinant, parce que nous voyons vraiment la pensée se construire au fur et à mesure. C’est-à-dire, que nous faisons des liens : qu’est-ce que qui est pareil, qu’est-ce qui est différent de l’autre association dans laquelle j’étais ? Ces différences rendent le travail de l’intervieweur ou l’intervieweuse assez difficile, parce que nous avons tendance, nous aussi, à faire des liens, mais qui ne sont pas les mêmes. Nous essayons de rester dans le cadre de référence, mais il est difficile de soutenir le fait que la personne interviewée en est là de sa pensée. Par exemple quelqu’un propose trois hypothèses. S’il tombe un peu en panne, il faut attendre, déjà, et s’il reste en panne alors on lui demande : « Donc tu proposais trois hypothèses, est-ce que tu verrais quelque chose à rajouter ?  ». Par contre nous n’avions pas forcément de technique pour stopper les méga bavards, qui avaient énormément de choses à dire ou qui se répétaient ! Il y a un moment où nous arrêtons. C’est un peu la page blanche et c’est assez fascinant.

Intervention : vous prenez des notes, vous enregistrez des trucs ?… Ceux qui sont interviewés, peuvent-ils avoir des réactions par rapport à un enregistrement ? Cela peut-il provoquer chez eux des refus ?

Pomme : toutes les personnes sont prévenues que nous allons les interviewes sont enregistrées, et nous demandons leur accord pour cela. Parce qu’effectivement c’est le principe de base, qu’il soit possible de les enregistrer pour retranscrire l’intégralité de l’échange. Après, tout sera recopié, y compris les silences… Mais, il n’y a pas eu vraiment de refus. Il est aussi précisé aux gens qu’une restitution sera faite et qu’ils y seront invités.

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Intervention : la restitution est-elle collective ou toujours individuelle ?

Pomme : la restitution est plutôt collective.

Aïala : c’est le moment où, avec tout ce qui a été compris de ce que nous ont dit tous les interviewés, se trouve écrit le texte avec les trois écoles. Quelque chose de ce que les personnes interviewées nous disent leur est restitué. Le savoir qu’elles nous ont transmis est rendu, car cette matière a été obtenue grâce à elles, du coup c’est un juste retour, ça leur appartient. Par contre, nous ne faisons pas valider par les personnes le contenu. Celui-ci a été pris en analyse, ce n’est donc pas une collection de points de vue, mais autre chose. Disons que, en comprenant le sens de tout ce qui nous a été dit, nous essayons de faire un pas de plus, dans une sorte de retour aux personnes.

Lors de la restitution collective, deux problèmes ont été rencontrés :

1/ les participantes et les participants à la formation venaient un peu de toute la France et même de Belgique. Si chacun a fait des entretiens plus ou moins proches de chez lui, il n’était donc pas vraiment facile de faire venir tout le monde.

2/ en plus, c’était la période Covid, il était donc presqu’impossible de faire circuler des gens. Nous avions pensé faire une visio avec tout le monde, mais assez vite nous nous sommes rendu compte que ça allait être compliqué, que les interactions seraient difficiles. Voilà qui explique aussi le passage à l’écrit, en remplacement de la restitution orale, que nous aurions voulu différente.

Par contre, il a fallu transcrire… Au départ, le texte était la transcription d’une présentation orale de ce qui avait été compris des entretiens. D’où le texte, complété dans l’idée de faire le livre.

Intervention : est-ce que vous pouvez nous donner quelques éclairages sur la manière dont vous avez analysé les différents contenus, comment vous les avez regroupés ? Aviez-vous des méthodes, avez-vous improvisé, y êtes-vous allé avec votre sensibilité ?

Pomme : nous avons été accompagnés par nos formateurs, qui, eux, ont l’habitude… Christiane et Patrice ont fait pas mal d’enquêtes par entretien. Mais, comment dire ? Ça ressemble quand même à un grand fouillis !

Nous avons tous fait une petite synthèse pour la présenter à tout le monde, afin que tout le monde l’ait en tête. Parce que l’idée n’est pas que chacun garde l’info qu’il a collectée. Il faut que tout le monde puisse avoir une vision de tous les entretiens.

Ça veut dire que les 22 personnes doivent avoir une vision des 22 entretiens qui ont été menés. Nous avons passé une semaine à nous les représenter, à essayer de synthétiser ce qu’on en retenait avec le regard de chacun, en essayant de souligner l’essentiel. Après cette première présentation, ont été réalisées des fiches de synthèse pour chaque entretien, qui mettaient en avant leurs éléments saillants. Puis sont intervenues plusieurs relectures, en passant dans la salle, en regardant, en interprétant, afin d’essayer de faire des liens entre tout ce que nous avions vu, tout ce que nous avions entendu. Nous avons aussi réécouté des passages pour être sûrs de ce qui est exprimé, au ton de la voix des gens. Puis nous surlignons, mettons des analyseurs sur toutes les retranscriptions. Ce travail est assez long et nous étions un peu paumées quand même. Nous étions des apprentis, à la fois là pour faire une enquête et pour apprendre la méthode de cette enquête. Cela peut expliquer l’effet de confusion.

Aïala : nous avons cherché, comme l’a décrit Pomme, à comprendre la logique de chaque personne interviewée, de quoi elle parlait au fond. Nous n’étions pas sur les mots clés ou sur ce qui a le plus été dit, mais nous essayions de comprendre comment la personne se représente des choses par rapport à la question posée. Après la collection de ces 22 logiques singulières, nous avons essayé de construire l’ensemble. Là commence un autre travail nécessitant de prendre un petit peu de recul pour se dire : « mais au fond de quoi nous parlent ces personnes si nous écoutons l’ensemble ? » Il est utile de s’appuyer sur les entretiens modélisateurs, parce qu’il y a des personnes qui défendent vraiment des positions très fortes. Tout le monde ne défend pas la même chose, bien sûr, mais certaines positions semblent très justifiées, très approfondies, et d’autres moins.

Ce n’est pas du tout grave, mais du coup nous essayons de nous appuyer sur celles qui défendent des positions un peu plus accentuées, afin de comprendre les logiques d’ensemble, donc dépasser celle de chaque individu et de chaque entretien. Un entretien nous disait justement que pour faire collectif (parce qu’à travers la question : « qu’est-ce qui entame la vitalité ? », il y avait bien sûr celle de ce qui donne de la vitalité), pour que vive un collectif, donc, il faut travailler le sens, penser les modes de fonctionnement, et aussi développer une qualité certaine des relations humaines.

Cet entretien-là reprenait trois dispositions, ou les composait et éclairait différentes manières de se rapporter au collectif et à sa vitalité. D’où cette phrase parmi des centaines de pages retranscrites. À force de se questionner sur ce qui fait sens, nous avons repris les entretiens, comme tu l’as dit, à la lumière de cette phrase. Cela nous permettait de comprendre quelque chose de plus vaste que l’entretien lui-même sur les organisations collectives et les trois écoles.

La phase suivante, c’est de se dire mais finalement de quoi nous parlent les entretiens ? D’où le livre et le tableau.

Les entretiens disent finalement : « c’est quoi un collectif ? C’est quoi l’énergie, le carburant qui le fait vivre ou fonctionner ? Au contraire, c’est quoi qui le dévitalise ? C’est quoi qui le vide de sens ? Y a-t-il des règles de fonctionnement, une sorte de loi générale ? »

Par exemple quelqu’un dit « pour le collectif dans lequel je suis, s’il n’y a pas au minimum 50 personnes pour venir à une manif, ça veut dire que la manif d’après c’est foutu ». Donc on comprend en écoutant les personnes que nous interrogeons qu’il y a bien des « théorèmes », en tout cas des règles générales, souvent implicites, mais qui décrivent bien la manière dont une organisation fonctionne.

Une fois que nous avons la clé de lecture, nous retournons dans les entretiens pour essayer d’illustrer ce que dit telle ou telle personne, et ceux qui sont plutôt du côté de telle école.

Intervention : j’ai peut-être loupé un truc, mais je n’ai pas compris : que sont les trois écoles ?

Aïala : je ne l’avais pas dit !

En fait, l’analyse des entretiens nous a conduit à identifier trois manières assez différentes de se rapporter au collectif. Le travail qu’on a fait à partir de là est développé dans une des deux parties du livre. Nous avons considéré que ce qu’on nous décrivait c’était comme trois écoles : l’une est l’école de la rupture, une autre celle des formes, la troisième est celle des relations humaines.

Par exemple, l’école des relations humaines est une organisation collective basée sur la place de la personne dans l’organisation, sur le fait que les personnes sont adaptées dans l’organisation : c’est ça qui fait que l’organisation va bien. Mais aucune organisation ne nous a dit « c’est l’unique chose qu’on regarde , nous ne travaillons que sur le fait que les personnes aillent bien ». Il y a toujours une composition entre les trois écoles, ou au moins entre deux, mais de façons assez diverses.

L’école de la rupture est vraiment tournée dans le sens de l’action. Par exemple des personnes interviewées étaient dans des squats ou dans des mouvements de lutte, en opposition totale au système. Elles nous ont décrit leurs modalités de fonctionnement collectif. C’est quelque chose de vraiment brut. Leur moteur était souvent de l’ordre de la destruction créatrice, allant totalement contre le système dominant. L’énergie est vraiment celle du désir : ce qu’on veut, on essaye de le faire. Ce qui donne de la vitalité, ce qui porte les gens dans le fait de s’investir dans cette école, ce qui fait tourner l’organisation, c’est le don de soi. Il y a une recherche d’intensité. Les personnes qui sont dans ces organisations donnent d’elles-mêmes sans compter, parfois jusqu’à l’épuisement.

Mais en fait nous ne prétendons pas du tout avec cette enquête avoir compris les organisations collectives en général. Nous pensons avoir enregistré quelque chose des 22 entretiens et donc des 48 expériences, dont nous parlons. Nous avons bien conscience que c’est très partiel, voire caricatural. Mais nous trouvions que c’était quand même une lecture intéressante de la manière dont les organisations collectives se percevaient. C’est une tendance. L’école de la rupture est dans cette forme d’intensité. Ce qui la dévitalise, c’est la tension trop forte entre l’idéal et la réalité. Les idéaux portés par les personnes sont confrontés à des réalités trop éloignées. Ça fait rupture, et les gens s’effondrent, ou alors ils quittent l’organisation parce qu’il n’est plus possible de la soutenir.

Par exemple, une des personnes racontait, dans un squat, son épuisement à s’occuper de toutes les tâches et de l’organisation, de l’approvisionnement, etc. À la fin, ça ne faisait plus sens de continuer, parce que c’était trop maltraitant pour elle.

Ensuite, ces organisations prônent l’ouverture totale, il n’y a pas de sélection à l’entrée, au contraire, plus il y a de gens, mieux c’est, dans une sorte de consommation d’énergie vitale. La grande ouverture implique une hétérogénéité maximale. Il faut se reconnaître dans le sens de ce qui est proposé bien sûr, mais nous sommes dans quelque chose de très hétérogène, et les gens ne se ressemblent pas forcément entre eux.

Nous avons aussi observé la tension entre l’individu et le collectif. Ce point a été soulevé en général par les personnes interviewées, qui vont jusqu’à être instrumentalisées au service de l’idéal : le collectif prime et que un peu de l’individu disparaît.

Une autre réponse obtenue concerne la stabilité et le mouvement dans l’organisation. Est-ce que ce sont plutôt des organisations stables ou qui changent régulièrement ? Là, nous sommes plutôt sur des collectifs dans une forme de précarité, où il y a beaucoup de mouvements. En gros, l’idéal reste, mais par contre, les personnes changent souvent. Ce qui donne de l’énergie, de la vitalité, repose sur l’ouverture, la fermeture, l’individu dans le collectif, la stabilité et le mouvement…

Ces catégories repérées étaient présentes à chaque fois. Elles nous semblaient décrire cette école en particulier, et donc être des clés de compréhension de ce qui fait collectif et de comment ça prend forme.

Ensuite, il y a l’école des formes. Elle était plutôt représentée du point de vue le plus marqué. C’est le lycée autogéré de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, une association d’éducation populaire, un cinéma alternatif ou un village qui fonctionnait dans une forme de collégialité. Le moteur de cette école est l’idée de construire ici et maintenant une alternative concrète. Donc une école contre-institutionnelle, qui va chercher à proposer une autre manière de fonctionner, à côté de la société, contre une partie de l’idéologie, mais pas forcément dans l’idée de la destruction ou du remplacement. C’est une manière de fonctionner à côté, où l’on est beaucoup sur les modalités de régulation de l’organisation. Comment peut-elle travailler ses formes et se réguler pour s’adapter au maximum à tout ce qui peut lui arriver ?

Intervention : c’est très dialogique, notre soirée. L’intitulé « école de la forme », je vois pas trop à quoi ça se rattache concrètement…

Pomme : les formes à cet endroit-là, ce sont plutôt des instances. Par exemple, on va créer de nouvelles instances pour gérer un problème administratif. Les formes dans ce sens-là, à cet endroit-là, sont des instances qui se régulent et qu’on va réinventer au fil du temps parce qu’on constate qu’elles ne sont plus d’actualité. Il faut un nouveau CA ou je ne sais quoi. Ce CA collégial, ça ne va plus. Il faut repasser, etc.

Intervention : je veux juste revenir sur les trois formes des écoles, mais ça me rappelle quand même la gestion d’un management capitaliste, celui d’Elton Mayo avec l’école des relations humaines, vous avez évoqué Schumpeter [la croissance est un processus permanent de création, de destruction et de restructuration des activités économiques], et vous avez parlé aussi des formes actuelles de renouvellement des modèles, qui sont des modèles obsolètes. Quelle est, justement, la place de votre vision altruiste par rapport à ces trois écoles capitalistes de management ? Qu’est-ce qu’elle vous apporte ? Est-ce que vous avez l’impression que c’est le prolongement de ces écoles de management? Ou leur contre-pied, qui irait vers leur destruction ?

Aïala : alors, je ne sais pas si je vais vraiment répondre à cette question tout de suite, parce que quand nous avons fait l’enquête, nous n’avons pas cherché à savoir ce que nous, nous en pensions.

Intervention (suite) : par ailleurs les entretiens sont aussi une manière d’étudier les comportements, ce qui est aujourd’hui la base de toute les études marketing, puisqu’on va vers le marketing comportemental. Une étude d’entretien, c’est vrai que ça va dégager des motivations, des freins, des peurs, des inhibitions, etc. Qu’est-ce que vous avez obtenu après l’étude de l’entretien ? En quoi ça diffère d’un entretien d’une entreprise comme Apple ou d’une boîte capitaliste ?

Aïala : pour répondre, je pense qu’il faut revenir à la socianalyse et à ce dans quoi elle s’inscrit. Comme un dispositif de contre-sociologie, avec l’idée qu’en faisant des enquêtes et des entretiens, elle n’est justement pas au service d’un projet capitaliste ou d’une commande commerciale. Mais le sujet est plutôt la compréhension, par nous-mêmes, d’une situation, de la société, de comment nous nous organisons, de quelles sont nos valeurs, nos croyances.

Peut-être que je ne connais pas assez la théorie… Moi j’ai été formée à cette méthode d’enquête par ces personnes-là, dans ce cadre particulier. Donc je ne sais pas quelle est la ressemblance. Est-ce que c’est exactement la même méthode d’enquête qui est utilisée par des commerciaux ou par des personnes qui font du marketing ? En tout cas, nous, ce à quoi ça nous a servi, c’est à mieux comprendre des dynamiques collectives qui sont souvent mises à mal par la réalité. Donc des personnes qui s’engagent dans des associations, des organisations qui défendent des valeurs, qui défendent la solidarité, qui défendent le partage, qui défendent… la culture, se retrouvent confrontées à des difficultés, soit d’organisation, soit de relation, soit de compréhension mutuelle (où est l’autre et qu’est-ce que l’autre cherche à faire ?). Du coup elles subissent des tensions, voire des crises, et donc ces organisations s’arrêtent. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose de s’arrêter. Mais c’est ce que nous cherchions à comprendre : comment pouvons-nous soutenir des personnes qui veulent s’organiser ensemble dans un but commun, soit d’activités économiques, soit de collectifs d’accueil, de soutien ou autres, afin qu’elles puissent avoir les moyens de comprendre ce qui leur arrive, de subsister et ne pas s’entre-déchirer pour des raisons plus ou moins malheureuses entre guillemets. C’est souvent pour des problèmes d’argent, de temps, d’investissement, qu’il y a besoin de les soutenir.

Pomme : peut-être aussi resituer que vous avez mis en place une formation à transmettre à des personnes qui s’interrogent sur le devenir de leur collectif. Ce genre d’informations soutient des collectifs existants, et leur permet d’avoir des clés de compréhension des endroits où ils se situent.

Après, comme toute analyse, elle peut être récupérée, modélisée. Mais en tout cas, il n’y avait pas d’ambition, comme l’a dit Aïala plusieurs fois, d’amener un modèle descendant et de dire c’est comme ça qu’il faut faire, ou il n’y a que ça qui se passe. En tout cas ça permet d’avoir des éléments de représentation pour des gens qui vivent à l’intérieur des collectifs et qui souvent peuvent être aussi naïfs dans leur représentation.

Hadrien : ce qui est intéressant, en lisant le livre, c’est de voir le développement qui se met en place à partir de la commande que vous avez formulée, l’enquête et l’analyse de l’enquête. C’est possiblement récupérable, mais vous construisez une sorte d’éthique.

Cependant, oui, tu n’as pas fini de présenter la typologie des trois écoles… !

a peut-être quelque chose de récupérable. Est-ce que c’est un contre-pouvoir ou un contre-feu ?

Pomme : c’est intéressant, parce que ces choses ont été beaucoup discutées dans le cadre de l’enquête collective. Nous essayons aussi d’être conscients des méthodologies que nous utilisons. Ce qui fait l’intérêt de ces formations de socianalyses, c’est qu’on y vit les choses déjà pour nous, et que beaucoup des gens qui les font ont vécu une socianalyse. L’expérience de ce que ça produit, de ce que ça transforme déjà pour nous, fait que nous ne le faisons pas subir, on ne l’ « applique » pas aux autres

Intervention : il me semble que les objectifs sont complètement différents. C’est-à-dire que l’objectif du management est d’optimiser le capitalisme. Or, les gens impliqués dans ce livre essayent de comprendre comment continuer à lutter ou à être subversifs contre le système. C’est-à-dire comment vivre autrement, bien, et mieux, en dehors du capitalisme. Il y a des méthodes qui peuvent être différentes ou communes. Des choses peuvent être récupérées. Mais dans le but, l’objectif, c’est totalement différent.

Pomme : en tout cas, dans le panel choisi, je crois que c’est assez clair !

Aïala : du coup, rapidement, l’école des formes, ce n’est peut-être pas très clair sur les instances, les modalités de fonctionnement et d’organisation ?

Avec cette école, on est plutôt sur ce qui rend vivant cette organisation, dans la recherche du mouvement permanent et la cohérence dans ce qu’on fait. Il y a l’idée que, chaque fois que survient un événement extérieur (une contrainte juridique, une plainte qui faite auprès de l’organisation pour quelqu’un qui est victime de violences, de nouvelles lois…), les collectifs de cette école vont chercher à se réinstitutionnaliser, à trouver une nouvelle forme liée à ce nouvel événement pour le réinjecter dans une nouvelle configuration qui, à l’avenir, permettra d’en tenir compte. Il y a cette idée d’un mouvement permanent. Et, au niveau de ces instances, la créativité des formes : comment peut-on s’organiser, comment donner la parole, comment la faire circuler ? Par exemple, au lycée autogéré, la place des élèves est représentative de l’établissement. Comment se prennent les décisions entre les parents, les enseignants, le personnel de l’établissement ? Ces modalités font sens dans un projet de société. Au contraire, il y a ce qui dévitalise, et aussi ce qui épuise.

Comme nous essayons toujours de tout faire tenir ensemble, avec cette idée de cohérence, on en vient parfois à se contorsionner ou à vouloir faire rentrer un carré dans un rond. D’où un épuisement.

Par rapport à la question de l’ouverture et de la fermeture, nous sommes dans la plus grande ouverture possible mais avec une sorte de… régulation : il faut que les gens adhèrent au projet. Dans l’exemple du lycée, il y a un nombre d’élèves limité, et un seuil minimum. Il y a un certain nombre d’enseignants… Enfin, il est nécessaire de trouver une harmonie dans le nombre de personnes. Avec de la diversité, il faut quand même que les gens aient envie de participer. Nous composons avec cette hétérogénéité relative, par rapport à l’individu et au collectif. Là, nous sommes sur l’idée que les individus vivent indépendamment du collectif : on va transformer la société et l’individu va se transformer en conséquence… Ça va ensemble, puisque si on travaille à un projet de société, alors les individus vont évoluer. Stabilité et mouvement à la fois.

La dernière école, de façon chronologique, car il n’y a pas d’ordre, c’est celle des relations humaines. Par exemple, le collectif Pivoine a interviewé un GAEC de quelques agriculteurs, qui avaient un projet collectif au moins autant qu’un projet agricole. C’est l’énergie des individus qui vient alimenter le collectif, dans le sens où la relation entre les personnes est au centre. Prendre soin des personnes c’est accepter que si elles vont bien, l’organisation ira bien. L’énergie dans ce collectif sera d’élaborer le conflit. Les individus sont sans cesse traversés par des conflits et du désir. C’est ça la matière première avec laquelle l’organisation travaille. Il faut donc soutenir le fait que les individus élaborent les conflits qu’ils ont entre eux. Ensuite, on parle beaucoup des structures qui sont mises en place au niveau même institutionnel.

Intervention : Je ne comprends pas l’histoire d’un collectif comme ce GAEC qui doit éventuellement se trouver en situation de conflit pour peut-être évoluer plus harmonieusement : l’harmonie viendrait-elle du fait d’un conflit précédent ?

Vous déroulez beaucoup de choses. Pour moi, au départ, je me dis, qui passe commande ? Quelle institution se sent malade, et comment fait-elle pour vous contacter, vous les soignants ? Lancez-vous des formations qui sont dans un réseau dont elles ont connaissance ? Ou bien l’association malade veut voir un docteur et par chance, elle tombe sur des gens bienveillants comme vous ?

En tant que citoyen, je vis dans la Cité des Coutures, un des 9 quartiers à Limoges d’éducation populaire de la politique de la ville. Franchement, j’ai vécu un cauchemar avec une association qui voulait nous prendre pour des enfants. Je suis très heureux de connaître Pivoine. Mais je me dis que si une association vous fait signe, parce qu’elle ne se sent pas en parfait état de marche, c’est que justement elle n’est pas si malade que ça. Elle vous consulte, donc il y a de l’espoir !

Aïala : ce qui n’est pas évident, c’est que nous sommes en train de décrire la socianalyse, un dispositif d’intervention pour les organisations qui traversent des crises. Ce qui a fait l’enquête et donc le livre, ce sont des personnes qui sont dans ce réseau. Mais l’enquête n’a pas à voir avec la socianalyse en tant que telle. L’enquête, c’était l’idée et la volonté de comprendre ce qui fait que les organisations vont mal.

Évidemment, il y a des liens. L’enquête nous a permis d’identifier qu’il existait, poussé à l’extrême, trois écoles totalement différentes, trois façons de se poser la question du collectif, de le vivre, de le faire et de l’incarner. Ces trois manières de faire nous donnent une sorte de pouvoir pour en comprendre quelque chose, puisque du coup, nous n’avons pas du tout le même rapport à l’organisation collective, aux autres.

Dans la lutte, la résistance, l’intensité et l’énergie du feu sont nécessaires. Mais si on est dans une organisation avec un petit nombre de personnes (puisqu’avec l’école des relations humaines c’est des collectifs de petite taille, les organisations ne peuvent pas être trop nombreuses), les fonctionnements sont différents. Il n’y en a pas un qui est mieux que l’autre. Comprendre ça, nous donne des éléments pour discerner dans quoi sont prises les organisations qui fonctionnent mal ou pas.

Cette école des relations humaines est vraiment sur des petits collectifs, des organisations fermées. Il peut leur être reproché leur entre soi, car elles ne peuvent pas accueillir un grand nombre de gens. Ces organisations vont être stables, durer dans le temps, accueillir de nouvelles personnes au compte-gouttes, en prendre soin, pour aider le collectif qu’elles forment. Ce n’est pas juste pour être bien ensemble, mais pour faire quelque chose en commun sous cette modalité.

Intervention : la question que je me pose, pour vivre de multiples situations associatives depuis très longtemps, c’est que votre catégorisation en trois écoles m’intéresse. Mais, comme vous l’avez dit à un moment donné, tout ne va pas vraiment dans ce sens là ou dans l’autre. Chaque association peut être plus ou moins sur deux branches et puis un peu moins sur la troisième. En plus il y a un problème chronologique, une même association à l’instant T, va être beaucoup dans l’individuel, le soin à ses membres. Puis, elle va vouloir se renforcer, se structurer et construire un peu plus de normes, de formes pour évoluer, etc. Ne faut-il pas tenir compte aussi de la dynamique temporelle d’associations qui évoluent ?

Pomme : Typiquement, peut-être que ça ne va pas répondre, mais en tout cas, la socianalyse que nous avons vécu à Quartier-Rouge était un moment de transformation. On passait d’une forme où on était peut-être deux, à, d’un coup, quatre personnes. On ne savait pas si les personnes allaient pouvoir rester. Du coup ça posait plein de questions de confiance. Est-ce que les autres vont pouvoir continuer de travailler comme avant ? Est-ce que ça va devoir se transformer ? Nous nous rendons compte, au final (parce que nous étions formés en socianalyse et que nous sommes peut-être de l’école des formes), que tout est en perpétuel mouvement… C’est un peu la raison pour laquelle, ces dernières années, nous avons été accompagnés régulièrement à la suite de cette première socianalyse. Nous avons pris conscience qu’il y avait des choses, des fonctionnements dont tout le monde héritait, que beaucoup subissaient, que d’autres avaient un pouvoir, sans le vouloir en fait, exerçant une maîtrise historique ou une emprise d’information, parce qu’ayant des connaissances sur la structure que les autres n’avaient pas. Si on est là depuis toujours, évidemment, on n’a pas la même place que quelqu’un qui vient d’arriver, ni la même légitimité quand on dit quelque chose, ça n’a pas du tout le même poids… Nous avons pris conscience de tout ça, en tout cas pour notre part, et du fait que ces choses allaient évoluer un peu en permanence.

Aïala : Sinon par rapport à ta question, à Pivoine nous avons régulièrement des appels ou messages de collectifs, d’organisations, de gens, nous disant : « ben voilà, moi j’habite dans un squat depuis 10 ans, on est 15, et là on a un problème avec Bidule, qui veut plus écouter ce qu’on aimerait lui dire. On sait plus comment lui parler. On est bloqués. On voudrait qu’il s’en aille. » Ou alors : « il y a un conflit entre deux personnes et ça prend toute la place. On ne peut plus rien faire de notre activité habituelle puisque ce conflit écrase tout. » Nous sommes appelés aussi par des associations qui aimeraient bien penser un petit peu leur avenir et qui demandent de l’aide. Les registres de demandes apparaissent très différents. Notre visée n’est pas du tout que les organisations perdurent. Parfois, le mieux à faire est de se séparer et de passer à autre chose. Mais pour ça il faut quand même pouvoir se le dire. La majorité des demandes se situent autour de : comprendre ce qui se passe et pouvoir s’adresser des choses les uns aux autres.

Par exemple, se dire « j’ai envie de partir », ou « je veux transmettre des choses que j’ai apprises dans cette organisation, je ne sais pas à qui, mais j’ai besoin d’avoir des interlocuteurs et des interlocutrices ». Les demandes sont différentes. Peut-être faut-il un minimum d’énergie vitale pour passer un coup de fil et appeler à l’aide.

Au minimum, il est nécessaire que les gens soient d’accord entre eux. Une personne toute seule ne peut pas faire appel à des intervenants puisque les autres ne viendraient pas. Le travail ne commence en général qu’à partir du moment où les gens nous appellent et s’obligent à se parler. Il a même commencé un petit peu avant puisqu’ils doivent se mettre d’accord au minimum sur le fait de faire appel à des tiers pour pouvoir être soutenus dans un passage difficile. Après, le degré de difficultés est très variable.

Il y a des structures en dysfonctionnement, mais, franchement, ça marche quand même. D’autres, tel qu’ils nous ont présenté les choses, où c’est un peu le fond du gouffre. Entre les deux, il y a un peu de tout. Je ne sais pas si ça répond à ta question.

Intervention : ça répond totalement, parfaitement à mon ressenti. J’aurais aimé entendre ce que vous venez d’exprimer au départ de la soirée. Ça, c’est personnel. Voilà. Mais je vous suis.

Hadrien : je pense que ça a été dit, mais c’était plutôt que pour tenir compte de ces catégories, qui n’en sont pas réellement, il faut récapituler tout ce qui s’est passé avant. L’enquête, la commande, ce qui se met en place, et prendre soin d’écouter ça aussi.

Moi, quand j’ai lu le livre, j’avais une certaine résistance au tableau et à la catégorisation, parce qu’on veut toujours mettre des gens dans des cases. Le tableau résulte de l’enquête, de tout ce qui a été expliqué avant. Il est important de voir que ce n’est pas une catégorisation pour arriver à une théorie ou à une pratique politique, mais qu’elle sert à analyser ce qui se passe à ce moment-là. C’est explicité dans le livre.

Pomme : et pour aller dans ton sens et peut-être revenir à ce que vous disiez tout à l’heure, sur le non-savoir, on est vraiment dans cette posture-là au départ. Nous plongeons vraiment dans l’expérience pratique du terrain, dans ce qui se passe, sans faire de lien théorique avec des choses extérieures qui n’auraient pas à voir avec les témoignages de personnes. Non ! Parce que nous étions aussi formés à cela.

Intervention : la question que je me pose, c’est de savoir s’il y a des précédents par rapport à ce travail et à cet ouvrage. Ou est-ce quelque chose qui qui rentre dans le cadre d’une « innovation » ? Parce que si l’analyse institutionnelle est une vieille chose, elle fait quand même partie de la vie. La psychiatrie, avec Tosquelles ou d’autres, a son histoire. La socianalyse a probablement une histoire internationale. Est-ce qu’il n’y a pas des choses en termes de résultats d’expérience ? Des manuels de réflexion théorique qui existent déjà et iraient un petit peu dans le même sens ?

Aïala : eh bien, probablement ! Nous, ce que nous avions comme référence, c’était Patrice Ville et Christiane Gilson avec leur manuel de socianalyse. Ils ont remis au goût du jour le dispositif qu’ils utilisent, qui avait été développé dans un parcours universitaire de formation. Après, il y a de la littérature qui existe sur ce qu’est l’analyse institutionnelle, sur les dispositifs. Tout ce qu’on partageait dans ce réseau, c’est qu’il y avait des gens qui s’organisaient collectivement, qui avaient des superbes idées, qui avaient des modalités de fonctionnement innovantes, créatives et qui rencontraient des difficultés. Nous avions sans cesse l’impression de réinventer l’eau chaude. Donc nous nous sommes dit, il y a une part qui est normale. Il faut bien vivre son expérience. C’est aussi comme ça qu’on apprend et qu’on comprend les choses. Mais si nous arrivons à faire courroie de transmission pour qu’une partie des expériences, de ce qui est vécu, de ce qui est inventé, de ce qui est compris, se transmette à d’autres, nous aurons contribué à ce qui maintient une forme de vitalité pour les collectifs.

Ce à quoi nous avons fait référence, c’est à la culture des précédents. Nous avions l’impression que quelque chose était à retenir des expériences précédentes, qu’il était intéressant de continuer de le transmettre, car ça se passe beaucoup de bouche à oreille. La culture propre des organisations se diffuse aussi par des brochures, mais surtout par l’oral. D’où notre proposition de le faire sous la forme d’un livre. Nous avons eu pas mal en main « Micropolitiques des groupes », un ouvrage sur la culture des précédents, qui est organisé comme une sorte d’index, avec des manières de se rapporter à certaines questions, comme diriger, animer… Justement il traitait aussi de cette culture des précédents : ne pas oublier qu’avant nous il y en a eu d’autres et, qu’en même temps nous avons tous besoin de redécouvrir en partie ce qui nous préoccupe.

Intervention : au-delà des précédents théoriques, il y a eu une expérience similaire pour faire émerger des savoirs des personnes : un gros bouquin qui s’appelait « Le croisement des savoirs ». ATD-quart-monde avait fait ça à la fin des années 90, ou début 2000. Effectivement, c’était des rencontres entre des personnes marginales, mises à l’écart, avec des animateurs, des sociologues, etc. Ils étaient le moins interventionnistes possible. Leur rôle était de faire émerger la parole des personnes. Un gros boulot très intéressant pour que les gens fassent jaillir leurs pensées et évoluer leurs réflexions, en étant juste un peu appuyées par des demandes de reformulation.

Pomme : il n’y avait pas forcément la velléité de s’inscrire dans une forme de littérature universitaire ou théorique. C’était autour des questions qui occupaient les personnes se retrouvant autour du réseau de socianalyse, mais d’ans l’idée de les partager avec celles et ceux directement concernées par cet accompagnement. Si cette commande de Pivoine, finalement, nous a tous aussi intéressés, c’est parce que nous étions aussi tous dans l’accompagnement de collectifs, d’une manière ou d’une autre. C’était très pragmatique par rapport à nos situations professionnelles à tous.

Jean : si je peux te dire l’intérêt que je trouve dans tout ça, c’est que c’est un processus de formation original, car il est rare qu’un processus de formation collectif produise un livre. Par ailleurs, vous intervenez dans les moments de crise, mais vous proposez aussi, si j’ai bien lu, un fonctionnement presque régulier, une installation dans la manière dont les groupes se constituent, se font, se défont. Et pas que dans les moments de crise, mais tout le temps. Du coup, la question que j’avais envie de vous poser, c’est quel est vraiment ce rapport au temps ? Finalement, en mettant ensemble la question de la crise, le fonctionnement habituel des groupes, et la culture des précédents, on se dit que c’est vraiment un enjeu de transmission. C’est là-dessus que votre bouquin interroge. Alors comment faisons-nous pour nous former, pour renouveler les formations et nous renouveler par les formations ?

Aïala : c’est vrai que nous défendons le fait que le savoir vient des premiers concernés. Quand nous sommes dans une organisation collective, aux prises avec des questions d’organisation, de financement, de cohérence, de relations interpersonnelles, afin de fonctionner ensemble, nous dégageons du savoir au moins sur notre propre expérience (comment s’organiser, comment faire face à tout ça). Nous avions envie d’aller chercher ce savoir-là, avec l’idée de le transmettre dans le cadre d’une formation ou dans le cadre de réseaux d’échanges ou de discussions. Telle était la contribution que nous avions envie d’avoir dans notre territoire, voire dans le monde !

Intervention : justement, sur la question du savoir de l’expérience, avez-vous des exemples de retours qui vous auraient été faits par les collectifs auxquels vous avez restitué votre enquête ? La prise de conscience, c’est quelquefois un mot un peu large pour un moment de mise en évidence, un révélateur issu du dialogue, de l’entretien dans un premier temps, puis de l’expérience de la restitution. Si j’ai bien compris, les entretiens étaient individuels, la restitution collective, afin d’entendre ce que d’autres qu’eux-mêmes ont pu éprouver, ou comment ils ont pu analyser la perte de vitalité d’une organisation. En quoi ça a éventuellement réenclenché autre chose ? Est-ce que vous avez des témoignages là-dessus, sur les échanges, au moment de la restitution ?

Aïala : Malheureusement, la restitution n’a pas pu avoir lieu directement, puisque… ça a été le livre. Et il a été diffusé, mais malheureusement, même si quelques échanges interpersonnels ont pu avoir lieu, nous avons été privés de ce grand moment collectif.

Certains d’entre nous ont vécu le fait de voir le processus, enfin ce qu’a décrit tout à l’heure Pomme, quand nous parlions des entretiens. Dans cette expérience, la pensée se met en marche et comprend quelque chose de ces organisations, de leurs modalités de fonctionnement, etc. Mais comme la restitution, n’a pas eu lieu… ça nous a manqué.

Cette enquête a été menée parce que nous avions pour idée de voir s’il était possible de faire quelque chose du côté de la prévention, plutôt que toujours de la réparation.

Au bout de 4 ou 5 ans, Pivoine, qui s’interrogeait sur ces questions de prévention, vient de proposer une première formation sur les dynamiques collectives, destinée à des personnes issues d’organisations diverses. C’est une première expérience, donc nous ne pouvons pas vraiment en tirer autre chose qu’un pré-bilan. En tout cas, nous en avons transmis des éléments de cette enquête, mais aussi d’autres choses que nous avions comprises à l’issue des différents accompagnements effectués.

Dans les retours qui nous ont été faits à la suite de cette semaine de formation, des participants ont pu mettre les morceaux du puzzle en place, comprendre pourquoi il s’est passé telle ou telle chose dans leur organisation, des trucs minuscules.

Intervention : je veux juste prolonger dans le domaine de l’éducation, les mêmes expériences, les mêmes recherches ont été faites par un brésilien qui a travaillé sur l’éducation des opprimés. Paulo Freire a fait justement ces expériences sur l’autogestion, sur l’horizontalité, sur tout ce qui concerne l’épanouissement d’un enfant, d’un adulte ou d’un adolescent. C’est juste pour inciter à des lectures…

Pomme : Alors oui, pour répondre encore une fois à vos questions, la personne que j’avais interviewée était un peu déstabilisée à la suite de l’entretien, elle ne pensait pas qu’elle allait dire tout ça ! Cela m’a fait cogiter. J’ai eu des échanges avec elle après-coup. Clairement, ça l’a amenée à réfléchir.

Par ailleurs, une de nos collègues de Pivoine a participé à la formation dans le cadre de Quartier Rouge. Je ne lui avais pas forcément raconté tout ça. Mais elle m’a dit avoir compris de quelle école nous étions. C’était très drôle de la voir naviguer avec ces boussoles-là, comment elle plaçait les choses. Finalement nous partagions un peu les mêmes manières de voir, les mêmes analyses de notre structure, une fois que nous avions utilisé les mêmes outils. Donc pouvoir se situer crée aussi du commun, de la représentation collective. Ces images supplémentaires nous permettent de comprendre la situation dans laquelle nous sommes, la dynamique dans laquelle on est prises. Cela s’avère souvent très utile quand même.

Jean : une question, par rapport aux gens qui font appel au réseau des socianalystes : si je rapporte ça à mon lycée, je pourrais avoir envie de faire appel à vous, mais comment faire ? Pour qu’un collectif vous sollicite, il faut quand même déjà qu’il n’aille pas si mal. La question, c’est de savoir comment ça peut mordre sur les organisations dominantes ?

Aïala : En tout cas, pour faire une commande, il faut du pouvoir. Dans les organisations, soit il faut faire des alliances pour avoir le pouvoir de déclencher la commande, de dire que maintenant il faut une intervention, nous avons besoin d’aide, puis de la faire exister. Cela demande de pouvoir se faire entendre. Souvent ce qui se passe, c’est qu’il faut être suffisamment mal pour que ce soit un constat partagé par assez de personnes pour qu’il y ait un accord sur le fait qu’on a besoin d’aide. Malheureusement, peu de gens vont être d’accord pour passer du temps et payer des intervenants, quand la structure va relativement bien. C’est une difficulté.

Chercher comment mieux faire connaître les bénéfices du travail d’intervention pourrait faire partie de nos objets de travail, mais en même temps ce n’est pas là que nous sommes. Il faut pouvoir convaincre des gens qui ont du pouvoir, et nous ne sommes pas à leur service dans l’organisation. Ça nécessite de faire une sorte de contorsion, pour que les gens qui ont le pouvoir de déclencher une intervention acceptent de le faire, non pas dans leur propre intérêt (par exemple un objectif de rentabilité), mais plutôt, par exemple, pour la transformation d’une organisation maltraitante. Là il reste probablement un travail d’explicitation que nous pourrions faire. Pour les témoignages d’autres organisations, nous avons travaillé avec plusieurs compagnies de spectacle vivant, ce qui a permis des changements auxquels nous avons contribué par notre intervention. Et d’autres compagnies aimeraient bien travailler avec nous : c’est plutôt un effet de contamination, de proche en proche… Nous nous plaçons dans une position pas facile, puisque nous ne voulons pas forcément vendre notre travail. En même temps, nous en avons besoin. D’où des tensions avec lesquelles il faut vivre. Voilà.

Intervention : je voudrais poser une question sémantique. Les mots « Pivoine » et « Quartier rouge », ça vient d’où ? « Quartier rouge », est-ce une référence au communisme ?

Aïala : Je vais répondre que Pivoine, c’est un nom qui a été choisi un peu au hasard, lors d’une réunion avec des personnes sur le plateau de Millevaches. Il y avait un réseau d’organisations appelé « De Fils en Réseau », des structures coopératives, associatives, des gens qui travaillaient ensemble, qui faisaient de l’accueil des nouveaux habitants, qui s’occupaient de logement et se réunissaient régulièrement. À un moment ils ont convenu que ce serait bien de se doter d’un organisme de formation et d’une association qui fasse de l’accompagnement à la création d’activités. Dans une schématisation rapide, quelqu’un a dit : on aura qu’à l’appeler Pivoine, comme ça, provisoirement. Le nom est resté. Donc ce n’est vraiment pas très symbolique.

Pomme : pour Quartier rouge, c’est pas exactement pareil, mais pas loin. Proche de la gare de Felletin, il existe la rue de la Maison Rouge, puisqu’il y avait une ancienne briqueterie. La gare de Felletin était abandonnée depuis très longtemps, quand nous avons créé l’association en 2006. Tout ce quartier était en friche depuis de nombreuses années. Nous étions plusieurs à avoir vraiment envie de lui redonner vie. Donc il n’y avait pas forcément la volonté d’afficher haut et fort une orientation politique. Voilà, on a pu lui redonner de la couleur… Aujourd’hui, il est envisagé de changer de nom, car il y a plusieurs associations dans ce quartier qui seraient devenues rouges !

Hadrien : notre collectif temporaire commence à se dévitaliser, avec tout le temps que nous venons d’y passer. En guise de petite conclusion, dans quelle école êtes-vous ? si vous avez envie de choisir ?

Intervention : pour terminer, vous avez dit dépenser de l’argent pour essayer d’aller mieux. Donc, parlons sous. Votre intervention est-elle payante ? Et combien ?

Aïala : et bien notre intervention est payante, tout à fait. Nous avons établi des tarifs entre 400 et 600 € par jour, par intervenant, sachant qu’une journée de travail, en face à face, représente en fait plusieurs jours de travail de préparation, puis d’analyse.

Après, quand les organisations ont plus d’argent nous ne sommes pas contre le fait qu’elles payent plus ! De même nous essayons aussi d’avoir des tarifs solidaires, afin de nous adapter aux ressources, aux finances des organisations. Nous essayons de faire un arbitrage plutôt sur le temps plus long d’une intervention, pour faire rentrer suffisamment d’argent dans Pivoine et proposer des choses à bas coût.

Je ne sais pas si c’est une conclusion, mais en tout cas, participer à cette recherche, cette formation et tout ce processus, ça a été quand même assez formateur pour le petit collectif que nous étions, qui entre temps s’est agrandi. Là, il va se constituer en association pour continuer à faire la même chose, mais de façon un peu plus structurée. Donc nous nous rapprochons de l’école des formes…

Cette idée d’enquête était venue aussi parce que nous nous questionnions sur la prévention. Nous avons fait une première formation en mai dernier sur la question des dynamiques collectives. C’était intéressant pour nous de pouvoir vivre et d’être au contact d’un public qui avait aussi des questionnements sur ce que sont finalement les dynamiques collectives, Cette démarche nous stimule.

Pomme : nous, à Quartier-Rouge, ce n’est pas la même chose. On ne fait pas de la socianalyse. Nous accompagnons plutôt à l’inverse, c’est-à-dire pas vraiment les moments de crise, mais plutôt ceux de construction. Ce n’est pas exactement au même moment, aux mêmes endroits. En socianalyse, se pose la question de combien et comment bien payer les intervenants.

Pour partager un dernier point sur l’expérience que nous avons eue en tant que socianalysée : nous nous trouvions dans des situations où c’était bienvenu parce que nous ne disposions pas du levier suffisant pour le faire. Il m’est arrivé dans d’autres organisations de l’avoir proposé, et où il me semblait que ça aurait été vraiment pertinent. Néanmoins ça n’a pas du tout pu être suivi, parce que je n’avais pas simplement la possibilité de mobiliser suffisamment de personnes. Parfois, faire intervenir des gens qu’on ne connaît pas, avec des méthodologies qu’on ne connaît pas, peut faire peur. Ces freins existent. Du coup, c’est aussi donner beaucoup de pouvoir à la personne qui, au sein de l’organisation, va faire confiance à la socianalyse.

Mais en tout cas nous nous avons été très contentes de cette soirée constructive. Voilà. Et merci de votre accueil à l’EAGR !

Merci à vous !

 

 

Les médias dominants contre la Palestine

Les conférences du cercle Gramsci sont annoncées dans les petites revues de la mairie, soit l’agenda culturel, soit vivre à Limoges.

Dans l’agenda culturel, on nous a répliqué qu’on avait fait trop tard, alors que c’était à temps, et ça devait passer dans vivre à Limoges, le dernier, cette conférence, et là…

Elle était maquettée, oui, c’était tout près, et la directrice de la communication de Limoges, qui s’appelle Javelot Sandrine, Sandrine Javelot a jugé.

Alors je l’ai eue au téléphone et elle m’a dit que ce n’était pas de la censure, c’était de la modération.

C’est nouveau, mais bon. C’est quand même une censure plus insidieuse, on va dire.

« Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or, pour jouir du droit de parler.

Nous ne sommes pas assez riches.

Silence aux pauvres.

» Ça c’est une citation de Félicien de Lamenay, c’était en 1848.

« Que signifie une presse libre si elle demeure aux mains des dominants ?

» Léon Blum disait « La presse ne sera honnête, elle ne deviendra un instrument d’intelligence et de rapprochement entre les peuples que le jour où elle sera soustraite à la domination du capitalisme ».

D’ailleurs, quand l’ARCOM n’a pas renouvelé une fréquence de la TNT pour C8, suite au multiple dérapage d’Anouna, Le magistrat a également pointé le, j’ouvre les guillemets, déficit financier chronique de la chaîne.

Mais les puissants, afin d’éviter toute information dérangeante, règlent le problème en achetant le média correspondant.

Ici, vous avez la carte de possession des médias par rapport au…

Voilà, montre-là.

qui possède les médias en France, en gros.

Et c’est la dernière, la plus récente.

Un facteur supplémentaire qui joue un rôle dans le milieu des médias et auprès des élus, c’est la propagande systématique organisée et financée grassement par Israël, qui fait partie de la stratégie de conquête de la Palestine.

La Hasbara, Il existe par exemple un programme de bourse offerte aux jeunes citoyens juifs vivant à l’extérieur d’Israël qui leur fournit des outils pour influencer leur réseau respectif dans leur pays d’origine.

Aux USA, une initiative qui s’appelle EPAC, enfin peu importe, a pour fonction de s’assurer que les élus américains vont voter dans le sens souhaité par Israël, que les journaux vont publier des textes acceptables.

Pour finir et pour résumer, ma mère qui ne connaissait les Rolling Stones que par la façon dont les journaux les évoquaient à l’époque a eu très peur que je me mette à me droguer quand j’ai acheté leur premier disque.

Il ne fait aucun doute que de nos jours, au vu de mon engagement pour la défense du peuple palestinien et au vu de l’information dominante véhiculée, elle m’aurait suspecté sérieusement d’antisémitisme et de bienveillance, si ce n’est plus envers le terrorisme.

Je passe la parole à,

Isabelle Joberto :

C’est bien, c’est très bien ce que t’as dit Jean-Louis, parce que ça va être très complémentaire.

Alors le 8 octobre 2024, Karim Khatam, écrivain palestinien, interpellait les milieux littéraires et intellectuels sur leur silence concernant la situation à Gaza.

Pourquoi Gaza a-t-elle disparu derrière des sophismes, des approximations, des murmures désolées ?

Paradoxalement, Gaza est partout et nulle part.

Il est aussi courant de lire chaque jour le nombre de morts que de commenter les averses en automne.

La pluie est normale et mourir amputé, torturé, affamé par les Israéliens à Gaza aussi.

Le collectif Palestine qui s’est agrégé autour de l’Himouzin Palestine pour dénoncer la politique de colonisation et d’apartheid des Palestiniens et réclame un cessez-le-feu définitif, cet employé a clamé « Nous ne sommes pas que des nombres ».

Seuls les otages israéliens sont nommés dans les médias dominants, ce qui participe à l’invisibilisation des Palestiniennes, des Palestiniens et de la Palestine.

Lors des manifestations à Limoges et ailleurs en France, les journalistes s’emploient à être sur la ligne du « Tout a commencé le 7 octobre 2023 », éclipsant de fait la réalité que vivent les Palestiniens et palestiniennes.

Et si vous avez le malheur de ne pas impliquer les tueries et les prises d’otages israéliens au terrorisme, mais à la tyrannie de l’occupation israélienne et tous ces crimes, massacres, blocus de Gaza, vous pouvez être poursuivis pour apologie du terrorisme.

À cela s’ajoutent les meurtres délibérés des témoins du génocide par l’armée israélienne journaliste soignant.

Karim Khatam continue en parlant des automatismes journalistiques, voix passive, verbes approximatifs, déshistorisation, euphémisme.

Ils viennent créer des ambiguïtés, rendre impersonnels les atrocités, amoindrir les réalités de l’apartheid, de l’occupation, de la colonisation.

C’est à se demander vraiment qui tue les Palestiniens, dans quel but et depuis quand.

à l’instar de Pauline Perrenault, journaliste à la revue Acrimed, Action Critique Média, qui mettra en lumière tous les mécanismes qui aboutissent à l’invisibilisation de la Palestine dans les médias dominants et que nous avons la joie d’accueillir à Limoges.

Merci d’être venue.

Nous allons rendre leur visibilité aux Palestiniens et palestiniennes lors d’une semaine culturelle, alors elle sera beaucoup plus commentée par Sylvie, qui s’en est beaucoup occupée.

Lors d’une semaine culturelle qui se déroulera entre le 12 et le 19 avril et qui comprendra entre autres une exposition de photos de Hussein Jaber qui habite à Gaza.

La projection d’un film, les annonces sont sur la table et Sylvie, voilà, si tu veux nous en dire quelques mots.

Et la seule chose que je rajouterais, que je pourrais vous dire pour s’y permettre, c’est que le 11 avril, à Saint-Pierre-et-la-Perche, à la librairie des Trois-Solides, il y aura Myrgen Laribi qui sera invitée.

De 18h à 20h pour son nouveau.

Livre qui s’intitule « Siégie, l’humanité, Gaza, le génocide et les médias ».

Voilà.

Donc la parole est à l’héroïne de la soirée,

Pauline Perrenot:

Donc merci beaucoup pour l’invitation.

Merci d’être venus, nombreuses et nombreux.

Donc je suis Pauline Perrenault.

Je suis journaliste, salariée de l’association Acrimed, qui documente le traitement médiatique de la question palestinienne depuis très longtemps.

Voilà.

Donc là, c’est vrai qu’on a…

On a beaucoup travaillé, là, cette dernière année et demie.

Donc c’est un peu, voilà, à gros traits, là, ce que je vais vous présenter ce soir.

Donc faut pas hésiter à m’interrompre et tout, parce que je suis un peu nulle en temps et tout.

Donc faut pas que je déborde, mais j’ai l’heure et quart, je crois.

On se tient au courant.

Bon, là, je vous ai préparé aussi des petites images, parce qu’on travaille sur les médias, donc il n’y a pas de raison que ce soit que nous qui souffrions.

Vous voyez un peu ce à quoi on a à faire.

Alors, comment je fais ?

C’est parti.

Je vais juste dire 2, 3 petites choses en préambule.

La 1re chose, c’est que…

Alors évidemment, depuis 1 an et demi, là, qu’on travaille sur les événements, en fait, à Acrimed, on est confrontés à un double travail.

Le 1er, c’est vraiment la critique de l’information internationale.

en tant que telle, c’est-à-dire la couverture des événements en Israël et dans les territoires occupés, que ce soit à Gaza en Cisjordanie ou à Jérusalem Est.

Le deuxième axe d’observation, c’est la manière dont dont les médias dominants rendent compte – et en réalité, c’est déjà leur faire beaucoup trop d’honneur d’employer ce terme – des différentes mobilisations qui ont eu lieu en France, qui ont lieu en France, que ce soit en soutien du peuple palestinien, mais aussi sont couvertes des rassemblements, des manifestations pour les otages du 7 octobre, etc.

On parlera de traitements différenciés.

Ça serait intéressant de voir ce point-là.

Mais aussi la manière dont les médias ont commenté les positionnements des différents partis politiques français et singulièrement du gouvernement d’Emmanuel Macron.

Alors évidemment, ces deux aspects sont extrêmement liés.

Mais par commodité, on va dire que je vais les traiter l’une après l’autre.

La deuxième chose que je voulais vous dire en préambule, c’est que Depuis le 7 octobre, la production médiatique, évidemment, elle est massive, et elle est telle que, du coup, là, je ne prétends pas du tout à l’exhaustibilité, et ce que je vais vraiment essayer de faire, c’est de vous dresser un peu un portrait de ce qu’on appelle le bruit médiatique dominant, donc entendu comme, si vous voulez, la somme des effets de cadrage, des effets de légitimation ou, au contraire, de délégitimation, d’imposition de problématiques qui sont à l’œuvre dans les grands médias.

Donc ce bruit médiatique dominant, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas ici ou là des sons de cloche différents qui peuvent se faire entendre.

Ça veut juste dire que ce bruit médiatique est suffisamment puissant pour rendre ces potentiels autres sons de cloche relativement inaudibles.

Et de la même manière, je mets un peu de nuance dès le début, parce qu’après, ça sera moins…

possible de le faire au cours de l’exposé.

Il s’agit pas de mettre évidemment un signe égal entre tous les médias.

Si je voulais le faire grossièrement, le pôle international du Monde ne travaille pas comme la rédaction des médias bollorés.

Et ce qu’on a vu dans les médias bollorés, on peut pas mettre un signe égal avec ce qu’on a vu dans les pages internationales du Monde.

Ça veut pas dire que le monde est exempt de critiques du point de vue du traitement journalistique.

C’est juste que c’est pas le même journalisme, c’est pas la même façon de faire du journalisme, etc.

Donc voilà, il y a des différences entre les médias.

Ceci étant dit, il y a quand même des grandes tendances qui se dégagent.

et qui constitue des dynamiques de fond qui contribuent évidemment à lourdement mutiler l’information dans la séquence qui s’est ouverte le 7 octobre.

Et que ce soit du point de vue de l’information internationale ou de l’information – on va l’appeler – « franco-française », Je crois qu’il faut qu’on garde en tête un peu une sorte de fil rouge qui consisterait à appréhender vraiment cette séquence médiatique qui est loin d’être terminée par ailleurs, à la fois comme un symptôme et comme un accélérateur, c’est-à-dire comprendre comment cette question palestinienne, elle donne à voir autant qu’elle subit, mais de plein fouet, les mécanismes par lesquels les médias dominants en arrivent à jouer structurellement contre la pensée, contre la pensée tout court et a fortiori contre la pensée critique, et ce qu’elle aura révélé en fait de l’état de déliquescence totale du débat public et singulièrement, on va dire, des conditions matérielles dans lesquelles se produit l’information internationale aujourd’hui.

Et la deuxième chose, c’est combien cette question palestinienne, elle cristallise aussi un processus alors à l’œuvre depuis plusieurs décennies dans les champs politiques et journalistiques.

Plusieurs choses de ce point de vue-là, mais une première qui consiste à, on va dire, à normaliser, à promouvoir les visions du monde des droites au sens large, tout en diabolisant ce qui s’en écarte.

En l’occurrence, on y viendra s’agissant du champ politique Là, dans la séquence, la gauche de rupture, entre guillemets.

Le tout, évidemment, alors, sur fonde d’un paradigme occidentalo-centré, très ancré, pour ne pas dire hégémonique, y compris au sein d’une large partie de la gauche, qui consiste à littéralement refuser de réellement penser la question coloniale et donc d’affronter ces réalités.

Donc j’en viens donc au cadrage qui s’est imposé globalement dans les médias à partir du 7 octobre et qui a reposé vraiment sur trois lignes directrices.

Alors vous en avez un peu parlé en introduction de la première.

Alors ça, c’était mon plan.

Voilà, c’est très vaste.

Je passe.

Donc le cadrage, tu en as parlé au début.

La première ligne directrice, évidemment, c’est « Tout a commencé le 7 octobre ».

Alors c’est un biais, on va dire, qui relève d’un travers ordinaire dans la couverture journalistique de l’information internationale, mais particulièrement s’agissant de la Palestine.

Et ce biais, on pourrait le résumer en parlant, comme le faisait Karim Khatan, de déshistoricisation.

Nous, on a dit présentisme, mais c’est la même chose, et de dépolitisation, c’est-à-dire une propension systématique des médias à déshistoriciser justement chaque nouvelle séquence de ce conflit colonial, en la traitant comme si elle ne s’inscrivait pas à la fois dans une histoire longue et dans un contexte spécifique.

Donc au lendemain du 7 octobre, la plupart des journalistes et des commentateurs ont véhiculé et imposé la perception d’un événement qui sortait de nulle part, effectivement, sans cause et sans explication.

« Tout a commencé le 7 octobre », ce n’est pas une formule qui sort de nulle part.

Elle est loin d’être abusive puisque des commentateurs l’ont employé au mot près.

Et de toute façon, on en trouvait aussi partout des variantes dans les articles de presse et dans l’audiovisuel, au point que, y compris quelques mois plus tard, des articles qui entendaient donner aux lecteurs les principales dates-clés du conflit démarraient leur chronologie au 7 octobre.

Et c’est pas une petite affaire, puisque, évidemment, en consacrant ce récit, les médias ont profondément, on va dire, intégré et naturalisé le point de vue israélien, et que, comme vous le disiez en intro, les intervenants qui souhaitaient apporter des éléments de contextualisation des massacres perpétrés en Israël ont non seulement été totalement marginalisés, mais aussi complètement disqualifiés, aussitôt accusés, au mieux, de relativiser les massacres, et au pire, de légitimer pour ne pas dire de soutenir le terrorisme.

Donc voilà, il faut quand même se remettre dans le bain de ce que ça a été, en particulier les premières semaines, des commentateurs.

Nous, on avait beaucoup incité sur, parce qu’elle était très symptomatique, sur la phrase de Raphaël Enthoven sur Europe 1 le 10 octobre 2023, qui expliquait que, je cite, « rien n’est plus monstrueux que de vouloir expliquer la barbarie et de se donner l’air en plus de mieux la comprendre en le faisant ».

Donc voilà, il y a eu quand même cet appel permanent à verrouiller le débat démocratique, ce qui était évidemment extrêmement délétère, surtout dans un moment de crise aussi intense où des décisions politiques, et en l’occurrence militaires, aux conséquences qu’on connaît, ont été engagées.

Et la deuxième chose, en fait, c’est que ce cadrage, il a imposé une réception dépolitisée des événements, alors qu’il sous-tendait évidemment lui-même une lecture très, très politique de ce qui venait de se produire, puisque pour la quasi-totalité des chefferies médiatiques, on assistait à un choc de civilisation, un choc entre civilisation et barbarie, ou alors sa variante entre démocratie et terrorisme.

Je ne m’étends pas, j’aurai l’occasion d’y revenir.

Donc voilà.

Et je pense qu’il faut le dire d’emblée.

Vraiment, il faut souligner combien les formats et les dispositifs médiatiques ont participé vraiment à mutiler l’information audiovisuelle.

Donc si vous avez regardé un peu surtout la télévision au début, Vous vous rappelez sans doute qu’il y avait un zapping permanent dans les sujets, dans les angles de l’information, une multiplicité d’intervenants au statut très, très hétérogène, ce qui fait que sur un plateau, c’est littéralement impossible de tenir un discours vraiment structuré, etc., sur la question palestinienne.

Il y avait, on va dire.

Les.

Choix éditoriaux des rédactions ont contribué, en fait, à niveler toutes les voix qui étaient présentes pour s’exprimer.

Donc c’était des diplomates, des politiques, des artistes, des chercheurs.

J’ai rien contre les artistes.

Mais en fait, on fait pas débattre un artiste avec quelqu’un qui travaille depuis 40 ans sur la question palestinienne.

En fait, on va pas avoir le même angle.

Et donc ça peut pas marcher.

Et forcément, s’amènent à des coups d’éclat tels qu’on les a connus.

Voilà, c’était des témoins, des militaires, avocats, écrivains, éditorialistes, experts, consultants, enfin il y avait tout quoi.

Et parfois tout sur un même plateau.

Donc c’est vraiment un défilé, on va dire permanent, qui prétend en général incarner le pluralisme, mais qui remplace en réalité le pluralisme par une simple pluralité des expressions, au dépend, encore une fois, d’une information structurée et cohérente.

Et après le 7 octobre, alors le registre émotionnel…

légitime a triomphé partout.

Et dans le débat public, il était impossible de s’en écarter.

Des chaînes d’information en continu jusqu’à France 2, la télévision a littéralement refusé de réfléchir.

Et encore une fois, les voix hétérodoxes qui cherchaient à s’exprimer sur un autre registre étaient systématiquement entravées par les dispositifs.

Sommet, vous l’avez dit aussi en introduction, de respecter les prérequis obligatoires et inévitables.

c’est-à-dire condamner le Hamas, alors généralement le seul et unique développement autorisé au sujet de cet acteur, au risque de, encore une fois, se voir suspecté de complaisance ou de sympathie à l’égard du Hamas.

Et je vous ai remis, je ne sais pas si vous les avez vus, deux petits passages qu’on avait repris dans la vidéo de Blast.

Je vous laisse les regarder parce que c’est symptomatique.

Ah, mais il n’y a pas de son.

Si, il y a du son ?

Ah, il n’y a pas de son.

Bon, c’est pas grave.

C’était un extrait de Stéphanie Latabdala, qui travaille depuis très longtemps sur cette question.

Bon, là, il n’y aura pas, du coup.

Elle passait sur Public Sénat.

Et c’était un moment très intéressant parce que, justement, c’était une séquence qui a montré la façon dont journalistes et chercheurs littéralement ne se comprenaient pas.

Ils ne parlaient pas sur le même registre.

Et donc, elle était en train de dire tranquillement qu’elle était confrontée aux images, qu’il y a eu des massacres, etc.

Et elle disait très calmement qu’elle attendait, en tant que chercheuse, et qu’elle attendait calmement de pouvoir travailler sur ces images afin de avant de produire un discours.

Et là, il y a le présentateur qui lui saute à la gorge en lui disant « Est-ce que ça pourrait changer la perception que vous avez du Hamas ?

» Et donc elle répond « Mais vous pensez que j’ai quoi en fait comme perception du Hamas ?

» Et donc ça continue l’échange et en fait, littéralement, ils ne se comprennent pas.

Donc elle était a priori suspectée.

Donc c’est vraiment des séquences qui se sont reproduites à l’infini, y compris avec des chercheurs relativement consensuels, des grands pontes dans l’université, mais voilà, relativement consensuels.

Donc cet effacement, on va dire, de l’histoire de décennies de conflits entre Israël et les Palestiniens, et donc la négation de la nature coloniale de ce conflit, sont à l’origine de la 2e ligne directrice, du cadrage qu’ont adopté les médias dominants.

C’est-à-dire que puisque tout a commencé le 7 octobre, l’Etat d’Israël est logiquement la partie qui réagit et qui riposte.

Donc je mets des guillemets.

Donc au-delà du présentisme et du problème, on va dire, de temporalité, slash causalité que ça induit, c’est une lecture qui a gravé dans le marbre un biais de légitimité implicite.

C’est une légitimité accordée au seul État d’Israël, dont les droits à se défendre ont été mis au centre, alors que n’ont jamais été évoqués et que ne sont jamais évoqués les droits des Palestiniens, qu’il s’agisse de leurs droits à exister en tant que nation.

maintes fois proclamées par le droit international ou encore de leur droit de se défendre face à une occupation militaire, y compris par la lutte armée, lui aussi consacrée par des résolutions des Nations unies et le droit international.

Donc ça va sans dire qu’il, évidemment, ne confère aucune légalité à un certain nombre d’exactions qui ont été commises.

Le CET, pardon, massacre de civils pris en otage, etc.

qui sont caractérisés comme des crimes de guerre et ou crimes contre l’humanité.

C’est vraiment un cadrage en béton armé.

Parce que je sais pas si vous avez suivi cette séquence encore récemment.

Rima Hassan, qui était dans la matinale de Sud Radio, a été…

Bon, alors par rapport à des procédés vraiment…

on va dire malhonnête de Sud Radio, qui poste sur Twitter juste une petite phrase où elle disait…

Donc là, je vous ai mis un peu la suite, quoi.

Je crois que Sud Radio a juste posté une vidéo avec la petite phrase qui était « Rima Hassan 2 points », entre guillemets.

« Le Hamas a une action légitime du point de vue du droit international ».

Voilà.

Ils ont juste posté ça.

Et ça a donné lieu à tout un emballement.

Là, vous avez sur CNews, sur France 5.

Ça s’est emballé aussi évidemment politiquement, puisque article 40, procureur, il demande y compris de la lever de l’immunité parlementaire, etc., enfin bref.

Alors qu’évidemment, il y avait tout un développement.

quand on écoute son interview en entier, où elle rappelle justement les résolutions internationales.

Elle dit qu’évidemment, elle ne considère pas comme légitime ce qui s’est passé le 7…

Enfin voilà.

Mais tout s’est emballé comme ça s’était déjà emballé auparavant.

Donc c’est quand même très difficile de…

comment dire, justement, de parler des droits des Palestiniens encore aujourd’hui, quoi.

Et donc l’idée dans les médias, en fait, pendant des semaines et des mois après le 7 octobre, l’idée, on va dire, d’une riposte légitime et inéluctable, vraiment, a constitué l’alpha et l’oméga du débat autorisé.

La riposte a pu être qualifiée de disproportionnée, d’excessive, de démesurée, etc., surtout à mesure que s’accumulaient les morts à Gaza.

Mais elle n’en est pas moins demeurée une riposte militaire dont le principe et la légitimité n’étaient pas contestables.

Le seul objet de discussion pouvant être encore une fois ces modalités.

Et donc ce cadrage, évidemment, a totalement ostracisé les appels au cessez-le-feu et, encore une fois, voué à la disqualification les marques de solidarité envers le peuple palestinien.

Et dans le discours dominant, la légitimité et l’inéluctabilité de la riposte, Ça a notamment reposé sur le leitmotiv selon lequel Israël serait en guerre contre le seul Hamas.

Donc c’est un objectif de guerre qui était au cœur de la propagande israélienne, un martelé que les grands médias français ont repris massivement à leur compte, sans jamais en questionner les fondements, les conditions de possibilités, etc.

À tel point qu’encore aujourd’hui, on peut assister à des émissions dans lesquelles des journalistes se regardent dans le blanc des yeux en se demandant si c’est un objectif réalisable, etc.

Enfin, c’est lunaire.

Et donc ça, c’est vraiment le troisième biais du cadrage médiatique général qui a contribué amplement à la dépolitisation du récit médiatique et qui s’est donné à voir notamment dans la façon dont la séquence a été et continue d’être nommée.

Je pense ici, bien sûr, à la formule « guerre Israël Hamas ».

Donc le premier angle mort majeur que cette formule véhicule, c’est ce que j’ai évoqué à l’instant.

C’est le fait qu’elle enterrine quand même un pilier de la propagande israélienne.

Mais cette formule, elle est problématique, on va dire, pour deux raisons supplémentaires.

La première, c’est qu’elle fait abstraction du déséquilibre abyssal des forces, évidemment, et met en équivalence d’un côté un État qui est doté d’une puissante armée régulière, qui est approvisionné en artillerie lourde et afflux continu par les États-Unis, mais aussi par d’autres puissances occidentales.

Je vous renvoie d’ailleurs sur ce point à la très bonne enquête qui vient de paraître de disclose sur Thalès.

Et de l’autre, un groupe politique et sa branche armée.

Et la seconde, c’est qu’en réduisant, en fait, la seconde partie prenante du conflit au sol, Hamas, cette guerre…

Cette formule, pardon, guerre Israël-Hamas, elle contribue à un phénomène d’invisibilisation à la fois géographique et politique, comme si la guerre d’Israël n’était pas menée contre l’ensemble des Palestiniens et de leurs organisations.

où qu’il se situe, comme si l’État d’Israël avait attendu le Hamas pour lancer des opérations meurtrières contre les Palestiniens, comme si peu de temps après le 7 octobre, les campagnes d’arrestation n’avaient pas concerné la Cisjordanie, Jérusalem et en Israël, d’ailleurs, en visant l’ensemble des militants réels ou supposés des organisations politiques et sociales palestiniennes.

Donc ce biais majeur, il permet aussi de comprendre en grande partie vraiment le spectaculaire retard à l’allumage des grands médias à propos de la Cisjordanie et l’invisibilisation d’ailleurs totale dans les médias audiovisuels, notamment, de ce qui s’y passe depuis.

Parce qu’il a fallu quand même attendre plusieurs jours, pour ne pas dire plusieurs semaines, pour que la répression de l’armée israélienne et l’explosion des violences commises par les colons fassent l’objet de publications dans les grands médias.

Donc vraiment, le cadrage guerre Israël-Hamas ou guerre Israël-Gaza a vraiment…

contribuer à, on va dire, à marginaliser médiatiquement la Cisjordanie, mais aussi à la détacher symboliquement de la bande de Gaza.

Et donc, c’est un phénomène, dans les médias, très visible, qui participe vraiment d’une confusion manifeste entre réalité géographique et réalité, on va dire, nationale et politique.

La Cisjordanie est devenue, dans plein de médias, une autre guerre, la plupart du temps, un autre front, parfois mis sur le même plan quand même que le Liban ou que la Syrie.

Et donc en adoptant ce choix de mots et d’angles, les médias dominants accompagnent, évidemment, consciemment ou non, la rhétorique et la politique israélienne qui visent à séparer le sort de Gaza et celui de la Cisjordanie et des Palestiniens d’Israël.

à renforcer l’idée d’une dilution, voire d’une disparition pure et simple de la question nationale palestinienne.

Et là encore, il faut dire que quand même, c’est un cadrage en béton armé, puisqu’il perdure dans le temps et qu’il s’est produit exactement la même chose il y a deux mois.

On vient de sortir un article à Acrimed là-dessus, en janvier 2025, au moment où l’armée israélienne a vraiment intensifié les raids et les bombardements, notamment à Jenin.

mais aussi dans d’autres camps de réfugiés, Tulkarem, Penochap, etc.

Donc on a reût cette rhétorique d’un front ouvert après Gaza.

Alors après Gaza, c’est vraiment…

Ça revenait tout le temps dans les titres d’articles.

Après Gaza, la Cisjordanie dans le collimateur de l’armée israélienne.

Voilà, comme si ça n’était pas avant, comme si la guerre se déplaçait.

C’est l’expression qui a été beaucoup utilisée sur France Inter.

Pierre Haski qui parlait d’une guerre qui se déplace en Cisjordanie.

France 2, donc le 24 janvier 2025, qui dit c’est une sorte de second front ouvert par l’armée israélienne après celui de Gaza.

Alors que comme vous le voyez, France 2 informait quand même de l’ouverture du dit front des décembre 2023.

Et en août 2024, faisait un petit reportage en disant qu’Israël, il poursuivait son offensive militaire.

Donc de toute évidence, la guerre ne s’est pas ouverte…

Enfin il n’y a pas un front qui s’est ouvert subitement, là, en janvier, ni ne s’est d’ailleurs déplacé à cet endroit-là.

comme si le territoire avait été épargné auparavant.

Là, je vous renvoie vraiment à l’article qu’on a fait, puisque ce cadrage s’est aussi permis par le fait que, comme on le disait dans le papier, en fait, dans les grands médias, L’information sur les territoires occupés, c’est un peu encodé selon le système mathématique.

Le langage a deux valeurs, 0 ou 1.

C’est soit il ne se passe rien, soit il y a des violences.

Et donc, en l’occurrence, là, en 2024, janvier-décembre, sur un an, vous avez eu, par exemple, juste 18 occurrences du terme « Cisjordanie » dans les JT du soir de France 2.

Donc c’est extrêmement peu.

Et c’est d’autant plus maigre qu’en fait, ça correspond juste à 5 reportages.

Un en janvier, deux en juillet et deux en août.

Et sinon, il n’y a rien.

Il n’y a rien.

Voilà.

Et donc France 2, c’est 18.

TF1, c’est 6 occurrences en un an.

Donc il y a quand même 6 mois de trous noirs d’informations au JT de TF1.

On parle quand même de…

de format qui sont regardés par des millions de gens.

C’est encore extrêmement regardé.

Donc voilà.

TF1 a laissé la Cisjordanie dans son angle mort pendant 6 mois de manière ininterrompue.

Voilà.

Là, c’était d’autres graphiques.

Là, on peut pas lire les occurrences.

Mais la Cisjordanie, c’est en violet.

Celui à gauche, c’est l’occurrence Cisjordanie dans les matinales radio.

À côté, en bleu, c’est les occurrences Israël.

En orange, les occurrences Gaza.

Et en vert, les occurrences Palestine.

C’est juste pour donner un peu une idée, une représentation de la surface médiatique.

C’est extrêmement peu.

Et à droite, c’est la même chose, mais à l’antenne de BFMTV.

C’est une information vraiment résiduelle.

Je vais revenir un peu sur les conditions ensuite, mais avant vraiment d’en venir aux conséquences concrètes de ce cadrage un peu en trois axes, aux conséquences que ça a eues sur le traitement médiatique, et notamment évidemment au travers du deux poids deux mesures, entendu comme un phénomène absolument structurel, C’est important de dire quelques mots quand même des conditions qui ont permis qu’un tel cadrage puisse s’imposer au sein des chefferies médiatiques, et qui sont des conditions évidemment à la fois d’ordre, on va dire, idéologique, mais aussi matériel, c’est-à-dire qui ont trait notamment aux conditions concrètes de production de l’information.

Alors évidemment, ce récit journalistique, il doit beaucoup, comme dans toute période de crise intense, on va dire, à l’alignement des médias français sur l’agenda et sur le positionnement du pouvoir politique, lequel a, dès le départ, affirmé son soutien inconditionnel à l’État d’Israël.

Ça continue encore aujourd’hui.

Gabriel Attal se targue sur Twitter d’être en voyage en ce moment en Israël pour rencontrer des acteurs politiques, économiques, associatifs – je cite – pour évoquer les relations franco-israéliennes et les initiatives à défendre pour la stabilité dans la région.

C’était le 13 mars.

Donc après le 7 octobre, tout ça s’est traduit par une adhésion idéologique sans que ce soit forcément pensé ni présenté comme tel au récit selon lequel Israël mèderait donc une « guerre juste » contre la barbarie.

favorisant et légitimant la rhétorique de l’extrême-droite israélienne, d’une guerre de civilisation, alors du dernier rempart de l’Occident, entre guillemets, face aux ténèbres du monde arabo-musulman, le tout au nom de la défense non seulement de l’État d’Israël, mais plus encore, entre guillemets, des valeurs occidentales.

Alors en France, mais aussi dans d’autres pays européens, on va dire que c’est un réencodage occidentalo-centré des événements qui a fonctionné à plein, qui a pu trouver racine, notamment dans le paradigme, on va dire, anti-terroriste particulièrement prégnant depuis les années 2000, et a fortiori en France, depuis le traumatisme des attentats de 2015.

Et très vite, sans la moindre contradiction, les médias ont, par exemple, laissé libre cours aux intervenants qui ont dressé un parallèle entre les massacres en Israël et les attentats du Bataclan, par exemple.

Voilà.

C’était très difficile aussi de faire valoir une contradiction sur cette assimilation.

Enfin, je ne pense pas que vous ayez en tête un intervenant qui ait réussi à sérieusement argumenter sur ce point.

Enfin, moi, en tout cas, je n’en ai pas vu.

Et donc, si vous voulez, c’est un peu difficile de comprendre le succès d’une telle lecture dans les médias, parmi les directions éditoriales, sans rappeler combien la construction de la peur de l’islam travaille le débat public quand même depuis plusieurs décennies.

sans rappeler le lourd héritage des cabales multiples et massifs de la scène politico-médiatique contre l’islamo-gauchisme, notamment au cours des dix dernières années, sans rappeler la légitimation médiatique de discours racistes, anti-arabes, constantes, comme celles de mots d’ordre sécuritaires, autoritaires, nationalistes, identitaires.

Acrimed le développe longuement dans ses travaux sur la normalisation de l’extrême droite.

On pourrait en discuter, si vous voulez.

Je ne m’étends pas.

Et sur la manière dont, justement, cette extrême droite parvient à infuser les cadrages, on va dire, de l’information encore plus aujourd’hui.

Et donc, si vous voulez, c’est vrai que la conjoncture dans laquelle sont arrivés les événements, c’est bien évidemment celle d’une radicalisation à droite du champ politique institutionnel, comme de la plupart des chefferies médiatiques, et en particulier, on va dire, de l’alignement croissant du cercle de la raison, de l’extrême-centre, pareil, on pourra discuter des termes, sur le pôle le plus réactionnaire de la vie publique.

Et en France, évidemment, cette lecture de guerre de civilisation, elle a donc totalement supplanté l’approche coloniale et elle manifeste, on va dire plus singulièrement, les tabous et l’impensé qui sévissent sur cette question dans les sphères de pouvoir, comme en témoignent les faillites persistantes et même les reculs du débat public autour de la colonisation en Algérie.

Je rappelle quand même qu’il y a moins de deux semaines, Jean-Michel Apathy, alors qui quand même…

c’est-à-dire c’est notre chien de garde à accrimer.

Enfin, il y a à peu près 50 000 articles sur lui.

C’est un journaliste qui occupe une position quand même professionnelle et symbolique extrêmement importante au sein du champ journalistique, on dirait presque intouchable, etc.

Eh bien, il a été mis à pied une semaine par RTL.

Il n’y retournera pas, d’ailleurs, de sa propre décision.

Il a été mis à pied, là, il y a deux semaines, pour avoir dénoncé les crimes de l’armée française au moment de la colonisation de l’Algérie.

Et dans la foulée, France Télévisions a tout bonnement déprogrammé la diffusion d’un documentaire sur cette histoire française.

Documentaire qui revenait plus précisément sur l’utilisation d’armes chimiques par l’armée.

Donc on n’est pas dans une bonne dynamique.

C’est aussi un spoil.

Voilà.

Et cette lecture, alors…

comme plus généralement, on va dire, la médiocrité de l’information internationale sur la question palestinienne.

Elle est également…

Alors, c’est à discuter, peut-être majoritairement, je ne sais pas, dû à une profonde méconnaissance, en fait, des enjeux et à une inculture crasse de très nombreux journalistes en France.

C’est un phénomène qui renvoie à la désertion à la fois intellectuelle et informationnelle de la région par la plupart des médias français.

Ca s’est évidemment aggravé comme on le comprend avec le blocus de Gaza après le 7 octobre et donc l’interdiction d’accès aux journalistes internationaux, trop faiblement dénoncée d’ailleurs par les médias français.

Mais en réalité, c’est vraiment une cause structurelle et de long terme.

Je rappelle par exemple que TF1 a fermé son bureau de Jérusalem en 2019.

France 2 en a encore un.

Mais en 2011, il avait été amputé des deux tiers de ses effectifs.

Cette personne sur dix avait été licenciée à l’époque.

Voilà.

Dans les grands médias, si vous voulez, les correspondants permanents se font rares.

On discutait tout récemment avec le journaliste Jean Stern – je sais pas si vous le connaissez – qui revient justement de Cisjordanie, qui a fait un récent reportage en janvier publié sur Orion 21, qui travaille beaucoup avec Orion 21.

Et donc Jean Stern nous rappelait récemment que des journaux aussi importants par exemple que Libération ou Les Échos n’ont plus de correspondants permanents en Israël-Palestine depuis 2023.

Et en lieu et place, si vous voulez, de nombreuses rédactions optent pour l’envoi d’envoyés spéciaux qui sont dépêchés alors de façon irrégulière, qui ne connaissent pas nécessairement le terrain.

Il nous disait d’ailleurs, c’était intéressant, que beaucoup d’entre eux sont de la génération post-intifada, ce n’est pas les mêmes journalistes, et donc du coup il y a un truc de transmission aussi qui ne s’est pas fait, ou alors d’un héritage de couverture qu’ils n’ont pas, enfin ils n’ont pas le même profil générationnel.

Ou alors, on va dire, ce qu’il nous disait, c’est que les rédactions vont déléguer le boulot notamment sur la Cisjordanie à des pigistes.

Et les pigistes, la plupart du temps, ils se trouvent eux-mêmes dans des conditions matérielles extrêmement précaires, a fortiori depuis le 7 octobre, nous le disait-il, puisqu’il nous parlait notamment des coûts inhérents au travail journalistique qui ont augmenté.

Et donc c’est les fixeurs plus chers, c’est des assurances personnelles plus chères, assurances personnelles que les journaux, quand vous êtes pigiste, ne prennent pas en charge, etc.

Donc voilà, il faut vraiment avoir ça en tête.

Et si vous voulez, les moyens humains, on va dire, investis par les rédactions, sont à la fois résiduels et extrêmement fluctuants, c’est-à-dire, on va dire, concentrés sur les moments les plus chauds ou alors ce que, évidemment, les chefferies médiatiques perçoivent comme tel.

Un très bon exemple de ça, c’est le cas de BFMTV.

puisqu’au lendemain du 7 octobre 2023, la direction de BFMTV a envoyé 18 personnes en Israël en renfort de quelques correspondants qu’ils avaient sur place avant de les rappeler progressivement à Paris.

Et si vous voulez, début septembre 2024, donc c’est-à-dire pas longtemps après, BFM TV n’avait plus d’équipe permanente.

Voilà.

C’est quand même la première chaîne d’info autoproclamée.

Elle n’avait plus d’équipe permanente en Israël, a fortiori pas en Cisjordanie.

Et donc ils travaillent avec des correspondants.

Et bien sûr, ça dose sur les agences locales.

Voilà.

Donc ce qui explique qu’on n’a pas de reportage maison, quoi, et que c’est souvent des recyclages de dépêche, etc.

Donc c’est pas étonnant que, comme le constatait Lina, comme vous le voyez sur le graphique là, plus de la moitié de la médiatisation du conflit a été concentrée sur les deux premiers mois, en réalité.

Voilà.

Donc ce que je viens de dire, ça peut en partie expliquer la chose.

Et dans ce chapitre toujours, je pense qu’il faut avoir en tête aussi d’autres éléments, de nombreux éléments en réalité plus concrets liés à la fabrique de l’information.

qui expliquent aussi les carences journalistiques.

Je pense notamment au rôle et à l’intervention des rédactions en chef, qui sont basées à Paris, à l’intervention de ces rédactions en chef dans la production des contenus, que ce soit en amont, c’est-à-dire la sélection, le cadrage préalable des sujets, ou en aval.

On va trier, on va dire, dans les choses qui sont rapportées par les correspondants.

On va écrire des voix-off alors qu’on n’a pas soi-même fait le sujet.

Etc.

Etc.

Et sur ces différents points, vraiment, je vous recommande les très bons podcasts.

Je sais pas si vous les connaissez, qui sont sur Arte Radio de Marine Vlaovic, qui est officiée en tant que correspondante pour les radios publiques francophones en Palestine entre 2016 et 2019.

Je le dis avec un peu d’émotion parce qu’elle est décédée depuis quelques mois.

Elle fait vraiment très bien état du travail précaire.

dans lequel elle pouvait travailler, donc les commandes en urgence, on va dire, les pressions, les phénomènes d’autocensure, et aussi, on va dire, vraiment, elle décrit très bien le poids de la propagande de l’armée israélienne et comment tout ça se traduit très concrètement au jour le jour dans les conditions de travail et dans l’encadrement du travail des journalistes jusqu’à la saturation totale.

Et donc je ne m’étends pas.

On pourra y revenir si vous souhaitez en discuter.

Mais dans ce chapitre, il ne faut pas oublier aussi le rôle des groupes de pression au service des intérêts du gouvernement israélien type ELNET, type American Jewish Committee, qui travaillent les sphères politiques et journalistiques depuis de très nombreuses années.

Ça aussi, Jean Stern nous en a longuement parlé.

Je pourrais y revenir si vous voulez.

tout type de médias confondus, presse écrite, presse magazine, télévision, radio, etc.

Donc voilà.

Et de manière plus grand-angle, on peut aussi réfléchir, notamment dans le cas de BFMTV, évidemment, au fait que jusqu’il y a quelques mois, BFMTV, c’était le groupe de Patrick Drahi, qui est également propriétaire de la chaîne de propagande franco-israélienne i24news.

Et Patrick Drake, qui n’a par ailleurs jamais fait mystère de sa proximité, on va dire, personnelle avec le gouvernement israélien.

Donc là, il faut faire attention toujours.

Moi, à mon avis, il faut pas du tout surdéterminer l’influence de ce cadre sur la ligne de BFMTV, parce que de fait, Ils sont maintenant aux mains de Rodolphe Saadet.

C’est le groupe CMA-CEGM.

Et ça n’a pas changé de ligne éditoriale.

Donc il faut pas en faire des caisses là-dessus.

Je pense qu’il faut vraiment l’avoir en tête comme un élément qui favorise une sorte de grand bain, matériellement parlant y compris, encore une fois, parce que qui dit même groupe de presse dit tout un tas de mutualisations, en fait.

Littéralement, i24 News à Paris était dans les mêmes locaux que BFMTV.

Ça va être aussi des reportages qui sont tournés par i24, qui vont être diffusés à l’antenne de BFMTV.

C’est des échanges d’éditorialistes, etc.

Enfin voilà.

C’est comme ça, en fait, que ça se…

Je le fais un peu à gros traits, mais c’est vraiment pour qu’on pense toujours le champ journalistique comme un champ de bataille qui est extrêmement hiérarchisé, où tout le monde ne fait pas du tout le même métier, qui est soumis à des pressions politiques.

où les influences et les contraintes économiques pèsent très très lourd et à divers degrés, qui est traversée par des rapports de force, etc.

Et que tout ceci, ça a des conséquences évidemment sur la production de l’information.

Et donc là, je vais très vite parce que je suis déjà à 30.

Je vous disais au départ que la désertion matérielle de la région dont je parlais, c’est évidemment pas sans conséquence, en fait, sur le premier axe du cadrage dont on parlait au début, à savoir tout a commencé le 7 octobre.

puisqu’on avait par exemple montré qu’entre le 1er janvier 2023 et le 1er octobre 2023, il y avait eu seulement 10 sujets sur le conflit aux 20 heures de France 2, le temps de parole des Palestiniens.

En 9 mois, c’était de 33 secondes à l’époque.

Voilà.

Sur 9 mois.

Et il y avait eu un seul sujet en 9 mois sur les exactions des colons dans les territoires occupés.

Voilà.

Donc là, vous avez pas le son.

Tant mieux, peut-être.

C’est Olivier Delagarde.

On est en 2018.

Et donc il rigole sur un plateau en disant qu’il est content d’avoir trouvé les 4 derniers moïcans que la Palestine intéresse.

Voilà.

C’est un sujet.

Ils en rigolent, etc.

C’était en 2018.

Oui, quand même un petit mot.

On est en septembre 2018.

La marche du retour était quand même toujours en cours.

Il y avait des morts à l’appel.

Et il n’en a jamais été question au cours de cette émission qui était consacrée à un déplacement de Marc Moudabas à Paris.

Voilà.

Donc là, je vous inonde pas de chiffres.

Je pourrais vous donner les références si vous voulez.

C’est toujours entre…

Voilà, on a vraiment retrouvé, entre le 1er janvier 2023 et octobre 2023, c’est le nombre de publications que vous pouviez avoir sur Le Monde, Libération, Le Parisien, Le Figaro, les chaînes d’information en continu, etc.

Donc c’est vraiment extrêmement, extrêmement peu.

Et là, de manière encore plus grand-angle, vous voyez combien le traitement médiatique, en gros, depuis…

Depuis 2000, 2002 a complètement décliné, à part un peu en 2014, quand il y a eu les bombardements à Gaza.

Mais voilà, on est quand même sur un sujet qui est littéralement déserté par les grandes rédactions françaises.

Donc voilà.

Alors je passe vite.

Donc évidemment, ça contribue à normaliser le fait colonial et donc la situation structurelle d’oppression des Palestiniens.

Ça laisse complètement dans l’ombre l’habituel et l’ordinaire des Palestiniens qui recouvrent évidemment des violences systémiques, multiformes, quotidiennes.

Les violences de l’occupation militaire prolongée de Jérusalem, de la Cisjordanie, de la bande de Gaza.

de l’extension de l’emprise coloniale d’Israël avec le blocus de Gaza, les violences du régime d’Apartheid.

Tout le concret de la vie nous est littéralement rendu inaccessible.

Et donc c’est déjà une forme de déshumanisation, en fait, par omission, par invisibilisation, qui travaille en fait les imaginaires et qui fossilise vraiment une distance de fait avec le peuple palestinien, si je voulais vraiment…

C’est un peu loin des yeux, loin du cœur, si je voulais le dire un peu vulgairement.

et qui empêche toute forme d’identification, de compréhension et d’empathie à leur égard, qui n’est évidemment pas sans incidence avec ce qui va suivre dans l’exposé, à savoir le deux poids deux mesures, les compassions sélectives, etc.

Donc ce cadrage général…

Alors il a fait évidemment consensus parmi les chefferies éditoriales.

Et c’est donc à l’intérieur, en fait, de ce périmètre qu’a pu se déployer la propagande de guerre israélienne.

Bon, alors là, je vais peut-être pas m’étendre, parce qu’il y a plus important.

On va dire que l’ensemble des commentateurs s’est vraiment divisé en deux catégories.

Il y avait les vatanguers d’un côté et les partisans de la cécité volontaire de l’autre.

Donc, chez les cécités volontaires, le discours qui postulait ou sous-entendait qu’Israël n’aurait pas d’autre choix, c’est accommodé de fait de ce qu’ils appelaient les dommages collatéraux, c’est-à-dire la mort de…

de centaines, puis de milliers, puis de dizaines de milliers de civils.

Et au départ, si vous vous en rappelez, évidemment, les quelques intervenants qui en appelaient concrètement à la désescalade ont été disqualifiés, renvoyés dans le camp des naïfs, ingénus, etc.

Et donc le message, en fait, il a oscillé entre une légitimation explicite des offensives militaires israéliennes et de la déresponsabilisation d’Israël, généralement au nom d’un prétendu fatalisme de la riposte.

Voilà.

Donc tous les médias ont pas adopté une posture vatanguerre d’une manière aussi frontale, on va dire, et Caricatural qui 24 News.

Mais ils ont massivement relayé la communication de l’armée israélienne jusqu’à ses récits les plus propagandistes et les plus outranciers.

Donc l’armée morale attachée à protéger les civils, le Hamas visé comme seul but de guerre, j’en parlais.

Le Hamas, alors, il est bouclier humain.

Ça, on l’a entendu.

Qu’est-ce qu’on l’a entendu ?

le Hamas seul responsable de la mort des Palestiniens, les conséquences meurtrières non-intentionnelles des bombardements, etc.

Tout ça, ça a eu libre cours non-stop la plupart du temps, sans aucune contradiction, jusqu’à la diffusion pure et simple de propagande d’État, comme ce fut encore le cas sur France Info, j’y insiste, France Info quand même, le 5 février dernier.

Donc là, c’est dommage, on n’a pas le son, mais…

ou France Info, qui a diffusé un clip, littéralement un clip, du gouvernement israélien qui imagine Gaza à l’horizon 2030.

Voilà.

Et plutôt que de…

Sans commentaire, quoi.

Je veux dire le clip est diffusé.

Il dit que c’est un organisme…

Il dit pas propagande, évidemment.

Il dit que c’est un organisme rattaché au gouvernement israélien.

Et il passe le clip et c’est tout.

Il n’y a pas de commentaires journalistiques.

Il n’y a rien.

Il n’y a pas de contextualisation.

On a juste un clip de propagande diffusé dans une émission du service public telle qu’elle, quoi.

Donc vraiment, c’est une séquence caricaturale, mais vraiment qui s’inscrit dans la lignée de toutes les séquences où les journalistes ont laissé micro ouverts et cartes blanches aux porte-paroles de l’armée israélienne et à leurs affidés pendant des mois.

Aidez-moi, il y a encore aujourd’hui, les Olivier Raffovitz, Aghari, dont on avait les points conférences de presse tout le temps à la télé, etc.

Donc vraiment, c’était…

On avait vraiment fait une étude sur les deux premiers mois.

C’était littéralement impossible, mais vraiment impossible, des fois, de distinguer en fait les journalistes des militaires ou des porte-parole des autorités civiles et ou militaires israéliennes.

Et de fait, de toute façon, la question de la conduite d’une guerre par un gouvernement d’extrême-droite n’était pas du tout interrogée.

Au début, il n’y a pas eu de débat, quoi.

Ça a été complètement le rat de marée, complètement enterré sous un commentariat militaire vraiment omniprésent.

Donc là, je vous passe parce que c’est long.

BFMTV a vraiment joué un rôle absolument délirant dans les premières semaines sur vraiment le feuilletonnage de l’intervention terrestre, où ils ont quand même réussi à dire à l’antenne plusieurs fois que la riposte israélienne n’avait pas commencé parce que les soldats israéliens n’étaient pas encore entrés dans Gaza.

Et donc en fait, ils ont feuilletonné beaucoup l’offensive terrestre avec vraiment des reportages comme vous pouvez peut-être…

Je sais pas si on peut pas lire, mais c’était vraiment…

Je sais pas si je peux vous lire…

Voilà, c’était des reportages dans des campements militaires, des élu-cubrations tous les deux jours sur les scénarios de la riposte, des interviews de réservistes, du chargé d’affaires d’Israël en France, de généraux français, etc., la retransmission de discours de haut-gradés israéliens.

Donc vraiment, c’était un traitement, si vous voulez, un peu embedded par anticipation, qui anticipait ce qui allait se passer, mais qui n’avait de fait rien à voir avec de l’information, mais rien à voir avec de l’information.

mais qui participait par contre intégralement à la préparation des esprits et donc à ce qu’ils appelaient le début de la riposte.

Voilà.

Et tant pis pour les centaines et les milliers de morts qui avaient déjà été tués dans les bombardements.

Il y a quand même deux bandeaux qui resteront dans les annales, les 23 et les 26 octobre sur BFM.

C’était « Offensive terrestre à Gaza, c’est pour quand ?

».

Point d’interrogation.

Et le deuxième, c’était « Netanyahou a-t-il la main qui tremble ?

».

Voilà.

C’est des choses quand même qui sont arrivées dans nos médias, quoi.

Évidemment, pour terminer ce petit point, c’est quand même difficile de parler de propagande de guerre et de fabrique du consentement sans évoquer la question des fake news, quand même, puisque comme l’ont démontré, on va dire, certains titres dans la presse israélienne et internationale, Libération en France un peu plus tard, rédactions et commentateurs ont propagé de faux témoignages à propos des atrocités commises le 7 octobre, ayant quand même pour certains inondé la presse mondiale.

En France, par exemple, la fake news des 40 bébés décapités a été vraiment massivement médiatisée dans la presse, à la radio, ça a fait les gros titres à la télévision, etc.

Alors sans le moindre filtre et surtout, ce qui est peut-être plus important, sans qu’aucune autocritique substantielle ait ensuite vu le jour et sans que des correctifs aient été diffusés, en tout cas dans des proportions similaires, à celle qui avait évidemment permis la propagation de masse.

Donc c’est évidemment fondamental d’insister sur ce point parce que ça nous amène à une réflexion plus large sur le fait que les rédactions sont restées complètement suspendues au 7 octobre, mais au 7 octobre tel qu’elles l’ont vécu à l’instant T.

telle qu’elles l’ont perçue et telle qu’elles l’ont commentée à l’instant T.

Donc on parle vraiment d’un espace-temps complètement figé et qui continue en plus d’influer en fait symboliquement à la manière un peu d’un phénomène de persistance rétinienne si vous voulez.

C’est un peu ça.

Parce que on va dire que si les rédactions elles sont tellement attachées à cet événement qu’on aurait pu se dire du coup, elles vont continuer à le documenter, c’est-à-dire elles vont continuer à documenter ce qui est sorti dans la presse israélienne depuis, ce qui est sorti dans la presse internationale, notamment sur les conséquences des doctrines militaires israéliennes qui ont été prises ce jour-là, etc.

Mais en fait, il n’y a rien Enfin, il n’y a rien.

Ou alors, c’est très, très marginal en France.

Ça n’a pas du tout été médiatisé à une échelle de masse, quoi.

Donc on est vraiment dans ce truc d’espace-temps figé où, en fait, on parle tout le temps du 7 octobre sans en parler, tel qu’il a été documenté, tel que des journalistes internationaux l’ont documenté ensuite, quoi.

C’est quand même quelque chose d’assez spectaculaire.

Donc voilà.

En gros, on a évoqué ça, le présentisme, la dépolitisation, le suivisme à l’égard de la communication israélienne, l’accompagnement de l’offensive militaire.

Et donc c’est évidemment ce cadrage qui a facilité, favorisé et légitimé le développement, là, pour le coup, d’un contenu particulièrement problématique s’agissant des Palestiniens, fait de double standard.

de compassion sélective, de déshumanisation systématique et d’invisibilisation du génocide du peuple palestinien à Gaza, en Cisjordanie.

Donc les doubles standards, en fait, qui se sont donnés à voir dès le lendemain du 7 octobre et qui sont permanents depuis, en fait, ils ont pris vraiment de multiples formes.

C’est pour ça qu’on parle vraiment d’un phénomène structurel.

La plus évidente, c’est vraiment les compassions sélectives.

Mais avant d’en venir à ça, La compassion sélective et on va dire humanisation, déshumanisation à géométrie variable.

Vraiment, je voudrais mentionner d’autres formes qui ont été moins souvent soulignées.

Le premier, c’est le traitement et le rapport aux sources.

La question du…

Comment on fait ?

la question des sources et du rapport vraiment très nettement différencié qu’entretiennent les rédactions avec les différents acteurs en présence et qui influent évidemment sur le traitement qu’elles réservent ensuite aux informations fournies.

On pourrait résumer en gros ce deux poids deux mesures en parlant d’une méfiance voire d’un discrédit sur les informations en provenance de la partie palestinienne versus une présomption de véracité, voire une croyance aveugle accordée aux informations issues des autorités civiles et militaires israéliennes.

Alors là, vous avez quand même un exemple caricatural.

Par exemple, en haut, dans le même reportage, les petits trucs qui sont entourés, vous ne pouvez pas lire, mais en gros, là, c’était un seul et même reportage sur France 2.

Il est écrit à gauche, images fournies par la police israélienne, et à droite, images de propagande du Hamas, par exemple.

Voilà.

C’est permanent, c’est permanent, c’est sur BFMTV.

Là, c’était en août 2024.

C’est exactement la même chose à l’antenne de BFMTV.

C’est quelque chose, si vous êtes attentif à ce truc-là, vous le verrez tout le temps.

En fait, vous le repérez vraiment dans l’audiovisuel.

Et en conséquence, en termes de conséquences sur la production éditoriale, ça s’est aussi décliné, évidemment, dans le recours systématique à la formule selon le Hamas.

quand il s’agit de mentionner les morts à Gaza dans les articles, les dépêches, les commentaires, etc.

Alors questionner les sources, ce n’est pas un problème en soi.

Ce n’est pas quelque chose qu’on peut reprocher aux journalistes.

Mais le problème, c’est qu’évidemment, c’est troublant de constater que sur la durée, c’est précaution d’usage, on va dire, si on est sympa.

se sont transformés en langue automatique, dont l’effet principal a été de semer le doute quant à la véracité des informations, tout ça en dépit de l’ONU, de l’OMS, des ONG internationales, etc., qui ont toujours considéré ces données comme fiables et qui l’en allaient de même de la part des autorités israéliennes elles-mêmes, en l’occurrence.

Et c’est quelque chose qui se rejoue à chaque séquence.

Je veux dire, en 2014, on avait encore ça.

C’est quelque chose qui revient à chaque fois.

Et évidemment, comme on le voit là, la mise à distance des sources, en fait, se fait vraiment à géométrie variable.

C’est aussi l’occasion de dire un mot de l’usage systématique du terme générique Ministère de la Santé du Hamas.

En lui est place de l’appellation officielle de l’institution, c’est-à-dire Ministère de la Santé de Gaza.

Et c’est quand même un choix éditorial unique au monde.

C’est-à-dire que si vous y réfléchissez…

Mais on pourra peut-être en discuter.

En fait, nous, on n’a pas connaissance d’un journaliste qui associerait systématiquement un ministère au mouvement politique qui le dirige.

En fait, on n’y a réfléchi.

En fait, on n’a pas d’autres exemples.

Et ça participe de ce même phénomène de suspicion.

Au chapitre des sources aussi, On peut dire que les rédactions ont fait quand même un usage pour le moins limité des innombrables vidéos, images tournées par les habitants de Gaza, les journalistes, les vidéastes ou les simples citoyens.

Je vous laisserai réécouter le dernier épisode qu’avait fait Marine Vlaovic, qui parlait aussi de à quel point les journalistes palestiniens se faisaient maltraiter par les rédactions françaises, qu’ils n’étaient pas payés, etc.

On entre quand même dans du gros dégoût.

vraiment en écoutant ce podcast.

Voilà.

Donc usage faible des matériaux qu’il rapportait.

Par contre, quand ça va être une journaliste de CNN qui va rentrer à Gaza, là, toutes ces images vont tourner sur les télés.

On va trouver ça spectaculaire.

C’est la reporter de guerre, etc., etc.

Donc voilà.

En fait, le problème, c’est pas tant ce qui est dit, c’est qui le dit.

Et donc, encore une fois, il y a une présomption de mensonge ou de partialité pour les uns et un crédit de fiabilité pour les autres.

Au passage, il y a quand même 145 journalistes, au moins, qui ont été tués entre octobre 2023 et décembre 2024, journalistes palestiniens, selon un décompte de RSF.

Et oui, ce que je voulais dire aussi, c’est que si les médias dominants, ils ont fait un usage immodéré de la communication de guerre israélienne, les vidéos de soldats filmant eux-mêmes leurs propres exactions ont fait l’objet de très, très peu de reportages.

À la télé, on ne l’a pas beaucoup vu.

Dans la presse écrite, il y a eu des choses, un petit peu.

Il y a eu Le Monde, etc.

Mais en fait, tous les jours, quand même, tous les jours depuis octobre 2023, on a ces vidéos.

En fait, on les a.

Il y a un travail de fou de recensement qui est fait par des journalistes palestiniens.

Et en fait, ça n’est pas utilisé comme un matériau journalistique.

Et donc c’est quand même incroyable parce que c’est un matériau très fécond qui permet aussi, soit dit en passant, d’insister sur la nature coloniale de ce conflit, notamment lorsqu’on voit des soldats israéliens poser avec des sous-vêtements de femmes palestiniennes, se prendre en photo avec, jouer avec, qui est quand même un invariant colonial assez puissant à travers les époques.

Ces doubles standards, on les a retrouvés évidemment dans les interviews audiovisuelles où les règles qui s’appliquent aux Palestiniens et à leur soutien réel ou supposé ne sont pas les mêmes que les règles qui s’appliquent à l’État d’Israël et à leur soutien réel ou supposé, que l’on pense à des acteurs locaux, que l’on pense à des responsables politiques français, que l’on pense à des intellectuels convoqués pour leur expertise, etc.

Là encore, le traitement est très notamment différencié.

Je ne m’étends pas parce que je n’ai pas le temps.

Mais on va dire que le paroxysme de ça, c’est évidemment les interviews de Rima Hassan.

où on est sur un niveau de délire absolument spectaculaire en termes d’interrogatoire, donc avec une suspicion généralisée.

Alors quand il ne la délégitime pas en son absence, évidemment, il l’invite pour mieux la clouer au pilori.

C’est des interruptions permanentes, c’est des invectives, c’est un mépris sans borne des suspicions permanentes.

Elle est rappelée à l’ordre, elle est diffamée, elle est diabolisée, elle est accusée tantôt d’être manipulée.

Elle est accusée d’entretenir un business personnel, de fracturer la République, etc.

Donc c’est vraiment un catalyseur.

Je vous renvoie…

D’ailleurs, on a fait un article là-dessus.

Là, je vous renvoie à cette vidéo qu’on a faite, qui est un peu une compilation de ces différents interrogatoires, qui sont un catalyseur vraiment du continuum raciste dans les médias, de la médiocrité ambiante aussi, et un miroir, on va dire, grossissant du pire de ce que donnent à voir les médias dominants depuis le 7.

en particulier en termes de double standard.

Parmi ces doubles standards, aussi, il y a la réaction des chaînes publiques aux événements.

Vous avez peut-être suivi cette affaire de France Info et l’affaire des otages palestiniens.

Donc c’était en janvier 2025.

Il y a eu ce Ça qui est passé à l’écran.

Et alors ça, c’était le cataclysme, quoi.

Donc on parlait…

Il y a un journaliste, en plus, qui ne l’a pas fait.

De toute évidence, c’était même pas un acte militant de parler d’otages palestiniens.

C’était vraiment…

Il baignait dans le…

On parlait des otages israéliens tout le temps.

Donc il baignait dans ce climat.

Le pauvre, il a dû écrire, sans le faire exprès, « otage palestinien ».

Et donc là, je vous passe l’histoire.

Mais ça a été un tollé sur les réseaux sociaux.

Il y a eu quand même une intervention de Caroline Yadan, pression sur les réseaux sociaux, à France Info, etc.

Je vous passe l’emballement.

Mais toujours est-il que ce journaliste a été mis à pied.

Et que successivement, la chaîne, une cadre dirigeante de l’audiovisuel public, l’ASDJ, la société des journalistes, donc la rédaction de France Info et, cerise sur le gâteau, les syndicats de journalistes quand même, ont pris position publiquement pour condamner cette erreur, je cite, inacceptable.

Donc là, on retombe sur le pied des deux poids deux mesures, c’est que ces positions extraordinaires de France Info, elles ont rendu visible par contraste l’étendue de ce à quoi la chaîne ne réagit jamais et ce dont elle ne s’indigne jamais, puisque avant cette affaire, comme on l’a écrit dans l’article qu’on a publié à l’époque, on a été vérifié quand même, L’ASDJ n’avait jamais fait paraître le moindre communiqué public relatif au traitement de la situation au Proche-Orient.

Alors évidemment que l’on pense aux interrogatoires de Rima Hassan dont je vous parlais, qui ont été particulièrement gratinées sur France Info.

Mais je mentionne aussi quand même la présence chaque semaine, une fois par semaine, d’un éditorialiste d’i24news.

à l’antenne de France Info, dans l’émission Les Informés.

Voilà.

Ça, ça pose pas de problème.

Et ça mérite pas de communiquer public.

Donc évidemment, toutes les réactions…

Enfin toutes les…

toutes les indignations ne sont pas logées à la même enseigne.

Et la rédaction de France Info trie manifestement entre les téléspectateurs dont les critiques comptent et ceux dont les critiques ne valent rien.

Et ce que cette affaire nous a également enseigné, c’est que des débats peuvent avoir lieu.

entre guillemets des débats, mais que certains débats sont voués à être littéralement classés sans suite parce qu’en bannissant comme ça l’usage du terme « otage » pour désigner les Palestiniens, France Info a littéralement passé par pertes et profits et tranché une question politique qui anime pourtant tout un pan de la société, qu’on pense au milieu militant.

qu’on pense aux champs universitaires, à des autrices, des auteurs, des intellectuels, etc., des juristes, spécialistes du don international.

Nombreux sont les acteurs, si ce n’est à défendre cet usage, au moins à questionner l’usage, etc.

Ils font valoir des arguments.

Ils parlent du système pénitentiaire, comment ça remplit quand même dans une…

société sous occupation militaire, une fonction de contrôle social de masse.

Stéphanie, la table de là dont on parlait au début, la chercheuse a beaucoup travaillé là-dessus.

Donc voilà, en fait, France Info, comme tout média, on va dire symboliquement au service de l’ordre, au service du maintien de l’ordre, il décrète ce qui peut être discuté et ce qui ne peut pas être discuté.

Il décrète, il délimite le périmètre médiatiquement acceptable.

Et donc en laissant aussi cette analyse critique de l’État d’Israël hors champ, France Info contribue aussi à invisibiliser les acteurs dont on parlait au début et qui défendent un discours contradictoire.

Et c’est peut-être…

J’en ai pas du tout parlé jusqu’à présent, mais tout particulièrement le cas des collectifs juifs décoloniaux qui, quand même depuis un an et demi, sont totalement mis au banc des médias et privés littéralement de toute représentation et possibilité d’expression dans l’espace public.

Voilà.

Je n’ai pas connaissance d’une émission d’un grand média où un membre de CEDEC, par exemple, aurait été invité.

J’ai pas d’exemple en tête.

Je n’en ai pas.

Et à la radio, pas guère plus.

Même pas peut-être sur France Culture.

Je sais pas.

Je crois pas.

Et donc, évidemment, au rang des doubles standards, c’est difficile pour finir de ne pas mentionner le phénomène des compassions sélectives.

Alors vous avez en tête, bien sûr, toutes les interventions d’éditorialistes, des commentateurs qui ont expliqué que toutes les vies et les morts ne se valaient pas, alors qu’il le disait bien.

Il le disait de manière intelligente.

Il le disait puisque l’appréciation dépendait des intentions supposées des auteurs des crimes.

Donc là, ça a été les Fourest, les Barbier, les Enthoven, toute la sphère qui gravite autour de francs-tireurs.

Là, ils ont été les spécialistes dans ce genre de déclaration.

Donc c’était évidemment une des marques les plus révoltantes, les plus visibles, on va dire, du deux poids à deux mesures.

Et dans la presse, on va dire que certains en ont fait quand même une ligne éditoriale.

Je pense notamment aux Parisiens.

Donc là, pareil, je vous donnerai les références pour les chiffres, mais je vous ai quand même mis quelques-unes.

qui évoque les otages, les familles d’otages, etc.

Donc je ne sais pas si vous pouvez vraiment les voir, mais il y a beaucoup de visages.

Il y a un champ lexical, tragédie, attaque insoutenable, martyr, etc.

Donc le problème, ce n’est évidemment pas ces mots, du point de vue du journalisme, c’est le fait que ces mots et ces visages ne se reproduisent pas dans le cas des Palestiniens, puisque dans le cas des Palestiniens, c’est ça.

C’est à peu près, je crois que j’ai mis toutes les unes là, depuis un an et demi.

Et donc, à part celle-là, où on voit une enfant palestinienne, et en plus, je crois qu’elle est au Qatar, c’est tout.

En fait, il n’y a pas de visage.

Donc là, vous voyez cette petite face ici, c’est sur les chrétiens.

Mais sinon, en fait, il n’y a rien.

En termes de représentation humaine de Gaza, il n’y a rien.

Il n’y a rien.

C’est soit des terroristes, soit des ruines.

Mais il n’y a pas de visage.

Il n’y en a pas.

Celle-ci, là, au moment de l’accord de cesser le feu.

Je mets des guillemets.

Il y avait un visage ou deux, là.

Mais voilà.

Sinon, en un an et demi, on a fait le décompte.

On a fait 3 articles là-dessus.

Donc tout est sourcé, etc.

Et on a fait aussi une étude sur les 3 premières semaines qui ont suivi le cesser le feu.

On a pris tout le corpus des articles qui traitaient de ce sujet dans le parisien papier.

Et donc voilà en fait on a pris des indicateurs pour montrer justement l’humanisation à géométrie variable.

En haut là vous avez par exemple les noms.

Donc en haut c’est les palestiniens et en bas c’est les israéliens.

Donc quand on lit le corpus de presse par exemple on croise le nom d’un otage ou d’un ex-otage 239 fois dans le corpus.

Et s’agissant des Palestiniens, c’est 15 noms.

Et parmi les 15 occurrences, il y a juste 9 noms qui sont donnés.

Et parmi les 15 occurrences, je crois qu’il y en a 4 sur 6 noirs en plus.

Vous voyez, c’est pas grand-chose.

Voilà, 239 occurrences.

Il y a 89 noms d’Israéliens qui sont donnés.

Enfin, vous retrouverez un peu les études dans la revue, etc.

Le camembert en bas, on avait fait une étude aussi des liens de parenté, pour montrer que les Palestiniens et les Palestiniennes ne sont jamais des amis d’eux, ne sont jamais des filles d’eux, ne sont jamais des pères, ne sont jamais des grand-mères, ne sont jamais rien, en fait.

Voilà.

Ils ont d’ailleurs à peu près aucun soutien dans le monde, si on lit Le Parisien, puisqu’en trois semaines, il n’y a pas un article sur les mobilisations de solidarité, alors que, je le disais au départ, les mobilisations de soutien aux otages sont couvertes dans le parisien papier.

Et là, c’est vraiment…

Là, je vous avais mis des trucs.

Pareil, vous retrouverez.

C’est sur les mots, sur les vocables.

Par exemple, le terme « massacre », qui est utilisé systématiquement pour…

Enfin qui renvoie systématiquement au 7 octobre.

Voilà.

Il n’y a pas de civils non plus palestiniens.

Il n’y a pas de blessés palestiniens.

puisque les 6 occurrences de blessés, elles sont côté israélienne.

Voilà, les termes traumatisme, cauchemar, etc.

On a fait vraiment une étude de renvoi, donc c’est accablant de bout en bout.

C’est vraiment caricatural, quoi.

Et donc, voilà, on a fait vraiment, documenté sur ces longs mois, tout ça, le constat, c’est vraiment le même, quoi.

C’est vraiment l’une des quotidiens, en haut, c’est l’une des hebdomadaires, en bas, c’est…

les grandes interviews de la matinale de France Inter.

Donc ce qu’on remarque à chaque fois, c’est la même dynamique.

C’est une attention très forte en octobre et un désintérêt progressif sur les créneaux les plus exposés, on va dire, du paysage médiatique, y compris sur des moments mais historique, comme ce qui s’est passé, les différentes étapes qui ont fait le processus de la Cour internationale de justice.

C’est Arrêt sur image qui avait montré ça, qui n’a quasiment pas été couvert en France.

Donc là, c’était un montage qu’on avait fait pour montrer que les chaînes d’information à l’international diffusaient les plaidoiries, etc., en direct, et qu’en France, on parlait de…

Alors, c’était quoi ?

Édouard Philippe.

Aucun doute sur la réponse de Gabriel Attal.

Vous voyez des sujets autrement plus sérieux, quoi.

Et à côté, c’était, pareil, une affaire de politicaillerie interne, etc.

Donc voilà.

Absence de médiatisation.

Là, je vais vite, parce que sinon, j’aurais pas le temps de finir.

Voilà.

Ah oui.

Et aussi hystérie totale.

hystérie totale autour du mot génocide, c’est-à-dire que non content d’invisibiliser ce qui se passe à Gaza, il y a eu un moment là où toute l’éditocratie s’est mise à complètement bloquer sur le terme génocide.

Les personnalités qui voulaient l’employer se faisaient vraiment systématiquement renvoyer dans les cordes, etc.

Et puis, parallèlement, on va dire que le tout-venant du commentariat s’autorisait à venir donner son avis sur savoir Jean Quatremer, par exemple.

Alors merci Libération, quoi.

Jean Quatremer, qui, à ma connaissance, n’a pas de compétences spécifiques, a classé l’affaire sans suite dans Libération en disant que la qualification de génocide, c’était une accusation de trop.

Alors il a fait ça.

Il a publié ce papier.

Il a été la risée du juriste Yoann Souffy.

qui, sur Twitter, a joué le rôle de fact-checking, en fait, de libération, à plusieurs reprises, d’ailleurs, pour lui dire que son papier était rempli d’inepties et de contre-vérités.

Donc voilà.

Je vais très vite, là, ensuite, parce que je suis à 1h08.

Donc il me reste 10 minutes.

Je vais très vite, c’est pas le plus agréable en plus.

Je sais pas si le truc était agréable avant.

Est-ce que j’ai besoin de commenter ?

Je vous le disais, tout ce dont on vient de parler, ça avait vraiment trait à l’information internationale.

Il y a eu aussi tout le volet, évidemment, commentaires de dépositionnement des uns et des autres.

commentaires des mobilisations en soutien du peuple palestinien.

Donc bon, là, la France insoumise a été dans le viseur depuis le début.

Donc le parti de gauche, là, a été et continue d’être diabolisé partout.

autour de trois mots d’ordre, ambiguïté, relativisme, antisémitisme.

Donc voilà, on a quand même des choses comme ça qui peuvent circuler, être mises en avant par des médias.

Bon, le bandeau de CNews, je vous en parle même pas.

Mais voilà, France 2 aussi s’est distinguée en faisant des petits montages comme ça, qui sont toujours hyper sympathiques dans un sujet de deux minutes de JT.

C’est quand même d’une finesse et d’une déontologie journalistique à toute épreuve, alors qu’ils prétendaient évidemment recueillir les mots qui avaient émaillé les réactions d’autres responsables politiques au positionnement de Jean-Luc Mélenchon.

Mais bon, voilà.

En fait, ils ne sont pas forcément obligés de faire un visuel comme ça.

Voilà.

En haut, c’est le JDD.

Donc là, on est sur du très lourd aussi.

Le fascisme de gauche, Pascal Bruckner, rien de très étonnant.

C’est la diabolisation permanente.

Je vous dis partout, en fait.

Là, c’est le désastre, comment les digues ont lâché, la dérive, la stratégie périlleuse, etc.

On a fait toute une étude sur la campagne du monde pendant les européennes contre la France insoumise, où là, c’était des partis pris systématiques, une désinformation par omission, des obsessions, on va dire stratégiques, propres aux journalistes politiques, avec des relents évidemment fortement islamophobes, puisque L’accusation d’instrumentaliser le vote des quartiers populaires, par exemple, est revenue tout le temps.

Il faut quand même se poser 2 minutes pour savoir ce que recouvre une telle accusation.

Variante, je cite « La gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon croit conquérir les voix musulmanes en faisant de la tragédie Gaza le centre de sa campagne ».

Donc voilà, en fait, si on tire les fils…

Ça, c’est vraiment des phrases qui ont été prononcées, que vous avez forcément entendues, quoi, qui ont été répétées partout, etc.

Et donc moi, à chaque fois, je rêve d’être devant un journaliste et juste de dire, mais ça veut dire quoi, du coup ?

Et de tirer les fils pour qu’on en arrive au cœur profondément islamophobe de ce genre de déclarations où, comme d’habitude, les habitants des quartiers populaires sont vraiment perçues, construites comme une masse vraiment informe, incapable de penser propre, etc., sur lesquelles les journalistes projettent absolument tout et n’importe quoi, et surtout ce qu’ils veulent.

Donc voilà, ce type d’argument est revenu beaucoup.

On a reproché aussi à Mélenchon d’adopter une posture de victime du système, le monde encore.

Là, c’est tout le monde remarque.

On lui a reproché une campagne dans son ombre ou dans l’ombre de Rima Hassan, les outrances de Jean-Luc Mélenchon.

Jean-Luc Mélenchon a radicalisé ses positions.

Jean-Luc Mélenchon exploite la faiblesse des réactions à la tragédie de Gaza.

Le monde va très loin quand même parce que plutôt que de concentrer ses critiques sur justement les réactions des autres, Mélenchon en devient le responsable.

Il faut vraiment être journaliste politique pour sortir des trucs comme ça.

Voilà.

Je passe vite.

On a documenté ça, là, dans ce numéro de la revue, et notamment ce qui a été particulièrement problématique, évidemment, pour des médias qui se présentent comme les défenseurs de la démocratie, etc.

C’est au moment des convocations pour « Apologie du terrorisme », etc., la façon dont on a trouvé quasiment nulle part des positionnements substantiels en défense des libertés publiques.

Donc on avait fait toute une revue de presse à l’époque.

Et en fait, il n’y a rien.

Je veux dire, la plupart du temps, on croisait des appels à davantage de répression dans les médias.

en particulier dans l’audiovisuel, mais pas seulement.

Et en fait, ce qu’on a trouvé à ce moment-là, la partie de l’éditocratie, on va dire, la plus modérée, disait non, mais quand même, il ne faut pas judiciariser les positions, il faut que ce soit débattu sur la place publique.

Et évidemment, on avait souligné à l’époque l’immense hypocrisie de ce genre de déclarations de la part de chefferies médiatiques qui justement ont été les premières à diaboliser, criminaliser, délégitimer en fait les positions qu’elles appelaient précisément à débattre sur la place publique.

Donc c’est évidemment un scandale de bout en bout.

Voilà.

Et je termine en disant quand même un mot des mobilisations en soutien au peuple palestinien.

Nous, on a beaucoup travaillé en particulier sur les mobilisations étudiantes.

Donc dans la presse locale, j’imagine qu’il y a une couverture.

Peut-être, on n’a pas pu regarder, nous, mais une couverture des mobilisations qui peuvent exister.

Peut-être, vous m’en parlerez.

En tout cas, dans la grande presse, presse nationale, etc., il y a déjà une invisibilisation, en fait, assez forte du mouvement de solidarité.

Et alors, on va dire que sur les mouvements étudiants, et nous, on a particulièrement travaillé sur les mobilisations à Sciences Po, il y a eu moult possibilités de discréditer, de défigurer le mouvement social.

Donc, évidemment, le plus évident, c’est le parti pris permanent, qui supplante complètement l’information.

Donc là, voilà, c’est Sciences Po, Islamo, Figaro.

Sciences Po s’incline face à la pression islamo-gauchiste, la fabrique des crétins étudiants.

Enfin, je vous passe.

De toute façon, c’est les mêmes griefs que pour la France insoumise, antisémitisme.

Apologie de la violence, etc., etc.

Franc-tireur, quand même, toujours.

Mais on va dire que c’est vraiment l’étude sur la couverture qu’a fait France Inter des mobilisations à Sciences Po qui permettait pour nous de mettre en valeur que pour discréditer un mouvement étudiant, il n’y avait pas forcément besoin de parti pris.

En fait, les pratiques ordinaires du journalisme le faisaient très bien tout seul, sans que ce soit d’ailleurs volontaire de la part d’un certain nombre de journalistes.

C’est important d’y insister.

On a étudié la couverture des mobilisations à Sciences Po sur France Inter.

Ça, c’est dans le dernier numéro que vous pourrez le retrouver.

Il y a eu deux séquences.

La première, là, que vous voyez, ça, c’était en mars.

Alors là, c’était que la polémique.

Ils ont refusé des étudiants juifs dans un amphi.

Voilà.

Voilà.

France Inter a embrayé direct sur ce truc-là, n’est pas revenue dessus.

Il n’y a pas un étudiant qui a été invité à s’exprimer.

C’est ce que je vous mettais là.

Parce que oui, en fait, quand je disais il n’y a pas besoin de parti pris, déjà c’est intéressant de voir la répartition de la parole et donc en l’occurrence de constater la symétrie complètement la symétrie structurelle des expressions.

Donc là, sur cette première séquence, il y a zéro étudiant qui ont été interrogés.

Pourtant, la ministre de l’Intérieur, Sylvie Retailleau, à l’époque, a eu plus de 5 minutes de temps de parole.

Il y a eu aussi une interview d’une cadre, d’une dirigeante de Sciences Po.

Mais pour les étudiants, rien.

Et sur la 2e séquence, qui a été un peu plus médiatisée, Là, il y a eu 21 étudiants interrogés sur 13 journaux différents.

Mais c’était que dans des enrobés.

C’est-à-dire que ce n’est pas un étudiant qui a interviewé, qui a eu une interview en face-à-face.

Ça va être un reportage.

Et le journaliste va faire un récit.

Et il va intégrer un tout petit bout de son.

Et puis un tout petit bout de son, c’est vraiment des conditions de parole extrêmement précaires.

Ils ont eu un temps de parole cumulé vraiment ridicule, 7 minutes et 41 secondes.

Et juste pour vous donner un ordre d’idée, Aurélien Pradié, LR, qui a été interviewé, lui, dans une seule émission, avait par exemple 6 minutes 30 sur ce sujet.

Donc ça vous donne un peu une idée du différentiel.

Et ce qui est intéressant de voir aussi ici, c’est un biais majeur des médias.

C’est ça.

Là, il n’y a rien.

Ce n’est pas qu’il ne se passe rien à Sciences Po.

C’est juste qu’il ne se passe rien du point de vue des rédactions et rien que France Inter a jugé digne de médiatiser.

Parce que là, il y a eu des mobilisations, ils ont organisé des événements, etc.

Le comité Palestine de Sciences Po.

Mais ça n’a pas été médiatisé.

Et je disais que c’est un biais majeur parce qu’on va dire que la médiatisation, elle est largement décorrélée de l’agenda de la mobilisation elle-même.

Et elle est vraiment indexée sur des agendas tiers.

Donc ça va être des agendas soit du gouvernement.

Ça va être un homme politique qui va dire un truc sur Sciences Po et là, il y a médiatisation, soit autre chose.

Ou soit une intervention de la police, par exemple.

Là, il va y avoir médiatisation.

Mais sinon, c’est relativement décorrélé de ce que font et de ce que disent les étudiants.

Et du coup, il n’y a à peu près rien sur France Inter, sur cette séquence, je vous laisserai lire l’article en détail, mais il n’y a absolument rien sur cette séquence, sur les revendications elles-mêmes.

Et notamment, la question des partenariats, en fait, France Inter a complètement laissé ce truc-là hors champ.

la question des partenariats et de la suspension des partenariats qu’il réclamait.

C’est mentionné à un moment, mais comme il n’y a pas d’information sur pourquoi il parle de ces partenariats, quels sont ces partenariats, qu’est-ce que ça recouvre, pourquoi les étudiants le dénoncent, etc.

En fait, c’est une information qui est complètement vide et dépolitisée.

Donc voilà, je vous avais mis plein d’autres illustrations pour montrer l’invisibilisation des étudiants, c’est-à-dire que le sujet Sciences Po a été beaucoup un sujet, mais beaucoup un sujet commenté sans les étudiants de Sciences Po.

Donc c’est commenté par des politiques, beaucoup, c’est commenté par par des commentateurs tout-terrains, Elisabeth Badinter, etc.

On va parler de contagion aussi, on va pathologiser vraiment la mobilisation en parlant de contagion des universités américaines aux universités françaises.

C’est des choses qui sont vraiment récurrentes et avec cet art du cadrage qui consiste tout le temps, mais ça c’est un biais vraiment structurel du traitement des mobilisations, qui consiste à vraiment systématiquement rater le cœur de cible.

C’est-à-dire que la rédaction va se poser plein de questions, juste pas pourquoi les étudiants sont en train d’occuper un amphithéâtre.

Et donc avant juste d’informer là-dessus, on va se demander pourquoi le mouvement y prend de l’ampleur, pourquoi truc, est-ce que les professeurs soutiennent, qu’est-ce que c’est l’ampleur des mobilisations, Mais en fait, on disserte, on disserte, et on se rend compte qu’au fur et à mesure des reportages, on ne sait toujours pas juste pourquoi ces étudiants sont là, ce qu’ils disent, ce qu’ils font et pourquoi ils le font.

C’est spectaculaire.

Et donc j’en termine là-dessus, sur le dernier biais.

C’est vraiment là quand le procès d’intention, on va dire, tient lieu d’information.

Je veux terminer là-dessus parce que moi, je resterais…

Je pense…

Pourtant, on connaît les médias.

On sait comment ça fonctionne, etc.

Mais là, j’avoue que je resterais littéralement…

tout le temps bouche bée de cette séquence.

C’est quand des étudiants de Sciences Po s’étaient peints les mains en rouge pour dénoncer les massacres et les criminels de guerre.

C’est vraiment un geste et un symbole qui est beaucoup utilisé dans les mouvements anti-guerre, etc.

Et donc il y a Raphaël Enthoven.

Et alors c’est parti de Johan Sfar à la base, qui a dit que ce geste-là, c’était une référence…

Que faisaient les étudiants ?

C’était une référence au lynchage de soldats israéliens par un Palestinien en 2000.

Donc il écrit que c’est une référence directe à ça, alors que les étudiants n’ont pas été interrogés.

Il y a un étudiant, vous verrez, l’émission d’arrêt sur image, qui dit « mais j’étais même pas au courant de ce truc, c’était dans les années 2000, je savais même pas que ça existait », enfin bref.

Mais tous les médias se sont mis à dire que c’était…

Alors, ils disaient pas tous forcément « c’est un geste antisémite », mais en fait, la polémique, c’était l’information principale.

Donc c’est-à-dire qu’en fait c’est ça qui a occupé l’agenda.

Et donc qui se soit dit est-ce que c’est antisémite ou pas, en fait ils ont posé la question, et cette question-là a complètement remplacé en fait l’information sur la mobilisation elle-même.

Et donc voilà, c’était partout, partout, partout, dans tout l’audiovisuel, c’était ça la question qui était posée, avec la plupart des temps, évidemment, une accusation d’antisémitisme, et où on a imputé aux étudiants de vouloir faire référence à un lynchage.

Mais sur toutes les antennes, dans toute la presse, etc.

Jusqu’à beaucoup plus tard, quand le Parisien fait un papier sur l’antisémitisme réel et la haine banalisée qui est réelle, il l’illustre avec la photo des étudiants avec ses mains peintes en rouge.

Ça laisse des traces et ça ne fait pas que du mal à l’instant T.

Ça continue, ça continue, ça continue.

Donc voilà, là, je vous mettais ça.

Et puis voilà, je vais m’arrêter là.

1h20, c’est bon ?

Je voulais terminer parce que je ne sais pas si vous avez vu cette émission de France Info où ils ont disserté sur le tourisme balnéaire à Gaza.

La rivière, oui.

Donc voilà, pour nous, c’était vraiment un moment qui illustre les ravages du journalisme de commentaires, c’est-à-dire on peut…

Tout le monde peut dire n’importe quoi en permanence.

Ils ne se rendent même plus compte de ce qu’ils disent.

On peut disserter de tout.

Tout peut être un sujet.

Tout est dévalué.

Parce que juste avant, les 4 personnes que vous voyez là, elles discutaient des propos de Trump et elles disaient « Mais c’est horrible ce qu’il a dit !

Mais c’est un scandale !

» et tout.

Et en fait…

Deux minutes plus tard, hop, ils se disent.

Et le sujet, maintenant, ça va être est-ce que c’est possible ?

Et pour cela, on va d’ailleurs inviter en plateau, et ce n’est pas une blague, on va d’ailleurs inviter en plateau M.

Truc, qui est directeur général de la Fédération du bâtiment.

Et donc, on va lui demander s’il arrivera à Gaza.

C’est possible.

Voilà.

Et ce qu’on disait, c’est ça, les ravages du journalisme de commentaires.

Et puis aussi, il ne faut pas s’étonner finalement qu’après 15 mois de dépolitisation structurelle de la question palestinienne, après 15 mois de déshumanisation à outrance des Palestiniens, et surtout après 15 mois de nombre incalculable de séquences où tout un chacun pouvait discuter de leur sort sans que des Palestiniens soient à la table.

Deux États, un État.

En fait, il n’y a jamais un Palestinien pour en parler.

On va en parler pour eux.

C’est juste ahurissant.

Après tout ça, il ne faut pas s’étonner qu’on puisse avoir un plateau qui, finalement, discutent tranquillement, y compris rigolent, parce qu’ils rigolent dans cette émission, du fait qu’on puisse envisager de faire des grandes plages dans le prolongement de Tel Aviv, parce que, je cite le présentateur, Gaza a quand même des atouts.

Merci, j’étais un peu longue, mais merci.

Après cette intervention très documentée et pertinente, il y a sûrement des questions.

Donc la parole est libre à ceux qui souhaitent intervenir.

Attends, je vais passer par là-bas.

Attends, bouge pas, bouge pas, bouge pas.

J’ai un petit passage.

Bouge pas, bouge pas.

Bonsoir.

Je voudrais donner un petit exemple de ce qui s’est passé ici, à Limoges, puisque depuis le 7 octobre 2023, absolument toutes les semaines, le collectif palestinien fait une action, en général le samedi.

On a fait des actions qui étaient très visuelles, si je puis dire.

On a planté par exemple 1 000 drapeaux sur la place de la République.

On a fait 8 heures pour la Palestine sur une place de Limoges avec tout un tas d’activités diverses.

Il y en a parmi nous qui étaient là, donc ils pourraient en rajouter.

On a vu une fois la télé.

Et pourquoi on a vu la télé ?

Parce qu’on est allés faire une manif devant la télé.

Donc on était devant leurs portes, ils ont bien été obligés de descendre jusqu’à nous.

Cette présentation à la télé a été un petit peu, je dirais, orientée, parce que parmi les personnes qu’ils ont interviewées, il y avait des jeunes femmes voilées.

façon de dire, ben ma foi, les manifestations pour la Palestine, c’est confessionnel.

Voilà.

Donc la radio est venue peut-être deux fois, sinon, le reste du temps, alors que toutes les semaines, on envoie l’info à tous les médias.

Et c’est quand même extraordinaire que jusqu’à aujourd’hui, on en est là, on n’a aucun, absolument, On n’est pas connu, on ne nous voit pas.

D’autres interventions ?

Questions ?

Ça c’est juste une petite info anecdotique.

Par rapport aux mains rouges, les serbes qui manifestent actuellement ont utilisé aussi ce symbole pour dénoncer la corruption qui a causé des morts chez eux.

Il y a même des gens qui, quand c’est sorti, ont ressorti des images en Israël où les familles qui manifestaient pour les otages avaient fait ce geste pour accuser le gouvernement israélien en disant « vous avez eu du sang ».

C’est spectaculaire.

C’est vraiment une séquence de désinformation de masse.

C’est vraiment itinérant, cette séquence.

Oui, bonsoir.

Je n’ai pas bien compris, dans votre démonstration, quand vous disiez que ce qui était important, ce n’est pas ce qui est dit, mais qui le dit, en fait.

Je n’ai pas bien compris ce que vous vouliez dire exactement par là.

Et deuxièmement, est-ce que vous diriez, comme Daniel Obono, député de la France insoumise, que le Hamas est un mouvement de résistance ?

— Je réponds tout de suite, ouais.

Quand je disais sur qui le dit, en fait, je parlais du fait que les images, les documents, les vidéos tournées par les Palestiniens, en fait, n’étaient pas tellement utilisées ou alors avec beaucoup de parcimonie, en fait, par les rédactions françaises.

Mais que par contre, il y avait…

Quand c’était une journaliste de CNN qui était partie, qui avait pu rentrer à Gaza, qui avait tourné des images, là, il n’y a eu aucun problème, évidemment, aucune appréhension, aucun a priori négatif, etc., pour reprendre ces images.

Et donc, en fait, le problème, en fait, c’est qui parle.

Et donc, quand c’est des Palestiniens, c’est ce que je disais, il y a toujours une méfiance a priori, une suspicion, en fait, qui n’entre pas en ligne de compte, en fait, quand ça va être une journaliste de CNN.

En fait, les rédactions n’ont pas du tout le même comportement a priori.

Et sur votre deuxième question, je vais pas répondre parce que je m’exprime au nom d’Acrimed.

Et donc là, on dépasse très largement le champ de la critique des médias.

Donc j’ai pas à me prononcer là-dessus.

Voilà.

— Bonjour.

— Bonjour.

— Bonsoir.

Merci encore pour votre intervention.

Avant de m’exprimer, je voulais d’abord condamner l’holocauste du 7 octobre.

Voilà.

C’est une petite blague, excusez-moi, parce que comme dans les médias, il faut toujours expliquer qu’il faut condamner les massacres du 7 octobre avant de s’exprimer pour se dédouaner de toute chose.

Ma question, c’était de savoir quelle était la part des médias alternatifs par rapport aux…

la part d’influence des médias alternatifs face aux médias dominants.

Parce que là, on a effectivement parlé beaucoup des médias dominants, mais qui touchent, je pense, une partie de la population.

Et je pense, moi j’en sais rien, et c’est la question, est-ce que les médias alternatifs qu’on peut avoir sur Instagram ou sur d’autres réseaux, quelle part d’influence ils ont ?

Voilà, merci.

— C’est difficile de répondre à cette question parce que…

En fait, c’est comme toutes les questions qui portent sur des problématiques de réception.

En fait, c’est compliqué.

Quels indicateurs on prend, etc.

Alors à la limite, je peux répondre sur quelles influences ils ont sur les autres médias.

Ça pourrait être un indicateur, par exemple.

Et là, c’est assez peu, en tout cas de ce qu’on voit de la production des grands médias, des reportages que peuvent produire plein de médias indépendants.

En fait, il n’y a pas grand-chose qui est repris par les médias dominants.

Vous prenez, par exemple, un média comme Orient 21.

qui est avec comme rédactrice en chef Sarah Grira.

Je ne sais plus s’il est encore rédacteur en chef, mais il l’était auparavant.

C’est Alain Grèche qui était ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique.

En fait, c’est quand même des personnalités qui sont connues dans les grands médias.

Mais je veux dire, je ne sais même pas si Alain Grèche a été invité à la télévision pour parler d’Orient 21, pour parler du suivi du travail d’Orient 21, etc.

Je crois pas que je l’ai vu une fois à la télévision.

Il fait des choses…

En fait, c’est comme beaucoup de médias indépendants.

En fait, il a fait beaucoup de choses à partir de la sortie de son livre.

Il y a beaucoup de réunions publiques localement.

Et d’ailleurs, Jean Stern me disait la même chose quand je l’avais au téléphone.

Beaucoup de réunions publiques où il y a beaucoup de gens à chaque fois parce qu’il y a eu une demande très forte parce que Il y a une telle pression sur cette question, une telle chape de plomb qu’il y a tout le temps beaucoup de gens qui viennent assister à ce type de conférences.

Mais après, dans les grands médias, ça ne circule pas.

Il y a beaucoup d’analyses d’Orient 21 qui ne sont pas du tout citées.

Et c’est pour prendre qu’un exemple d’Orient 21.

Excusez-moi, la question était plutôt axée sur les réseaux en fait, type Instagram.

qui sont plus dirigés vers les plus jeunes, on va dire, parce que j’ai l’impression que les plus jeunes sont vraiment sensibilisés et ils ne regardent pas la télé.

Les plus jeunes ne regardent pas la télé, ils regardent les médias, mais ils ne regardent pas la télé.

C’est plus compliqué, parce qu’ils regardent les réseaux, mais en fait, il y a de la télé sur les réseaux sociaux.

Tous les extraits qui passent, c’est de la télé, c’est la télé, c’est les grandes télés.

les extraits qu’ils voient de Zemmour, les extraits qu’ils voient de CNews, de LCI, de BFM, de France Info.

En fait, quand même, ça reste des médias dominants.

Alors il y a un filtre qui passe par la sélection d’extraits.

Ils regardent pas comme, effectivement, d’autres personnes peuvent regarder le 20h de manière continue de A à Z, quoi.

Mais en fait, il n’y a pas de…

C’est pas étanche, quoi.

Réseaux sociaux et grands médias, en fait, il y a des phénomènes d’interpénétration tout le temps, en fait, et d’aller-retour un peu tout le temps.

Et c’est sûr qu’il y a une partie des réseaux qui ont permis qu’il y ait d’autres sons de cloche, en fait, qui se diffusent et qui se diffusent plus massivement.

C’est indéniable, quoi.

Je veux dire les reportages de Blast sur la Palestine.

Je veux dire, c’est les vidéos…

Nous, la première vidéo qu’on a faite, puisqu’on fait des vidéos en partenariat avec Blast, la première vidéo qu’on a faite, c’est sur la Palestine.

c’est un million de vues sur YouTube.

Enfin, je veux dire, du point de vue d’Akrimet, c’est complètement sidérant.

Un article qui marchait bien sur le site d’Akrimet, c’est 100 000 vues.

Donc, évidemment que ces plateformes-là ont permis, à un moment, qu’il y ait, on va dire, des discours qui viennent non pas contester l’hégémonie du discours dominant, mais qui viennent faire craqueler un peu le récit.

Ça, c’est sûr.

C’est pareil.

C’est par là aussi que se fait le rapport de force.

Mais bon, c’est aussi là, sur les réseaux, qu’on a vu beaucoup d’images tournées par les Palestiniens eux-mêmes, en fait.

C’est là qu’on les a vues, les images.

Parce que sinon, on ne les voyait pas à la télévision.

Donc évidemment que c’est un lieu où s’est joué beaucoup de choses sur le terrain de, justement, contester l’hégémonie.

Après, sur vraiment l’influence que ça a, je ne peux pas répondre.

Je n’ai pas de données objectives pour répondre à ça.

Donc c’est pas satisfaisant.

Je parlais dedans, je crois, mais c’est après, j’ai peur de ça.

Dans la carte des médias français qui est là, ou dans ce qu’avait fait Mediapart autour de Mediacrash.

Tu vois, ça fait un bruit bizarre quand je m’en cache trop.

Et il y avait tout ce truc-là où ils avaient montré notamment que la concentration médiatique était particulièrement forte en France, alors ailleurs aussi, mais encore plus forte en France.

Voilà.

Est-ce que toi…

Alors je sais bien que l’Acrimen, c’est plus, il me semble, un média français.

Mais est-ce que, de ton point de.

Vue.

En France, au passé colonial.

Cette.

Propagande-Là était encore plus forte qu’ailleurs, peut-être avec peut-être moins de voix dissonantes encore, c’est ce que je voulais savoir.

Et du coup, le corollaire c’est, est-ce qu’il n’y a pas aussi là, pendant une longue période, Quand les médias merdaient, tu pouvais dire qu’il y avait au moins une autre forme d’information qui était notamment l’information militante, la presse militante.

Et aujourd’hui, on le voit bien, et ça date probablement d’ailleurs d’avant le 7 octobre, il y a eu une désinfection, une défection même plutôt, d’une partie du camp progressiste qui avait actuellement été clairement présente sur cette lutte-là, peut-être pas assez, mais qui était là, et qu’on ne voit plus ou qu’on voit beaucoup moins.

Et est-ce que ça peut pas être expliqué en plus de ce renfort-là, le fait que…

plus d’intellectuels vus à une époque, comme dans ce camp-là, ont tourné complètement kazakh, tout ce truc-là aussi.

Enfin voilà.

Il y a le 7 octobre, il y a ce qui s’est passé avant, et il y a ce lâchage complet de la question palestinienne par une partie du camp progressiste, quoi.

— Bah oui, oui, clairement.

Là, moi, pareil, du point de vue des médias, je peux pas trop déborder, parce que là, ça déborderait la question.

Mais c’est évident.

Et de fait, ça joue sur la perception que peuvent avoir les chefferies médiatiques de l’état du débat, en fait.

C’est qu’effectivement, là, il y a eu un truc très minoritaire, quoi.

Enfin on voit bien…

Quand je disais « dans une lâche partie de la gauche », je veux dire la FI…

Enfin, ça a été quand même très compliqué, là.

Ils étaient quand même cloués au pilori aussi par de nombreuses personnes à gauche, quoi.

Donc voilà.

Et puis les intellectuels, je ne sais pas vraiment à qui forcément tu penses, mais…

Enfin, je ne sais pas, quoi.

On n’a pas…

En fait, je ne sais pas si c’est qu’ils n’existent pas…

Le milieu syndical aussi.

Mais ce n’est pas beaucoup exprimé.

En tout cas, médiatiquement, je ne sais pas si…

le fait d’analyser pourquoi on est au-delà de la critique des médias, mais en tout cas forcer de constater qu’il y a aussi des choses qui ne sont pas passées dans les médias.

Et il y a aussi du point de vue de certains universitaires et intellectuels un grand truc d’autocensure qui a joué.

Parce que Stéphanie Latabdallah, elle témoigne encore aujourd’hui, suite à l’affaire Rima Hassan, Sud Radio, dans Arrêt sur image.

Ils sont atterrés, mais c’est qu’au bout d’un moment, ils ne veulent même plus y aller.

Parce que c’est la porte ouverte à se faire complètement défoncer.

Encore aujourd’hui, c’est hyper difficile de s’exprimer sur la question palestinienne.

Donc il y a beaucoup aussi d’auto-censure, quoi, et des gens qui veulent plus y aller, qui veulent plus en parler.

Pour les universitaires, en fait, je pense qu’il y en a beaucoup aussi.

C’est ça qui se joue, quoi.

Parce qu’aussi, après…

Je crois que c’était en décembre 2023 où on en avait parlé dans un des articles…

d’Acrimed, où il y avait une lettre ouverte qui a été publiée sur Mediapart, justement, d’universitaires qui dénonçaient vraiment le climat, y compris au sein de l’université.

Complètement McCarty, je veux dire, moi je discutais récemment avec un universitaire très, voilà, mec, il est installé, quoi, il a une position dans l’université tout à fait confortable, et il raconte des trucs sur ce qui n’est pas possible de faire, les moindres détails ont fait chier pour tout et n’importe quoi.

Enfin c’est compliqué quoi, ça reste compliqué, on aurait pu se dire au bout de 6 mois ça va peut-être se détendre mais c’est ce qu’on se disait tout à l’heure un peu en off, en fait ça ne s’est pas détendu au bout de 6 mois quoi, c’est toujours…

Donc voilà, ça joue aussi sur le fait qu’il n’y a pas beaucoup de voix discordantes quoi, avec plein d’autres facteurs où moi je ne peux pas tellement me prononcer mais voilà.

Et ta première question ?

Oui c’était sur les comparaisons à l’international.

Alors on n’a pas fait d’études parce que déjà, s’occuper du paysage français, c’est lourd.

Je sais qu’il y a des études qui ont pointé des biais.

Il y a eu des études sur les médias anglophones qui ont pointé le même type de biais, des humanisations.

double standard, invisibilisation.

Il y a des références dans le média critique aussi, tant sur la presse US que sur la presse aussi anglaise et tout.

En Allemagne, j’ai l’impression qu’il faudrait discuter avec le journaliste Olivier Siran, qui connaît bien le paysage, mais je crois qu’en Allemagne, c’est pire que tout, en fait.

En Espagne, mais là, c’est qu’un peu des trucs aux doigts mouillés parce qu’on n’a pas fait d’études, ça a l’air un peu plus…

Un peu moins chape de plomb, quoi.

Y compris, j’ai une copine qui était, qui me disait en écoutant les infos, c’est incroyable, c’est pas du tout le même son de cloche qu’en France, etc.

Elle me disait ça fait du bien d’ailleurs d’écouter les journaux espagnols.

On n’a pas l’impression d’être des fous ou des personnes cléopilories et tout.

Donc voilà.

Mais il y a des études qui vont sortir, je pense, petit à petit, sur le traitement médiatique.

Mais pour l’instant, ces études, elles existent beaucoup sur les médias anglophones.

Il y a eu beaucoup de choses qui ont été faites.

Mais ça, pareil, je pourrais vous retrouver les différentes sources.

Je pense au moins à 5 gros papiers qui ont été publiés.

Voilà, je ne sais pas si tu liais ça à la question de la concentration, du coup.

Ça, je ne pourrais pas trop répondre, quoi.

Il faudrait vraiment étudier l’état de la propriété capitalistique aussi ailleurs et tout, comment ça se structure, c’est trop compliqué, quoi.

On n’a pas fait cette étude.

Alors avant de prendre deux autres questions, Il y a des livres sur la question qui ont été abordés ce soir, mais il y a aussi Média Critique, dont tu viens de parler, d’acrimèdes.

Ils sont à vendre ici sur la table, mais il y en a aussi ici avant de sortir.

Une autre question.

Oui, sous forme de gague presque.

Est-ce qu’il existerait un acrimède arabe ?

qui permettrait d’avoir en négatif ou en positif, c’est-à-dire qu’on en regarde, la lecture qui pourrait être faite de ce point de vue-là du conflit avec ses dérives.

Un acrymède, je n’ai pas entendu partout.

Arabes.

Ah, je ne connais pas.

Et Israël.

Et non, je ne connais pas de…

Donc on n’a pas de retour sur la façon dont la presse arabe traite le conflit.

— Il y a quand même des papiers sur Al Jazeera.

Moi, j’en ai pas du tout parlé.

Mais par exemple, Al Jazeera, c’est pareil.

Et c’est une source qui est complètement décriée, en fait, par les grands médias.

En France, je sais pas si vous avez déjà entendu parler d’Al Jazeera, par exemple, en regardant un média français.

C’est pas si souvent que ça, quoi, qu’ils en parlent.

Et pourtant, ils reprennent de leurs images.

notamment les JT, ils reprennent des images, mais sans dire qu’ils reprennent Al Jazeera.

Donc il y a des papiers qui ont été faits, mais bon, c’est très grand-angle, quoi.

C’est pas tellement…

J’ai pas lu, moi, de trucs…

J’ai pas de trucs à vous citer.

— Bonsoir.

— Pardon.

Et sur les médias israéliens, il y a Sylvain Sipel qui a écrit dans « Orient 21 » sur je sais plus quand exactement.

Mais si vous cherchez, il y a des papiers de Sylvain Sipel pour parler de…

Voilà.

Hormis Aaretz, où il y a des trucs très bien qui se font, il parle des médias israéliens.

Et franchement, ça fait…

Ça fait vraiment peur, quoi.

Notamment à la télé.

Je me rappelle plus dans quel papier il l’évoque, mais le traitement médiatique est un peu documenté par Sylvain Cipel, qui est journaliste pour Orion 21, aussi.

Je crois qu’il est membre du comité de rédaction.

— Bonsoir.

Qu’est-ce que justifie, à votre avis, cet efferlement médiatique ?

— Médiatique.

D’efferlement, en fait.

— Qu’est-ce qui explique ?

— Oui.

Ou qu’est-ce qui justifie, ou qu’est-ce qui motive ?

Qu’est-ce qui explique ?

J’en ai un peu parlé au début.

Il y a plein de facteurs.

Il ne faut pas voir le tout comme un truc complètement intentionnel.

Il y a un peu de tout.

Il y a du suivisme, il y a de la méconnaissance.

Il y a de l’inculture, il y a aussi de la malveillance, il faut le dire, il y a des trucs intentionnels, clairement, etc.

Ça c’est notamment du point de vue des faiseurs d’opinion, des gens qui sont un peu sous les radars, qui passent beaucoup à la télé et tout.

Mais voilà, c’est un mix de plein de choses en fait.

Quand je vous évoquais, quand j’essayais de parler un peu des conditions de production de l’information, en fait il ne faut pas du tout sous-estimer ce truc-là.

En fait, c’est quand même le désert.

L’absence de journalistes permanents, le fait d’envoyer des gens qui ne connaissent rien, qui ne connaissent pas la région, qui ne connaissent pas les acteurs, qui ne savent rien.

Jean Stern nous disait qu’il y a des envoyés spéciaux.

Ils sont envoyés en Israël, comme ils sont envoyés à Epinay-sur-Orge pour couvrir un fait divers.

Donc comment, dans ces conditions, on peut produire une information correcte ?

Comment, dans ces conditions-là, on ne va pas juste réécrire bêtement ce qui est écrit partout ailleurs ?

Donc il y a aussi tout ce truc que Bourdieu appelait vraiment la circulation circulaire de l’information, le mimétisme, etc.

par manque d’investissement, par…

Voilà.

Après, manque d’investissement qui est un choix éditorial.

Ils font le choix de ne pas vouloir…

Alors par contre, il y en a qui diront par contrainte économique, mais en fait, ils mettent des soyeurs aussi.

Donc ils pourraient se dire, en fait, là, on met le paquet et on va laisser pendant 4 ans, on va reconstituer un bureau dans la région, etc.

Et en fait, ils le font pas, parce qu’il n’y a pas non plus de volonté de documenter la région.

Donc voilà, le cadrage global, c’est ce qu’on disait au début, ils ont aussi adhéré, consciemment ou non.

au récit dominant.

Donc voilà, c’est un mix de plein de choses.

Une anecdote que je voulais raconter.

Quand je faisais l’article sur la Cisjordanie, pour montrer que ça avait été complètement sous-documenté sur toute l’année 2024, à un moment je regardais une émission de BFM et c’était hyper révélateur.

Il y avait une émission de BFM sur les bombardements à Génine, Et en fait, le présentateur dit, bonjour Trucmuche, en parlant de sa correspondante, on vous retrouve du coup sur place, vous êtes à Tel Aviv.

Et donc en fait, Tel Aviv, c’est juste pas en Cisjordanie, c’est à 100…

Non mais je veux dire, c’est hyper révélateur, c’est à 100 km de Génine, donc c’est pas sur place.

Mais la correspondante, en l’occurrence, elle est à Tel Aviv.

Et probablement qu’elle n’aura jamais foutu un pied en Cisjordanie.

et certainement pas à Génine à partir de la mi-janvier, quoi.

Donc voilà.

Et de fait, son reportage ensuite, c’est complètement sans chair, quoi.

C’est complètement désincarné.

Et de fait, elle répète…

Elle lit presque le communiqué de l’armée israélienne parce qu’en l’occurrence, c’est la source la plus accessible sur place.

Voilà.

La journaliste, elle n’a pas l’intention de…

C’est pas intentionnel, c’est juste…

C’est comme ça, c’est des réflexes, des routines professionnelles qui ne sont pas du tout interrogées.

Il ne faut pas systématiquement y voir un truc intentionnel, c’est vraiment des trucs…

Ça se fait comme ça.

Il.

Faut demander le micro parce qu’on enregistre.

Et alors qu’en Cisjordanie, ils ont accès, contrairement à Gaza.

En Cisjordanie, ils ont accès.

Mais pour autant, ils n’y vont pas beaucoup.

Jean Stern, il nous disait que quand il a été à Naples pour son reportage qu’il a publié en janvier 2025, là, il y a un mois et demi, il nous disait qu’il a été à Naples et que c’était la première fois que ses interlocuteurs voyaient un journaliste international depuis, je crois, un an.

Est-ce qu’il y a des questions ?

On peut prendre encore 2-3 questions.

En attendant, je fais un peu un constat à travers ce que tu as présenté.

Est-ce que tu vas me le confirmer ?

Mais je pense qu’une des questions centrales, et qui n’apparaît pas du tout, donc qui va dans le sens de ce que tu as dit, c’est que la question de la colonisation, qui est quand même la question fondamentale avec les méthodes qui sont liées à la colonisation, d’humiliation, de prise des terres, de tout ce qu’on peut imaginer.

Je ne vais pas tout dire parce que c’est assez énorme.

Cette question, qui est à mon avis une question de fond à débattre, même dans ces médias dominants, parce qu’on pourrait se dire peut-être qu’ils la poseraient pour dire que ça n’en est pas une.

Mais on n’entend pas.

Là, c’est un peu aussi ce que dit, je crois, Alain Gretsch de l’Orient 21, je crois.

— Ouais, mais en fait, non, c’est pas…

Ils vont parler des colons en Cisjordanie, etc.

Mais en fait, la question colonielle, fondamentalement, elle n’est pas pensée.

Et du coup, la question de la décolonisation non plus, elle peut pas se poser.

En fait, il n’y a pas de débat de fond là-dessus dans les grands médias.

En fait, il n’est pas possible.

On discutait, là, dans le dernier Média Critique.

On a fait un long entretien.

Il est vraiment long, avec une militante de BDS, une chercheuse qui s’appelle Oudah Hassan.

La militante de BDS, c’est Mounir Rahamoun.

une chercheuse qui s’appelle Ouda Hassal et Hicham dont je vous parlais, je crois tout à l’heure, qui était étudiant à Sciences Po, qui était membre du comité palestinien.

Ouda Hassal, elle nous disait en fait que c’est pas possible de penser la question des coloniales.

On ne peut pas débattre de ça, ça fait partie des trucs…

Je sais pas en fait, j’ai pas tellement d’exemples de discussions comme ça dans les médias.

Et donc forcément, quand ça c’est un angle mort, on squeeze effectivement le cœur de la question palestinienne.

Donc on passe complètement à côté de tout.

Des fois, vous allez assister à des discussions, par exemple, où des éditorialistes hyper inspirés vont vous dire « Deux États, tatati, tatata ».

Ce n’est jamais posé, en fait, concrètement, la question de ça veut dire quoi, deux États dans les conditions dans lesquelles est la Cisjordanie, par exemple.

Mais même pour vous dire à quel point ce n’est pas pensé, c’est que pour beaucoup de journalistes, en fait, Gaza, ce n’était pas un territoire occupé, par exemple.

Je veux dire, on a assisté à des…

Je me rappelle très bien d’un duplex Il y avait Ziad Mehdoub, qui était un professeur de français, qui était à Gaza, qui était sous les bombes, littéralement sous les bombes.

Il fait le duplex sous les bombes.

Et en fait, il se fait couper la parole.

Il se fait jeter du direct par le présentateur de BFM qui était, pour ne pas le nommer, Maxime Switek, et qui lui dit « Non mais, vous parlez d’occupation, mais en fait, les Israéliens sont partis de Gaza en 2005 ».

Et en fait, il le coupe, il le jarre de l’antenne sur la base d’une erreur, quoi.

Puisque pour lui, en fait, Gaza n’est pas un territoire occupé alors que c’est considéré par le droit international comme un territoire occupé, en fait.

Toujours.

Mais ça, c’est jamais rappelé, en fait, dans les grands médias.

— D’autres questions ?

— Oui, sur Blocus, et parce que Blocus, maire aérien, etc., forcément, c’est considéré comme un territoire occupé.

Tout ce que tu as raconté sur un peu comment les médias finalement travaillent ou ne travaillent pas sur cette question-là aujourd’hui, ainsi que les réactions des intellectuels, moi ça m’a fait penser un peu à quand il y a, on va dire, des émeutes, pour faire vite, en banlieue chez nous, ou à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes, où finalement c’était des fascistes, eux aussi.

Ce traitement médiatique-là, j’ai l’impression que c’est un peu les mêmes mécanismes à chaque fois.

Les intellectuels qui s’engouffrent pour clouer au pilori les gens qui s’insurgent, finalement je trouve que c’est un peu la même chose.

Et c’est comme s’il y avait finalement un refus de se creuser la tête sur réfléchir, c’est quoi la situation, qu’est-ce que ça veut dire, qu’est-ce que veulent dire les gens, etc.

—.

C’est ça.

C’est qu’au début, c’était cloué au pilori.

En fait, rappeler le contexte, c’était pas…

Selon la formule traditionnelle, c’était pas l’excuser.

En fait, c’est juste réfléchir, quoi.

Pourquoi pas ?

Ça peut pas faire de mal.

Mais effectivement, je veux dire, on a aussi beaucoup documenté au moment des révoltes dans les quartiers, au moment de la mort de Nahel.

Là, ça a été quand même un emballement tout de suite, des appels à la répression permanente, etc.

C’est ce qu’on appelle, nous, le journalisme de préfecture.

C’est un truc, vraiment, une fonction symbolique.

de maintien de l’ordre qu’ont les médias, qu’on documente depuis…

Voilà, ça aussi en fait partie.

Mais disons qu’il y a des cadrages qui sont imposés sur le journalisme de préfecture.

Ça, c’est un truc qui travaille la sphère journalistique depuis 40 ans.

Dans le bouquin « Les médias contre la gauche », on fait tout un développement là-dessus.

C’est à Nicole Ovalde, la sociologue qui a beaucoup travaillé aussi sur cette question, elle justement qui parle de comment le cadrage se réoriente d’un cadrage social à un cadrage complètement sécuritaire.

où c’est plus possible d’interroger par exemple le malaise social des banlieues de ce qu’ils appellent et en fait ça va être complètement supplanté par un truc sécuritaire quoi.

Une approche sécuritaire, une approche répressive etc.

et qu’il n’y a plus que ce cadrage là qui est acceptable dans les médias et que pour faire valoir des éléments de contexte, des interrogations sociales, y compris des choses qui voudraient un peu tempérer les ardeurs punitivistes, permanentes, etc., répressives.

C’est extrêmement compliqué de s’exprimer.

Je veux dire, là encore une fois, la France Insoumise, Mélenchon qui refusait d’appeler au calme à ce moment-là.

Je veux dire, on l’a entendu sur toutes les antennes, il a été cloué au pilori pour ne pas vouloir appeler au calme au moment de Nell.

Voilà, c’était pas…

c’était le truc non acceptable, quoi.

Donc voilà, c’est toujours le périmètre acceptable, en fait, ce qui peut être dit, ce qui ne peut pas être dit, dans quels termes ça peut être dit, dans quels termes ça ne peut pas être dit, voilà, quels interlocuteurs sont légitimes, quels autres non…

Donc oui, oui, c’est toujours les mêmes mécanismes qui entrent en jeu, quoi.

D’où…

envisager la question des médias comme une question structurelle et faire des propositions pour que ça change.

Parce que ça ne viendra pas de petits aménagements sur un coin de table en parlant de la déontologie journalistique.

C’est beaucoup plus profond que ça.

Donc voilà, il y a du pain sur la planche.

Excusez-moi, dans le cadre de ce traitement médiatique ou plus généralement, est-ce qu’on peut classer les journalistes en trois catégories ?

Les ambitieux, les peureux et les sionistes ?

Je ne sais pas.

Je vous laisse à la catégorisation.

Bon, est-ce que…

— Ouais, ça serait intéressant, par exemple, de voir ce qui s’est passé.

En fait, il y a eu des communiqués d’étudiants en journalisme qui sont parus, y compris assez tôt, pour dénoncer qu’on avait relayé sur le site d’Acrimen, qui sont parus, qu’on avait relayés, donc qui dénonçaient le deux-poids-deux-mesures, qui ont dénoncé l’invisibilisation de Gaza, qui ont dénoncé le traitement par les grandes rédactions.

Donc ça, c’est quand même…

Quand on a vu ça, ça fait partie des trucs qui donnent des motifs d’espoir, parce que capable d’un exercice un peu plus réflexif aussi sur un sujet qui ne s’y prête pas du tout, vu le contexte, et puis dans des établissements où là aussi, quand on parle de verrouillage, on se place pas mal.

Donc voilà, ça c’est des signaux plutôt positifs quoi.

Et c’était dans des grandes écoles, je me rappelle plus si c’était au…

au CFJ, ou je ne me rappelle plus lequel c’était, d’école de journalisme, mais c’était vraiment une grande école.

Et aussi, un truc que je tiens à signaler, c’est que très vite, il y a l’Ajar, je ne sais pas si vous connaissez, mais c’est l’association des journalistes antiracistes et racisés, qui a fait aussi beaucoup de communiqués, qui travaille vraiment sur la question.

Donc c’est des journalistes de plein de médias, web, presse écrite, télé et tout.

qui se sont constituées en collectif il y a à peine deux ans et qui, voilà, ont fait paraître plein de trucs.

Là aussi, ça pèse aussi…

Alors c’est minoritaire.

C’est petit, mais ça pèse aussi dans les rapports de force à l’intérieur des rédactions.

Ces gens existent, quoi.

Ces gens existent.

Et ils ont fait savoir que…

Pas en notre nom, aussi, quoi.

Voilà.

Mais ça serait intéressant de savoir plus en détail ce qui va se raconter dans les écoles de journalisme, les leçons qu’ils pourront tirer de cette séquence hallucinante.

On va prendre une dernière question.

Merci pour votre exposé.

Est-ce qu’on peut dire que cette séquence de la prise en compte journalistique, informationnelle de l’événement à partir du 7 octobre autour de la question palestinienne est révélatrice un virage peut-être dans la liberté d’expression, les capacités d’indépendance des journalistes et des médias, du système médiatique.

Est-ce qu’aujourd’hui, on serait pas dans une période, disons, de recul grave.

Autre question, est-ce que la question palestinienne, la question de la libération de ce peuple était, par le passé, aussi étaient vraiment mieux perçus, mieux perçus, mieux considérés, je parle médiatiquement et dans l’opinion, mieux traités autrefois, avant, et mieux connus qu’aujourd’hui.

Vous me demandez si c’était mieux avant ?

Oui.

La question du colonialisme, de l’apartheid, etc.

Même, on parle de génocide aujourd’hui, ce qu’on n’osait pas dire avant, ou ce qui n’apparaissait pas comme tel, ce qui n’était pas conçu comme tel, alors qu’aujourd’hui, même si ça fait scandale, c’est dit.

— Alors, sur ce que ça cristallise, oui, je pense…

Nous, dès décembre 2023, je m’en rappelle, à Acrimed, on avait fait le truc sur…

On avait fait tout un papier sur l’ambiance maccartiste, en disant que la séquence, elle avait déjà profondément reconfiguré, en fait, le champ politique français et qu’elle allait laisser des traces indélébiles, quoi.

Et donc je pense qu’on pourrait sans mal persister et signer sur ce plan.

Je pense que là, on a passé beaucoup de cap.

En réalité, je pense qu’on ne mesure pas encore tous les séismes.

Franchement, ça va laisser des tracés d’arbre, je pense, sur plein de plans différents.

Et puis sur le plan de la liberté d’expression, oui, vu tout ce que je viens de…

Vu tout ce que je viens d’évoquer, oui, oui, c’est sûr qu’il y a une chape de plomb qui continue encore aujourd’hui, quoi.

Donc là-dessus, oui.

Et est-ce que c’était mieux avant ?

J’ai essayé.

Je suis passée vite.

Mais en fait…

Bon, alors…

Le récit a pas été tout le temps caricatural.

Mais en fait, la question coloniale, elle a jamais pu vraiment être pensée de manière fine, en fait.

C’était moins caricatural que post-7 octobre dans les médias, parce que ça a été le cataclysme, etc.

Mais en fait, c’était pas…

Voilà.

Il y a aussi…

Je pense qu’Alain Grèche, il en parlerait beaucoup mieux.

Mais il insiste beaucoup aussi sur qu’y compris le positionnement du gouvernement français, il n’a pas tout le temps été exactement celui-ci, quoi.

Il y a eu des évolutions au fil du temps.

Et que voilà.

Aujourd’hui, on est dans une situation où qui est celle que je décrivais tout à l’heure.

Donc quelque part, c’est encore pire.

Depuis qu’il y a des articles sur le site d’Acrimed à propos de la question palestinienne, on parle de d’une information complètement mutilée, quoi.

Et les cadrages, au départ, c’était vraiment l’article un peu fondateur du cadrage, c’était le syndrome Tom & Jerry, et donc c’était ça, quoi.

Une présentation médiatique des faits où on est dans un conflit, ou Tom & Jerry.

Donc il y a deux ennemis qui se courent après, en fait, depuis la nuit des temps, et on sait pas vraiment pourquoi.

Et puis ils se tapent dessus, mais on sait pas vraiment pourquoi.

C’était ça qui était aussi au cœur du truc.

C’était dépolitiser.

Les articles qu’on a faits en 2014, c’était ça.

On a retrouvé quand même aussi les mêmes biais.

Je ne sais plus quand on avait fait le traitement de la marge du retour.

On avait fait des papiers.

Mais il faut réécouter ce qui se disait à l’époque.

la marche du retour, quoi, où littéralement des gens se sont fait sniper de l’autre côté d’un grillage, quoi.

Et donc sur France Inter, on disait…

Sur France Inter, à l’époque, je me rappelle, le truc, c’était…

En fait, ils ont évité le bain de sang.

En fait, c’était ça qui était raconté.

Nous, on avait titré à l’époque « contorsion cynique dans les médias dominants » parce qu’en fait, c’était employer toutes les tournures imaginables pour ne pas parler de ce qui était déjà un massacre aussi en 2018.

Ensuite, je me rappelle Chirina Bouaklé, le traitement de France 2 de ça, mais vous retrouvez aussi les articles sur le site d’Acrimen.

Il faut voir comment France 2 et le 20h de France 2 a traité ça.

C’est mais indigent.

Indigent.

France 2, je me rappelle plus quelle séquence où on avait étudié un nombre incalculable de reportages.

Il n’y avait pas le mot « colonisation » une seule fois qui était présent dans ces reportages.

Donc voilà, ça ne date pas de la même manière que ce traitement-là ne sort pas de nulle part.

la médiocrité de l’information internationale, elle hérite de la médiocrité de l’information internationale avant le 7 octobre.

Et c’est ce que je disais.

Ils ont abdiqué sur l’information.

Quand je disais « désertion intellectuelle », « désertion professionnelle », etc., il faut vraiment entendre ces mots pour ce qu’ils sont.

On ne pense plus cette région.

On n’y envoie plus de journalistes.

En fait, on s’en fout.

On s’en fout.

Jean Stern, il disait, quand il y a un reporter de terrain ou un correspondant qui va voir les rédactions en chef et qui dit « Regardez, c’est horrible ce qu’il se passe à Napou, c’est horrible ce qu’il se passe à Jenin », en fait, la réponse qu’ils ont, ces correspondants, c’est « Ouais, mais on sait, en fait, on sait ce qu’il se passe ».

Et il disait, en fait, qu’ils ne savent pas ce qu’il se passe parce qu’ils n’y ont jamais foutu les pieds et qu’ils ne savent pas ce qu’il se passe, simplement.

Et il nous disait, ils ont…

établit que l’histoire s’était un peu arrêtée.

En gros, c’est la normalité, quoi.

Des palestiniens se font tuer, c’est la normalité.

Ça ne vaut pas une information, quoi.

Donc voilà.

Je pense pas que c’était mieux avant.

Je pense qu’avant, il y avait tous les ferments aussi de ce qu’il explique maintenant.

Mais bon, c’était peut-être moins pire et puis il n’y avait pas quand même les expressions éhontées qu’on a vu et qui reste tout le temps sans conséquence.

Je veux dire Céline Pina qui peut dire que les enfants de…

Je pourrais même plus retrouver toutes les citations, il faudrait retrouver mais des choses horribles qui sont dites et qui restent tout le temps sans conséquence.

Caroline Forest qui dit qu’on peut diviser au bout de 4 mois, qui dit qu’il faut diviser les morts par 5 ou par 10.

Enthoven qui dit qu’on ne peut pas mettre sur le même plan.

parce qu’ils sont tués par des bombardements.

Enfin, toutes les saloperies, excusez-moi du terme, mais qu’on a entendues, réentendues, réentendues, réentendues, sans que ce soit épinglé, sans qu’on demande à ces commentateurs de compte, sans qu’ils aient à se justifier jamais de ces propos, jamais.

Caroline Fourest, en fait, elle fait sa carrière là-dessus.

C’est comme Zemmour, je veux dire.

Le racisme n’a jamais été un frein, mais plutôt un levier de promotion, quand même.

Je veux dire, Zemmour, il ne s’est pas réveillé raciste au moment où il s’est introduit dans le champ politique.

C’est Hugo Paletta qui documentait encore ça très bien, qui disait ces bouquins qui transpiraient le sexisme, le racisme, qui l’explicitaient, etc.

Ils étaient déjà sur la table, tout était là avant qu’il soit le chroniqueur employé le plus longtemps, par exemple, à l’antenne de France 2 chez Ruquier.

Et donc le racisme, le sexisme, ça n’a jamais constitué un frein.

C’est un levier de promotion, y compris dans les médias.

D’ailleurs, il y a quand même quelque chose sur la question de l’antisémitisme.

au niveau de son instrumentalisation, qui n’est jamais débattue.

Parce qu’il y a une hypersensibilité sur la question du racisme, c’est pas ça le problème.

Tant mieux !

Le problème, il est quand, évidemment, c’est des procès d’intention, on va repérer dans la moindre petite phrase où ça n’a aucune réalité matérielle, etc.

Et qu’en parallèle, le racisme n’est absolument pas condamné, et qu’il y a des expressions racistes absolument tous les jours dans les médias, et que ça, ça ne pose absolument aucun problème.

et que ça n’est jamais un sujet médiatique.

Jamais.

Donc là, ça fait beaucoup de mal.

En fait, tout le monde le voit.

Et donc ils ne se rendent pas compte, y compris à quel point ça fait du mal à la lutte contre l’antisémitisme.

C’est quand même fou de ne pas voir ça.

C’est très dur, en fait, je pense, après de continuer à militer.

Ça marche ?

Bon, je remercie beaucoup Pauline.

C’est très touchant quand même, extrêmement touchant.

Et nous, ça nous aide bien quand même pour notre militantisme pour la Palestine.

Je trouve que c’est vraiment une aide très précieuse.

Et je vous incite vraiment à vous abonner à Mediacritic qui nous permet d’avoir un travail tel que celui qu’on a entendu ce soir.

Voilà.

—.

Deuxième annonce.

Encore merci beaucoup, Pauline, pour cette démonstration de très très haut vol.

Donc le 22 mars, samedi prochain, il va y avoir une grande mobilisation contre le racisme et le fascisme.

Donc rendez-vous à 14h30 devant la préfecture, donc samedi 22 mars.

Et évidemment, Limousin Palestine s’inscrit amplement dans cette manifestation.

Quand on voit effectivement le traitement différencié qu’il y a entre ne serait-ce que les prisonniers palestiniens et les otages israéliens, on voit bien que le racisme, effectivement, comme tu en parlais tout à l’heure, est sous-jacent et s’exprime.

Voilà.

Donc 14h30 devant la préfecture, le samedi 22 mars.

— Et encore une annonce.

— Et dans la même suite, pour rappel, mais peut-être que ça vous est pas…

Le 17 mai, il y a une journée antifasciste derrière la mairie.

Le 17 mai, ça commencera en milieu d’après-midi, enfin vers 15h, il me semble, organisée par le CCED.

Je crois que normalement, le Cercle et Limousin Palestine font partie du CCED.

Il y aura des débats avec Ludivine Ventini, Violaine Girard, puis avec Lumi, qui est une vidéaste de Blast, des concerts, de la bouffe, tout ça, le 17 mai.

LE DÉBAT

Une intervention : 
Bonsoir ! Je voudrais donner un exemple de ce qui s'est passé ici, à Limoges. Depuis le 7 octobre 2023, toutes les semaines, le collectif Limousin-Palestine fait une action, en général le samedi. Certaines étaient très visuelles. Par exemple 1 000 drapeaux palestiniens ont été plantés sur la place de la République. On a aussi fait « 8 heures pour la Palestine » sur une place de Limoges avec des activités diverses. Il y en a parmi nous qui étaient là, donc ils pourraient en rajouter. On nous a vus une fois à la télé. Et pourquoi ? Parce que nous étions allés faire une manif devant FR3. Devant leurs portes, ils ont bien été obligés de descendre jusqu'à nous. Cette présentation à la télé a été un petit peu orientée, parce que parmi les personnes qu'ils ont interviewées, il y avait des jeunes femmes voilées. Façon de dire : les manifestations pour la Palestine, c'est confessionnel ! La radio est venue peut-être deux fois, sinon rien, alors que toutes les semaines l'info est envoyée à tous les médias. C'est quand même extraordinaire que jusqu'à aujourd'hui, on en soit là. On ne nous voit pas.

Une intervention :
Juste une petite info anecdotique sur les mains rouges : les Serbes qui manifestent actuellement ont utilisé aussi ce symbole pour dénoncer la corruption qui a causé des morts chez eux. Il y a même des gens qui ont sorti des images d'Israël, où les familles qui manifestaient pour les otages avaient fait ce geste pour accuser le gouvernement israélien en disant : « Vous avez du sang sur les mains ! ». Ce que tu as décrit, c'est vraiment une séquence spectaculaire de désinformation de masse.

Une intervention :
Je n'ai pas bien compris, dans votre démonstration, quand vous disiez que ce qui était important, ce n'est pas ce qui est dit, mais qui le dit. En fait, que vouliez-vous dire exactement par là ? Deuxièmement, est-ce que vous diriez, comme Danièle Obono, députée de LFI, que le Hamas est un mouvement de résistance ?

Pauline Perrenot (PP) :
Quand je pointais le doigt sur qui le dit, je parlais du fait que les images, les documents, les vidéos tournées par les Palestiniens n'étaient pas tellement utilisées, ou avec beaucoup de parcimonie, par les rédactions françaises. Mais que par contre, quand c'était une journaliste de CNN qui avait pu entrer à Gaza et y avait tourné des images, là, il n'y a eu aucun problème, aucune appréhension, aucun a priori négatif, pour reprendre ses images. Donc, le problème c'est : qui parle ? Quand ce sont des Palestiniens, il y a toujours une méfiance a priori, une suspicion, qui n'entre pas en ligne de compte, quand ça va être une journaliste de CNN. Les rédactions n'ont pas du tout le même comportement a priori.
Sur votre deuxième question, je vais pas répondre parce que je ne m'exprime pas au nom d'Acrimed. Et là, on dépasse très largement le champ de la critique des médias. Donc je n'ai pas à me prononcer là-dessus.

Une intervention :
Merci pour votre intervention. Avant de m'exprimer, je voulais d'abord condamner l'holocauste du 7 octobre. C'est une petite blague, excusez-moi, parce que dans les médias, il faut toujours expliquer qu'on condamne les massacres du 7 octobre avant de s'exprimer pour se dédouaner de toute chose ! Ma question est de savoir quelle était la part d'influence des médias alternatifs face aux médias dominants ? Parce que là, on a effectivement parlé beaucoup des médias dominants, mais qui ne touchent, je pense, qu’une partie de la population. Est-ce que les médias alternatifs qu'on peut avoir sur Instagram ou sur d'autres réseaux, ont une part d'influence ?

PP : 
C'est difficile de répondre à cette question parce que, comme toutes celles qui portent sur des problématiques de réception, c'est compliqué. Quels indicateurs prendre ? À la limite, je peux répondre sur quelles influences ils ont sur les autres médias. Et c'est assez peu, en tout cas de ce qu'on voit de la production des grands médias, des reportages que peuvent produire plein de médias indépendants. En fait, il n'y a pas grand-chose qui est repris par les médias dominants. Prenez, par exemple, un journal en ligne comme Orient XXI, avec sa rédactrice en chef Sarra Grira, et fondé par Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique. Ces personnalités sont connues dans les grands médias. Mais je ne sais même pas si Alain Gresh a été invité à la télévision pour parler d'Orient XXI, pour parler du suivi de ce travail sur le Proche-Orient. Je ne crois pas l'avoir vu une seule fois à la télévision.
C'est comme pour beaucoup de médias indépendants. Il a été parlé de la sortie de son livre, avec de nombreuses réunions publiques localement. D'ailleurs, Jean Stern me disait la même chose quand je l'avais au téléphone. Il fait beaucoup de réunions publiques, où il y a foule à chaque fois, parce qu'il y a une demande très forte, parce qu’il y a une telle pression sur cette question, une telle chape de plomb, que ça mobilise des gens pour assister à ce type de conférences. Mais dans les grands médias, ça ne circule pas. Les analyses d'Orient XXI ne sont pas du tout citées.
Or, votre question était plutôt axée sur les réseaux, type Instagram, plus dirigés vers les plus jeunes, parce que j'ai l'impression qu’ils sont vraiment sensibilisés et ne regardent pas la télé, mais ces médias-là. C'est plus compliqué, parce que s'ils regardent les réseaux, en fait, il y a de la télé sur ces réseaux sociaux. Tous les extraits qui passent, c'est de la télé, des grandes télés. Ils voient du Zemmour, des extraits de CNews, LCI, BFM, France Info. Donc, quand même, ça reste des médias dominants. Il y a un filtre qui passe par la sélection d'extraits. Ils ne regardent pas comme, effectivement, d'autres personnes peuvent le faire en regardant le « 20 heures » de A à Z. Mais ce n'est pas étanche. Réseaux sociaux et grands médias présentent des phénomènes d'interpénétration et d'aller-retour un peu tout le temps. Il est sûr que certains réseaux ont permis d’avoir d'autres sons de cloche. Je pense aux reportages sur la Palestine de Blast. C'est les vidéos. La première qu'Acrimed a faite, en partenariat avec Blast, c'était sur la Palestine :  un million de vues sur YouTube.
Du point de vue d'Acrimed, c'est complètement sidérant. Un article qui marche bien sur notre site, c'est 100 000 vues. Il est donc évident que ces plateformes-là ont permis, à un moment, qu'il y ait des propos qui viennent, non pas contester l'hégémonie du discours dominant, mais craqueler un peu le récit officiel. C'est par là aussi que se crée le rapport de forces. Sur les réseaux se voient beaucoup d'images tournées par les Palestiniens eux-mêmes. Des images absentes de la télévision française. C'est un lieu où se sont jouées beaucoup de choses pour contester l'hégémonie. Sur l'influence réelle que ça a, je ne peux pas répondre : je n'ai pas de données objectives. Donc ce n'est pas satisfaisant.
Sur la carte des médias français affichée là, ou dans celle de Médiapart autour de Mediacrash, tout ça fait un bruit bizarre. La concentration médiatique est particulièrement forte ici. En France, avec le passé colonial, cette propagande-là reste plus forte qu'ailleurs, avec peut-être moins de voix dissonantes encore, c'est ce que je voulais savoir.
Du coup, le corollaire n’est-il pas qu'il existait là aussi, pendant la longue période où les médias merdaient,  au moins une autre forme d'information, notamment l'information militante, la presse militante ? Aujourd'hui, on le voit bien, et ça date probablement d'ailleurs d'avant le 7 octobre, il y a eu une désaffection, une défection même, d'une partie du camp progressiste qui avait été clairement présente sur la lutte anticoloniale - peut-être pas assez, mais elle existait - alors qu'on ne la voit plus ou beaucoup moins. Est-ce que ça ne peut pas être expliqué par le fait que des intellectuels vus à une époque comme dans ce camp-là, ont tourné casaque ? Il y a le 7 octobre, il y a ce qui s'est passé avant, et il y a ce lâchage complet de la question palestinienne par une partie du camp progressiste.
De fait, ça joue sur la perception du débat que peuvent avoir les chefferies médiatiques. Là, il y a un truc très minoritaire dans une large partie de la gauche, je veux dire la FI… Enfin, ça a été quand même très compliqué. Ils étaient cloués au pilori aussi par de nombreuses personnes à gauche.
Pour ce qui est des intellectuels, je ne sais pas vraiment auxquels tu penses, ni s'ils n'existent encore. Le milieu syndical aussi. Mais ce n'est pas beaucoup exprimé, en tout cas médiatiquement. Le fait d'analyser pourquoi on est au-delà de la critique des moyens de communication, force à constater qu'il y a aussi des choses qui ne sont pas passées dans les médias.
Du point de vue de certains universitaires et intellectuels, un grand phénomène d'autocensure a joué. Stéphanie Latte-Abdallah témoigne encore, à la suite de l'affaire Rima Hassan, dans Sud Radio, Arrêt sur image… Ils sont atterrés, mais, au bout d'un moment, ils ne veulent même plus y aller, parce que c'est la porte ouverte pour se faire défoncer. Encore aujourd'hui, c'est hyper-difficile de s'exprimer sur la question palestinienne. Donc il y a beaucoup d'auto-censure, et des gens qui ne veulent plus en parler. Je crois qu’en décembre 2023, on avait traité dans un des articles d'Acrimed d’une lettre ouverte publiée sur Médiapart, d'universitaires qui dénonçaient ce climat à la McCarty, y compris au sein de l'Université. Il n'y a pas beaucoup de voix discordantes, ce qui fait que moi je ne peux pas tellement me prononcer.
Les comparaisons à l'international : alors là, Acrimed n'a pas fait d'études parce que déjà, s'occuper du paysage français, c'est lourd. Des biais ont été pointés : des médias anglophones signalent des humanisations double standard, des invisibilisations. Il y a des références dans les média critiques, tant sur la presse américaine qu’anglaise. En Allemagne (il faudrait en discuter avec le journaliste Olivier Cyran, qui connaît bien le paysage) je crois que c'est pire que tout. En Espagne, (c'est un peu au doigt mouillé, parce qu'on n'a pas fait d'étude) ça a l'air un peu moins chape de plomb qu'en France. Ça fait du bien d'écouter les journaux espagnols. On n'a pas l'impression d'être des fous ou des personnes clouées au pilori. Il y a eu beaucoup d’études faites. Vous en retrouverez les différentes sources. Il faudrait vraiment étudier l'état de la propriété capitalistique ailleurs et comment ça se structure ; c'est compliqué.

Une intervention :
Est-ce qu'il existerait un Acrimed arabe ? Cela permettrait d'avoir en négatif ou en positif, la lecture qui pourrait être faite du conflit avec ses dérives.

PP : 
Ah, je ne connais pas, ni en Israël.

Une intervention :
Il y a quand même des papiers sur Al Jazeera, qui est une source complètement décriée par les grands médias. En France, je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler d'Al Jazeera en regardant un média français ? C'est pas si souvent que ça, que c’est évoqué. Et pourtant, les grands médias français reprennent certaines de leurs images, notamment les JT, mais sans le dire. Donc des papiers ont été faits, mais bon, c'est très grand-angle.
Sur les médias israéliens, Sylvain Cypel a écrit dans Orient XXI sur le conflit. Hormis Haaretz, où il y a des textes très bons, il parle des médias israéliens. Et franchement, ça fait vraiment peur ! Notamment la télé. Je ne me rappelle plus dans quel papier il l'évoque, mais le traitement médiatique a été un peu documenté par Sylvain Cypel. 

Une intervention :
Qu'est-ce qui justifie, à votre avis, ce déferlement médiatique ? Ou qu'est-ce qui le motive ? Qu'est-ce qui l'explique ?

PP : 
J'en ai un peu parlé au début. Il y a plein de facteurs. Tout n'est pas complètement intentionnel. Il y a du suivisme, de la méconnaissance, de l'inculture, de la malveillance... il faut le dire, il y a aussi des trucs intentionnels. Ça, c'est notamment du point de vue des faiseurs d'opinion, des gens qui passent beaucoup à la télé. Voilà, c'est un mix de plein de choses. Quand je vous évoquais les conditions de production de l'information, il ne faut pas du tout sous-estimer ce désert-là : l'absence de journalistes permanents, le fait d'envoyer des gens qui ne connaissent rien, ni la région ni les acteurs, qui ne savent rien. Jean Stern signalait des envoyés spéciaux en Israël, comme s’ils étaient à Épinay-sur-Orge pour couvrir un fait divers... Comment, dans ces conditions, peut-on produire une information correcte ? Comment ne pas juste réécrire bêtement ce qui est écrit partout ailleurs ?
Bourdieu appelait ça « la circulation circulaire de l'information », le mimétisme. Par manque d'investissement, c’est un choix éditorial. Ils font le choix de ne pas vouloir. Par contre, il y en a qui pointeront la contrainte économique. Ils pourraient se dire : « Là, on met le paquet, on va reconstituer un bureau dans la région et l'y laisser pendant quatre ans »… Ils ne le font pas, parce qu'il n'y a pas non plus de volonté de documenter cette région. Voilà le cadrage global : c'est ce qu'on disait au début, ils ont aussi adhéré consciemment ou non au récit dominant. C'est un mix de plein de choses.
Une anecdote : quand je faisais l'article sur la Cisjordanie, pour montrer que ça avait été complètement sous-documenté sur toute l'année 2024, à un moment je regardais une émission de BFM et c'était hyper-révélateur. C’était sur les bombardements à Jenine. Le présentateur dit : « Bonjour Trucmuche (en parlant à sa correspondante) on vous retrouve sur place, vous êtes à Tel Aviv »... Mais Tel Aviv n'est pas en Cisjordanie. C'est à 100 km de Jenine… Mais la correspondante, en l'occurrence, est à Tel Aviv. Probablement qu'elle n'aura jamais foutu un pied en Cisjordanie. Et certainement pas à Jenine à partir de la mi-janvier ! Son reportage, ensuite, est complètement désincarné. Elle répète. Elle lit presque le communiqué de l'armée israélienne parce qu'en l'occurrence, c'est la source la plus accessible sur place. Pour cette journaliste, ce n’est pas intentionnel, c'est juste comme ça, c'est des réflexes, des routines professionnelles qui ne sont pas du tout interrogées.

Une intervention :
Alors qu'en Cisjordanie, ils ont accès, contrairement à Gaza.

PP : 
En Cisjordanie, ils ont accès. Mais pour autant, ils n'y vont pas beaucoup. Jean Stern nous disait que, quand il a été à Naplouse pour son reportage publié en janvier 2025, c'était la première fois que ses interlocuteurs voyaient un journaliste international depuis un an.

Une intervention :
Je fais un constat à travers ce que tu as présenté. Je pense qu'un des points centraux, qui n'apparaît pas du tout, donc qui va dans le sens de ce que tu as dit, c'est que la question de la colonisation reste quand même la question fondamentale, avec les méthodes qui sont liées à la colonisation, l'humiliation, la prise des terres et de tout ce qu'on peut imaginer. C’est à mon avis une question de fond à débattre, même dans ces médias dominants, parce qu'on pourrait se dire peut-être qu'ils la poseraient pour dire que ça n'en est pas une. Mais on ne l'entend pas. C'est un peu aussi ce que dit, je crois, Alain Gresch dans Orient XXI.

PP :
Ouais, mais en fait, non. Ils vont parler des colons en Cisjordanie. Mais la question coloniale, fondamentalement, n'est pas pensée. Et du coup, la décolonisation non plus, ne peut pas se poser. Il n'y a pas de débat de fond là-dessus dans les grands médias. Nous en discutions dans le dernier Média Critique. Avec un long entretien d’une militante de BDS et avec une chercheuse qui était étudiante à Sciences Po et membre du comité Palestine. Elle disait que ce n'est pas possible de penser la question décoloniale. On ne peut pas en débattre. Ça fait partie des trucs tabous… Je n'ai pas tellement d'exemples de discussions sur ça, dans les médias. Donc c'est un angle mort où est squeezé le cœur de la question palestinienne. On passe complètement à côté de tout. Parfois, vous allez assister à des discussions, où des éditorialistes hyper-inspirés vont vous dire « Deux États, patati, patata... » Concrètement, ça veut dire quoi, deux États dans les conditions où se trouve la Cisjordanie ? Afin de souligner à quel point ce n'est pas pensé : pour beaucoup de journalistes, Gaza n'était pas un territoire occupé ! Je me rappelle très bien d'un duplex avec Ziad Medoukh, professeur de français à Gaza, littéralement sous les bombes, qui se fait couper la parole. Il se fait jeter du direct par le présentateur de BFM, Maxime Switek, qui lui dit : « Non mais, vous parlez d'occupation, mais en fait, les Israéliens sont partis de Gaza en 2005. » Et il le coupe ! Il le jette de l'antenne, sur la base d'une erreur… Puisque pour lui, Gaza n'est pas un territoire occupé, alors qu’il est considéré comme tel par le droit international. Mais ça, ce n'est jamais rappelé dans les grands médias...
[Plusieurs questions dans la salle] Parce que le blocus maritime, aérien, terrestre, force à considérer Gaza comme un territoire occupé, en droit international.

Une intervention :
Tout ce que tu as dit sur comment les médias travaillent ou ne travaillent pas sur cette question-là aujourd'hui, ainsi que les réactions des intellectuels, ça m'a fait penser à quand il y a des émeutes en banlieue chez nous, ou à l'occasion du mouvement des Gilets Jaunes : c'étaient des fascistes, eux aussi ! Ce traitement médiatique-là, j'ai l'impression que ce sont les mêmes mécanismes à chaque fois. Les intellectuels s'engouffrent là-dedans pour clouer au pilori les gens qui s'insurgent. Je trouve que c'est la même chose. C'est comme s'il y avait finalement un refus de se creuser la tête, de réfléchir : C'est quoi la situation ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que veulent dire les gens ? etc.

PP : 
C'est ça. Au début, on était cloué au pilori. Pourtant, rappeler le contexte n'est pas excuser. C'est juste réfléchir ! Pourquoi pas ? Ça peut pas faire de mal. Mais effectivement, Acrimed a aussi beaucoup documenté au moment des révoltes dans les quartiers, au moment de la mort de Nahel. Là, ça a été un emballement tout de suite, avec des appels à la répression permanente.
Ça s’appelle « le journalisme de préfecture ». Une fonction symbolique de maintien de l'ordre qu'ont les médias. On le documente, depuis lors. Il y a des cadrages qui sont imposés dans ce journalisme de préfecture. Ça travaille la sphère journalistique depuis quarante ans. Dans le bouquin Les Médias contre la gauche se trouve tout un développement là-dessus. Nicole Ovalde, sociologue, a beaucoup travaillé cette question. Elle parle de comment ça se réoriente d'un cadrage social à un cadrage complètement sécuritaire. Il n'est plus possible d'interroger, par exemple, le malaise social des banlieues, qui va être complètement supplanté par un truc sécuritaire. Une approche répressive. Il n'y a plus que ce cadrage-là qui soit acceptable dans les médias. Pour faire valoir des éléments de contexte, des interrogations sociales, y compris des choses qui voudraient un peu tempérer les ardeurs punitives permanentes et répressives, il devient extrêmement compliqué de s'exprimer. Par exemple LFI et Mélenchon, qui refusaient d'appeler au calme à ce moment-là. Sur toutes les antennes, il a été cloué au pilori. C’était inacceptable !
Il y a toujours le périmètre acceptable, ce qui peut être dit, et ce qui ne peut pas l’être, dans quels termes ça peut être dit, et dans quels termes ça ne peut pas l’être, quels interlocuteurs sont légitimes, et quels autres non. Oui, c'est toujours les mêmes mécanismes qui entrent en jeu. Ce qui oblige à envisager la question des médias comme une question structurelle et à faire des propositions pour que ça change : ça ne viendra pas de petits aménagements sur un coin de table en parlant de la déontologie journalistique. C'est beaucoup plus profond que ça. Il y a du pain sur la planche.

Une intervention :
Dans le cadre de ce traitement médiatique ou plus généralement, est-ce qu'on peut classer les journalistes en trois catégories ? Les ambitieux, les peureux et les sionistes ?

PP : 
Oui, ça serait intéressant, d’analyser ce qui s'est passé. En fait, il y a eu des communiqués d'étudiants en journalisme qui sont parus, y compris assez tôt, pour dénoncer ce qui avait été relayé sur le site d'Acrimed, et qui dénonçaient le deux-poids-deux-mesures, l'invisibilisation de Gaza, le traitement par les grandes rédactions. Voilà qui donne des motifs d'espoir : un exercice un peu plus réflexif aussi sur un sujet qui ne s'y prête pas du tout, vu le contexte. Ce sont des signaux plutôt positifs, dans des grandes écoles, je me rappelle plus si c'était au CFJ, ou une autre école de journalisme.
Il y a aussi l'AJAR, l'Association des journalistes antiracistes et racisés, qui a produit beaucoup de communiqués et qui travaille vraiment sur la question, avec des journalistes de plein de médias, web, presse écrite, télé et tout. Ils se sont constitués en collectif il y a à peine deux ans. Ils ont fait paraître des trucs de poids, même si c'est minoritaire. Ça joue aussi dans les rapports de forces à l'intérieur des rédactions. Ces gens existent. « Pas en notre nom », aussi. Il serait intéressant de savoir plus en détail ce qui va se raconter dans les écoles de journalisme, les leçons qui seront tirées de cette séquence hallucinante.

Une intervention :
Merci pour votre exposé ! Cette séquence de la prise en compte journalistique, informationnelle de l'événement à partir du 7 octobre autour de la question palestinienne est-elle révélatrice d’un virage dans la liberté d'expression, les capacités d'indépendance des journalistes et des médias, du système médiatique ? Est-ce qu'aujourd'hui, on serait pas dans une période de recul grave ? La question palestinienne, celle de la libération de ce peuple, autrefois, étaient vraiment mieux perçues, mieux considérées, médiatiquement et dans l'opinion, mieux traitées et mieux connues qu'aujourd'hui.

PP : 
Vous me demandez si c'était mieux avant ?

Une intervention :
Oui. La question du colonialisme, de l'apartheid, etc. On parle de génocide aujourd'hui, ce qu'on n'osait pas dire avant, ou ce qui n'apparaissait pas comme tel, ce qui n'était pas conçu comme tel, alors qu'aujourd'hui, même si ça fait scandale, c'est dit.

PP : 
Alors, sur ce que ça cristallise, oui, je pense. Dès décembre 2023, je m'en rappelle, à Acrimed, on avait fait tout un papier sur l'ambiance maccarthyste, en disant que la séquence avait déjà profondément reconfiguré le champ politique français et qu'elle allait laisser des traces indélébiles. Je pense qu'on pourrait sans mal persister et signer. On a passé beaucoup de caps. On ne mesure pas encore tous les séismes. Franchement, ça va laisser des traces, sur plein de plans différents.Sur celui de la liberté d'expression, vu tout ce que je viens d'évoquer, oui, c'est sûr qu'il y a une chape de plomb qui continue encore aujourd'hui à peser. Est-ce que c'était mieux avant ? Je suis passée vite.
Le récit n'a pas été tout le temps caricatural. La question coloniale n’a jamais pu vraiment être pensée de manière fine. C'était moins caricatural que post-7 octobre dans les médias, parce que ça a été le cataclysme. Je pense qu'Alain Gresh en parlerait beaucoup mieux. Il insiste beaucoup sur le positionnement du gouvernement français, qui n'a pas tout le temps été exactement celui qu’on croit. Il y a eu des évolutions au fil du temps. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation que je décrivais tout à l'heure. Donc quelque part, c'est encore pire. Depuis qu'il y a des articles sur le site d'Acrimed à propos de la question palestinienne, nous parlons d'une information complètement mutilée.
Les cadrages, au départ, c'était l'article un peu fondateur du syndrome Tom & Jerry : une présentation médiatique des faits où on est dans un conflit, il y a deux ennemis qui se courent après depuis la nuit des temps, et on ne sait pas vraiment pourquoi. Puis, ils se tapent dessus, mais on ne sait toujours pas pourquoi. Donc, au cœur il faut dépolitiser. Ce sont les articles faits en 2014. Acrimed a retrouvé les mêmes biais. Je ne sais plus quand on avait fait le traitement de la Marche du retour. Il faut réécouter ce qui se disait à l'époque, où littéralement des gens se sont fait sniper de l'autre côté d'un grillage. Sur France Inter, à l'époque, c'était : ils ont évité le bain de sang. Nous avions titré à l'époque « Contorsion cynique dans les médias dominants » parce qu'étaient employées toutes les tournures imaginables pour ne pas parler de ce qui était déjà un massacre en 2018.
Ensuite, je me rappelle Shirine Boukli1 et le traitement de France 2 que vous trouverez sur le site d'Acrimed. Il faut voir comment France 2 dans son « 20 heures » a traité ça. De façon indigente. Nous avions étudié un nombre incalculable de reportages. Il n'y avait pas une seule fois le mot « colonisation » ! Un traitement qui sort de nulle part. La médiocrité de l'information nationale hérite de la médiocrité de celle internationale d’avant le 7 octobre.
Ils ont abdiqué sur l'information. Quand je disais « désertion intellectuelle », « désertion professionnelle », il faut vraiment entendre ces mots pour ce qu'ils sont. On ne pense plus cette région. On n'y envoie plus de journalistes. En fait, on s'en fout. Jean Stern disait, quand il y a un reporter de terrain ou un correspondant qui va voir la rédaction en chef et qui dit : « Regardez, c'est horrible ce qui se passe à Naplouse, c'est horrible ce qui se passe à Jenine ! », la réponse est : « Ouais, mais on sait, en fait, on sait ce qui se passe. » Mais ils n'y ont jamais foutu les pieds et ils ne savent tout simplement pas ce qui s'y passe ! Ils ont établi que l'histoire s'était arrêtée. En gros, c'est la normalité. Des Palestiniens se font tuer, c'est la normale. Ça ne vaut pas une information, quoi.
Je ne pense donc pas que c'était mieux avant. Il y avait tous les ferments de ce qui s’explique maintenant. Mais bon, c'était peut-être moins pire, et puis il n'y avait pas quand même les expressions éhontées d’aujourd’hui, qui restent tout le temps sans conséquence. Céline Pina ou Caroline Fourest peuvent dire qu’il faut diviser les morts d’enfants par cinq ou dix... Sans que ces horreurs soient relevées. Enthoven dit qu'on ne peut pas mettre sur le même plan ceux qu'ils ont tués par des bombardements israéliens et les braves soldats... Toutes les saloperies, excusez-moi du terme, qu'on a entendues, réentendues, en boucle, sans que ce soit épinglé, sans qu'on demande à ces commentateurs des comptes, sans qu'ils aient à se justifier de leurs propos, jamais !

Caroline Fourest fait sa carrière là-dessus. C'est comme Zemmour. Le racisme n'a jamais été un frein, mais plutôt un levier de promotion. Zemmour ne s'est pas réveillé raciste à partir du moment où il s'est introduit dans le champ politique. Ugo Palheta a documenté ça très bien, en disant que ses bouquins transpiraient le sexisme, le racisme, qu’ils l'explicitaient. Tout était déjà sur la table, avant même qu'il soit le chroniqueur employé le plus longtemps à l'antenne de France 2 chez Ruquier. Le racisme, le sexisme n'ont jamais constitué un frein. Plutôt un levier de promotion, y compris dans les médias.
Il y a quand même quelque chose sur la question de l'antisémitisme, de son instrumentalisation, qui n'est jamais débattu. L’hypersensibilité sur la question du racisme n'est pas le problème. Il apparaît lors des procès d'intention. La moindre petite phrase n'a aucune réalité matérielle. En parallèle, les expressions racistes ne sont absolument pas condamnées. Elles fleurissent tous les jours dans les médias, sans que ça pose le moindre problème. Ce n'est jamais un sujet
 Cela fait beaucoup de mal. Et tout le monde le voit. Voilà qui pousse à continuer de militer.

1 Judoka française médaillée olympique [NDLR]. 

 

 

 

Le vote RN : des électeurs ordinaires ?

Soirée-débat du 2 avril :

Le vote RN :

des électeurs ordinaires ?

Félicien FAURY est sociologue et politiste, chercheur au CNRS dans l’unité de recherche CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales). Ses domaines de recherche portent principalement sur les comportements politiques et le vote pour l’extrême droite. Il s’attache surtout à déceler les valeurs et comportements sociaux des électeurs « ordinaires » du Rassemblement National.

Outre de nombreux articles, il a rédigé le chapitre « L’espace clivé du militantisme » dans l’ouvrage collectif Sociologie politique du Rassemblement National, enquêtes de terrain paru en 2023 aux Presses du Septentrion.

La thèse de recherche de Félicien Faury, Vote FN et implantation partisane dans le Sud-Est de la France : racisme, rapports de classe et politisation s’appuyait sur une enquête de terrain réalisée de 2016 à 2019, mobilisant observations, rencontres et entretiens semi-directifs. Elle portait sur l’implantation électorale et partisane du Front national (FN, RN depuis 2018) dans un territoire du Sud-Est de la France. Ce travail combinait l’analyse de la production ordinaire de votes FN (spécifiquement au sein de la composante non-ouvrière de l’électorat frontiste) à celle de l’offre politique locale (mobilisation partisane et implantation municipale). Elle analysait les processus concrets par lesquels certaines formes de racisme (et leurs supports : blanchité, nationalisme, islamophobie) s’articulent avec certains types de concurrences sociales (accès aux ressources publiques, conflits d’usage du territoire, styles de vie), participant de la formation de préférences politiques pour l’extrême droite. Elle décrivait les modalités par lesquelles ces conflictualités sociales racialisées se traduisent électoralement et sont travaillées par les structures partisanes frontistes locales.

Issu de ces recherches, de leur poursuite au-delà de la thèse et de leur actualisation, l’ouvrage de Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, est paru aux éditions Seuil en 2024. Il s’agit de la mise à la portée d’un large public des enseignements qu’il a pu tirer de ses recherches. Il permet de mieux comprendre les ressorts déclenchant le vote pour le RN. C’est une analyse dont nous avons grand besoin aujourd’hui.

La présentation éditoriale (4e de couverture) de Des électeurs ordinaires :

« Ils sont artisans, employés, pompiers, commerçants, retraités… Ils ont un statut stable, disent n’être  »pas à plaindre » même si les fins de mois peuvent être difficiles et l’avenir incertain. Et lorsqu’ils votent, c’est pour le Rassemblement national. De 2016 à 2022, d’un scrutin présidentiel à l’autre, le sociologue Félicien Faury est allé à leur rencontre dans le sud-est de la France, berceau historique de l’extrême droite française. Il a cherché à comprendre comment ces électeurs se représentent le monde social, leur territoire, leur voisinage, les inégalités

accord de  »cessez-le-feu » entre le Hamas et l’État d’Israël

Éditorial de Médiacritiques n° 53, février 2025 [extraits] :

« Le 19 janvier 2025 entrait en vigueur un accord de  »cessez-le-feu » entre le Hamas et l’État d’Israël. La couverture massive de cet événement a réinscrit la région à la Une alors que le génocide qui se poursuivait à Gaza était à nouveau relégué dans les tréfonds de l’actualité […]. Conformément aux tendances que nous observons depuis maintenant un an et demi, cette séquence a reconduit les angles morts et doubles standards ordinaires. D’une part, les médias dominants ne se sont guère souciés du sort des 80 Palestiniens tués par Israël à Gaza dans les 24 heures ayant suivi l’annonce d’un accord de trêve […]. D’autre part, les otages israéliens bénéficient de l’essentiel de la couverture des médias français : leurs visages et leurs noms font la Une et leurs témoignages sont l’objet de reportages exhaustifs. Quant aux  »prisonniers » palestiniens, quel média s’est intéressé à leur vie, leur histoire, les raisons de leur arrestation ?

Plus de 46000 morts à Gaza au 3 janvier 2025, et ce bilan est largement sous-estimé selon la revue britannique The Lancet. Mais dans les grands médias, ce décompte effroyable n’émeut guère et la déshumanisation des Palestiniens demeure la règle. Dans l’audiovisuel surtout, mais pas que […] Les occurrences du terme  »génocide » y sont quant à elles totalement résiduelles, en dépit de la multiplication des rapports alarmants provenant des institutions onusiennes, de très nombreuses ONG, d’intellectuels, de chercheurs et de juristes du monde entier. Le terme  »colonisation » ne figure que dans 2% des publications de Libération et du Figaro […], ce qui en dit long sur la dépolitisation de la couverture médiatique et la désertion des grands médias de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, où les exactions à répétition contre les civils, les milliers de déplacements forcés, sans oublier les 806 Palestiniens tués par les colons et l’armée israélienne au cours des quinze derniers mois, à date du 31 décembre 2024, sont totalement passés sous les radars.

Indéniablement, le 7 octobre 2023 et les semaines qui ont suivi ont fixé une fois pour toutes les standards de la couverture médiatique de la région, dont le récit-cadre reprend et aggrave les pires tendances du traitement de ce conflit colonial, repérables depuis au moins deux décennies. Depuis le 7 octobre, rien de ce qui se passe à Gaza et dans le reste des territoires occupés n’aura eu droit à la même attention, ni à la même compassion : une dissymétrie manifeste dans le vocabulaire, les angles, la surface médiatiques. Rien, si ce n’est… la commémoration du 7 octobre, un an plus tard, ce qui est une manière de boucler la boucle de la démonstration : celle d’un espace-temps médiatique figé à cette date, comme si  »tout avait commencé » à ce moment-là, comme si rien ne comptait que cet événement-là. Et pendant ce temps, le rouleau compresseur médiatique continue d’écraser les voix dissonantes, n’ayant de cesse de diffamer et disqualifier l’ensemble des acteurs mobilisés en France contre le génocide. »

Je suis, ou je ne suis pas, Charlie

Je suis, ou je ne suis pas, Charlie

Il est extrêmement triste et tragique d’avoir perdu des plumes talentueuses comme celles de Wolinski, Tignous, Charb et Cabu et l’on ne se réjouit pas des autres victimes du massacre de Charlie. Comment des dessinateurs de gauche, soutenant les Palestiniens, ont-ils pu être massacrés par des gens prétendant agir au nom de l’islam ? Quel sinistre engrenage a mené jusque là ? Là, il s’agit de la question interdite : « Pourquoi ? »

Le véritable « Pourquoi » du massacre de Charlie étant resté sans réponse dans les médias dominants, la question n’étant pas posée, cela a déclenché une discussion nationale complètement débile pour savoir si l’islam était « intrinsèquement » violent, incompatible avec la République, etc., avec l’invitation quasi-exclusive sur les plateaux de prétendus experts qui avancent encore et encore de telles absurdités.

La violence maximale et la déshumanisation de l’ennemi ne tombent pas du ciel, ne proviennent pas de gens « monstrueux par nature » ou ayant seulement subi de mauvaises influences.

Non, les premiers professeurs de tout cela, ceux qui ont montré l’exemple, ce sont Georges Bush et Barak Obama menant avec une extrême cruauté, sans une once d’humanité, des guerres impériales.

Qui a armé les frères Kouachi et les autres « jihadistes » ?

Des autorités françaises ont même annoncé que la France avait armé les rebelles en Lybie et en Syrie, le Ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a déclaré fin 2012 que « le Front Al-Nosra [branche syrienne d’Al-Qaida] fait du bon boulot contre Assad. »

De quel bon boulot s’agit-il ?

Par exemple, de l’attentat du 6 janvier 2012 contre des autobus au centre de Damas tuant 26 personnes, essentiellement des civils.

Tous les jeunes jihadistes interrogés disent que leur révolte est venue des images de Guantanamo, des tortures d’Abou Ghraïb, des armes chimiques US déversées sur la population de Fallujah en Irak, ou des images des enfants de Gaza massacrés par Israël avec le soutien honteux de « la France » officielle.

Israël reçoit des milliards de dollars pour construire un mur, coloniser, massacrer les populations, et on s’étonne que cela crée de la rage.

L’intellectuel parisien a raison de se révolter contre la tuerie à Charlie, mais il aurait aussi intérêt à se mettre à la place du torturé d’Abou Ghraïb ou de Guantanamo, de l’affamé du Mali, du bombardé de Gaza.

De plus, trop souvent, le débat sur la question « Publier ou non les caricatures ? » est ramené au cliché « Peut-on rire de tout avec tout le monde ? » Sous-entendu : les musulmans ne seraient pas assez évolués pour rire de nos blagues. Mais je ne pense pas que ce soit vraiment la bonne question.

Un caricaturiste, tout comme un humoriste ou un journaliste, n’exerce pas son métier sur un nuage, loin de tout. Il prend position dans un monde bien concret où les forts écrasent les faibles, où la guerre sert principalement à s’approprier et à voler. Dans ce monde-là, de qui va-t-on se moquer ? Des voleurs ou des volés ? Des puissants ou des humiliés ?

La satire authentique devrait être exercée contre nous-mêmes ou contre des personnes qui ont du pouvoir et des privilèges, non contre des minorités opprimées comme les musulmans le sont en France. Sinon le terme de « satire » cesse de s’appliquer et elle devient un instrument d’oppression, de discrimination et de racisme.

De nombreuses « unes » se sont moqué et ont insulté les musulmans.

Un exemple, celle de juillet 2013 : lorsque des centaines d’Égyptiens viennent d’être massacrés par la dictature militaire de Sissi, Riss représente un musulman tenant le Coran devant lui et semblant se protéger ; mais les balles traversent ce livre et Riss indique en légende : « Le Coran, c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles ». Qui peut rire de cette horreur ?

En France, rabaisser les musulmans n’est plus un privilège de l’extrême droite, mais est devenu un droit à l’impertinence sanctifié par la laïcité, la République, le « vivre ensemble ».

Enfin, on ne peut que s’indigner de la géométrie variable de la liberté d’expression. Par exemple, en 2008, Siné, un des plus célèbres dessinateurs de toute l’histoire de Charlie, ironise sur une éventuelle conversion au judaïsme de Jean Sarkozy : « Il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! ». Licencié sur le champ pour un texte « pas correct » par le directeur Philippe Val, qui avait d’abord laissé passer ledit texte, mais qui s’est incliné quand le lobby pro-Israël a attaqué Siné. Apparemment certains intérêts sont placés au-dessus de la « liberté d’expression », même pour Charlie, et peu de voix se sont fait entendre à l’époque pour défendre cette liberté. L’hebdo sera condamné par le Tribunal de grande instance de Paris pour rupture abusive de contrat avec 90 000 € de dommages et intérêts.

Je ne vous rappelle pas l’affaire Meurisse sur France Inter.

Charb, Cabu, Tignous, Maris, Wolinsky et les autres ont été victimes de tueurs fanatisés et manipulés, c’est indéniable. Mais ils ont aussi été victimes d’un Philippe Val et de beaucoup d’autres, jetant sans vergogne de l’huile sur le feu. Val incarnait-il l’irrévérence et la défense de la liberté, en défendant des provocations basées sur la théorie d’extrême droite du « choc des civilisations » ? Reprendre des caricatures racistes et stupides, était-ce de la liberté d’expression ou était-ce hurler avec les loups ?

JL

Merci à Michel COLLON, dont 7 octobre. Enquête sur la journée qui a changé le monde est le dernier ouvrage.

Crise du capitalisme et dérive autoritaire

Romaric GODIN

Crise du capitalisme et dérive autoritaire

Comment la crise économique, sociale et écologique conduit à un durcissement autoritaire qui menace la démocratie.

L’économie mondiale ne s’est jamais vraiment remise de la crise de 2008, et celle du Covid en 2020 n’a fait qu’aggraver la situation. La pression s’accentuant sur l’accumulation du capital, ce dernier doit renforcer son emprise sur la société et accélérer les réformes en sa faveur : destruction de l’État social, pressions directes sur les travailleurs, précarisation de l’emploi, « modération » salariale, inflation. Cette accélération vient renforcer une crise sociale de plus en plus aiguë et mettre fin aux espoirs de gérer au mieux une crise écologique qui s’emballe.

Face à une telle situation, les démocraties libérales semblent de moins en moins capables de sauvegarder le capitalisme. Pour assurer le maintien de la domination du capital, se produit donc un durcissement du régime politique et culturel visant à créer une illusion d’unité et de règlement des crises : cela passe par le rejet de certains membres de la société, par une marchandisation croissante, par la création d’ennemis extérieurs et par une réduction du champ démocratique. Mais cet autoritarisme croissant, souvent validé dans les urnes avec la poussée de l’extrême-droite, ne permet pas de régler les crises économique, écologique et sociale. Bien au contraire, il les aggrave encore davantage. Le prix du maintien du capitalisme devient de plus en plus élevé.

Journaliste depuis l’an 2000, Romaric Godin a rejoint La Tribune en 2002 sur son site web, puis au service marché. Correspondant en Allemagne depuis Francfort entre 2008 et 2011, il est devenu rédacteur en chef adjoint au service macroéconomie en charge de l’Europe jusqu’en 2017. Arrivé à Mediapart en mai 2017, il y suit la macroéconomie, en particulier française.  Il est l’auteur de plusieurs livres, en particulier de La guerre sociale en France, paru en 2019.  Il est aussi co-directeur de la collection « Économie politique » aux éditions La Découverte avec Cédric Durand, depuis 2020.

COMPTE RENDU 

Crise du capitalisme et dérive autoritaire
avec Romaric Godin,
le vendredi 17 janvier 2025

Romaric Godin (RG) est journaliste au service macroéconomie de Médiapart. Il a publié La guerre sociale en France (2019) et La monnaie pourra-t-elle changer le monde ? (2020). Il est aussi co-directeur de collection aux éditions La Découverte.

RG : Le thème choisi ce soir est assez complexe. En résumé, l'idée, c'est de présenter le glissement autoritaire de nos sociétés contemporaines, pas seulement occidentales. J'ai pris le parti de ne pas vous noyer sous les chiffres.
Il va y avoir un grand moment de ce glissement autoritaire le 20 janvier, dans la principale puissance capitaliste : les États-Unis.
Mais, en France, on connaît ce glissement depuis à mon avis 2010, avec une accélération en 2017-2019, et aujourd'hui avec une situation politique qui annonce un durcissement de cet autoritarisme. Je vais essayer de vous l'expliquer en prenant en compte l'état du capitalisme contemporain.
J'ai pris le parti de parler de crise du capitalisme, ce qui peut paraître à première vue assez étrange. Vous entendez à longueur de temps que la Bourse bat des records, que les profits s’envolent, que les riches sont encore plus riches, que les entreprises sont de plus en plus puissantes... Ce ne sont pas les symptômes de ce qu'on pourrait appeler une crise du capitalisme. Mais ces symptômes, ces faits, ne sont qu'un aspect de la réalité du capitalisme contemporain dans sa dérive autoritaire.
Le terme de dérive est à mon sens impropre. C'est bien plutôt une forme d'évolution qui est interne au système capitaliste et qui vient en fait appuyer la nécessité de la poursuite de l'accumulation du capital.
J'avais écrit un article sur le sujet en juillet dernier, à partir d'un article de trois chercheurs britanniques. Ils identifiaient trois grandes crises contemporaines qui sont pour moi des facettes de la crise du capitalisme.
Une crise purement économique, c’est celle de l'accumulation du capital. Une crise sociale qui, à mon avis, est plus large que ce qu'on entend par là d'habitude. Et puis évidemment, la crise écologique qui fait partie de la crise du capitalisme.

Crise économique
C’est un peu la crise centrale du capitalisme. Jérôme Baschet, dont le livre est en vente ici, s'interroge sur les origines du capitalisme et tente de définir ce qu'est le capitalisme, comme le monde de l'économie, avec un grand É. Un monde déterminé par la nécessité d'accumuler du capital et donc par ce qui fait l'accumulation du capital, c'est-à-dire la production de valeur et la prise de pouvoir de l'économie sur l'ensemble de la société. Ça veut dire que la fonction économique est au centre du capitalisme.
Cette crise se caractérise par un fait assez évident et constant depuis une cinquantaine d'années : la baisse du rythme de croissance, que ce soit au niveau mondial ou dans les pays occidentaux.
Dans les années 1960, la croissance mondiale est autour de 6,5 %. En 2024, on était vers 2,8 %. Cette année, le FMI prédit 3,3 %. Ces niveaux sont la moitié ceux d'il y a 50 ou 60 ans. Ça n'est pas quelque chose de complètement anodin, puisque le moteur du capital, c'est sa reproduction élargie, c'est-à-dire son accumulation. Si le rythme d'accumulation est plus faible, eh bien le capital se sent en danger. Il cherche à augmenter en permanence ce rythme d'accumulation.
La croissance du PIB est un chiffre qu'il ne faut pas du tout fétichiser, mais qui permet de donner un état des lieux de cette accumulation. Quand on regarde par exemple dans les pays occidentaux, on voit que la réduction de la croissance est encore plus forte. Un pays comme les États-Unis se trouve dans la même situation. Il y a eu à peu près une division par deux de la croissance entre les années 1960 et le début des années 2020. Ça a été un petit peu plus fort dans les années 2010. Mais dans les pays occidentaux européens, notamment en France, le rythme de croissance a été divisé par 5. On est passé de 6 % de croissance en 1973 à autour de 1,08. La dernière fois que les 2 % ont été dépassés, c'était en 2017. Depuis 2008, on n'a quasiment jamais excédé les 2 %. Donc ça veut dire qu'on a divisé par quasi 6. Là, on voit qu'il y a quelque chose de critique pour le capital, au regard des gains de productivité.
Pour produire de la valeur un chapitre célèbre du Capital donne deux façons de produire de la plus-value. La plus-value absolue consiste à faire travailler davantage les gens sur une journée de travail, et la plus-value relative c’est de réaliser des gains de productivité.
Si vous mécanisez, vous rationalisez la production, vous pouvez produire plus pendant le même temps de travail.
Le capitalisme est le monde de la plus-value relative, celui des gains de productivité. La croissance du capital est liée à la croissance des gains de productivité. Ils ont toujours existé sous les modes féodaux et même parfois sous les modes esclavagistes. Mais c'étaient des gains ponctuels, alors que dans le capitalisme, les gains de productivité constituent la drogue du capital. C'est grâce à ça que le capital parvient à accumuler toujours davantage de richesses, puisque, comme le disait Marx, les journées n'ont que 24 heures ! Donc vous ne pouvez pas faire travailler les gens plus de 24 heures.
Les gains de productivité ont été divisés par deux, pour aller vite, dans les pays occidentaux (parce qu'on manque de données dans les autres), voire par trois ou quatre dans des pays européens et notamment en France. Ça veut dire que vous avez un régime d'accumulation, qui a beaucoup plus de mal à produire de la valeur supplémentaire, donc à créer de la croissance de la valeur.
Si malgré cela des bourses battent des records permanents, si des profits augmentent, si des entreprises deviennent de plus en plus puissantes... c'est que des choses sont venues compenser et ralentir cette crise sous-jacente du capital.
Il y a des formes très défensives du capitalisme qui ont recours à la plus-value absolue, c'est-à-dire faire travailler davantage les gens pour moins d'argent. D’où la pression sur les salaires qu'on connaît depuis 40 ans en Occident.
Toutes les politiques néolibérales ont prétendu libéraliser le marché du travail, mais, en fait, elles ont désarmé le monde du travail pour produire plus et moins cher, donc avec des salaires sous pression qui réduisent les contraintes liées aux droits du travail. Toute la protection sociale se rétrécit, parce qu'il faut baisser le coût du travail. Les néolibéraux disent : « C'est ça qui va permettre de faire repartir la productivité. »
Or, on constate que non seulement ça ne fait pas repartir la productivité, mais en fait, ce n'est pas sa fonction ; sa fonction est de faire jouer la plus-value absolue contre la plus-value relative. Donc de faire travailler les gens pour moins cher.

Le deuxième ressort est évidemment le recours à la financiarisation de l'économie, avec une particularité : la création de capital fictif.
Le capital fictif, à un moment, doit se réaliser, c'est-à-dire devenir réel, au sens premier du terme. Le capital fictif vous avance de l'argent. Il faut qu'à un moment la réalité sous-jacente de l'économie vous permette de rembourser cet argent avec les intérêts. Si votre sous-jacent économique est celui qu'on vient de voir (de moins en moins de croissance et de moins en moins de gains de productivité), en fait la financiarisation, en soi, ne fonctionne pas. Sauf si le monde financier devient une bulle détachée de la réalité, de la production de valeur. En fait, c’est ce qui s'est passé avec les Big Bang financiers des années 1980, puis après la crise de 2008, où le rythme de croissance a encore reculé. Donc le problème s'est encore aggravé. Dans ce cas, il y a eu une véritable fuite en avant du système financier, avec le soutien des banques centrales pendant une dizaine d'années, puis avec la mise en place d'un système financier complètement décalé de la réalité et s'appuyant sur des rentes.
Le cas le plus évidemment symbolique de tout ça, ce sont les crypto-monnaies. Il s’agit véritablement d’un actif qui augmente sans aucun lien avec la création réelle de valeur. Ça existe aussi dans l'immobilier. Plus généralement, on appelle ça le capitalisme de gestion d'actifs, de rente, qui essaye de capter la valeur là où elle est sans dépendre des aléas de la conjoncture. Cela est possible parce qu'ont été créés des nouveaux produits financiers.

Le troisième élément, c'est le recours massif à l'État, alors que dans les années 1980, 1990, 2000, c'était un recours relativement indirect, classique, via quelques subventions et des baisses d'impôts principalement. Plus la crise s'est approfondie, plus le capital a eu recours à l'État pour sauvegarder son taux de profit.
Ça a été accéléré par la crise de 2008 et encore plus par la crise sanitaire de 2020. Il y a aujourd'hui près de 200 milliards d'euros du budget de l'État en France qui vont vers le secteur privé. Aux États-Unis, la croissance américaine actuelle ne tient que parce qu'il y a eu des transferts massifs d'argent du budget fédéral vers le secteur privé. Le développement de la technologie, en Chine, est complètement soutenu par l'État, par exemple pour les voitures électriques. Un des aspects de cette réalité-là, c'est évidemment la baisse des impôts sur le capital, qu'on connaît bien en France avec la réforme de 2018. Ce phénomène s’est généralisé dans le capitalisme contemporain, largement subventionné. Bref, aujourd'hui, le capitalisme est sous perfusion de l'État.

Le quatrième élément qui fait que vous pouvez compenser cette crise du capital pour les profits, c'est d'avoir recours de plus en plus à des phénomènes de rente, c'est-à-dire des revenus qui ne dépendent ni des aléas de la conjoncture ni du ralentissement conjoncturel. Ce phénomène de rente est lié soit à des marchés décalés de la réalité économique, comme le marché immobilier ou certains marchés financiers, soit à d’autres qui captent de la valeur parce qu'ils ont rendu dépendants leurs clients.
Ça c'est quelque chose de très fort, notamment dans la technologie. Les grands groupes technologiques aujourd'hui sont des groupes de rente, qui dépendent et utilisent les données que vous leur confiez chaque jour, chaque minute, en utilisant leurs applications, leurs produits, etc. Grâce à ces données, ils font une sorte de chantage à ceux qui veulent les utiliser pour obtenir des revenus réguliers, y compris d'ailleurs à leurs propres utilisateurs. C'est-à-dire que parfois, vous payez pour qu'on utilise vos propres données. Un phénomène de rente vraiment très classique, mais en même temps assez nouveau.
Une « rentification », pardon pour ce néologisme, a été mise en place. Ceci a été mis en exergue par un économiste britannique, Brad Christophers, dans plusieurs ouvrages entre 2019 et 2022, où il montre bien comment le capitalisme contemporain devient de plus en plus un capitalisme de rente.

Il y a d'ailleurs des intérêts divergents au sein du capital entre ceux qui dépendent de l'État, des transferts de l'État, et ceux qui, au contraire, dépendent des rentes et veulent remplacer l'État, puisque l'État a accès à des revenus réguliers : cette lutte à l'intérieur du capital, cette fragmentation interne au capital, montre bien la crise dans le capitalisme contemporain depuis un demi-siècle.
Cette crise est encore plus aiguë depuis 2008. Par exemple, le PIB français est de 14 % inférieur aujourd'hui à ce qu'il aurait été si la tendance d'avant 2008 s'était poursuivie.
C'est ça, en fait, qui est au cœur aujourd'hui de la crise capitaliste.
Ce sous-jacent est défaillant. Et les méthodes utilisées pour remplacer ce sous-jacent et continuer à faire des profits finissent par être défaillantes au bout d'un moment. Lors de la crise de 2008 sur la financiarisation, l'État a pris le relais. Mais on voit bien que l'État lui-même devient à un moment soumis à des contraintes, y compris par le capital, qui font qu'on entre dans une phase de contradictions des plus problématiques. Il faut effectivement pour le capital faire en sorte qu'il puisse toujours avoir accès à ces transferts de l'État ou à cette captation des richesses publiques.

Crise sociale
Cette deuxième crise découle en partie de la première. Pour moi, c'est une crise quasi anthropologique.
On assiste à une dégradation de la production de plus-value, de la production de valeur, et donc en fait la redistribution est plus faible. Par ailleurs, comme je vous l'ai expliqué, il y a un chantage du capital pour avoir recours à la plus-value absolue et donc faire pression sur les salaires et les conditions de travail. D’où une dégradation, pas forcément du niveau de vie au sens où ce serait un abaissement uniquement en termes d'euros réels. En fait, on a une dégradation de la qualité de vie au travail, et puis, évidemment, de la qualité de vie en-dehors du travail qui, effectivement, est un élément important, puisqu'il y a une pression sur les revenus des gens.
Ça s'explique aussi parce que c’est une économie à faible gains de productivité, donc avec beaucoup de travaux, notamment des emplois dans les services à la personne, où les gains de productivité sont quasiment nuls. Dans ces emplois-là, la seule façon de faire du profit, c'est de mettre la pression sur les gens qui travaillent : à la fois sur leur salaire et sur les conditions de travail. Notamment dans les emplois de nettoyage et de ce qu'on appelle le care, les gens qui s'occupent des autres, mais aussi les caissiers, ce genre de boulots. Et ce sont ces secteurs-là qui créent des emplois : tous les emplois qui ont été créés entre 2020 et aujourd'hui se trouvent à 90 % dans ces secteurs de services aux entreprises, services individuels, commerce ou ce genre de choses.
Cette pression sociale devient croissante sur les individus et, notamment, sur les classes les plus fragiles de la société.
Mais au-delà de cette crise sociale, une crise plus profonde est liée à la définition des besoins dans le capitalisme. Le capitalisme a cette particularité de proclamer une liberté formelle. Vous n'êtes jamais obligé d'acheter quoi que ce soit. Vous n'êtes jamais obligé d'accepter un emploi. Formellement, vous êtes libre de vos choix. Sauf qu'en réalité, la société ne se construit pas du tout comme ça. En fait, le capitalisme fabrique les besoins nécessaires à son propre fonctionnement, c'est-à-dire à l'accumulation du capital. Pendant très longtemps, c'était assez simple pour lui, parce qu'il y avait tout un tas de besoins non satisfaits, notamment par les modes de production précédents. Il y avait des famines. Il y avait des gens qui vivaient dans des conditions dégradées, etc. Il y avait une possibilité de remplir un certain nombre de besoins essentiels pour le capitalisme, avec lesquels il pouvait faire de l'accumulation, en complément de ce avec quoi le capitalisme avait commencé : les produits de luxe.
Le premier moteur du capitalisme, c'est la consommation de luxe. Ensuite, il y a eu la consommation de masse, d'abord de produits essentiels, puis la consommation de masse tout court, où on vous crée constamment de nouveaux besoins. On impose en fait des nouveaux usages qui deviennent au bout d'un moment incontournables parce que vous les avez intégrés. Cette logique de création de besoins dans l'intérêt du capital crée à mon avis une triple tension de plus en plus forte.
La première tension touche les conditions mêmes de l'accumulation. C'est-à-dire que le capital promet tout un tas de choses avec de nouveaux produits. Et pour pouvoir fabriquer ces nouveaux produits et pour pouvoir les vendre, il a besoin de faire pression sur les revenus des gens. Donc les gens ne peuvent pas avoir accès en partie à ces produits. D’où une frustration assez forte du pouvoir d'achat. Ça ne veut pas dire que les gens meurent de faim. Ça veut dire qu'ils n'ont pas accès à des choses auxquelles ils pensent devoir avoir accès. C’est là une première contradiction, extrêmement forte. Encore plus forte dans les pays du Sud global, dans les pays qui sont sortis de la pauvreté dans les années 1980, 1990, 2000. On vous dit : « C'est formidable, tous ces gens sont sortis de la pauvreté, parce qu'ils ont pour vivre 3,20 $ par jour ». La Banque mondiale considère que, passé ce seuil, les gens ne sont plus pauvres. Or, depuis 2019 il y a de plus en plus de soulèvements dans ces pays-là parce qu'en réalité, en sortant de la pauvreté par le biais capitaliste, c'est-à-dire par la monétarisation de la demande, ont été créés de nouveaux besoins. Mais les gens sont incapables de les satisfaire, parce qu'ils vivent dans des pays qui restent pauvres, qui sont dans la division du travail inférieure à d'autres États. En fait, la croissance dépend de la faiblesse de leurs revenus. Donc ils ne peuvent pas avoir accès au grand nombre de nouveaux besoins créés par le capital. Voilà une deuxième contradiction très forte. Elle se voit beaucoup dans ces régions-là. La pauvreté est une notion extrêmement complexe, très relative, et qui n'est pas liée uniquement à la misère, au sens où on l'entend normalement, au manque matériel de quelque chose. Guy Debord, dans La société du spectacle, mettait en évidence le fait que l'abondance capitaliste créait en fait le manque permanent, et donc développait la pauvreté. La pauvreté, c'est ce sentiment de manquer de quelque chose. Le capitalisme, en voulant créer en permanence des besoins nouveaux, fabrique en permanence une nouvelle pauvreté, parce qu'il génère du manque permanent. Par ailleurs, ces besoins sont souvent déceptifs et se voient remplacés par de nouveaux besoins rapidement. Donc ce sentiment de ne jamais pouvoir sortir de la pauvreté, aujourd'hui, c'est quelque chose d'assez général.
À cela s'ajoute une deuxième tension : celle où les besoins sociaux réels des gens sont mis sous pression par ce qu'on vient de décrire. En fait on va transférer l'argent de l'État vers le secteur privé pour soutenir le taux de profit. Donc on dispose de moins d'argent pour les services publics, pour une la solidarité au niveau national, régional, etc. Or, ces besoins sociaux sont des besoins essentiels de l'être humain et des sociétés contemporaines. Ils entrent immédiatement en conflit avec les besoins capitalistes qui, eux, demandent précisément que l'on détruise ces besoins sociaux… Donc ça, c'est la deuxième tension, où on se retrouve avec des gens qui exigent du pouvoir d'achat pour pouvoir consommer ce qu'on leur demande de consommer, mais qui veulent en même temps des services publics, parce qu'ils sentent bien qu'ils en manquent cruellement.
Même si on a le tout dernier iPhone, quand on est malade, c'est bien quand même d'avoir un hôpital qui fonctionne. Là, on voit bien que le capitalisme crée une tension majeure entre les deux : entre les besoins sociaux et les besoins créés par le capital.
En fait, le peu de croissance qu’il nous reste n'est même pas capable, aujourd'hui, de remplir ce rôle d'amélioration du bien-être. Beaucoup de politiques disent (pas seulement à droite) que pour améliorer la vie des gens, il faut de la croissance. Elle payera des hôpitaux, des chemins de fer, des services publics, etc. En réalité, on se rend compte que ce n'est pas du tout ça. Pour avoir plus de croissance, il faut dégrader ces besoins-là. Le cas le plus évident est celui des États-Unis. Ils ont aujourd’hui une croissance beaucoup plus forte que la zone euro, mais elle est en grande partie due au fait que le service de santé a été privatisé. Ce qui soutient la consommation en termes statistiques dans les chiffres des États-Unis est en fait la consommation de services privés de santé. En 2023, ça soutenait un tiers de la hausse de la consommation aux États-Unis. Ce n'est pas rien ! Si vous ajoutez les dépenses liées la consommation de médicaments, vous arrivez à peut-être entre 33 % et 40 % de la consommation aux États-Unis. Donc évidemment, ils ont une croissance supérieure à la nôtre, puisque c'est calculé comme ça. Mais en réalité, ce qui se passe, c'est que cette croissance n'est le fruit que d'une dépossession, d'une destruction des besoins sociaux identifiés précédemment, à cause de la privatisation de ces besoins de santé, d'éducation, etc., et ça entraîne parfois des tragédies. On l'a vu récemment avec l'assassinat de ce président d'une assurance maladie. L’assassin a constaté qu'il se faisait avoir. Parce que le but d'une assurance maladie aux États-Unis, ce n'est pas que vous soyez bien soigné. C'est de gagner de l'argent, tout bêtement. C'est pas de leur faute : c'est comme ça ! Il est extrêmement important de bien comprendre que nous rencontrons là une tension sociale extrêmement forte.
Un dernier point peut-être pour insister sur le caractère très anthropologique de la crise, c'est qu'on a cette course en avant des besoins nouveaux créés par le capital, qui est le symbole de l'aliénation au sens marxiste. Ça veut juste dire qu'en fait, les besoins que vous avez ne sont pas les vôtres. Ils sont déterminés par quelqu'un d'autre que vous. D'où le terme d'aliénation.
En tant qu'individu, vous voyez bien que vous avez une tension qui va se faire entre ce que vous pourriez avoir comme besoin et des besoins qui vous sont par ailleurs imposés. C’est important et ça fait partie du mal-être général. On voit bien que les gens sont profondément malheureux aujourd'hui. Et cela, car précisément on leur impose de plus en plus de besoins, et parce que, comme on l'a vu, il faut en créer de plus en plus pour pouvoir avoir cette course à l'accumulation dans les conditions qui sont les nôtres.

Crise écologique
Tout simplement parce que – vous l'aurez compris – pour faire de l'accumulation du capital, il faut créer toujours des nouveaux besoins, qui sont réalisés – dans le capitalisme, en tout cas – par une double exploitation : celle de l'humain, dont on a parlé, mais aussi celle de la nature.
Marx avait bien compris qu'il y avait ce qu'il appelait une rupture du métabolisme entre l'homme et la nature, due au capitalisme, puisque précisément, ce qui détermine vos besoins, ce n'est ni l'homme ni la nature, c'est le capital.
Ces deux éléments ne peuvent pas rester dans une forme de métabolisme, c'est-à-dire d'échanges équilibrés, tout simplement parce qu'en fait, les besoins humains sont déterminés par autre chose que par les hommes eux-mêmes. À partir de ce moment-là, il y a effectivement une course en avant qui rompt l’équilibre entre l'homme et la nature. D’où la crise écologique, le fruit de cette rupture par le capitalisme du métabolisme homme-nature.
Vous prenez n'importe quel graphique sur les chiffres du réchauffement, et vous verrez que ça commence en 1850 et que ça s'accélère. En fait, ça suit les rythmes d'accumulation du capital et, effectivement, comme en plus il y a un phénomène incrémental, c'est-à-dire que les augmentations de gaz à effet de serre accélèrent le phénomène, vous avez évidemment une crise écologique.
Cette crise est beaucoup plus large que celle liée au réchauffement de la planète (défi le plus immédiat). Derrière, il y a évidemment la biodiversité : ce n'est pas juste les animaux… C'est en fait des équilibres essentiels au fonctionnement d'une nature dans laquelle l'homme peut vivre.
D'autres éléments interviennent, et, notamment, la pollution par le plastique. La production de plastique n'a pas d'autre sens que de faciliter la vie des industriels. Là est tout le scandale des PFAS : personne n'a demandé à consommer ou à produire ce genre de choses. Ça a été décidé parce que ça favorisait la création de plus-value. Encore une fois, vous voyez bien la dynamique : création de besoins nouveaux, fuite en avant du capital et évidemment spirale de l'exploitation de la nature et destruction de l'équilibre entre l'homme et la nature, donc la crise écologique.
La réponse officielle est de dire qu'en fait, comme le capitalisme est le seul mode de production possible et existant, et même parfois historiquement prouvé, eh bien, il va trouver les moyens de dépasser cette crise par ses propres moyens, notamment avec de nouveaux ressorts de croissance : la fameuse croissance verte dont on vous parle beaucoup. Donc c'est formidable parce que, si on a la croissance verte, la première crise est réglée, et vous allez pouvoir redistribuer, ce qui va améliorer la situation sociale des gens. Donc vive le capitalisme vert !
Sauf qu'évidemment c'est une illusion, car on n'a pas vu de découplage absolu entre les gaz à effet de serre (pour ne parler que du réchauffement) et le PIB au niveau mondial. Pour l'avenir de la planète, qu’importe que la France soit découplée, que le Vatican ou que le Guatemala ait réussi. Ce qui compte, c'est qu'on le fasse au niveau mondial. Or, pour le moment, on ne voit qu’un petit ralentissement des émissions. Il est juste dû au fait qu'il y a un ralentissement de la croissance. En fait, le découplage absolu n'a absolument jamais été vu au niveau global. Il est quasiment certain qu'on ne puisse pas le voir parce qu'en réalité, si on devait avoir encore plus de croissance, il nous faudrait encore plus d'énergie. Il est certain que les énergies renouvelables ne pourront pas assurer ça.
Par ailleurs, les jolies énergies renouvelables sont aussi consommatrices de matières premières, qui posent d'autres problèmes. Précisément, sur les autres faces de la crise écologique que sont la biodiversité, l'extractivisme avec les dangers des mines de lithium et ce genre de pollution de façon générale.
Là aussi, ça mène à une impasse. Quand bien même on arriverait à ce découplage absolu au niveau global grâce aux énergies renouvelables, on se retrouverait face à une autre crise : celle de la sur-extraction et de la sur-prédation des ressources naturelles.
L'effet rebond (« effet Jevons ») montre aussi que ça ne fonctionne pas. Quand un capitaliste a trouvé un moyen de produire avec moins, qu'est-ce qu’il fait ? Il produit beaucoup plus et donc, en fait, il augmente les besoins de matières premières et les émissions de GES. Donc, en cas d’amélioration de la productivité écologique, vous produisez plus en polluant moins, mais comme du coup vous allez en profiter pour produire beaucoup plus, en fait, vous allez augmenter l'effet négatif sur la crise écologique. De façon générale, c'est ce qu'on constate pour le moment : ce qui n'existe pas, c'est précisément ça, c'est la croissance verte. Lorsqu'elle existe, elle rend le problème encore plus fort. Une des façons, par exemple, de « sauvegarder » la biodiversité, c'est de la monétiser, c'est-à-dire de lui donner un prix. Ce qui est formidable avec un prix, c'est que – là encore, Marx le dit très bien – l'argent, c'est quoi ? C'est un équivalent universel. C'est quelque chose qui vous permet d'acheter n'importe quoi. On a créé des crédits biodiversité : par exemple pour construire une autoroute, dans le Tarn, vont être détruits des trucs, des petites bêtes... Et on va vous dire : « Ah, c'est pas bien, vous avez détruit telle espèce qui était présente ici ». Vous allez devoir acheter des crédits biodiversité à des gens qui, eux, ont préservé ou ont construit de nouveaux habitats respectueux de la nature. Mais ceux qui vont vendre ces crédits-là ne vont pas recréer la même chose que ce qui a été détruit par la construction de l'autoroute. Ils vont construire, ils vont créer quelque chose, ce qui sera un équivalent monétaire à partir de critères décidés artificiellement. On vous dit que 3 pommes égalent 4 poires. En l'occurrence, on vous dira : 3 loutres égalent 2 flamants roses. Voilà exactement le sens de ces crédits biodiversité.
Un des ressorts de la croissance verte, c'est la marchandification du vivant. Cela est évidemment très cohérent avec le capitalisme, qui est le régime du non-vivant, c'est-à-dire de la valeur. Mais évidemment, ça ne fonctionne pas pour régler une crise qui est une crise du vivant, la crise écologique.
Donc vous voyez bien que cette troisième crise d'origine capitaliste est aussi une crise insoluble et qui vient mettre une pression sur la production, sur la vie des gens. C'est-à-dire que ce n'est pas juste  la crise des loutres ou d'un truc abstrait comme l'émission de gaz à effet de serre ; c'est qu'en fait, ça détruit des habitats. Ça tue des gens, la chaleur ! Quand il fait 50 degrés au Pakistan tous les étés maintenant, il y a des gens qui meurent. Et comme la conséquence ce sont des inondations catastrophiques, il y a de plus en plus de gens qui meurent. Évidemment, on le voit. Vous êtes au courant de tout ça.
La production capitaliste doit aussi faire face à cette nouvelle contrainte. On se retrouve donc face à une crise qui a trois faces : une face économique, une face écologique, une face sociale pour aller très vite.
Ces trois crises ont la même source. La source, c'est le moteur du capital, c'est-à-dire la nécessité de faire de l'accumulation du capital. Et quand vous allez essayer de donner la priorité au règlement d'une des crises, en fait, ce qui va se passer, c'est que comme c'est une crise globale du capital, vous allez aggraver les deux autres crises.
Je prends un exemple. Si vous dites : la priorité c'est l'économie. Ce qui est important, c'est la croissance, parce que ça va tout régler. Mais vous allez avoir, en fait, une aggravation de la crise écologique pour les raisons précitées, et évidemment une aggravation de la crise sociale, puisque la croissance ne peut se faire qu'au détriment de la situation sociale et anthropologique, comme il vient d’être dit.
Bon, alors comme ça ne marche pas, donnons la priorité à l'écologie. On va essayer de privilégier la sauvegarde de la nature. On est toujours dans le cadre du monde capitaliste qui est le nôtre. Vous allez vous retrouver avec une crise sociale parce que les gens vont dire : « Vous nous emmerdez avec vos normes ! Comment ça, il faut mettre des taxes sur l'essence ? Pas question ! Moi, je veux continuer à vivre comme avant. Qu'est-ce que c'est que ces trucs de bobo, de woke ? Terminé, je veux plus en entendre parler. » Vous avez les gens dans la rue. Vous avez, en prime, une crise économique. Vous allez mettre des normes, des contraintes, et les gens vont dire : « Ah bah oui, mais moi, je ne peux plus produire comme avant, j'ai trop de contraintes, ça coûte trop cher, donc, voilà, je n'arrive pas à faire de l'accumulation du capital, il n'y a plus de croissance ! » Vous êtes bloqué, parce qu'il faut que vous ayez de la croissance.
Mettez la priorité sur la crise sociale. Vous voulez développer les services publics et la redistribution. Très bien !
Mais vous allez vous retrouver avec des gens qui vont vous dire : «  Bah non, parce que dans ce cas, les profits, ça ne va pas aller ». D’où une crise de croissance. Par ailleurs, vous allez distribuer du pouvoir d'achat. Les gens vont consommer ce que les capitalistes leur proposent, c'est-à-dire ce qui détruit la nature. Donc, aggravation aussi de la crise écologique.
Vous vous retrouvez, en fait, avec un trilemme dont il est impossible de sortir. C'est un peu la situation dans laquelle on se trouve. Des gens ont des idées géniales. Ils avancent pour les réaliser et viennent se fracasser la tête contre un mur, pour repartir dans l'autre sens. Et, en fait, ils font tous ça. Ils sont dans une pièce en forme de triangle, vous avez compris, C'est un peu bizarre, mais bon, c'est comme ça ! Et ils vont se casser la tête sur un des côtés du triangle. Je ne suis pas là pour vous dire qu'il n'y a plus rien à faire. Je suis là pour essayer d'expliquer, à mon sens en tout cas, que cette crise est liée à la centralité du capital. La façon de quitter cette crise, c'est évidemment de sortir de la centralité du capital.

Dans cette crise à trois branches, on fait des essais et il n'y a rien qui marche. On se retrouve face à des politiques inopérantes, dont les politiques néolibérales des années 1980 qui, aujourd'hui, sont complètement à bout de souffle.
La solution à cette triple crise est très simple. Vous êtes dans un système qui donne la centralité au capital. Où, en fait, c'est le capital qui décide. Le capitalisme est le régime où le capital décide. Si le capitalisme décide, ce qu'il veut c'est uniquement son accumulation. D’où la priorité à la résolution de la crise économique. Donc il soutient le taux de profit. Comme on l'a dit, cette solution est vouée à aggraver les deux autres crises : sociale et écologique. Si vous restez dans la logique capitaliste, votre seule porte de sortie, c'est de faire en sorte que les deux autres crises n'existent plus, parce qu'on ne les voit plus, on ne les entend plus.
Seul un mouvement autoritaire peut le faire. Quand j'étais jeune, en 1989-1990, on m'a expliqué que c'était terminé maintenant, que le capitalisme avait triomphé ainsi que la démocratie libérale. Que les deux allaient de pair et qu'on vivait dans un monde forcément démocratique parce que capitaliste.
En fait, aujourd'hui, ce qu'on constate de nos yeux - et je suis assez étonné qu'on ne le dise pas plus souvent - c'est que ce capitalisme est en train de se débarrasser de la démocratie. De la démocratie sous toutes ses formes, mais pas forcément de celle qui consiste tous les quatre ou cinq ans à mettre un bulletin dans une urne ou à faire une croix sur un truc. Par contre, la démocratie vivante disparaît, c'est-à-dire le débat, face à l'immobilisation sociale et au poids des média.
Toutes ces choses-là, aujourd'hui, sont sous pression parce qu'en réalité, il faut sauvegarder l’illusion de la croissance. Pour aller vite, cette illusion est que, en tentant de régler la crise de l'accumulation, on va tout régler. Et donc, effectivement, ce qui se passe, c'est que ce régime capitaliste, de plus en plus, est en train de vider la démocratie de son sens, pour pouvoir imposer cette illusion, ce mensonge.
Cet autoritarisme du mensonge est assez extraordinaire, car on voit comment on allume en permanence des contre-feux pour créer des problèmes qui évitent de parler de la crise sociale anthropologique et de la crise écologique.
Ces problèmes visent à diviser le monde du travail. Pour une raison très simple : toute division du monde du travail renforce évidemment les dominants, c'est-à-dire les ultra riches. Et elle permet aussi de faire pression sur les revenus des salariés, parce qu'un monde du travail divisé se défend moins. Cette division va créer des boucs émissaires. Ce qui tombe bien, puisque vous avez moins de croissance, donc moins de revenus à partager.
Vous êtes dans un capitalisme de jeu à somme nulle, où ce que vous allez donner à l'un, vous allez devoir le prendre à un autre. Et pour ne pas avoir à le prendre au capital, on va vous dire : « Le problème, c'est les assistés, les immigrés, les woke, je ne sais pas quoi... »
Vous ouvrez n'importe quelle télé, c’est ce que vous voyez : ce faux débat, ce leurre. Dans La société du spectacle, Guy Debord insiste beaucoup là-dessus, sur la façon dont le capital (le spectacle en est la forme contemporaine) crée en permanence des faux débats. En fait, pour éviter de voir ce que Marx appelait le mouvement réel, c'est-à-dire ce qui se passe vraiment en sous-jacent : l'évolution de l'accumulation du capital et de ses conséquences.
Le mouvement autoritaire actuel, c'est celui-là. Un mouvement de répression sociale, raciste, xénophobe, sexiste, contre toutes les minorités, parce que précisément, son but est de soutenir l'accumulation du capital en faisant oublier les deux autres crises.
Je crois que c'est l'élément central de cet autoritarisme contemporain qui a pour but, on le voit bien maintenant, de fusionner avec cette idéologie libertarienne qu'on croyait un peu moribonde. Elle revient en force, afin de réduire les droits sociaux, de diminuer les protections sanitaires, les normes environnementales, c'est-à-dire d'aggraver les deux autres crises pour pouvoir soutenir l'accumulation du capital.
Parce qu'on a une crise anthropologique, les gens veulent bien le croire, car ils sont eux-mêmes pris dans cette grossière contradiction : devoir satisfaire des besoins dont ils ne veulent pas vraiment, mais en même temps qu'ils désirent. Et on leur dit que tout doit se faire à l'intérieur du capitalisme, que c'est la liberté, l'abondance et le bien-être. Donc vous avez des dissonances cognitives à tous les niveaux. De cette espèce de chaos, l'extrême-droite, de façon globale, profite largement. Même si l'extrême-droite n'est qu'une facette de ce développement autoritaire.
J'ai écrit un livre dessus, donc on ne peut pas m'accuser de l'avoir oublié.
Les néolibéraux eux-mêmes ont entamé ce mouvement autoritaire précisément pour cette raison-là, parce qu’ils sont le parti du capital, du capital de façon globale. Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire sur les divisions à l'intérieur du capital, sur les raisons de cette crise du capitalisme. 

LE DEBAT 

Un.e intervenant.e : Est-ce que vous pourriez préciser le lien qui existe manifestement entre l'autoritarisme des États - autoritarisme montant - et l'autoritarisme au sein des grosses entreprises ? Il me semble que vous avez très bien suggéré que les deux sont liés. Mais où est la poule ? Où est l'œuf ?  Qu'est-ce qu'il produit ? Comment ça se passe ? Où ? Quand ? Comment ?

Un.e intervenant.e : Est-ce que vous avez des voies de sortie du centralisme capitaliste ? De tout ce qui nous a construits depuis 1850 ?

Un.e intervenant.e : J'entends bien la droitisation du néolibéralisme, telle qu'elle se fait actuellement. Comment expliquer dans ce contexte-là, ou comment réinventer une vérité autour du positionnement de certaines extrêmes droites populistes qui habillent d'une certaine façon leur discours sur l'impossible progrès social ? Et là, on a vraiment du mal à comprendre ces glissements-là.

RG :  Je vais répondre déjà à ces trois questions-là.

Le lien entre les États et les grandes entreprises, effectivement, est  fondamental. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'en fait, dans le processus néolibéral, à partir des années 1980, on a déjà un État qui a pour vocation de s'affranchir du monde du travail, et qui déjà s'adosse très largement aux intérêts du capital. Mais il va se présenter, à ce moment-là, comme une sorte d'arbitre de la concurrence. C'est un peu le rôle de l'État néolibéral.
Dans les faits, c'est pas vraiment comme ça, parce que, déjà, il y a des aides très fortes mises en place. Mais en réalité, l'État est un peu soumis aux aléas de la conjoncture et donc de l'accumulation du capital. L'État capitaliste a pour vocation de favoriser cette accumulation. Dans les années 1980, il a expliqué aux gens que c'est parce qu'ils étaient trop syndiqués, qu'ils gagnaient trop d'argent, qu'il y avait moins de profit et donc moins d'emplois. Il a commencé à détricoter toutes ces choses-là, ce qui a contribué à faire repartir les taux de profit. Puis l'État a accompagné les demandes des entreprises, notamment en termes de financiarisation. En 2008, il y a eu la crise. Les grandes entreprises ont demandé laide de l'État. L'État les a aidées, mais le capital n’aime pas le poids de la reconnaissance. Les politiques des banques centrales, par exemple, ont lancé les GAFAM. Si vous regardez bien, les grandes entreprises de la tech, à partir de 2010-2012, le centre de leur puissance, c'est leur cours en bourse. Et il est fondé sur les politiques des banques centrales, qui rachètent des actifs sur les marchés, donc enrichissent les acteurs des marchés, lesquels utilisent cette richesse pour aller investir ensuite en bourse. Et ils vont investir où ? Dans les grandes entreprises qu'on leur disait être l’avenir, c'est-à-dire ces fameux GAFAM.
Ces GAFAM ont construit leur puissance en rachetant toutes les entreprises qui pouvaient leur faire concurrence, toutes celles qui avaient recours à des données, en lien avec leurs actions. Ils n’ont pas acheté avec des dollars, mais avec leurs propres actions. En se disant : de toutes façons, comme les banques centrales rachètent nos actions, celles-ci augmentent tout le temps.
On vous donne aujourd'hui 100 dollars d'actions, évidemment ça ne correspond pas à 100 dollars, mais vous êtes sûr que l'année prochaine ça vaudra 200, et ensuite 300... C'est mieux que si je vous donnais 100 dollars en réalité, parce que là, pour le coup vous ne partiez qu’avec vos 100 dollars !
La politique de l'État a contribué à cette concentration du capital et au bout d'un moment, elle se retrouve en face des monstres qu'elle a contribué à créer et qui à un moment entendent lui dicter leur loi.
Je parle des GAFAM, mais il y a les géants, vous savez, les champions du n'importe quoi, de la chaussure, du machin... « il faut créer des champions ». Ça veut dire qu'il faut créer des multinationales. Total - dont on dit qu’il fait un peu du chantage à la France - Total, c'est quoi ? C'est, en fait, la fusion de Total avec Elf Fina, Elf Aquitaine, qui était une entreprise publique. Cette fusion a été faite avec l'appui de l'État français. Donc les États ont eux-mêmes créé les monstres qui, aujourd'hui, leur demandent des comptes.
Face à cette situation-là, deux possibilités :
- la classique néolibérale, de dire : « Ah non, on est allé trop loin dans la concentration, alors on va faire de la concurrence, on va faire de la régulation, etc. » Sauf qu'en fait, vous vous retrouvez face à des monstres incontournables.
- la seule solution, en fait, c'est le démantèlement. Ce n'est pas la même chose de démanteler, par exemple, Standard Oil en 1912, dans un monde où il y a plein de croissance, où vous découvrez du pétrole sans arrêt, où la demande explose et où de toute façon il n'y aura pas de conséquences particulières, que de démonter aujourd'hui les géants de la tech, qui vont faire du chantage, qui vont pouvoir prendre des mesures de rétorsion, qui ne se laisseront pas faire, qui s’évaderont dans des paradis fiscaux, dans des zones en dehors des règles internationales, puisque le monde aujourd'hui est constitué comme ça.
Il y a des États. Et puis à l'intérieur, des zones dans lesquelles les entreprises ont des droits plus fort qu'ailleurs, des zones noires, des endroits où les entreprises peuvent agir sans qu'aucun État ne puisse agir. Tout ça, a été créé par les États aussi.
Donc vous vous retrouvez face à une situation qui est extrêmement complexe pour résoudre le problème par la régulation. D'autant plus que, par ailleurs, quand bien même vous feriez ces démantèlements, ces régulations, l'Histoire nous apprend que ces monopoles suivent des cycles. C'est-à-dire que vous allez créer les conditions d'une libéralisation et donc d'un éclatement des monopoles. Ensuite, évidemment, comme vous êtes libéraux, vous allez laisser le marché faire. Et le marché va vous créer une nouvelle concentration, sans aucune difficulté. Le mythe de Sisyphe ! Donc cette idée de vouloir tout régler par la concurrence, personne ne peut y croire.
Et puis vous avez la deuxième option, qui est l'option Trump, c'est de dire : « OK, l'État, aujourd'hui, a pour fonction de venir en aide aux grandes entreprises. Il est un outil dans les mains des grandes entreprises. Donc, on le fait très clairement. On met des dirigeants des grandes entreprises, les oligarques, au pouvoir. C'est eux qui décident ce qu'ils font de l'État, en fonction de leurs intérêts. Parce que ça va favoriser le plus possible l'accumulation du capital. » Effectivement, il y a, aujourd'hui, cette tentation, qu’on peut appeler libertarienne, qui s'appuie sur un discours libertarien de dévalorisation de l'État et qui est, en fait, un système de prédation de l'État.Je pense que c'est dans ce cadre-là qu'il faut réfléchir.

Ensuite, je vais répondre à la question sur le populisme d'extrême-droite. Évidemment, c'est un problème qui est extrêmement politique. Je ne suis pas un spécialiste de la question politique, mais vous voyez bien dans ce que j'ai essayé de développer sur la deuxième crise, la crise sociale et anthropologique, que les gens sont extrêmement malheureux : ça ne va pas, quoi ! Et ça ne va pas seulement dans les classes populaires, ça ne va pas dans les classes moyennes, et parfois même dans les classes supérieures ce n'est pas terrible non plus. Je ne parle pas des ultra-riches.
Ce que fait l'extrême droite, c'est profiter des tensions entre les besoins sociaux, les besoins créés par le capitalisme, le pouvoir d'achat, toutes ces choses-là. Et elle dit une chose très simple : « Comme on n'a plus assez de croissance, on ne peut pas distribuer comme ça, on ne peut pas faire venir les gens, on ne peut pas… »
Elle joue sur cela : « On va régler le problème social en appauvrissant une partie de la population, ou en s'en débarrassant, ce qui revient au même. Ben voilà, comme ceux-là seront plus pauvres, vous, vous serez plus riches. »
Pour moi - mais peut-être que vous n'êtes pas d'accord parce que vous entendez autre chose - pour moi, la politique sociale de l'extrême droite, fondamentalement, c'est ça.
Quand, pendant la campagne des législatives, on leur demandait « mais qu'est-ce que vous allez faire comme politique sociale ? », ils répliquaient « ben on va réduire ! » Alors évidemment, on a l'impression qu'ils sont un peu débiles !
Ils sont pas que débiles, en fait. L'immigration, ils savent que ça fait quand même tilt chez des gens qui se disent « ah ben oui, si les autres sont plus pauvres, moi je serais plus riche ». Ce n'est pas un hasard. C'est vraiment typique de ce capitalisme de bas régime, de ce jeu à somme nulle, de cette situation où, en fait, il n’y a plus de croissance. On ne peut pas donner à tout le monde, donc il faut choisir. Les gens ont intégré qu'on ne pouvait pas appauvrir le capital, parce que sinon il n'y aurait plus d'emplois, plus de richesses, etc. Alors, en fait, c'est entre vous que ça se joue. Et celui-là, il est un peu moins français que toi, donc il va avoir un peu moins que toi. Après la campagne des législatives, c'était la double nationalité :  « Ah ouais, mais les binationaux, ils sont un peu moins français que nous... » Et après, ça va être votre grand-père : il était quoi ? Et puis votre arrière-grand-père... Mais là où je suis d'accord avec vous, c'est que c'est très compliqué parce qu'en fait ça marche.
Robert Brenner, un historien américain, a écrit en 2021 un texte intéressant sur les États-Unis, où il expliquait, à propos de la politique des Républicains, que pour leurs électeurs être blanc c'est l'équivalent d'avoir un diplôme pour les électeurs démocrates. Ça leur donne plus de droits, dans la redistribution du jeu à somme nulle dans lequel nous nous trouvons. Cela sonne comme une politique sociale pour beaucoup de gens. C'est extrêmement compliqué, parce que ça marche.
Moi je n'ai pas de solution, sinon je serais député. Mais je le suis pas, et je ne le serai jamais, j'espère ! En tout cas, je pense que c'est sur ces ressorts-là que ça joue. Donc il faut faire comprendre aux gens que l'appauvrissement du voisin et son propre enrichissement, ça n'a rien à voir.

Quant à la deuxième question : « des voies de sortie » ? C’est un peu compliqué. C'est une tension classique dans le mouvement social et dans la gauche. Une tension qu'on voit en ce moment même. Évidemment, on a des urgences. On a une urgence écologique, une urgence sociale. Le taux de pauvreté a augmenté. Des gens sont concrètement très malheureux. Et si vous leur dites : « En fait, il faut abolir le capitalisme », les gens regardent ailleurs et ne vous écoutent pas.
Bon, c'est normal. Pourtant, en réalité, c'est la seule voie possible.
La tension est à plusieurs niveaux. C'est un sujet politique. Et ça ne règle pas la vraie question, qui est le problème du « comment ? ». Mais ce n'est qu'une fois qu'on saura ce qu'on veut faire, qu'on le fera. On se gourera, on fera des retours en arrière, on tâtonnera parce que l'histoire c'est comme ça, mais on le fera.
La question c'est simplement comment juste faire comprendre qu'on doit en arriver là. Et ça, c'est un problème politique, où il y a une tension entre deux temporalités : une temporalité de long terme, une temporalité structurelle face à une temporalité d'urgence. Avec la difficulté suivante : les mesures que vous allez prendre, afin de régler l'urgence, vont aggraver la situation. C'est là où c'est encore plus compliqué. On peut pas laisser les gens sans rien faire, mais ce que l'on fait peut être encore pire. Parce que si on ne faisait rien... Quoique, parfois, on se le demande !
Typiquement, vous avez une crise de la biodiversité. Votre solution, c'est la marchandisation de la biodiversité, les crédits biodiversitaires. En fait, c'est pire. Donc, vraiment cette tension-là est extrêmement complexe. Elle suppose, puisque je suis invité par le cercle Gramsci, de faire hommage à Gramsci. C'est-à-dire qu'il y a vraiment quelque chose qui est de l'ordre de la guerre culturelle à accomplir. Or, la guerre culturelle, on l'a perdue. Et on part de zéro. Mais ce n'est pas grave. On peut la mener quand même. On est obligé de la mener.
On a pour nous cette réalité qu'en face, ils n'ont pas de solution. Il n'y a pas de solution. Ça ne marche pas, leur truc. En fait, ça ne marche qu'en faisant croire que ça marche, c'est-à-dire en faisant taire la réalité. Ça ne marche que par les fake news. Alors les gens peuvent croire aux fake news jusqu'à ce que d'un seul coup, ils se retrouvent avec leur maison les pieds dans l'eau.
Mais cela dit, même quand c'est comme ça, vous voyez ce qui s'est passé à Los Angeles : les gens disent c'est la faute des wokes ! Je n'en sais rien. Franchement, ça me dépasse.

Un.e intervenant.e : La révolution n'est pas pour demain. Pour une fois, j'ai bien compris une conférence du Cercle Gramsci ! Je voulais savoir : est-ce que j'ai un problème de vocabulaire ? Est-ce que c'est la même chose privatisation des bénéfices et mutualisation des pertes ? L'appel à l'État, quoi !
Chez moi, j'ai toujours la fiche de Fakir sur le graphique, qui a disparu dans je sais plus quel journal financier, là, où on voit les millionnaires qui ont de plus en plus de fric et on l'a vu également par le nombre de milliardaires l’an dernier. Ma solution : je vous conseille de lire la BD Les vieux fourneaux. Vous vous marrerez.

Un.e intervenant.e : J'ai une remarque. Vous n'abordez jamais le mécanisme de la dette comme moteur de croissance, les intérêts de la dette comme origine de la crise sociale et de l'appauvrissement  général de la population. Et juste une petite idée : je pensais à l'hégémonie culturelle ou dans les discussions, parler de capitalocène au lieu d'anthropocène. Je crois que c'est ce que font certains chercheurs pour expliquer justement le rôle du capitalisme et pas simplement de l'homme dans la création de la crise environnementale. Et je pensais aussi que le capitalisme, à peu près dès ses origines, a été violent, même si je ne dis pas qu'à l'heure actuelle, on est dans une phase effectivement de violence exacerbée ou en tout cas d'un régime qui va vers l'autoritarisme. Mais quand on lit Marx, la crise des enclosures et la création du capitalisme, l'accumulation primitive, a été justement créée par l'absence totale de démocratie, puisqu'on a forcé les paysans à aller dans les usines et ceux qui ne voulaient pas y aller, ils allaient en prison. Donc dès sa naissance, ça a été ça. Et en fin de compte, nous, on a eu une accalmie en Europe, parce qu'on a pu profiter de l'impérialisme de nos propres pays, en tout cas. Mais je pense que l'envers du décor, c'était ce qui se passait en Amérique latine quand on voit ce qu’y faisaient les États-Unis ; ou ce qui se passait en Afrique avec les États-Unis ou la France. Donc notre démocratie a été au prix de l'étranglement d'autres sociétés.

Un.e intervenant.e : C'est plutôt une réflexion. Certes, l'Histoire n'est jamais écrite à l'avance, mais vous nous avez abondamment démontré que les États sont aux mains du capital, qu'ils se débarrassent de tout ce qui gêne, en particulier des droits ou des illusions de droits qui peuvent exister. Et quand il y a une exaspération totale par rapport à la diminution de l'accumulation du profit, eh bien, comme disait Jaurès, ce sont les guerres. Trump a annoncé la couleur en disant qu'il serait seulement le truchement de Musk et d'autres, et que le Groenland était  un besoin intrinsèque des États-Unis, c'est-à-dire du capitalisme. Et on peut généraliser. Donc, est-ce que ça serait ça, la phase ultime avant d'arriver à autre chose ?

RG : Oui, l'aide de l'État, c'est évidemment la privatisation des bénéfices et la mutualisation des pertes. Tout ça, c'est en cas de crise, évidemment. Mais on l'a bien vu avec la crise de 2008 et aussi avec celle de 2020.

Sur la question de la dette : vous avez entièrement raison. C'est évidemment une des contre-tendances qui permettent de soutenir, via la financiarisation, le taux de profit, notamment la dette publique. La dette publique, elle est en fait reversée. Tout le monde vous dit : « Ah, la dette de la France ! », parce que la France n'est qu'un pion entre les marchés financiers et les entreprises qui bénéficient des fameux 200 milliards de soutien public. Si on supprime ces 200 milliards, la France est en excédent budgétaire. Ça veut dire que les comptes sociaux ne posent pas problème dans ce pays. Leur déficit est créé artificiellement. Mais ce qui est important, et je pense que vous aviez ça en tête aussi, c'est la dette privée, celle des entreprises, mais surtout celle des ménages. Et notamment, une des rentes importantes – j'en ai un peu parlé, mais c'est un élément important du capitalisme contemporain, qui est la rente immobilière – s'est constituée évidemment sur l'endettement massif des ménages. D’où la crise de 2008 aux États-Unis, notamment. Et c'est reparti. Ça va prendre quelques années. On est toujours dans cette contradiction entre des revenus qui sont sous pression et une nécessité d'aller transférer de l'argent à des capitalistes, soit financiers, soit rentiers. Évidemment, la dette est un élément essentiel et qui joue un rôle de régulation de cette situation par des crises régulières, qui permettent de faire des redistributions à l'intérieur du capital entre le secteur financier, le secteur industriel, les secteurs rentiers.
Sans entrer dans le détail, mais on l'a bien vu avec la crise de la zone euro, où on a eu une redistribution qui a permis de soutenir le secteur financier qui sortait de la crise de 2008. Tout ça a été effectivement payé par l'austérité imposée à tous les pays de la zone euro, y compris d'ailleurs aux Français, même si c'était sans commune mesure avec ce qu'ont connu les Grecs.
Il faut creuser cette histoire de la dette et c'est un élément extrêmement important.

Sur vos propositions concernant le capitalocène : moi je n'utilise pas le terme d'anthropocène, il me semble d'ailleurs un peu étrange parce qu’on est dans la logique d'un métabolisme entre l'homme et la nature. La nature a toujours été transformée par l'homme dans les époques antérieures. Donc il y avait une forme d'anthropocène qui ne posait pas de problèmes particuliers (sinon locaux : déforestation, des choses comme ça) au niveau global. C'est bien le capital, qui pose problème au niveau global. Et c'est d'autant plus intéressant que ça montre un élément vraiment fondamental de ce qu'est le capitalisme. Dans le capitalisme, encore une fois, les hommes ne décident pas. Ceux qui décident détiennent le capital, ne voient que l'intérêt du capital. Certes, le capital n'existe pas en soi, mais il place des hommes sous l'injonction de l'accumulation du capital. Donc le terme de capitalocène permet bien de traduire le fait qu'il y a une agentivité du capital, qui est fondamentale. Le capitalisme est un régime, comme tous les modes de production historique, extrêmement violent : il a eu recours à la violence et n'est pas né dans la démocratie. Le Royaume-Uni du XVIIIe siècle, n’est pas une démocratie. Il n'y a pas de raison de dire qu'il y a un lien entre capitalisme et démocratie, bien que ce soit  l'idéologie officielle dominante depuis la Seconde Guerre mondiale, et encore plus depuis les années 1990.
Ce qui se passe aujourd'hui me semble une forme de rupture. C'est-à-dire que la vitrine du capitalisme était l'Occident, avec toutes les arrière-boutiques que vous avez à juste titre dénoncées. Mais cette vitrine-là, elle était présentée, au Chili par exemple, comme « ils sont un peu arriérés,  quand ils auront plus de développement, ils entreront dans une phase de transition démocratique »… Tel était le discours des années 1990, alors que les pays occidentaux n'étaient plus soumis à des régimes dictatoriaux ou n'étaient plus censés l'être.
Cette vitrine de l'Occident démocratique et capitaliste est en train de se fissurer avec le cœur du capitalisme contemporain - les États-Unis - qui bascule dans une oligarchie. C'est une phase nouvelle, me semble-t-il, du capitalisme.
Ma vision, c'est qu'il y a des phases du capitalisme. Il y a des époques. Il y a un mode de production capitaliste général, mais à l'intérieur se trouvent des modes de gestion différents selon les époques et même selon les régions. Tout ça se discute et c'est pas du tout parole d'évangile.

Quant à Madame, je la remercie puisqu'elle me permet de parler de quelque chose que j'avais oublié : la question de la guerre.
Évidemment, l'évolution, quasi intrinsèquement autoritaire, se fait dans le cadre existant des États-nations, ou plutôt des blocs capitalistes. On a grosso modo la Chine, les États-Unis, l'Europe, un peu la Russie, un peu l'Inde... Ces blocs se font concurrence. Ils sont tous soumis aux régimes dont j'ai parlé tout à l'heure, d'affaiblissement de l'accumulation. Dans ces situations-là, la porte de sortie logique, c'est la prédation. Aller chercher chez le voisin ce qu'on n'a pas chez soi. Et quand on a un concurrent qui est trop gourmand, qui gagne des parts de marché, qui menace de nous dépasser, on va sur le terrain militaire pour le casser. Cette logique est évidente, on la voit, et on l’a vue. La Russie était dans une situation économique extrêmement délicate. Elle n'a pas accepté que l'Ukraine puisse entrer dans une zone d'influence qui n'était plus la sienne, parce que la Russie y perdait des plumes alors que sa croissance était déjà extrêmement faible, et que son accumulation allait être remise en cause. Donc il y a eu 2014, puis l’invasion de 2022, parce que ça faisait partie de ce régime-là. Ce système de concurrence intra-capitaliste a des conséquences absolument tragiques.
On le voit aussi dans la concurrence entre les États-Unis et la Chine. La Chine essaye de monter en gamme, notamment sur le plan technologique. Ça vient directement concurrencer les États-Unis, qui sont en train de devenir une coquille porteuse des intérêts des géants de la technologie. Dans ce cadre-là, l'option militaire n'est non seulement pas exclue, mais elle me semble quasi inévitable.
Comme il n'y a pas de solution, les États essayent de cacher, par de l'autoritarisme, les problèmes qui vont ressortir. Il faudra alors les cacher d'une autre façon. Et donc - une fois qu'on sera débarrassés des Arabes parce que c'était de leur faute - on se rendra compte que ça ne sera pas mieux. Et alors, ça va être la faute de qui ? De ceux qui nous ont pris des marchés, de ceux qui sont nos ennemis naturels... Ce sont des choses qui fonctionnent. On est en train de retomber dans ces logiques-là.

Mon propos, ce n'est pas de dire ce qui marche ou ce qui ne marche pas. Dans les modes de production globaux, il y a des moments où ça fonctionne, c'est-à-dire que ça remplit son rôle social, que ça permet une certaine stabilité sociale à un moment. Et puis il y a des moments où ça dysfonctionne. Donc ça évolue pour trouver un nouvel équilibre...
Le système féodal a fonctionné pendant un certain temps sur un certain mode. Puis à un moment, il est entré en crise. Il a trouvé un autre mode, plus étatisé. Puis ce mode-là lui-même est tombé en crise, et il s'est bâti un autre système de développement : le capitalisme.
À un moment, beaucoup de gens y ont trouvé leur compte. Pas tous. C'est un système qui n'a pas fait que des heureux, même quand ça allait bien. Il y a un peu une tendance (mais comme il y a beaucoup de têtes blanches ce soir, je parle à des gens qui savent déjà tout ça) une tendance à idéaliser les Trente glorieuses, les années 1960, les années 1970... Mais la pauvreté était quand même terrible. des gens vivaient dans des bidonvilles. OK, les gens avaient du travail. Mais dans quelles conditions ? Le travail à la chaîne. Je sais qu'il y a des gens qui ont la nostalgie de cette production industrielle nationale, avec nos ouvriers qui turbinaient... La question, c'est que ce système, dans sa logique aujourd'hui, n'est plus capable de répondre aux défis de notre époque. Il crée plus de problèmes qu'il n’en résout. Il faut se poser la question de trouver autre chose.
Mais encore une fois, il faut bien être conscient que, là aussi, l'histoire est importante. Il y a des mouvements de transition extrêmement longs, complexes, violents. Il y a des échecs. Il y a des moments où ça revient. Il y a des moments où ça se stabilise. Il y a un moment où le capitalisme a pu remplir un certain nombre de besoins des gens, même s’il y avait de nombreux mécontents.
Sans doute, si on crée quelque chose de nouveau, ce sera pareil. En tout cas, ce qui est certain, c'est que le capitalisme est une domination du non-vivant : du capital sur le vivant, sur l'homme, et sur la nature. Ce n'est pas tout à fait la même chose que le système féodal. Je ne suis pas du tout nostalgique du système féodal, mais c'était une domination entre les hommes.
Mais le système, aujourd'hui, n'a pas de solution aux crises qui sont les nôtres. Effectivement, je n'ai pas de solution clé en main. Si j'en avais une, il faudrait me brûler, là, immédiatement.

Un.e intervenant.e : Juste pour dire que jusqu'à présent, les autoritarismes qu'on a connus étaient personnifiés. On a eu Hitler, Salazar, des gens comme ça... Et ce que vous êtes en train de nous dire, c'est que le capitalisme est quelque chose qui n'est pas personnifié.
Donc, il va falloir qu'on lutte contre un autoritarisme qui nous tombe sur la figure. Il va falloir qu'on soit sacrément créatif pour arriver à faire quelque chose.

Un.e intervenant.e : Vous avez parlé de l'occultation des vrais problèmes, qui permettait que les gens regardent ailleurs. J'avais également pensé qu'à un moment, l'autoritarisme s'appuyait sur la peur des gens (du Covid, etc.). Que c'était vraiment ça qui dirigeait actuellement notre société. Et vous, vous avez parlé aussi des contradictions internes des gens. J'aimerais bien que vous développiez cet aspect-là.

RG : Oui, je crois que la personnification est un élément important et qui prouve bien d'ailleurs qu'il y a un lien très étroit entre tous les autoritarismes en régime capitaliste, liés évidemment à des crises d'accumulation. Le lien est très étroit là où il y a une prise de pouvoir directement du capital.
En France Le Pen, aux États-Unis Trump, sont des figures qui mobilisent les masses. Donc ce n’est pas totalement vrai que ce soit non personnifié. On va quand même avoir des situations où ils peuvent passer d'une figure à une autre. Et comme vous dites, ça va nous obliger à être particulièrement créatifs.
Cet autoritarisme ne va pas avoir les formes traditionnelles de la dictature militaire qu'évoquait Madame, le modèle Chili 1973 ou Grèce 1967. Pas de chars dans les rues, ou alors seulement dans le cadre d'une crise avec des émeutes. Mais pas le jour où ils prennent le pouvoir.
J'en veux pour preuve ce qui s'est passé en Corée du Sud. Il y avait un président qui, pour des raisons économiques, voulait instaurer la loi martiale. Les gens se sont mobilisés pour continuer à avoir le droit de voter... Alors qu’en Corée du Sud, vous avez le choix entre le centre droit et la droite du centre ! Mais enfin, les gens veulent voter. Ils ne sont pas d'accord pour avoir une dictature brute de décoffrage, comme ils avaient dans les années 1980. Un des points positifs de tout ce qui est réseaux sociaux, etc., c'est que ça peut faciliter la mobilisation. Face à ces échanges entre les gens, il devient difficile de juste leur dire « Taisez-vous ! ». Ça ne prend pas ces formes-là de censure, d’anesthésie.
J'ai fait un reportage en Italie. Ils n’ont pas interdit l'opposition, ni la presse d'opposition. Mais, en fait, la presse d'opposition tire la langue. Elle est soumise à des procès continuels, se trouve dévalorisée dans les autres médias. Il y a une domination culturelle de l'extrême droite à travers les médias d'État. Maintenant il y a une réforme de l'éducation pour revenir au latin et à la Bible.
Donc vous avez un truc où en fait cela avance par (Merci Gramsci !) l'hégémonie culturelle. Et la démocratie est vidée de son sens. Elle est utilisée : c'est ce qu'a fait Orban en Hongrie. J’y suis allé au mois d'octobre, juste après l'Italie. J'ai été frappé, parce que c'est un pays de l'UE capitaliste. On pouvait faire des achats. Les gens sont dans la rue. Vous avez moins de policiers à Budapest qu'à Paris. Ils ont l'air un peu moins agressifs... Bon, ça a l'air d'aller. Sauf qu'en fait, c'est une dictature terrible. Ils ont vidé toute opposition, sauf celle des néonazis. Ils acceptent l'opposition néolibérale. Mais, en fait, ils luttent même contre elle par des propos terribles, vraiment racistes… Quand vous essayez de traduire les journaux, les magazines, franchement, c'est effrayant. Avec un discours en plus victimaire de la Hongrie, ce qui est une tradition du régime autoritaire. C'est indéniable, il y a une démocratie formelle, mais complètement vidée de son sens.
Voilà ce qu'on voit progressivement venir. On n'y est pas complètement en France, mais un peu tout de même. Voilà le paysage médiatique français : par exemle des débats politiques à la mort de Jean-Marie Le Pen, se demandant s'il était raciste, alors que lui-même le disait !
Voilà mon impression, mais je pense que l'autoritarisme contemporain va prendre des formes un peu hybrides en s'insinuant dans la démocratie. Ce qui lui permettra de ne pas être totalement dépendant d'une personne, d'accepter dans certains cas des formes « d'alternance ». Par exemple en Pologne on va remplacer l'extrême droite par Tusk, un néolibéral du dernier ordre ; mais pour le capital c'est la même chose.
À mon avis, on va avoir quelque chose qui va être hybride pendant un certain temps. Mais ça ne marchera pas. Donc il va falloir passer à des choses un peu plus sérieuses, parce qu'encore une fois, il y a ces trois crises et il va falloir gérer la crise écolo, la crise sociale.
Est-ce que ça va suffire ? Peut-être pas. Est-ce qu'il va y avoir un retour à des formes d'autoritarisme encore plus violentes ? Probablement, avec une dernière étape qui sera évidemment celle des conflits armés.
On le voit déjà. Avec des gradations : entre la France de Macron et la Russie de Poutine, il y a une gradation. Heureusement, la France de Macron n'est pas la Russie de Poutine. Mais vous avez une tendance à l'autoritarisme, sans oublier l'horizon : la Russie de Poutine, où on vote. Évidemment, ça n'a pas de sens. Mais une forme de démocratie formelle est préservée, avec pourtant une répression terrible de toutes les oppositions. Ce sont des réflexions que je lance.
Je pense que l'autoritarisme va prendre des formes un peu hybrides, un peu différentes, qui vont dépendre de chaque pays. Certains ne vont pas accepter cela, d’autres si. Mais ça obligera effectivement à s'adapter à cette violence. Et ce n'est pas évident, parce que, quand vous dites « autoritarisme », on vous répond : « C'est pas la dictature, en France. La preuve, vous pouvez venir à Limoges pour en parler. On ne vous met pas les flics aux fesses. On ne vous met pas en prison. » C'est vrai. Il n'empêche que la répression des Gilets jaunes, le déni démocratique, la prise de contrôle des médias, restent des réalités.

Sur la peur des gens.
Vous avez raison, c'est un élément important, qui complète ce que je disais sur ce problème insoluble : quand vous essayez de régler une crise, vous augmentez les autres et tout semble vous échapper. C'est normal, d'avoir peur.
L'utilisation de la peur est un ressort de l'autoritarisme assez classique. Je vous remercie de me le faire préciser.
Cette division interne, pour en finir, à l'intérieur des gens, c'est quelque chose qui est un peu bizarre à dire comme ça, mais je crois qu'il y a là une difficulté importante, qui se traduit de façon un peu informelle. On a le sentiment que les gens ne savent pas ce qu'ils veulent.
Mais je pense que c'est plus complexe que ça. En fait, ils sont soumis à des injonctions contradictoires. L'une, c'est l'injonction à la consommation. Elle est créée par l'ensemble de la société, pas seulement par la publicité et le marketing. Elle est créée parce que vous travaillez pour pouvoir consommer. Et on vous dit que c'est ça qui est bien. Toute la production culturelle et intellectuelle, une grande partie, pas la totalité heureusement, vous incite et vous dit que la consommation est quelque chose de bien. Donc vous consommez. Or, cette consommation est insatisfaisante. Je ne parle pas de la consommation des biens essentiels, mais de la consommation des nouveaux produits, de ces besoins créés par le capital, pour sa propre satisfaction.
Comme ce n'est pas quelque chose que vous voulez, c'est forcément à un moment insatisfaisant. Il y a quelque chose de contradictoire qui est porté en nous, et c'est encore une fois normal. Ce sont là les contradictions de la puissance organisatrice de la société (le capital), qui favorise ce qu'on appelle le processus de valorisation par rapport à l'usage, le fait de rechercher du profit et pas la satisfaction d’un besoin quel qu'il soit. Le besoin n'est satisfait que s'il produit du profit.
C'est d'ailleurs pour ça qu'ont été créés les services publics, un certain nombre de trucs qui ne font pas de profit... Comme c'est bizarre ! Les gens ont besoin d'éducation, de transports, de santé. Dans ces domaines, quand ça fait du profit, ça ne produit pas des services de qualité. D’où des services publics.
La remise en cause des services publics aujourd'hui pose cette question d’une vraie contradiction interne. Ça a été mis en lumière par Gyorgy Lukács dans Histoire et conscience de classe, en 1919. La lutte du prolétariat (comme chez Gramsci) est double : contre le capital, évidemment, mais aussi contre lui-même, c'est-à-dire contre sa partie qui est non-conscientisée, parce que, précisément, c'est la partie soumise au capital. Normal. Notre société est organisée par le capital. Nous sommes tous soumis au capital, d'une façon ou d'une autre. Personne n’y échappe, quand bien même on vivrait dans un arbre. À un moment, il faudra construire une échelle, vous aurez besoin de trucs. Vous êtes soumis de toute façon à ce système.
D’où la nécessité de prendre au sérieux cette contradiction interne au sein des gens et d'essayer de la résoudre en disant : « Vous vous croyez libre. Mais en fait, ce n'est pas votre liberté. »
La liberté promise par les libertariens, c’est la liberté du capital. Ce n'est pas la vôtre. Vous pensez que vous êtes libre de choisir entre deux pacotilles à des prix différents. Alors qu'en réalité, c'est un choix contraint. Ce n'est pas vous qui faites ce choix-là.
Pour moi, c’est constitutif de la crise actuelle, parce que, précisément, le capital post-consommation de masse d’aujourd'hui, est dans une fuite en avant par la création de nouveaux usages. Ces usages sont de plus en plus décevants et créent de plus en plus de cette fameuse pauvreté dont je parlais. Et en même temps, les gens se sentent contraints et le sont socialement, à utiliser ces produits-là. Cette contradiction est fondamentale et génère une part du malaise aujourd'hui.
Moi, je le dis de façon très sommaire, je vous ai soumis cette hypothèse-là.
J'ai parlé de Debord, de Lukács, de ces gens-là qui précisément aujourd'hui me semblent d'une actualité particulièrement forte.

Un.e intervenante : Vous n'en avez pas parlé, mais il me semble qu'on est en train de franchir un palier supplémentaire avec l'intelligence artificielle. Qu'en pensez-vous ?

RG : Là, on est en plein dedans. Merci pour votre question, parce qu'effectivement, je n'en ai pas parlé. C'est d'autant plus intéressant que c'est le salut du capital. Parce que pour le coup, la promesse de l'intelligence artificielle (IA), c'est l'automatisation des services. C'est-à-dire précisément de ces secteurs où il n'y a plus aucun gain de productivité et qui pèsent énormément dans l'économie.
Quand on y réfléchit bien, d'abord, il y a la question des services. On va vous servir au restaurant avec des robots. Ca se fait déjà beaucoup en Chine, en Asie.
Mais en fait, ces technologies déplacent les emplois plus qu'elles les détruisent. Elles détruisent beaucoup d'emplois, et elles les déplacent vers d'autres endroits. Le problème c'est : là, ils vont les déplacer vers quoi ? Vous allez avoir une petite élite qui maîtrise l'IA, et puis les autres vont être déplacés vers tout ce qu’il ne sera pas rentable de faire avec de l'IA, donc vraiment ce qui sera le plus bas de gamme possible. Ça veut dire qu’on va passer d'emplois relativement bien payés aujourd'hui ou payés modestement, vers des emplois très mal payés.
Ça va supposer de casser le droit du travail pour avoir vraiment des emplois qui permettent d'être payés en faisant du profit. Parce qu'en fait, ce sera vraiment un choix entre l'IA et l'homme pour savoir ce qui sera le plus rentable.
Deuxièmement, comme on l'a dit, la technologie aujourd'hui est organisée autour de géants qui ont une vision de rente de son usage, pas du tout une vision concurrentielle. Ce qui les intéresse, c'est que l'argent tombe sans rien faire. Ce qui va se passer, c'est que vous allez avoir des licences d'intelligence artificielle qui vont être la propriété des propriétaires des données. Une fois que vous aurez épuisé toutes les données, vous aurez à payer un droit d'usage à ces entreprises qui utiliseront les robots. Ça va coûter très cher parce que c'est de la rente.
La rente, en fait, est une capture de la valeur créée. Même si, ce qui est loin d'être certain, l'IA réalisait le rêve des capitalistes de faire repartir les gains de productivité, une immense partie en seraient captée de toute façon par les géants de la tech.
Sans oublier que vous avez toujours ce triangle. C'est-à-dire, allez-vous régler la crise sociale et anthropologique avec ces trucs-là ? Je ne le pense pas. Qui aurait envie de vivre dans un monde où il n'y a plus de chauffeurs de taxi, plus de serveurs au restaurant, seulement des robots qui s'occupent de vous quand vous êtes vieux ? Est-ce que ça va régler cette crise-là ? Pas vraiment.
Pour la crise écologique, je peux vous dire que non seulement ça ne va pas la régler, mais que c'est un turbo-accélérateur de crise ! C'est le réchauffement, et à pleine balle. Déjà des premiers chiffres tombent : IA, crypto-monnaies et data centers, c'est l'équivalent de la consommation d'énergie du Japon dès l'année prochaine.
De la quatrième économie du monde !
Voilà qui confirme un peu mon propos initial. Si vous utilisez la technologie pour régler votre problème économique, vous ouvrez des désastres sur les autres fronts. À la fin, tous ces désastres-là provoquent une catastrophe économique. Donc, de toute manière, ce n'est pas la peine de croire aux solutions techniques.
J'en suis à ma troisième bulle : Les ordinateurs vont régler tout. Vous vous souvenez, dans les années 1980 ? Après, ça a été Internet. Là, maintenant, c'est l'IA. À un moment, c'était le métavers… Bref, tout ça ne me semble pas en mesure de régler le cœur du problème, même si évidemment, ça peut améliorer à un moment la situation économique. Mais je vous dis, ça ne réglera évidemment pas le reste.

Un.e intervenante : En cas d'aggravation extrême du dérèglement climatique, c'est peut-être l’IA qui va prendre la main, et s'imposer à tout le reste du système. C'est-à-dire qu'il va falloir organiser une sobriété. On a pu le voir un peu pendant la crise du Covid. Je pense à l'État chinois, qui est peut-être le mieux placé en termes d'autoritarisme pour mettre en avant une économie plus « verte ». On arrive à produire plus d'énergie renouvelable.

RG : Oui, mais vous allez vous retrouver toujours avec le même problème. C'est-à-dire que vous serez sobre et vert, mais il faudra que vous accumuliez du capital.

Même intervenant.e : Mais ce serait une réduction contrainte, c'est ce que je voulais dire.

RG : Quand on aura une réduction contrainte, comme dans toutes les crises du capitalisme, ce sera une crise classique du capitalisme. C'est-à-dire que vous aurez une destruction d'actifs.
Le but du capital, ce sera de reconstituer le plus rapidement possible l'accumulation perdue. Après, vous pouvez dire qu'on n'y arrivera pas, mais en réalité, on a eu une grosse crise, donc du coup, c'est ce qu'il faudrait faire ?
On va réduire les consommations, etc. Mais ça, ça ne peut pas se faire dans un système qui est dirigé par le capital. Parce que le capital, lui, il ne veut pas de ça. Il s'en fout. Ce n'est pas son problème.
Je pense que c'est un peu bateau maintenant, mais c'est vrai : on est davantage capable aujourd'hui d'envisager la fin du monde que la fin du capitalisme.
C'est en fait ça, notre problème.

Même intervenant.e : Pour terminer, donc, tu nous annonces la fin du capitalisme.

RG : Non. J'aimerais bien, mais je n’en suis pas sûr.

Même intervenant.e : Parce que c'est une question qui s'est posée il y a bien longtemps. Et je pense qu'il y a des personnes qui étaient dans cet esprit-là en se disant que le capitalisme, il est en crise, comme tu l'as très bien dit. Et il n'y a pas de solution à la crise. On va dans le mur. Donc il va mourir.

RG : Non, là-dessus, j'ai une réponse. C'était André Gorz qui disait : « Le capitalisme va mourir…. Mais est-ce qu'il va mourir d'une mort lente ? » Il disait que s'il meurt, ça sera soit une sortie civilisée, soit une sortie barbare à la Mad Max.

Même intervenant.e : Hervé Kempf était venu ici et il avait dit, lui : « Que crève le capitalisme ! » parce qu'il faut l'aider à crever. Et quand tu réponds au monsieur, c'est :  il faut qu'il n'y ait plus de capitalisme pour qu'il n'y ait pas ce triangle.

RG :  Ben oui, par principe, puisque le barycentre du triangle, ce qui fait que le triangle existe, c'est, comme je l'ai dit, le fait que le capital est décisionnaire.
Maintenant, merci pour cette remarque parce que j'avais l'intention d'en parler, mais comme je voulais pas être trop long… C'est un élément important parce qu’on a longtemps pensé que cette histoire de crise du capitalisme entraînait sa décadence et sa mort de façon inéluctable. Ça a été une grande critique de beaucoup de courants marxistes, qui étaient justes, de dire : « Bah non, c'est pas comme ça que ça se passe, il n’y a pas de mort naturelle du capitalisme. » Et moi, je suis assez d'accord avec ça.
Mais pour autant, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de crise du capitalisme. Il peut y avoir un capitalisme en régime de crise permanente, en fait. C'est ça la fonction de l'intelligence artificielle, de l'autoritarisme, de la guerre, comme disait Madame. Ce sont des façons de gérer la crise.
Alors, c'est pas trop ma tasse de thé, mais enfin, je vais le citer Lénine qui disait : « Il n'y a pas de situation désespérée pour le capitalisme. » Propos repris par un penseur que, pour le coup, j'aime bien : Henrik Grossman. Il a écrit un livre intitulé L'effondrement du capitalisme. Il ne traitait pas de l'effondrement du capitalisme au sens où on l'entend nous-mêmes, mais il disait qu'il n'y avait pas justement de situation désespérée pour le capitalisme. C'est-à-dire que le capitalisme, naturellement, a une tendance à la crise, qu'on est sans doute dans cette crise structurelle aujourd'hui, mais qu'en fait, il sait survivre à cette crise. Si on le laisse faire, il continue à vivre. C'est un capitalisme de bas régime qui suppose tout ce que je vous ai expliqué comme contre-tendances, comme conséquences en termes sociaux, écologiques, etc. Il peut continuer jusqu'à la disparition du dernier être humain sur Terre, qui se demandera où il a placé ses derniers cryptos.
De son point de vue, il n'y a pas de problème à vivre en crise permanente. Ce qui suppose précisément, comme disait Grossman, que l'effondrement du capitalisme n'est pas sa mort. C'est une possibilité pour la lutte de classe de devenir réellement effective.
Là où c'est compliqué, c'est ce qu'on sait aussi : c'est que souvent, la lutte de classe, en période de crise, peut être plus forte, mais elle peut aussi être soumise parce que les gens pensent à autre chose. Ils pensent à sauvegarder ce qui peut l'être, à trouver des solutions au quotidien. C'est ce qu'on vient de dire, cette tension

Brèves d’info

Brèves d’info

CRS 8 Deux cents Rambos en treillis noirs, chouchous du ministre de l’Intérieur, pour aller partout où il y aurait du grabuge. Cela relève d’une telle priorité qu’un arrêté du 9 décembre 2023 a crée quatre autres CRS similaires. Une centaine de camions seront nécessaires pour les convoyer (50 000 € / l’un) et huit 4×4 équipés pour la guérilla urbaine, qu’animent ces « urgentistes » de l’ordre public. Les matraqueurs seront harnachés d’un lourd matériel tout neuf et hors de prix (bonjour la scoliose !). Or, les casques NG ont une ergonomie intérieure qui provoque des inflammations et/ou des douleurs au crâne. Les masques à gaz ne sont pas compatibles avec ces casques. Les lunettes de protection n’assurent pas l’étanchéité aux effets des gaz lacrymogènes. Les 4×4 sont jugés de piètre qualité. Les estafettes Ducato ont des problèmes mécaniques et électriques, de plus elles ne possèdent même pas de GPS ! Dépassé, car chaque CRSS a son ssmartphone !

Plus c’est loin, plus c’est des sauvages ! Kiev est à 2 032 km de Paris, Tripoli à 1 977, Gaza à 3 211 km. L’argument du mort/kilomètre semble « civilisationnel ».

Vladimir Poutine voulait finlandiser l’Ukraine, il a réussi à otaniser la Finlande et la Suède.

Tout l’argent dépensé pour envoyer des armes afin que les Ukrainiens et Russes, les Israéliens et Palestiniens… se tuent mutuellement, ne serait-il pas plus utile pour aider à lutter contre la pauvreté ?

Incapables : L’armée française n’aurait pas la capacité de faire la guerre, c’est une « armée bonsaï », miniature et torturée. Ses possibilités se limitent à des échantillons technologiques, sans disposer de masses d’hommes ni de quantités de matériels. Elle manque de missiles sol-sol et sol-air, de drones, de transports, de distributeurs de rations… La dissuasion nucléaire l’isole en Europe (qui s’est placée sous parapluie US).

Le général Didier Castres, qui pantoufle dans un cabinet de conseil, entend s’extraire du contexte d’affolement et d’incertitudes permanentes. Il répète en boucle que la guerre est plausible, qu’il faut en finir avec l’angélisme et penser l’impensable. Pour lui, l’armée française a le goût des corps expéditionnaires, une capacité de vivre à la dure (rusticité), elle maîtrise sa force et serait agile pour se reconfigurer…

Construire la paix et abolir l’armée, inconcevable pour ce profiteur de guerre hors-sol !

PANG ! La politique serait l’art de faire des choix pour le bien commun. Le 7 avril 2024, Macron a lancé le chantier de la construction du porte-avions nouvelle génération (PANG). Un monstre à propulsion nucléaire de 75 000 tonnes, avec un équipage de 6 000 militaires. Cette machine mortelle n’est évaluée qu’à 10 milliards d’euros. Pour financer les grands chantiers inutiles, il faut raboter les petites activités vitales. Le Monde du 2 octobre 2024 indique que l’État va sucrer 50 millions sur le budget des agences postales en milieu rural. Parmi 17 000 lieux offrant des services postaux, 7 000 vont disparaître : vive le PANG !

À propos d’armements, selon le SIPRI, chaque mois 500 000 obus explosent sur l’Ukraine ou la Russie Macron avait raison, les minimas sociaux coûtent un pognon de dingue.

Albertine Louvrier