Le corps des femmes et le capitalisme : retour sur des notions d’histoire

Le corps des femmes et le capitalisme :

retour sur des notions d’histoire

Un membre de la rédaction réagit à l’intervention de Laurence Biberfeld ­ Le corps

des femmes, objet marchand ?­ notamment sous un angle historique.

Je remercie Laurence Biberfeld pour ses remarques sur le corps, le contact, la responsabilité. Mais il y a beaucoup d’autres choses que je ne peux pas accepter.

Sparte est à la mode, surtout à l’extrême-droite, depuis la belle BD de Frank Miller  »300‘ et son adaptation en péplum par Zack Snyder. Mais Sparte n’était pas seulement un État « guerrier » comme dit Biberfeld. C’était, plus que les autres cités grecques, un État esclavagiste qui vivait dans la peur des révoltes d’hilotes et qui les terrorisait par des humiliations systématiques et par des raids meurtriers. Comme les hilotes étaient nombreux, il fallait maintenir sur eux une supériorité militaire, donc entraîner même les jeunes filles, les femmes étant des machines à produire des soldats. L’État spartiate, ça devait ressembler à ce que serait une immense caserne dirigée par le Ku Klux Klan… Parler du statut des femmes sans rien dire là-dessus, c’est comme applaudir sans critique l’armée israélienne, sous prétexte qu’elle enrôle à égalité les femmes. Ou faire l’éloge des fusils roses que les survivalistes offrent à leurs filles : « droit des femmes », vraiment ?

Les femmes et les citoyens spartiates, « les Égaux » (oï Homoïoï), payaient cette pseudo-égalité par l’esclavage d’autres femmes, et hommes.

Pour démentir quelques autres errements de Biberfeld : les Grecs et les Romains adorateurs d’Athéna-Minerve n’étaient pas horrifiés à l’idée d’une femme guerrière ;1 La guerre des Gaules est une œuvre de propagande, pas un livre d’histoire ; une société qui pratique l’esclavage (Égyptiens, Étrusques, Gaulois, Vikings…) pratique la prostitution, sauf que le maître n’a même plus besoin de payer ; la fin’amor (illustrée surtout par les troubadours limousins !) n’a pas mis l’Église en danger ; la légende selon laquelle l’Église médiévale aurait douté que les femmes aient une âme est un fake grossier ; etc. Ce sont des détails, mais il y en a tellement d’autres encore, que l’argumentation « historique » de Biberfeld est très faible. Son accumulation évoque la logique complotiste : citer tout ce qui semble aller dans le sens qu’on souhaite, ne pas regarder de trop près la validité des exemples, et ignorer le doute.2 C’est dommage.

Mais je veux revenir sur ce qui n’est pas un détail : le lien, que Biberfeld croit essentiel, entre patriarcat et capitalisme. Voir le blog « La Hutte des classes » de l’anthropologue social Christophe Darmangeat, sa brochure téléchargeable L’oppression des femmes, hier et aujourd’hui et le livre qu’il vient de codiriger avec la préhistorienne Anne Augereau.3

Si je résume bien la pensée de Darmangeat telle qu’il l’exprime là (et dans d’autres livres), il n’y a aucune trace certaine d’une égalité des statuts, dans aucune des sociétés que l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie et l’histoire étudient depuis cent trente ans. Ni chez les Iroquois, ni chez les Na, ni chez les !Kung, encore moins chez les Spartiates. La domination masculine a pu parfois être légère, et l’égalité de fait presque réalisée dans certaines sociétés, mais le genre était toujours là : le statut et les droits des femmes n’ont jamais été exactement les mêmes que ceux des hommes.4

Une société matrilinéaire n’est pas un « matriarcat », comme le croit Biberfeld. Ou alors, les mots n’ont pas de sens. Le matriarcat est un mythe patriarcal. Que ce mythe soit aujourd’hui revivifié par un certain féminisme, c’est une inconséquence regrettable.5

La seule société historiquement attestée qui tende vers une égalité entre les genres (du moins en droit, et dans l’idéal), c’est la nôtre : la société capitaliste occidentale. Voilà qui ne colle pas du tout avec l’idée d’un patriarcat qui serait une forme du capitalisme, ou l’inverse.

Mais ce n’est pas si paradoxal. Le capitalisme dissout la société en unités individuelles6 qui vendent leur force de travail. Peu importe, que ce soient des travailleuses ou des travailleurs. Novateur et destructeur à la fois, le capitalisme ronge les acquis sociaux, les relations traditionnelles, les solidarités, mais aussi les supériorités supposées garanties par le genre, la « race », la naissance. Il est indifférent à la noblesse, par exemple. La bourgeoisie a balayé l’Ancien Régime. Le capitalisme ne s’est pas accroché non plus à l’esclavage, qu’il avait pourtant lui-même déployé à une échelle monstrueuse : le vieux capital cotonnier du Sud a été vaincu en 1865 par le capital industriel yankee, qui avait une organisation plus efficace pour exploiter le travail.

Le capitalisme n’est pas tout d’une pièce. Il a la trogne réac de Trump, il a aussi le masque progressiste de Macron. Il peut très bien s’accommoder d’un idéal humanitaire, égalitaire, supra-national (quitte à encourager de la main gauche le racisme et les ségrégations, quand il a besoin d’un régime policier). Aujourd’hui en France, le gouvernement promeut (en paroles) l’égalité des salaires femmes / hommes, la parité, le partage des tâches domestiques, l’« ascenseur social », la laïcité… en quoi cela nuirait-il aux profits ? Selon ce discours libéral, l’égalité n’est pas encore réalisée car les forces de « l’ancien monde » font obstacle à la « fluidité » : ce sont des « rigidités » « populistes », « eurosceptiques », « corporatistes », « suprémacistes », « fondamentalistes », « islamo-gauchistes » (liste non limitative) qui entravent « l’agilité » de la « start-up nation ». Il n’y a pas plus féministe ou anti-raciste que Macron, en paroles. Peut-être même qu’il y croit ?

Le capitalisme peut très bien s’en foutre, qu’on soit noire ou blanc, blanche ou noir. Le racisme ou le sexisme lui sont utiles, mais pas indispensables. En ne reconnaissant pour seule valeur d’un individu que celle de producteur (et, en Occident, de consommateur) il a créé les conditions pour que se produise quelque chose qui n’était jamais arrivé : l’égalité des genres, c’est-à-dire en dernière instance la disparition du genre. J’insiste : les conditions de quelque chose, pas la chose elle-même. Ce n’est certes pas le capitalisme qui a émancipé les femmes, les LGBT, ni les personnes racisées ! Ce sont leurs luttes. Mais croire que le capitalisme est par nature patriarcal ou raciste, c’est une idée facile à penser, à la mode, qui épargne l’effort de comprendre ce qu’il est.

Marcelle G.

1Sans parler des Amazones, etc. Dans l’Iliade, même Aphrodite se mêle au combat sous les murs de Troie.

2Sur les Gaulois et surtout sur les Étrusques, on sait très peu de choses. Même le statut exact des hilotes à Sparte est discuté par les historiens, malgré des témoignages relativement nombreux.

3Anne AUGEREAU & Christophe DARMANGEAT dir., Aux origines du genre, PUF, 2022 (9,50 euros).

4Pourquoi une démarcation aussi systématique, universelle dans la mesure où on peut en avoir des indices ? Le genre est-il apparu avec l’hominisation ? À cette question, Darmangeat répond prudemment qu’on ne peut pas le savoir, du moins pour le moment. Voir, pour une réflexion matérialiste un peu provocatrice, Véra NIKOLSKI, Féminicène, Fayard, 2023. Interview : https://www.youtube.com/watch?v=USqZdqsl9m4

5Ce n’est pas parce qu’une situation (la domination masculine) a toujours existé, qu’elle doit perdurer. Inversement, ce n’est pas parce qu’autrefois il aurait existé une égalité ou même une domination féminine (mythiques), que notre avenir en serait plus serein. Le passé ne justifie pas le présent, ni le futur.

6 »[…] who is society? There is no such thing! There are individual men and women […] » Margaret Thatcher, 1988. (« Qui c’est,  »la société » ? Ça n’existe pas ! Il n’y a que des individus : des hommes, des femmes. »)

Tribune :

Le corps des femmes : suite du débat

Dans la Lettre n°226 un membre de la rédaction avait réagi à l’intervention de Laurence Biberfeld. Cette dernière, ainsi qu’une lectrice de la Lettre nous ont fait parvenir une réponse.

Le ton c’est pas bon

Comme je connais bien Marcelle G, je ne voudrais pas la fâcher, et je vais donc essayer, contrairement au St Esprit de Julos Beaucarne*, de mesurer mes effets ! On peut être en désaccord sur les propos d’un.e intervenant.e, mais il y a la manière de le lui dire, et le ton docte ne me paraît pas celui qui convient, surtout quand on se parle entre militant.e.s. Donc, sur la forme, c’est pas bon. Voyons le fond, où tout n’est pas bon non plus. Quelques exemples : je ne sais pas grand chose de Sparte, rien des Etrusques. De Platon, je connais juste le truc de la caverne, mais par contre, Marcelle, je crois que sur le Sud étasunien et le Klu Klux Klan, il serait bon de réviser tes classiques. Sans m’étendre, je dirai que tu as oublié la machine à carder le coton (qui rendait obsolète le système esclavagiste) et que ce serait une bonne idée de te renseigner sur le Klan (qui n’aurait eu aucune compétence pour diriger une caserne). Je ne peux pas non plus laisser passer l’amalgame avec l’armée israélienne, dont il n’est en outre par sûr du tout qu’elle « enrôle à égalité les femmes », car qui dit conscription d’une classe d’âge ne dit pas forcément qu’hommes et femmes se trouvent ensuite également traités. Pour finir, un mot sur ton approche du capitalisme. D’une part, qualifier de capitalistes les sociétés fondées sur l’esclavage me semble un néologisme. D’autre part, dire que le capitalisme « peut très bien s’accommoder d’un idéal égalitaire » est à mon avis un contresens, car tout au contraire: il a, non seulement besoin des hiérarchies, de race, de classe, de genre pour fonctionner, mais il les encourage (Gramsci parle d’idéologie ?). Donc, là aussi, revoir ta copie. Enfin, pour finir sur une note positive, j’ai été ravie d’apprendre que « notre » (c’est pas la mienne) société capitaliste occidentale a laissé derrière elle le patriarcat. Du moins dans l’idéal, précises-tu. Ouf, tu m’as fait peur, j’ai crains que tu te sois exposé au soleil sans ton chapeau ! Tout ça pour dire, ma chère Marcelle G. qu’un peu d’empathie n’aurait pas nui à la critique, et qu’il convient sans doute, quand on s’y livre, de ne pas oublier le possible retour de massue (préhistorique ! ). En toute amitié,

La petite MG, membre permanent de Casse-rôles.

*Disque « les communiqués colombophiles ».

Encore un peu d ‘Histoire . . .

Cher Marc,

Je suis bien marrie qu’il y ait des choses dans mon exposé que tu ne peux pas accepter. Cela ne m’empêchera pas de continuer à les dire. Me supposer une adoration pour la culture militaire et esclavagiste de Sparte, à la mode chez tous ceux d’extrême-droite (j’en déduis que je vote Zemmour), voire (que de légèreté) me dire que c’est comme soutenir l’État d’Israël, moi qui ne me reconnais que dans l’UJFP, ça commence bien, on sent l’antipathie plus que le désaccord. (Au passage parler pour l’État spartiate de « caserne dirigée par le Ku Klux Klan », c’est ne rien connaître ni à Sparte ni au KKK. Je ne me rappelle pas avoir versé dans l’approximation et la caricature à ce degré.) Le statut des hilotes, en effet massacrés régulièrement à des fins eugénistes (ne garder que les plus coulants, massacrer les autres), est plutôt comparable à celui des Tsiganes pendant cinq siècles, ou des serfs : ils sont propriété publique et ils sont attribués avec la terre, les citoyens n’en sont que les bénéficiaires, ils ne les ont pas achetés ni conquis et ne peuvent pas non plus les vendre. Toute la Grèce est esclavagiste et le statut des hilotes, s’il est différent de celui des autres, n’est ni pire ni meilleur. Mais je trouverais étrange de ne pas parler de la seule société grecque où on ne trouvait pas de prostitution. Cette attaque est aussi ridicule que de mauvaise foi. Dire par contre que la prostitution, dès le VIe siècle avec Solon, est servile, ça c’est un sujet, et c’est le mien. Oui, les Lacédémoniennes avaient beaucoup plus de droits et de libertés que les autres Grecques. En atteste le fait qu’elles pouvaient avoir des biens propres, hériter, divorcer, choisir leur époux et se déplacer sans chaperon. Les droits des femmes se lisent d’abord dans ces petits détails. Et elles étaient extrêmement respectées, au point qu’Aristote attribue à leur pouvoir excessif le déclin de Sparte. Ensuite, tu parles de mes « errements » (je ne suis qu’une pauvre femme) et de tous ces peuples qui pratiquaient l’esclavage. L’Égypte antique n’en fait pas partie, à ce que je sais. Tu devrais lire les travaux récents sur les ouvriers bien nourris et très organisés qui ont construit les pyramides. En revanche, l’Égypte ptolémaïque est esclavagiste : les Ptolémées sont une lignée de culture grecque (macédonienne) qui a conquis l’Égypte. Cléopâtre était une reine hellène d’Égypte. Nous ne parlons pas de la même chose. Tu as l’air de savoir que les Gaulois avaient des esclaves, tu te bases sur quoi ? Sur la Guerre des Gaules ? (qui bien sûr est une œuvre de vainqueur racontant sa victoire, mais aussi un document historique). Néanmoins sur l’esclavage en Gaule, à ma connaissance, on n’a aucune certitude. Quand l’esclavage ne laisse pas de traces ou si peu, il peut exister, mais on ne peut pas parler de société esclavagiste (dont l’équilibre économique et la prospérité sont fondés sur l’esclavage.) En tout cas, les femmes gauloises possédaient en propre, héritaient, léguaient, choisissaient leurs époux et pouvaient divorcer. La base. La fin amor place l’amour au sommet de tout, au-dessus de la loyauté au roi et la fidélité à l’église, sur la base d’un adultère inégal, la femme étant socialement supérieure. On doit en partie son expansion à Aliénor, encore une femme soumise, une femme répudiée car stérile (elle ne faisait que des filles à son premier époux, qui la répudia au bout de deux. Après quoi, elle fit des tas de garçons et quelques autres filles). Il y avait beaucoup de troubadours mais aussi des trobairitz pour chanter cet art de vivre et de ressentir, de s’engager. Tu peux penser qu’il n’était pas subversif par rapport au statut des femmes et aux règles sociales de l’époque. On est en démocratie. Tu peux penser aussi qu’il était surtout limousin, si ça te fait plaisir. Pour ce qui est de l’église catholique, mère de sa fille aînée la France, il est connu qu’elle tient les femmes en haute estime depuis Paul de Tarse. D’ailleurs tous ceux qui disent que l’église catholique est misogyne sont des producteurs complotistes de fake news. L’idée que le capitalisme serait une évolution du patriarcat n’est pas de moi et je le regrette, car je la trouve assez lumineuse. Mais je l’emprunte à Françoise d’Eaubonne (Le féminisme ou la mort). Et je précise : de ce patriarcat-là, d’origine gréco-latine, très dur, comparable à ce qui se passe dans les pays du Golfe : femmes socialement invalidées et dépourvues de droits, oui, c’est bien celui-là qui, revenant à ses sources antiques à partir de la renaissance, engendre le mercantilisme, puis le libéralisme et le capitalisme. Tu me proposes de lire Domangeat, je te propose de lire Patou-Mathis. L’une des choses qu’elle souligne est que l’anthropologie et les sciences de la préhistoire ont longtemps souffert des travers de l’époque où ils sont apparus. Ils en gardent les vestiges. Faudrait pas croire que l’égalité a pu exister… Pourquoi diable, en somme ? C’est si horriblement choquant d’émettre une hypothèse dans ce sens ? L’anthropologie ne devrait pas être imprégnée de l’idéologie de ce XXIe siècle ? Est-ce à dire qu’elle devrait rester victorienne, avec tous les clichés sexistes et racistes qu’elle nous a servis ? J’ai à ton service des publications illustres datant de la Société anthropologique lors d’une exposition coloniale, où il est question du cerveau des femmes et des races inférieures. Je crame le suspense : plus les races sont supérieures, plus la différence entre les cerveaux féminins et masculins est abyssale, si bien qu’une femelle de race inférieure ne se distingue qu’à peine de son mâle, tandis que la Parisienne a un cerveau comparable à celui d’une femelle gorille et que le Parisien, forme de perfection absolue, a le cerveau le plus énorme et le plus parfait de l’espèce humaine. À cette fameuse conférence, des crânes de gorilles mâles et femelles, d’indigènes de toutes sortes et de diverses races blanches étaient exposés, avec mention de leur contenance. C’est aussi ça, l’anthropologie à ses débuts. Il est bon de rappeler que si on pose la question de la place et du statut des femmes jusque dans la préhistoire, c’est parce qu’à partir des années 1960-70, les préhistoriennes rappliquent en nombre dans la discipline et commencent à la dépoussiérer de tous ses clichés racistes et sexistes. Je comprends que des scientifiques rappellent ce qu’est la démarche scientifique. Que ne le font-ils quand des études stupides continuent à paraître sur l’infériorité des Noirs ? Qu’il n’y ait aucune trace certaine de l’égalité n’induit pas qu’il y ait des traces certaines d’inégalité. Ce que montrent les dernières découvertes, ce sont des femmes extrêmement athlétiques, grandes et qui manifestement chassent, des tombeaux contenant des armes, des parures glorieuses associées à des squelettes féminins, parmi d’autres tombes masculines. Je ne suis pas sûre que tous ceux qui se précipitent sur le bouquin – qui pourrait, de la façon dont tu le présentes, s’intituler : « Du calme les féministes, rien ne prouve que l’égalité ait existé, même si on ne peut pas prouver l’inégalité non plus » – ont lu les écrits un peu iconoclastes des chercheuses féministes. Tu me le poses comme une bible, je te propose de te renseigner un peu sincèrement. La science est faite de débats, elle est sujette aux biais, il est bon de les poser tous. Rien, absolument rien n’indique que la domination masculine a toujours existé. On date l’apparition de la guerre d’après des traces de massacres collectifs à peine à 10 000 ou 15 000 ans, alors que notre espèce en a 300 000. Que disent tous les chercheurs ? Ils ne savent pas. L’universalité de la domination masculine n’est absolument pas prouvée. Pour les sociétés dites matriarcales, et elle précise que le mot ne désigne pas un patriarcat inversé mais se réfère au premier sens du suffixe arkè, qui veut simplement dire premier, à l’origine, avant de signifier pouvoir, je te conseille l’énorme somme de Heide Göttner-Abendroth sur ces sociétés assez horizontales, peu hiérarchiques, où les femmes gouvernent sans pour autant dominer les hommes. Question de distribution différente des rôles, et la filiation matrilinéaire décrispe totalement les affaires sexuelles et reproductives : quel que soit l’amant de ma sœur ou ma cousine, son enfant sera de mon sang. « La seule société historiquement attestée qui tende vers une égalité entre les genres, c’est la nôtre. » Alors là, on touche au sublime. J’en ai entendu des cantiques ethnocentrés et mégalomanes, mais en plus ceci n’est que le préambule à une leçon surréaliste sur le capitalisme et la société occidentale. Franchement, quel dommage que tu ne sois pas au temps des expositions coloniales, c’est exactement ce que pensaient ces doctes savants : l’Occident capitaliste est la plus haute forme d’évolution que puisse atteindre l’humain, c’est le chaudron divin où enfin l’humanité se fond en une forme potentiellement parfaite, quel dommage qu’il faille cramer une planète et exterminer quelques milliers de peuples aux sociétés différemment configurées pour arriver au point de fusion ! Mais peu importe, il faut ce qu’il faut et on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Hosanna, parle-moi encore d’idées faciles ! Bref, il y a les réponses qui appellent au débat (je suis preneuse) et celles qui se conçoivent comme un coup de règle sur les doigts. Quand je conférence, je pose mes opinions, je m’explique sur des réflexions que j’ai en référence à un ensemble documentaire que d’ailleurs je cite. J’ai des idées. Je comprends parfaitement qu’on en ait d’autres. Je comprends moins le ton méprisant, les amalgames, l’intention d’humilier. Je ne suis pas certaine que tu aies lu plus de bouquins ou d’articles, écouté plus de conférences, lu davantage et plus cogité que moi. Je suis un peu conne, j’ai pris le crachoir, j’ose parler d’histoire et l’histoire avec une grande hache, c’est sacré ! L’HHHHHistoire, Madame, est sans débats contradictoires, elle est d’un bloc, il n’y a qu’une hypothèse qui est dans le vrai et c’est la mienne et je te l’explique car tu m’as l’air de pas avoir la lumière à tous les étages. C’est décevant. D’abord, si la conférence t’intéressait pourquoi n’y étais-tu pas ? J’ai pris beaucoup de plaisir à la faire et il me semble que le public était intéressé. Je balance des idées, je ne prêche pas et je n’enrôle personne. Apparemment le contenu t’a ulcéré, je n’ai toujours pas compris exactement pourquoi tu sembles l’avoir pris pour une offense personnelle. Dommage et tant pis. Et je dirais même basta.

Laurence Biberfeld