Habiter, être habité-e : Quelles relations au vivant ?

Journées d’études

« Habiter

être habité-e

Quelles relations au vivant ? »

Du 16 au 18 mai 2019   à Cieux et Eymoutiers

plaquette de présentation des journées

Compte-rendu

Habiter/Etre habité.e : quelles relations au vivant ?

Au mois de mai 2019 des journées visant à imaginer ensemble, depuis nos lieux de vie, comment nous pouvons recréer des liens entre notre existence et le monde, dans une époque qui a nous a séparé.e.s (corps/esprit, culture/nature, sujet/objet …) se sont déroulées sur plusieurs jours entre les Monts de Blond et Eymoutiers. A travers des paroles incarnées par des pratiques, des interventions plus théoriques et des échanges multiples nous avons tenté de donner collectivement forme à une vision du monde guidée par l’interrelation avec le vivant. Ces journées ont été proposées par la Cellule de Recherches Interdisciplinaires de l’École du Jardin Planétaire, le CERES de l’Université de Limoges, le Centre international d’art et du paysage – Île de Vassivière, le Cercle Gramsci, l’École de la terre, les Jardins partagés de la Vienne (voir la Lettre n°201, le site du Cercle et de Radio Vassivière). Dans cette période où nous sommes privés de débat, le Cercle a décidé de transcrire une partie de ces échanges et de les partager avec vous, au fur et à mesure de cette année. Le texte qui suit est l’introduction aux interventions du samedi : celle de Christophe Bonneuil, de Nicole Pignier et Augustin Berque et de différents collectifs agricoles.

A propos de nos rapports au vivant

Guillaume : Je suis Guillaume Legrand, j’habite à Tarmac sur la montagne limousine. J’ai une activité de construction, menuiserie, charpente. Je vais commencer par une présentation très formelle, à la « Google », du travail de Christophe Bonneuil. Christophe Bonneuil est historien des sciences et des techniques. Il a codirigé avec Dominique Pestre le tome trois de l’Histoire des sciences et des savoirs : le siècle des technosciences. Il est un spécialiste en France de la question de l’anthropocène, et directeur de publication de la collection “Anthropocène” au Seuil. Il est coauteur de L’événement anthropocène avec notamment Fred Beau. Il a publié entre autres sur la question du gène et des semences. Son dernier ouvrage s’intitule La nature : le nouvel eldorado de la finance. On voulait juste vous parler des raisons qui nous semblaient importantes, de l’inviter pour cette session de travail sur le rapport au vivant. Sa pensée nous a percutés à un moment donné. Daniel : Je suis plutôt basé à Barcelone en ce moment, et je suis là parce que, avec Guillaume, on réfléchit ensemble à ces questions. En ce moment je travaille dans mon coin (en dehors du contexte universitaire) sur une histoire critique de la génétique. Nous nous sommes rencontrés dans le cadre de ce qu’on appelle “l’école de la terre” : projet naissant dont l’idée générale est que la question politique aujourd’hui c’est d’emblée une question de rapport au monde, à travers tout un tas d’activités manuelles ou intellectuelles. L’idée dans les années à venir, c’est d’en faire aussi un outil pour cette commune du Plateau, pour développer à travers plein d’activités différentes notre rapport au monde. Voici la situation de laquelle nous sommes partis. Par exemple, moi, je suis né en 1974, donc après la crise : la croissance, tout ça, ça ne m’a jamais trop concerné. On partait de la situation, qui est une situation de catastrophe, enfin que l’on ressent depuis longtemps comme telle. Cette situation, on a l’habitude de lui donner le nom d’anthropocène, mais justement pour nous l’anthropocène ce n’est pas tant ce que ça décrit, la catastrophe, l’idée d’extinction des espèces, mais l’anthropocène selon nous c’est plutôt le nom de ce que ça cache, c’est-à-dire une dernière manœuvre de la pensée moderne, dans le sens où ce qui est en cause, ce qui provoque cette catastrophe généralisée des écosystèmes c’est justement, non pas la nature humaine ou l’anthropos, mais un rapport très particulier qui est un rapport moderne au monde, et le résultat d’une pensée qui s’est constituée depuis très longtemps. Il y a tout un débat sur : Qu’est-ce qui est la genèse de cette pensée ? De ce rapport au monde ? Ça va des références au christianisme avec la description de la Genèse jusqu’à (selon les théories) la naissance de l’agriculture avec l’accumulation primitive, ou jusqu’à la naissance des villes avec le rapport abstrait au règne animal, au règne végétal, ou jusqu’à l’esclavagisme, le XVIème siècle et la chasse aux sorcières ! Il y a mille et une théories, en passant par le cogito de Descartes, l’épistémologie moderne… On avait décidé ceci, dont j’ai oublié de vous parler : on veut deux volontaires. On s’est dit qu’on allait accélérer notre introduction, mais prendre le temps de définir les termes un peu compliqués que l’on utilise. Il faudrait deux personnes qui lèvent la main quand il y a un mot problématique : on prendra le temps de l’expliquer. Par exemple, en menuiserie il y a tout un tas de termes techniques. Moi, au début je les rejetais en disant, oui, c’est une mise à distance des autres. Et puis non, finalement c’est pratique quand on bosse, quand on réfléchit. Utiliser ces termes, ce n’est pas une manière de se valoriser. Donc réglons ce problème directement : deux personnes qui lèvent la main dès qu’il y a un mot un peu chiant. Je commence par “épistémologie”. Je n’ai pas préparé ce genre de définition, mais on va dire que c’est la structure de la pensée. Ce sont les présupposés qui ne sont pas questionnés et qui fondent notamment la pensée scientifique. J’en étais à toutes les hypothèses que chacun peut avoir sur la genèse de ce monde moderne. Il y a tout un tas de possibilités. J’aime bien l’idée qu’énonçait dans une conférence Christophe Bonneuil : finalement on arrive à ce point paradoxal où ce sont les modernes qui sont obnubilés par une forme de temporalité que d’autres appellent le présentisme. Le présentisme, je crois que ça a été actualisé récemment par Jérôme Baschet dans Le présentisme : la tyrannie du présent. c’est, pour faire vite, ce rapport où la temporalité se contracte jusqu’à définir une société, notamment au niveau des flux financiers. Une temporalité qui se contracte jusqu’à la nanoseconde, et où le passé n’est présent que dans la commémoration, mais jamais véritablement intégré dans le présent. Il serait intéressant de voir que ce rapport au vivant a une temporalité très courte. C’est finalement lui qui va hypothéquer les siècles à venir. C’est-à-dire que cette genèse, il va falloir se la raconter. Comment est née cette pensée moderne ? Comment est née la catastrophe ? Il va falloir se la raconter pendant des dizaines de générations. Nous sommes peut-être les premières générations à en avoir conscience, mais ça nous laisse la responsabilité de raconter cette histoire. Voilà ce que je voulais poser. A mon sens, c’est criminel (et en plus, en bande organisée) depuis des siècles de continuer à penser la politique sans faire ce constat-là, sans faire cette généalogie, sans voir cette profondeur. Cette profondeur est une réflexion sur les origines, les fondements de cette catastrophe. On ne va pas s’en sortir avec des questions techniques. Le problème et la façon de penser qui le porte sont assez anciens et c’est à nous, à mon avis, dans les générations qui viennent, de dépasser ça. Le ça en question, c’est des centaines d’années de construction, c’est à la fois dans les sensibilités et dans les concepts. J’ai l’impression d’une certaine manière, que l’on vit une forme de colonialisme de la pensée, c’est-à-dire qu’il y a tout un héritage de la pensée qui fait que même le réel nous paraît désormais un peu inaccessible. Le réel tout simplement de nos vies. J’ai l’impression qu’il y a plusieurs formes de surmoi. Il y cette structure de la pensée mais il y a aussi tout bêtement tous les surmois familiaux, entrepreneuriaux. Même chez les révolutionnaires ça marche aussi, ce qui fait que la réalité de tous les jours, on n’arrive plus à l’apercevoir telle qu’elle est. J’ai l’impression que ce sont tout simplement des couches à enlever, pour retrouver une confiance, pour retrouver la réalité de nos forces. J’en suis venu à me dire que le fil, l’enjeu politique, ce n’est pas tant l’avenir que le réel. J’ai l’impression que c’est quelque chose à retrouver. J’ai l’impression que de savoir pétrir nos vies au-delà de ce colonialisme de la pensée, c’est une manière de guérir, c’est une manière de retrouver ses propres forces. Guillaume : Je voulais faire la transition avec ces quelques mots de Daniel, toujours en suivant ce fil. En fait ce qui sera, c’est-à-dire une projection politique, c’est toujours à l’origine basé sur une vision de ce qui est. Voilà une formule très simple. C’est presque tautologique, c’est presque une lapalissade sur la perception que l’on a du réel et sur les projections que l’on peut faire. Un bouquin que je vous recommande, c’est La nature humaine : une illusion occidentale, de Marshall Sahlins. Il fait ce travail-là, il fait le rapport entre la vision que l’homme a de lui-même à travers l’anthropologie, et la manière que ça a de légitimer les manœuvres politiques en général. Je vous en cite une phrase : « Si la domination souveraine ou tyrannique et l’équilibre public se succèdent alternativement depuis les Grecs en Occident, c’est bien parce qu’ils font tous les deux partie du même paradigme. L’un comme l’autre font partie du paradigme naturaliste qui oppose la nature à la culture, laissant à la culture le rôle de préserver l’homme de la barbarie, de la sauvagerie inhérente à son état de nature ». J’ai l’impression que ça condense l’essentiel de ce que je voulais dire. Nous avons un rapport à la culture, un rapport au vivant, un rapport au politique, qui s’est toujours un peu construit sur la peur de nous-mêmes. C’est-à-dire que le politique est toujours là pour se préserver de la société, de ses individus, de ses forces. Le mot “paradigme” : c’est un schéma de pensée, c’est une idée de base de la pensée que l’on peut retrouver dans différents domaines.

Daniel: Préserver l’homme de sa sauvagerie inhérente, moi ça me fait penser à la peur de nous-mêmes, à la peur du corps en fait, à la peur de tout ce qui peut se dérégler, se casser, mourir, tout ce qui peut être influencé par l’extérieur, par des événements imprévus. En fait, c’est la peur du vivant. Cette peur du vivant a nourri aussi toute cette histoire de la génétique. Je vais parler de la génétique parce que c’est mon parcours, et c’est comme ça que nous nous sommes rencontrés, Guillaume et moi. La génétique, comme les religions, comme le capitalisme, a toujours instrumentalisé et mobilisé la peur du corps, la peur de la maladie, la peur de la mort. Cette peur de l’imprévisible, la peur de la perte de contrôle a participé à ce rapport au monde qui établit une séparation, une relation conflictuelle entre l’humain et son propre corps, entre l’humain et le reste du vivant, le reste du monde qu’on a désigné comme “la Nature” avec un grand N. La génétique, c’est la science de l’hérédité c’est-à-dire la science qui étudie les mécanismes de transmission des caractères, des organismes de génération en génération. Cette science apparaît à la fin du XIXème siècle, en lien avec l’émergence d’une vision évolutionniste, transformiste du vivant pendant ce siècle-là. C’est une vision du monde vivant et des espèces comme un processus historique de changement et d’évolution. Lamarck, Darwin, et les bouleversements en biologie ; et la génétique se construit en même temps. Je dirais qu’elle prend sa source dans le projet eugéniste qui naît au même moment. Le projet eugéniste, c’est un projet politique et scientifique d’amélioration de l’espèce humaine. Il vient d’une élite qui s’inquiète de la dégénérescence de l’humain. C’est un projet d’élimination de ce que les élites considèrent comme les humains inférieurs. La génétique, quand elle naît, pour conceptualiser la transmission des caractères et de leurs variations, elle importe la notion d’hérédité directement du monde économico-juridique. A ce moment-là, “hérédité” désignait l’héritage de patrimoine, de titres, de richesses, une accumulation graduelle de biens. C’est une notion qui va suivre la génétique et l’influencer. Une autre vision importante rapidement adoptée par la génétique, c’est celle qui veut que le niveau qui importe pour comprendre les êtres vivants, le niveau ontologique, (l’ontologie est la perception de ce qui est vrai, c’est ainsi que j’utilise ce mot. Ce qui fait sens, ce qu’on pense comme le réel, la vérité). La génétique adopte une vision du réel : ce qui détient la réalité d’un organisme, c’est le niveau moléculaire. Donc c’est une forme de réductionnisme. Certains appellent ça une vision “particulaire”, c’est-à-dire que la substance qui porte l’hérédité de génération en génération est particulaire, ce sont des particules élémentaires, minuscules, moléculaires, indépendantes. Il y a eu beaucoup de versions différentes. Maintenant ce sont les gènes et avec cette idée de gènes et de transmission d’ADN de génération en génération. C’est la réintroduction d’un essentialisme dans la biologie après les bouleversements du XIXème siècle, les bouleversements évolutionnistes dont je parlais. Cette vision particulaire va s’installer à partir de la génétique tout au long du XXème siècle. Elle est en ligne directe avec l’idéologie mécaniste de l’époque, qui veut que les êtres vivants soient comme des machines. C’est une métaphore qui s’est transformée en perception du réel. C’est aussi l’idée que pour comprendre un tout, il suffit de le découper en parties et de les étudier séparément. Un organisme est fait de pièces détachées et indépendantes qui peuvent être remplacées, améliorées, réparées. Et aussi la vision particulaire portée par la génétique est une vision qui s’entend très bien avec le développement du capitalisme industriel de l’époque et avec un changement d’organisation sociale qui veut que l’individu devient l’entité primaire et indépendante de la société. Il faut commencer à penser l’individu comme une espèce d’atome social autonome. C’est nécessaire à cette époque-là, parce que ça encourage les personnes à se déplacer de lieu en lieu, de fonction en fonction et ça établit aussi une compétition permanente entre ces atomes, entre ces individus, au niveau de la production, au niveau de la consommation. Ça établit ce rapport entre les humains et aussi entre les humains et le vivant. À cette époque-là se créent tout un tas de perceptions dichotomiques, de termes opposés : l’inné / l’acquis ; le génotype et le phénotype, c’est-à-dire l’ADN et l’organisme, le gène opposé à l’environnement, l’intérieur / l’extérieur ; et puis des dichotomies comme nature / culture, immortel / temporel, qui structurent notre manière de percevoir le monde mais qui sont aussi nécessaires à la justification scientifique de l’eugénisme, par exemple pour ses méthodologies, son imaginaire. Dans nos discussions avec Guillaume, on a beaucoup parlé du fait que ces 20 dernières années, les concepts centraux de la biologie et de la génétique ont commencé à s’écrouler : l’idée d’espèce, l’idée d’individu, le concept de gène qui est devenu complétement flou, la centralité de l’ADN comme molécule explicative de tout, ce qui est un peu contesté avec par exemple l’épigénétique. L’épigénétique, c’est en fait une notion qui a beaucoup évolué. Elle a commencé au milieu du XXème siècle et maintenant c’est devenu un domaine très à la mode. C’est un peu l’étude de la modification de caractère et de sa transmission possible, qui ne serait pas due à des changements d’ADN, mais à des changements chimiques de ce qui se passe dans la cellule, de l’ADN lui-même ou d’autres choses, mais qui ne serait pas dues à des changements de la molécule elle-même. Pour certains, c’est un peu une réintroduction de l’environnement dans les idées de l’hérédité. Un autre concept central remis en cause en ce moment, c’est celui de l’individu humain, avec cette idée du microbiote. Ça fait longtemps que l’on sait que notre organisme, comme tous les organismes, contient beaucoup de bactéries. C’est devenu un sujet très à la mode d’essayer de comprendre l’impact de toute cette faune que l’on a à l’intérieur de notre corps. Donc : est-ce que l’on n’est que de l’humain, ou est-ce que l’on est un organisme avec plein d’autres organismes à l’intérieur ? Et donc avec Guillaume on évoquait une réémergence d’une biologie des systèmes, c’est-à-dire essayer de penser le vivant non plus de manière réductionniste, centré sur l’ADN, mais comme des systèmes entiers. Ce qui nous semblait intéressant d’un point de vue politique pour la vision du monde qu’elle propose, c’est une biologie qui insiste sur les interactions, les réseaux, les relations, ce genre de choses. Et donc les entités fondamentales changent. On n’est plus dans une ontologie des objets, des entités séparées. On passe à une ontologie de la relation, où tout ce qui importe ce sont les relations entre les choses. Mais on trouvait que ce tournant empruntait beaucoup à l’imaginaire, au vocabulaire du néolibéralisme et de la cybernétique. C’était pour nous très problématique, dans le sens où on pense à la cybernétique comme une science qui est née au milieu au XXème siècle, comme une science du contrôle qui est toujours basée sur une métaphore très mécaniste, qui est obsédée par la comparaison entre les individus et les ordinateurs. Avec Descartes c’étaient les organismes et les horloges, les automates. Avec les cybernéticiens, c’est le cerveau et les ordinateurs. C’est un imaginaire qui a envahi la science et au-delà, qui insiste sur ces idées de réseaux, de flux, et qui est devenu un socle idéologique nébuleux du néolibéralisme. On aime bien cette idée de se détacher un peu de l’ontologie de l’objet, on aime bien penser à la relation, mais est-ce que l’on peut y penser en échappant à l’imaginaire de la cybernétique et du contrôle ? Il y a des éléments fondateurs de la pensée occidentale qui commencent à s’effondrer, que ce soit en anthropologie ou en biologie. Ce n’est pas arrivé depuis des siècles. Il y a un enjeu politique majeur à repenser ça et à trouver un débouché, à trouver une forme politique, comme une forme politique de la pensée des Lumières a pu être trouvée pendant la Révolution française… Et puis nous sommes tombés sur les derniers articles de Christophe Bonneuil et nous avons pris une claque ! Nous étions conscients de l’influence de la cybernétique, mais n’avions pas conscience à quel point la pensée du capitalisme s’était déjà en grande partie restructurée grâce à cette pensée.

 

Habiter/Etre habité.e : quelles relations au vivant ?

Au mois de mai 2019 des journées visant à imaginer ensemble, depuis nos lieux de vie, comment nous pouvons recréer des liens entre notre existence et le monde, dans une époque qui a nous a séparé.e.s (corps/esprit, culture/nature, sujet/objet …) se sont déroulées sur plusieurs jours entre les Monts de Blond et Eymoutiers. A travers des paroles incarnées par des pratiques, des interventions plus théoriques et des échanges multiples nous avons tenté de donner collectivement forme à une vision du monde guidée par l’interrelation avec le vivant. Ces journées ont été proposées par la Cellule de Recherches Interdisciplinaires de l’École du Jardin Planétaire, le CERES de l’Université de Limoges, le Centre international d’art et du paysage – Île de Vassivière, le Cercle Gramsci, l’École de la terre, les Jardins partagés de la Vienne (voir la Lettre n°201, le site du Cercle et de Radio Vassivière). Dans cette période où nous sommes privés de débat, le Cercle a décidé de transcrire une partie de ces échanges et de les partager avec vous, au fur et à mesure de cette année. Dans ce numéro nous publions l’intervention de Christophe Bonneuil.

Comment ne pas gouverner les vivants ?

Je me situe à l’interface entre l’histoire des sciences et l’histoire environnementale. Depuis 20 ou 25 ans, ce qui m’intéresse, ce sont les évolutions conjointes des façons de connaître le vivant, de le gouverner, de l’utiliser, de le gérer. Voir comment ont évolué conjointement les savoirs sur le vivant et la Nature, et les formes de gestion, d’utilisation, de protection qu’on va leur appliquer depuis le XIXe siècle. Et le passage du modèle ressourciste à un modèle en réseaux. Je vais d’abord définir la notion de ressources et le “ressourcisme”. Donc deux étapes dans un rapport au monde de la modernité. Dans ces deux étapes comment la vitalité, la singularité, la diversité des êtres vivants, ont pu être réduites dans l’Occident industriel à un ensemble de ressources à gouverner, à la cible d’un pouvoir sur le vivant, que Foucault appelait un “biopouvoir”. Et à la cible d’une transformation de la Terre en marchandise. Donc à la fois des enjeux de marchandisation, et de contrôle. Du coup je vais reprendre l’idée d’ontologie et de dispositifs ontologiques : ce qui définit dans différentes cultures de quoi est fait le monde. Ces ontologies, ce ne sont pas juste des représentations culturelles. Ça détermine aussi des processus matériels, et des techniques, par lesquels on organise le monde. On essaye de le transformer par la technique, le Droit, le Marché, etc. Un premier dispositif ontologique de la modernité est basé sur le modèle ressourciste : on va découper la Nature en entités stables. Et un deuxième dispositif ontologique est plutôt fait de réseaux, de connectivités : voir la Nature comme un réseau. Ensuite je vais montrer comment on peut sortir de ces deux modèles-là, et ne pas gouverner le Vivant. La Nature comme stock Le premier dispositif ontologique fabrique les êtres et les processus terrestres, tout ce qui est autre que l’humain, qu’on va mettre dans un même sac et qu’on va appeler “la Nature”. On va se les représenter comme de la simple matière dans l’espace. Il s’affirme notamment avec Descartes au XVIIe siècle, qui dans Le discours de la méthode définit la spécificité humaine par le fait que nous pensons : c’est le “cogito”. Et l’humain peut feindre finalement qu’il n’a aucun corps, aucun lieu, qu’il ne fait partie d’aucun monde :  » Il est une substance dont toute l’essence et la nature n’est que de penser, et qui pour être n’a besoin d’aucun lieu, il ne dépend d’aucune chose matérielle », c’est l’exceptionnalité humaine. C’est finalement dans le prolongement du Dieu monothéiste, qui s’est révélé ainsi à Moïse : “Je suis celui qui suis”. Pas besoin d’explications matérielles, d’attributions à un lieu particulier. C’est ce qu’a très bien démontré Augustin Berque. Il y a une sorte d’auto-fondation de l’humain par rapport à toutes les autres formes vivantes, dans le cogito, qui ne s’explique par aucun processus vivant ni matériel. Alors que tout le reste de la nature, c’est de la matière dans l’espace. Donc, on a un dispositif ontologique qui fabrique l’ensemble des êtres de Nature comme n’ayant pas de cogito, n’ayant pas de but, se réduisant à un sorte de matière brute, une ressource que les humains vont pouvoir mobiliser en fonction de leurs projets. Les êtres de Nature n’en ont pas. Du coup, on va conceptualiser la Terre comme un bien, un stock de ressources. Heidegger va théoriser cela dans un article des années 1950 : il parle de vision du monde comme d’un magasin. Et ce magasin peut et doit être mis en valeur. La notion de “stock vivant” se développe au XVIIe siècle en Angleterre sous la plume des gentlemen capitalistes. On la retrouve très présente dans ces statistiques sur l’Irlande (qui vient d’être colonisée par l’Angleterre) de William Petty en 1790. Dans cette conception de la Nature comme stock, comme quelque chose d’appropriable, les esclaves feront partie de ces biens meubles, comme dans Le code noir. Les Amérindiens, puisqu’ils ne sont que des chasseurs-cueilleurs qui n’améliorent pas la terre, peuvent donc être expropriés. Parce que ce qui légitime la propriété dans cette pensée (celle de John Locke en 1689), c’est le fait d’accroître la productivité du sol par le travail, par opposition à l’indigène qui peut être dépossédé ; et par opposition aussi aux “communs” villageois. Cette façon de justifier la propriété par le travail d’amélioration de la terre, va justifier le mouvement des enclosures, la dépossession des communs villageois, la colonisation, etc. Donc cette histoire, cette genèse de la Nature comme « l’autre », que Descola a appelé le “naturalisme”, cette séparation nature / culture s’inscrit dans la naissance du capitalisme.

Ressourcisme

Je vais développer avec vous autour d’un autre mouvement qui s’enclenche avec le capitalisme industriel. C’est notamment l’émergence de la catégorie de “ressource”. Précisément le mot “ressource”, qui définit cette nature comme un stock statique qui préexiste aux activités humaines, et qu’il faut mettre en valeur. Le sens actuel que l’on donne au mot « ressource » naît seulement à partir de la fin du XVIIIe siècle. Il existe depuis le Moyen-âge (au XIIIe siècle en français, et il passe en anglais au XVIe), mais jusqu’à la fin du XVIIIe il désigne une nature dynamique. C’est l’eau qui s’est retrouvée enterrée dans un sol calcaire par exemple, et qui ressurgit. En fauconnerie au Moyen-âge, la ressource c’est le moment ou le faucon qui a plongé pour prendre de la vitesse va se redresser. Cela renvoie à un vivant, à des vivants, qui ne sont pas du tout statiques, qui sont au contraire définis par leur mouvement. Ce mot vient du latin resurgire, “ressurgir”. C’est presque “résurrection” : l’idée du mouvement est centrale. Ce n’est pas du tout ce que l’on a aujourd’hui quand on emploie le mot ressource. C’est une conception fixiste qui est devenue commune pour nous aujourd’hui. Quelque chose de stable. Elle n’apparaît qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle, d’abord dans des ouvrages d’économie politique des collègues d’Adam Smith. Et ce sens-là va proliférer dans des textes, en anglais d’abord, puis en français et en allemand. Des manuels commerciaux, toute la littérature qui tourne autour des foires coloniales, des foires industrielles, des expositions universelles, au XIXème siècle ; et c’est progressivement que le terme de ressource prend le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. En fait, il y trois sens. Celui que je vous ai décrit qui vient du Moyen-âge, de la ressource comme résurrection. Deuxièmememnt le sens qui existe aussi au Moyen-âge comme moyen qu’on a de résoudre une situation : ressource intellectuelle. Et enfin ressource comme stock, qui n’apparaît donc que récemment. Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut relier l’affirmation d’une nouvelle vision du vivant comme stock et la naissance du capitalisme industriel qui apparaît au même moment, et le relier au changement de base énergétique des sociétés occidentales. On était dans des sociétés basées sur des énergies mouvantes, vivantes. Le muscle, le vent, l’eau qui court, qui sont des énergies intermittentes, irrégulières, qui peuvent récalcitrer. L’âne peut décider qu’il ne veut plus avancer, l’esclave peut s’enfuir, le vent peut mettre le meunier en congé. Ces énergies renvoient à une nature avec laquelle il faut composer. Quand apparaît le charbon, on a enfin une énergie docile, prédictible à volonté. Vous prenez un stock de charbon extrait de la mine, vous le posez à côté des machines à vapeur de vos industries textiles, et vous savez exactement de combien d’énergie vous disposez pour produire. Vous pouvez prévoir le chiffre d’affaires et le bénéfice à l’avance. On passe à une forme d’énergie quantifiable, appropriable, qui permet d’avoir une vision régulière du temps, un outil qui permet de dominer le travail salarié. Tout le monde va tourner au rythme de la machine à vapeur. Ce basculement qui se joue dans les usines participe à une nouvelle représentation du temps qui correspond au temps industriel et à une nouvelle représentation de la Nature accumulable, passive. Ce changement de base énergétique est donc aussi une révolution anthropologique. Elle permet de percevoir le monde d’une façon différente. Par exemple, les ressources minérales, l’argent, l’or, le charbon, jusqu’au début du XVIIIème siècle étaient vues par les savants de l’époque comme une production continue qui se faisait sous la terre. La Terre comme une sorte de matrice qui en permanence fabrique les métaux que les mineurs vont chercher. Il n’y a pas alors de séparation entre le temps minéral et le temps des humains. Les deux sont commensurables dans cet utérus, qui produit en continu. Cette théorie-là, qui pense comment les minerais émergent, va disparaître avec la naissance de la géologie. On va allonger le temps de la Terre, qui devient non commensurable avec le temps des humains. On passe à un temps de la Terre de quelques milliers d’années, à plusieurs centaines de milliers d’années, et plusieurs millions. Aujourd’hui on est à 4,5 milliards d’années dans l’estimation de l’âge de la Terre, donc il y a une incommensurabilité entre le temps de la Terre, et le temps des humains, qui arrivent beaucoup plus tard. Les ressources minérales ne sont plus vues comme un processus de création continue dans un utérus terrestre, mais comme un déjà-là. Un capital qui est un legs qui nous vient d’il y a tellement longtemps qu’on peut le considérer comme statique. Jean-Baptiste Say, un économiste libéral et industriel qui vient d’Angleterre en 1815, décrit les mines et les carrières comme « des espèces de magasins où la nature a préparé et mis en dépôt des richesses que l’industrie et les capitaux de leurs propriétaires achèvent en les mettant à la portée des consommateurs ». J’adore le mot « achèvent ». Cette représentation ressourciste du monde minéral va progressivement être étendue au monde vivant au XIXème siècle… alors même que la géologie, et le darwinisme, nous montrent que la vie évolue ! Mais ce vivant évolue à une échelle tellement lente et tellement longue que du point de vue des activités humaines, la nature est considérée comme immobile par comparaison au dynamisme des sociétés humaines qui sont l’autoroute du progrès de l’avenir radieux, que cela soit dans la vision industrialiste libérale ou communiste-marxiste. En s’arrachant à la Nature, on fabrique une disjonction entre le temps de la Nature et celui des sociétés humaines. Le discours de Sarkozy qui dit que « l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire », c’est ça : c’est le modèle progressiste de la vision de l’Histoire dont on hérite du XIXème siècle. On va donc se mettre à concevoir non plus seulement les minéraux, mais aussi les animaux et les végétaux, comme un capital statique à notre disposition et que nous allons mettre en mouvement. Comme au XVIIème siècle avec les gentlemen capitalistes anglais, à la fin du XIXème siècle cette vision-là des ressources naturelles, végétales et animales, participe aussi à l’entreprise coloniale de l’époque, au grand mouvement de la course à la colonisation de l’Afrique, et va se faire au nom de la bonne valorisation des ressources. On a des terres qui sont occupées par des sauvages qui ne savent pas les mettre en valeur. Heureusement que l’homme blanc équipé par la science arrive pour enfin mettre en valeur rationnelle ces ressources, pour les mettre à disposition de l’Humanité. C’est la base idéologique de légitimation du “crédo de l’homme blanc”, c’est la mission civilisatrice. De la conférence de Berlin en 1884 au traité de Versailles de la SDN en 1919, cette idéologie qui légitime l’impérialisme se constitue. Je vous donne une citation du Muséum d’Histoire naturelle en 1893, pour montrer comment cela s’articule avec l’idée de ressources : « Les habitants du Vieux monde ont les yeux fixés sur ces régions vierges où la nature est si riche et où les ressources restent cependant sans emploi ». C’est pour cela qu’on a le droit de les coloniser. Il faut augmenter le patrimoine des générations qui nous succéderont, en travaillant à l’exploitation des ressources des territoires récemment acquis par la France, et où dorment les réserves de l’avenir. Donc ce n’est pas seulement la Nature qui est stable et brute, ce sont aussi les populations indigènes qui vivent sur ces territoires et qui sont incapables de mettre en mouvement cette Nature. D’où notre droit, nous les Blancs colonisateurs, à occuper ces espaces au nom des générations futures. On fabrique un discours du futur qui légitime la dépossession coloniale.

L‘espèce et le gène

Chez ces naturalistes, c’est la notion d’espèce qui est l’unité de ce stock qu’est la nature : c’est l’inventaire des espèces. Dans le mouvement “d’acclimatation”, on va transférer des espèces d’un lieu à un autre. Et un peu plus tard au XXème siècle, cela va être le gène qui va devenir l’unité fondamentale de ce vivant. On va considérer que le gène détermine le fonctionnement des organismes, qu’il est l’unité de transmission héréditaire, qu’il est l’unité de la sélection dans la théorie synthétique de l’évolution. Le gène va devenir aussi l’unité d’information dans la biologie moléculaire à partir des années 1940-1950. Donc, va apparaître le terme de “ressource génétique” dans le second tiers du XXème siècle. Le niveau ultime dans lequel se situe l’idée d’un vivant ressource va être le gène. Cette catégorie de ressource génétique, on va la retrouver non pas chez des généticiens du monde capitaliste, mais chez des généticiens soviétiques. Parce que l’Union Soviétique est dans le même type de rapport extractiviste et exploiteur du monde vivant et végétal que l’est l’Occident à ce moment-là. On va la retrouver chez des auteurs comme Vavilov, et Sérébrovski qui dit en 1928 : « Si on veut conserver à long terme les nombreux gènes présents dans un lieu donné, il faut concevoir ce stock comme une sorte de ressource naturelle similaire aux réserves de pétrole, de gaz ou de charbon par exemple ». Le vivant à travers ces gènes est complètement aligné sur la représentation qu’on se fait des ressources fossiles. Donc, le minéral et le vivant sont complètement aplatis sur une même représentation du monde. Cette représentation-là, on la retrouve jusqu’aujourd’hui dans la Convention pour la diversité biologique de 1992, dans laquelle la notion de “biodiversité” est vue essentiellement comme un stock de gènes et d’espèces. Même si il y a d’autres notions de la biodiversité qui vont complexifier la chose. Malgré tout, l’article 1 explique que l’objectif de la Convention c’est « la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments, et le partage équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant à ces ressources ». Donc la diversité du vivant dans le modèle de la Convention de 1992, se conserve sous la forme d’éléments discrets, qui sont vus comme un stock dans lequel on va prélever, pour produire des innovations, des nouveaux médicaments, des nouvelles variétés, des nouveaux produits vendus sur les marchés et générant des bénéfices à travers des brevets comme forme d’appropriation de ces unités. Une partie de ces bénéfices va percoler pour revenir sur les territoires et financer la conservation. Pour résumer, on a d’abord les ressources minérales, puis les espèces, les variétés, et puis les gènes qui deviennent les unités du découpage de la diversité du monde. Entités stables, qu’on peut accumuler, mettre en valeur ou, au contraire, perdre. La notion d’extinction des espèces, c’est un élément du stock qu’on perd. Cette notion se développe au cours du XIXème siècle. Elle n’est pas présente auparavant.

Standardisation du vivant

Pourquoi le capitalisme industriel a-t-il besoin d’entités stables ? Il y a trois raisons. Premier besoin : avoir des standards, cela permet de créer la confiance pour les marchés à longue distance. Si vous avez des gens qui se connaissent lorsqu’ils échangent une marchandise, vous n’avez pas besoin de trop codifier ses qualités ; alors que si vous avez cinq intermédiaires, il faut un travail de codifications des qualités pour standardiser le vivant, c’est indispensable au bon fonctionnement des marchés à longue distance. Le deuxième besoin, c’est la production industrielle de masse. Si vous faites par exemple de la bière à grande échelle à partir d’orge et de levure, vous avez besoin de standardiser les inputs industriels, donc de simplifier les êtres vivants. De la même façon que lorsqu’on commence à produire en masse des fusils, on va standardiser les pièces pour rationaliser la production, diviser le travail, et plus tard ce sera le taylorisme. De la même façon, on va standardiser le vivant. Troisième besoin : c’est la création de droits de propriété. Le vivant doit être découpable en unités qui peuvent être appropriables. C’est plutôt un mouvement du XXème siècle avec les droits de propriété sur les variétés végétales. On a besoin de lignées pures, bien stables et déterminées, Distinction, Homogénéité, Stabilité (DHS), puis les brevets sur les gènes à partir des années 1970, 1980. Pour ces trois besoins du capitalisme industriel, créer la confiance sur des marchés mondiaux, produire en masse et créer de la propriété, on a fait le travail de réduire le vivant à des entités fixes, stables, discrètes, homogènes. C’est ce que Bruno Latour appelle des mobiles immutables. C’est un processus que Marx a décrit dans le premier volume du Capital. Il montre que pour fabriquer une marchandise, il y a tout un ensemble d’investissements, de standardisations, pour que la Nature un peu insaisissable puisse devenir une marchandise bien identifiée. C’est un processus d’abstraction des êtres vivants de leur milieu, afin de les mettre en circulation ailleurs, et qu’ils gardent une partie de leurs caractéristiques et de leur identité à travers ce transport. On va les arracher à leurs connexions, à leurs attachements écologiques et humains aussi. On a besoin qu’un gène qui a été prélevé dans un vieux blé en Iran puisse fonctionner dans une variété moderne qu’on va cultiver en Inde ou au Mexique. On va l’abstraire, cette coévolution de 10 000 ans, pour la mettre dans une plante qui se trouve dans un autre espace-temps. Il y a une sorte d’aplatissement des espaces et des temporalités, dans un seul espace-temps qui est celui du capitalisme industriel, de la rationalité industrielle. Un autre exemple, je le tire d’une phrase d’un botaniste suisse en 1912 qui anticipe la notion de ressource génétique ; il commente la découverte par un explorateur, en 1908, d’un ancêtre du blé en Palestine. On se dit qu’il résisterait bien à la sécheresse pour les régions de climat méditerranéen en Californie. Donc on va pouvoir le croiser avec des variétés actuelles. Commentant cette découverte, ce botaniste suisse dit : « Nous allons pouvoir refaire méthodiquement en quelques années tout ce que 10 000 ans de culture et de sélection inconscientes ont fait ». Donc, d’un côté, vous avez la nature sauvage et les sociétés primitives, un stock du passé ; de l’autre, un homme de rationalité, des laboratoires alliés à l’industrie. Cet homme va réagencer les choses pour faire quelque chose de conscient qui aplatit le temps. Tout à coup les 10 000 ans d’histoire deviennent disponibles dans la temporalité présentiste, tout de suite mobilisable pour innover et vendre un nouveau produit. Je vais vous donner quelques exemples de stabilisation des êtres vivants. L’exemple des marchés du blé à Chicago au milieu du XIXème siècle. Aujourd’hui à la bourse internationale du blé, on vend des blés qui ne seront récoltés que dans 30 ans. On spécule avant même qu’ils ne soient récoltés, on les revend. On achète du blé de 2030, mais on se dit que s’il y a un réchauffement climatique le blé va coûter plus cher, donc je vais le revendre, ou bien je vais en acheter. Il y a tout un processus de spéculation financière sur du vivant qui n’existe pas encore. Ces marchés à terme naissent dans la ville de Chicago dans les années 1860, et pour que cela soit possible il a fallu fabriquer des standards de la qualité du blé. Au lieu que vous ayez du blé qui vienne de telle région, avec telles qualités spécifiques, dans un sac avec le nom de l’agriculteur dessus, qui est différent chaque année… Cette hétérogénéité qui fait que chaque année il faut attribuer un prix différent parce qu’il ne va pas être humide, par exemple, de la même façon ; il n’aura pas alors la même valeur, et il faut regarder à chaque fois sur place, faire faire un travail par des évaluateurs qui vont rendre le marché fluide… Eh bien on va classer le blé en cinq qualités, et donc directement réduire toute une diversité de blés selon les années, les lieux… ce qui permettra de dire : “J’achète du blé de qualité A qui sera cultivé dans vingt ans”. Cela devient possible, car ont été créées ces qualités abstraites. Voilà un exemple de standardisation du vivant qui permet le fonctionnement des marchés financiers et de la production à l’échelle industrielle. La première bière issue d’un clone (le mot “clone” date de 1903) est produite par Carlsberg. Ayant lu les travaux de Pasteur, le directeur de Carlsberg se dit que pour avoir une bière de qualité standard qui ne se détériore pas trop pendant l’été quand il fait chaud, et pour avoir des processus industriels avec toujours la même durée de fermentation, il faut travailler sur un microbe de levure qui est toujours le même. Et donc à partir d’une culture de levure on va prélever une goutte, on va la mettre dans un litre d’eau, on va encore prélever une goutte, on va diluer, diluer, jusqu’à n’obtenir dans chaque goutte qu’on prélève que zéro cellule, ou une cellule. Si on a une cellule, on va voir une colonie se former. On va prendre la cellule, on va la mettre dans le processus de fermentation de la bière et on sait qu’on a une levure qui est issue d’une seule cellule et qui est parfaitement homogène : il y a le même patrimoine génétique dans toutes les levures. La fermentation va se faire de façon contrôlée, régulière, standardisée. Cette première bière industrielle de clone de levure apparaît dans les années 1880 chez Carlsberg. Et on va avoir ce mouvement de standardisation du vivant au fur et à mesure que se développe le marché des semences. Les semences, initialement, étaient largement autoproduites dans les fermes ou étaient achetées ou données entre voisins. Cela va devenir une marchandise qu’on achète à un marchand de graines. Pour les maïs hybrides aujourd’hui, l’agriculteur rachète chaque année la semence. Dans le blé, c’est une fois sur deux parce que le blé est autogame. On passe d’un monde des semences autoproduites par les communautés paysannes, à la fin du XIXème siècle, à un monde des semences dans lequel on va de plus en plus acheter un produit standardisé sur le marché. Pour mettre en avant la supériorité de leurs semences, au début du XXème siècle, les marchands vont commencer à faire des publicités pour des semences « plus pures » et donc plus prédictibles. Pour une promesse d’un résultat assuré à travers l’usage d’un produit industriel par une semence d’une ligne pure, et puis plus tard les hybrides F1. C’est ce qui va donner les notions de Distinction – Homogénéité – Stabilité du catalogue des semences dont je vous ai parlé. Je vous ai dit que ces processus de purification du vivant, de construction du vivant comme des entités stables et discrètes, c’est un besoin du capitalisme.

Simplifier pour contrôler

Mais ce n’est pas que ça, ce n’est pas uniquement un outil de marchandisation, c’est aussi lié à un projet de domination. À la possibilité de contrôler les sociétés rurales depuis un point central qui est l’ État, par exemple : vous avez des travaux de l’anthropologue James C. Scott, qui raconte que les États ont eu beaucoup de mal à connaître les populations qu’ils gouvernaient. Dans le roman L’étrange destin de Wangrin d’Amadou Hampâté Bâ on voit un gouverneur colonial qui essaye de gouverner les populations africaines colonisées, en prélevant un impôt. En fait, il y a une fiction du pouvoir colonial qui est censé contrôler ce qui se passe, mais derrière lui ce sont les sociétés indigènes, le traducteur, qui tirent les ficelles. Parce que l’État ne sait pas qui possède combien de vaches, combien de terres, etc. Donc pour construire un pouvoir sur les sociétés rurales il faut des statistiques, des géomètres, un investissement cognitif pour les pénétrer, pour les rendre lisibles (J. C. Scott) et gouvernables. Scott raconte que dans ce processus pour que les sociétés rurales soient plus facilement gouvernables, il faut les simplifier. Simplifier les écologies, les paysages, les cultures, les langages, les unités de mesures, et à ce moment-là il est plus facile de gouverner à distance une pluralité. Il y a un lien entre la construction de l’État moderne pilotant depuis la capitale un ensemble de sociétés rurales, et le processus de standardisation du vivant. Ce n’est pas juste un problème de mise en économie capitaliste. C’est aussi la structure même de notre organisation politique centralisée, avec un pouvoir d’État par le haut, qui a eu besoin de cette ontologie du vivant comme ressource. La notion de ressource génétique, si elle naît dans les années 1920 en Union Soviétique, ce n’est pas tout à fait par hasard. On est à un moment où l’URSS, suite à des guerres civiles et à la lutte contre les koulaks, est en train de moderniser l’agriculture à la force de la baïonnette en embrigadant d’anciennes sociétés paysannes dans des sovkhozes, dans des kolkhozes, auxquels on va imposer de ne cultiver qu’une seule variété de blé, commandée à l’avance, achetée par l’État : un processus de dirigisme sur les pratiques paysannes. Dirigisme qui passe en partie par la question des semences et du choix des variétés qui vont être cultivés. Ce n’est pas spécifique à l’Union Soviétique, on va retrouver cela dans “la bataille du blé” de Mussolini dans les années 1920 : il va imposer quelles variétés doivent être cultivées par les paysans dans la plaine du Pô. C’est aussi la nouvelle loi sur les semences du régime nazi en 1934, qui crée une administration qui détermine la liste des variétés qu’on a le droit de cultiver et élimine celles qui sont obsolètes, moins modernes, moins performantes. C’est un mouvement en lien avec l’eugénisme. De même que l’État s’autorise à améliorer la qualité génétique des humains, il se sent responsable de l’amélioration de la qualité des organismes qui sont cultivés ou élevés par les agriculteurs. Et, comme par hasard en France, cela nous arrive en 1942, sous l’Occupation, suite à un diktat allemand, dont j’ai trouvé la trace dans les archives. En février 1942 il y a un grand professeur de génétique allemand (dans les réunions au Majestic pendant lesquelles l’occupant allemand dictait ses lois au gouvernement de Vichy) qui dit : « Vous devez faire comme notre loi de 1934 ». C’est comme ça qu’on a hérité du Comité technique permanent des semences et du catalogue à la française qui est devenu ensuite un catalogue européen, après la guerre. On a une forme de dirigisme génétique des sociétés qui va simplifier ce qui est cultivé de façon à mieux gouverner ce que font les sociétés rurales. À mieux contrôler les paysans, du point de vue de l’État. Ce qui est intéressant, c’est le lien entre la façon dont on va se représenter le vivant et le type de gouvernementalité qu’on met en place. Le gène est typiquement la médiation de cela, parce que finalement le gène coupé de l’environnement qui le commande à distance, sans être influencé par l’environnement lui-même, le gène c’est le centre de commandement stable qui agit sur le monde sans être influencé par le monde. C’est la fiction d’un pouvoir étatique qui transforme le monde sans être altéré lui-même par ce qui peut se passer. Cette vision-là du gène est assez iconoclaste. Elle était difficilement compréhensible par des biologistes jusqu’à la fin du XIXème siècle. C’est peut-être pour ça que Mendel, qui a publié ses travaux dans le années 1860, n’a été vraiment redécouvert que 30 ans plus tard. Parce que pour les généticiens, ceux qui s’intéressaient à l’hérédité à la fin du XIXème siècle, qui étaient extrêmement matérialistes, qui avaient des métaphores mécaniciennes et chimistes, pour eux toute transformation était un produit d’interactions mécaniques ou chimiques. Vous aviez a + b qui donnaient a’ + b’, il était impossible que a transforme b sans se transformer lui-même. Alors qu’un gène, c’est la capacité de transformer quelque chose d’autre tout en restant soi-même, c’est une fiction de la non-interaction, du commandement sans auto-transformation. Cette fiction-là du gène autiste, non agi par l’environnement, non transformé par les fonctionnements cellulaires, correspond à la naissance de la grande organisation étatique, bureaucratique, industrielle des grandes corporations, américaines notamment, des chemins de fer, des ventes par correspondance, des compagnies d’assurance qui vont se mettre à réorganiser la façon dont elles gèrent l’information. L’information, le travail de bureau, ne va plus être possédé par une multitude de salariés dont chacun en détient un petit bout sous une forme de travail vivant, mais elle va être centralisée dans un fichier. Ce sont des fichiers verticaux, avec dedans des fiches discrètes, qui ne sont plus dans un livre. Avant cela, les fichiers clients, les ventes, les envois, etc., étaient consignés dans un livre. Cela rendait assez difficile de circuler, parce qu’il y avait le côté continu et linéaire du livre. Mais là, on va insérer l’information d’entreprise dans un fichier qui bascule du livre au système. La fiche cartonnée qui circule dans ces fichiers verticaux, qui centralise l’information entre les mains du chef d’entreprise, plutôt qu’entre les salariés, c’est l’équivalent du gène. Si on peut penser le gène comme pouvant agir à distance, recombinable sans se modifier lui-même, c’est parce qu’on était déjà dans une vision d’organisation de l’information à travers la fiche, dans la grande entreprise, à partir des années 1880.

Changement ontologique

Cette ontologie de la Nature comme stock, qui correspondait bien à ce qu’était le capitalisme industriel et le gouvernement des masses par des pouvoirs étatiques aux XIXème et XXème siècles, est en train d’entrer en crise. Notre époque est ce moment formidable où se défait cette ontologie du monde comme ressource. Pour la première fois, les entités qui ont été à la base de nos perceptions semblent s’évaporer dans de nouvelles représentations du monde et du vivant qui sont structurées autour de l’idée du réseau, de la relation, de l’interaction. On assiste à la poussée d’un nouveau dispositif ontologique qui conçoit les vivants comme dynamiques, connectés, producteurs de services plutôt que de marchandises. Donc on peut se dire que « c’est génial : on est en train de sortir de l’ancienne vision ressourciste pour entrer dans quelque chose de plus intéressant, de moins capitaliste, de moins totalitaire, et tout va bien se passer grâce à cette nouvelle vision du vivant ». Je vais essayer de refroidir cet optimisme, et montrer que c’est plutôt un deuxième dispositif en conformité avec le nouvel esprit du capitalisme de ces dernières années, qui correspond plutôt au capitalisme néo-libéral, financiarisé. Pour cela, j’ai analysé la littérature en écologie : j’ai répertorié quatre-vingt-dix mille publications des années 1960 à 2009. J’ai regardé les mots utilisés pour décrire les écosystèmes, le vivant, la nature. J’ai traqué notamment les mots qui renvoient à la stabilité. D’autre part, j’ai traqué les mots qui renvoient au contraire à la perturbation, à l’instabilité, à la notion de réseaux, et à la notion de résilience. Eh bien, vous vous apercevez que dans les années 1960, 25% des publications en écologie avaient la notion de « stabilité » présente dans leurs résumés d’article, et seulement 1% de ces publications renvoyaient aux réseaux, à l’instable, à la perturbation, à la résilience. Dans les années 2000 le rapport s’inverse : vous avez 15% d’allusions à l’instabilité et aux réseaux et seulement 4% d’allusions à la stabilité. Donc la norme, dans la vision de l’écologie des années 1960, c’est un monde stable, ordonné, un peu fordiste, stationnaire, où tout le monde produit. Les écosystèmes sont des usines qui transforment l’énergie et la matière d’une façon relativement stable. Et depuis 40 ans, au contraire, on a une écologie qui s’est transformée, dans laquelle la notion de perturbation (dans l’écologie des paysages notamment) est devenue centrale. L’instabilité est devenue la norme dans la façon dont les écologues perçoivent les écosystèmes aujourd’hui. On peut faire des analyses très savantes sur les publications en écologie pour regarder ça, mais il suffit de regarder le film Avatar : c’est l’affrontement entre une vision de la nature comme ressource, les méchants extractivistes qui viennent coloniser la planète Pandora pour prélever des ressources dans le sol, et dans l’autre camp des indigènes qui habitent sur place et qui n’utilisent pas cette ressource, mais vivent en harmonie et en connexion absolue avec le vivant. Les scientifiques qui accompagnent les colonisateurs vont basculer dans le camp des indigènes parce qu’ils s’aperçoivent que cette nature-réseau est plus intéressante que la nature-ressource. Il y a une scène dans laquelle les anthropologues et les écologues de la compagnie extractiviste disent : « Mais en fait ce monde-là est beaucoup plus riche, ce sont des milliers de connexions par arbre, vous avez plus de connexions dans cette nature que dans un cerveau humain ». Ils essayent d’expliquer au PDG de la boîte qu’il y a une autre forme de richesse que la richesse extractive. Du coup ils basculent dans le camp des autochtones, et ils renvoient les méchants extractivistes chez eux. Comme pour la défaite des Américains au Viêt-Nam en 1975, c’est la défaite de l’impérialisme extractiviste. C’est le côté sympathique du film : les scientifiques sont très courageux, au lieu de travailler pour les pouvoirs ils basculent du côté de la lutte. J’aimerais bien que mon milieu scientifique fonctionne comme ça ! Mais malgré tout, cette nature-réseau pose beaucoup de problèmes. Il y a l’idée d’une connexion immédiate. On relie le corps et la technique : la personne handicapée qui ne peut plus courir se retrouve, grâce à un dispositif un peu transhumaniste, capable de courir avec les autochtones. Et puis il se branche sur des espèces de dinosaures volants….Toc ! il suffit de se brancher, c’est hyper-rapide ! C’est l’imaginaire immédiatiste du réseau : tout est accessible à tout, on peut facilement se brancher sur tout. Il n’y a pas d’opacité, il n’y a pas de friction, il n’y a pas de résistance, tout est aplati, on accède à tout. C’est l’imaginaire d’Internet, de Wikipedia, tout à coup vous avez accès à toute la connaissance du monde très facilement. C’est plutôt cet imaginaire-là qui est mobilisé. Et ça correspond à des évolutions dans le capitalisme contemporain, dans lequel on va d’une part se mettre à projeter la nature comme n’étant plus statique, mais profondément mouvante. La perturbation devient la norme. C’est la notion de cycle adaptatif, le fameux  » 8  » [L’anneau de Moebius. NDLR.] de C.S. Holling, un auteur fondamental sur la notion de résilience dans les années 1970. Cette idée finalement qu’on n’a pas une nature qui évolue d’une phase initiale vers un climax, mais on va avoir une phase d’accumulation de biomasse, et puis, paf ! une perturbation, qui fait que la biomasse va chuter, ça va se désorganiser, pour ensuite se réorganiser. On n’est plus dans la nature linéaire de l’usine fordiste ; on est plutôt dans Schumpeter. La destruction et la reconstruction permanente. Cette vision-là va être utilisée par des penseurs néo-libéraux qui vont critiquer les institutions de régulation environnementale en disant qu’elles sont rigides, qu’elles font des taxes homogènes. Il faudrait plutôt partir de l’intelligence des producteurs et des industriels, qui eux sont sur place, et qui vont s’adapter et s’ajuster. Ce sont eux qui ont les solutions. Et on va disqualifier les régulations étatiques. Déréguler l’environnement, au nom de la nature flexible et mouvante. L’entrepreneur est celui qui est le plus réactif par rapport à cette nature mouvante, alors que les États c’est ringard. Seul le marché est capable, parce qu’il est aussi mouvant que la Nature. C’est Hayek qui fait la circulation entre les deux discours : on ne peut plus planifier, on ne peut plus réguler, il faut juste s’adapter en permanence au marché. La Nature n’est plus uniquement ressource, mais devient « service ». C’est la notion de service écosystémique. Cela renvoie au basculement dans les sociétés post-industrielles : le rôle des fonctions assurantielles, de communication, de marketing, de publicité, comme étant plus créatrices que les fonctions productives elles-mêmes. Et récemment, quand on a découvert les ARN non codants, les ARN intermédiaires comme des acteurs essentiels des régulations cellulaires. Avant, il y avait l’ADN qui codait pour des protéines : 1% à peu près de l’ADN. Et 99% de l’ADN, on ne savait pas ce que c’était. Dans les années 1970 les biologises appelaient ça “l’ADN poubelle”. Ces trucs qui ne fabriquent pas des vraies protéines ne servent à rien. Maintenant, ces 99%, on s’aperçoit qu’ils déterminent malgré tout des ARN qui régulent toute la cellule sans passer par la protéine. Produire des protéines, ça coûte cher en énergie. Et donc ils arrivent à réguler les fonctionnements cellulaires sans dépenser trop d’énergie, c’est la cellule post-industrielle. Donc on a un discours de l’économie des services qui est projeté sur la cellule dans les 10 à 15 dernières années, qui correspond au monde dans lequel on est : une société post-industrielle, servicielle. On fait produire les chaussettes ailleurs, en Chine, où il y a des gens qui sont esclavagisés. On a projeté sur le fonctionnement de la cellule un imaginaire du capitalisme assurantiel, serviciel, financiarisé, qui est sorti du monde fordiste de la production dans l’usine. À partir de ces services on calcule des unités, des unités de crédit. Ces services, on les chiffre monétairement : la pollinisation des abeilles, ça vaut tant. L’ensemble des services écosystémiques de la planète, c’est à peu près trois fois le PIB planétaire. On leur donne une valeur monétaire qui fait qu’eux aussi en tant que services peuvent être marchandisés. On passe d’un capitalisme qui marchandisait des entités à un capitalisme qui marchandise des fonctions. Nos représentations du vivant ont évolué avec ça. On a également un basculement des visions de la nature qui s’alignent sur le paradigme  » réseau « . On se met à voir du réseau partout. Il y a un nouveau champ de recherche autour de la théorie des graphes qui a beaucoup influencé l’écologie ces dernières années. On va se mettre à concevoir les chaînes trophiques, les transformations de matière et d’énergie : elles cartographient sous la forme de nœuds, avec des cartes. On va s’intéresser à la mathématique de ces réseaux. Il y a des réseaux qui sont hiérarchiques, résilients, plus ou moins stables selon les propriétés mathématiques de ces réseaux. L’écologie est profondément transformée par cette vision topologique des réseaux des écosystèmes, ces dernières années. Ces approches en termes de réseaux, pour essayer de comprendre leur stabilité, leur vulnérabilité, leur fragilité, leur résilience, devient une discipline transversale qu’on va utiliser aussi bien pour analyser les relations sociales, les marchés financiers ou les écosystèmes avec des docteurs de la résilience ; et on va éviter une grande crise financière en connectant des circuits financiers un peu différemment. Tout un ensemble de savoirs-réseaux pour gérer un monde qui est perçu comme un réseau flexible, fluctuant, qui doit pouvoir être résilient face à des changements qui peuvent être brutaux. Ce basculement de la ressource au réseau n’est pas forcément si émancipateur que cela. Il renvoie aussi à des formes de gouvernement de nos sociétés qui sont aussi des nouvelles formes de valorisation capitaliste. On va valoriser des services et plus seulement des objets, valoriser la diversité et pas uniquement des standards, et c’est aussi des formes de gouvernement pas forcément moins dirigistes ou totalitaires qu’auparavant. Le pouvoir du réseau, par rapport au pouvoir de l’État du XIXème et du XXème siècles, n’est pas moins effrayant. Le pouvoir de Google n’est pas moins effrayant que le pouvoir de Trump (les deux sont liés). On a une situation où on va organiser dans le réseau chaque être humain ou non-humain, qui devient un faisceau ou un échangeur de watts et de bits, qui devient capteur, transmetteur d’information, branché sur la totalité hégémonique d’un grand réseau. Vous savez qu’autour de l’appellation « troisième révolution industrielle » on a les réseaux électriques, les lignes à haute tension, etc. qui vont transporter sous une autre fréquence, de l’information de type Internet. Donc les compteurs Linky vont envoyer à travers les réseaux électriques sous une autre fréquence, des informations sur ce que vous faites, à quelle heure vous vous couchez, etc. Les êtres se retrouvent insérés dans un réseau de contrôle et de pouvoir qui n’est pas moins effrayant que le pouvoir centralisé qui pilotait des entités à l’âge du capitalisme industriel. J’ai décrit deux dispositifs ontologiques qui renvoient à deux phases du capitalisme, et à deux phases des technologies de pouvoir et de contrôle des populations, par la ressource ou par le réseau.

Contre l’aliénation

La question que vous vouliez que l’on se pose maintenant, c’est : Comment on dépasse ça, comment on destitue ces formes de capture, de mise au travail, d’aliénation des vivants ? Je pense que les solutions, les propositions vont aussi bien venir des praticiens des alternatives agricoles et forestières que d’universitaires. Je reformulerai la question sur comment on passe du « gouverner et être gouvernés » au « habiter et être habité » qui est le thème du colloque. Donc comment on entre dans un jeu de relations et de liens avec les non-humains, les espèces vivantes, les êtres vivants qui ne soit ni celui de la ressource, ni le modèle du réseau comme totalité transparente selon le modèle du réseau cybernétique ou tout est mis sous un même plan, contrôlable à distance. Je vais proposer trois pistes pour pouvoir discuter. La première piste c’est de se rendre attentif à ce qui résiste, chez les non-humains, chez ces êtres animaux, végétaux, microbiens, ce qui résiste à la capture qu’on a essayé de leur faire subir depuis quelques siècles, capture symbolique et matérielle, pour les mettre en économie, en gouvernement ; d’ouvrir nos sens à ce qui se manifeste comme non calculable, non substituable, non commensurable, tout ce qui peut être inutile dans ce que nous rencontrons lorsque nous rencontrons les êtres vivants, tout ce qui peut être ingouvernable dans ces êtres et ces processus vivants. Un élément que je trouve intéressant, c’est l’apport de l’anthropologue Anna Tsing qui parle de “troisième nature” dans son livre Le champignon de la fin du monde. Elle dit : “Le capitalisme a fabriqué de toutes pièces une deuxième nature qui correspond à ses besoins, une nature standardisée, les plantations, les réseaux de communication, la standardisation des paysages agricoles pour la monoculture, etc., ça c’est une deuxième nature. C’est une transformation de l’intérieur jusqu’à la composition génétique la plus intime des variétés cultivées de la révolution verte, où vous avez une seule composition génétique cultivée sur des millions d’hectares. Notre modernité a profondément recomposé l’écologie terrestre, a fabriqué cette deuxième nature. En surgit une troisième nature, des êtres et des processus qui viennent saboter la deuxième nature, qui la parasitent ou qui sont indifférents, ou qui résistent. Ce sont les champignons qui prolifèrent dans les plantations parce que dans les monocultures le monde est très simplifié et de nouvelles espèces apparaissent. Ce sont les rats, les souris du métro parisien, c’est l’herbe qui pousse dans les fissures du béton. Ce n’est pas que la nature dite sauvage des réserves que l’on peut qualifier de première nature, c’est ce qui ressurgit à l’intérieur même de nos espaces très anthropisés, sous la forme du non-contrôlable, d’une altérité qui ne répond pas à ce qu’on avait prévu de faire.” Pour Anna Tsing, il s’agit d’être sensible à cette ingouvernabilité de ces êtres. Léna Balaud et Antoine Chopot réfléchissent à comment s’allier à cette troisième nature. On a des êtres qui nous proposent des gestes de résistance à des formes d’artificialisation, de marchandisation, etc. Par exemple l’amarante, plante d’Amérique qui est devenue résistante au RoundUp. Une variété était cultivée par les Amérindiens, elle est très riche en protéines, elle a été interdite par les colonisateurs espagnols parce qu’ils voulaient rendre dépendants les Amérindiens. Aujourd’hui cette amarante qui a été opprimée en même temps que les Amérindiens se venge, en devenant résistante au RoundUp, de la première industrie agrochimique du monde, Monsanto, maintenant racheté par Bayer. En Argentine vous avez des activistes qui ont lutté contre l’implantation d’une méga-usine de semences pendant plusieurs années et qui balancent des graines d’amarante dans des champs de soja pour rendre beaucoup moins intéressante la culture de ce soja transgénique. C’est un exemple avec la troisième nature qui pose un geste de résistance. Les humains qui, il y a quinze ans, n’avaient pas anticipé ce geste, s’allient à cette troisième nature. Une deuxième piste c’est la question de ce qui est irréductiblement non standardisable, non alignable, non gouvernable par le réseau et l’instantanéité. C’est ce qui est irréductiblement divers, fragmenté. Toute l’écologie du paysage nous montre ça : les écosystèmes sont des mosaïques et ce qui se passe dans les lisières, c’est ce qui est le plus important : les interfaces entre des milieux hétérogènes. C’est là qu’il y a de la diversité. En permaculture, c’est un principe hyper-important. Donc l’hétérogénéité spatiale est essentielle pour cette diversité et les usages qu’on peut en faire, en tant qu’humain. Du côté temporel, “habiter avec”, c’est la nouvelle définition que l’on pourrait donner aux écosystèmes : ils rassemblent en un lieu des êtres et des processus qui n’ont pas les mêmes temporalités, les mêmes rythmes, qui ne sont pas dans le même temps, qui ne sont pas réductibles à un temps mécaniste, physique où il y aurait un temps universel qui s’appliquerait à toute la Terre, un temps construit par le capitalisme industriel au XIXème siècle, quand il fallait harmoniser les horaires des gares pour que les trains puissent rouler. Le temps du chêne n’est pas celui de la libellule. Le temps de la régénération d’un écosystème après une altération par une infrastructure humaine va être très variable selon les cas. On ne peut pas le standardiser en disant : C’est trente ans. On va prendre ce standard de trente ans comme norme pour la réglementation pour la compensation écologique. Ça ne marche pas comme ça. Selon le lieu, un écosystème peut avoir besoin de cinq siècles pour se régénérer, d’autres de beaucoup moins de temps. Le temps de l’évolution n’est pas la même chose que celui d’un siècle de vie d’un organisme. Donc vous avez en permanence sur chaque lieu des temps extrêmement divers qui s’entrecroisent, qui cohabitent les uns avec les autres. Ne pas gouverner le vivant, sortir de ces logiques du contrôle ou de la marchandisation, c’est aussi accepter cette hétérogénéité des temps et ne plus les penser comme des systèmes ou des réseaux qui au contraire aligneraient les fonctionnements des écosystèmes avec une vision d’un système complexe où tout serait réduit au même espace-temps. Donc habiter avec la forêt, avec les paysages cultivés mais tramés de troisième nature, c‘est accepter de vivre avec des temps multiples qui échappent à la commune mesure de la gestion. Les postures de gouvernement avaient besoin de réduire la multiplicité des temporalités à des unités comptables, gérables. Y compris de standardiser le temps depuis une position de surplomb atemporelle. On a 6000 ans d’évolution des gènes à notre disposition. Tout à coup on les utilise directement dans quelque chose d’hégémonique, selon un certain type de temporalité, et on se retrouve dans une altérité historique. En fait l’habiter avec, le vivre avec, c’est une altérité des temps avec laquelle il faut probablement apprendre à transformer nos sensibilités, nos affects pour ressentir cela dans nos corps, nos perceptions.

Il y a réseau et réseau

La troisième piste, c’est la question par opposition au paradigme du réseau. C’est la piste de l’opacité, de la friction : comment c’est important de vivre en relation, plutôt que dans une vision ressourciste ; mais dans une relation qui n’est pas non plus immédiate comme dans l’imaginaire du contrôle cybernétique, de la simultanéité du “réseau planétaire”, du “village Internet”, etc. En fait, tout n’est pas accessible facilement, immédiatement. Il y a une nécessaire opacité. Il y a des choses qui ne doivent pas circuler trop vite, sinon elles perdent toute leur saveur. Les savoirs, on ne peut pas tous les mettre sur Internet. Il y a des savoirs qui ne peuvent se transmettre qu’in situ, de personne à personne, dans une relation de confiance qui fait du lien social, qui construit un certaine type d’organisation politique. Tout ça n’est pas aplatissable dans un seul réseau interconnecté et immédiat. Un exemple de ça, c’est le RAF, le Réseau des Alternatives Forestières ; c’est appelé “réseau” mais ce n’est pas du tout le même type de réseau que celui d’Avatar ou des cybernéticiens. Le Réseau des Semences paysannes, créé en 2003, revendique aussi l’appellation “réseau”, mais c’est une autre relation au savoir. Ils s’appellent “réseau des semences paysannes” et non pas communauté paysanne parce qu’ils acceptent le fait qu’on n’est plus du tout dans les sociétés paysannes d’antan, perforées par la modernisation de l’agriculture. Le lien social n’est plus le même et les quelques agriculteurs qui essaient de se réapproprier un rapport au vivant, de réacquérir des savoirs sur les semences, l’hérédité, l’évolution, sont minoritaires sur leur territoire ; donc ils ne composent pas une société locale paysanne mais ils sont connectés les uns aux autres, et ils s’appellent “réseau”. Réseau en opposition à un imaginaire de la communauté paysanne d’antan. Ils ne sont pas passéistes, ils construisent un projet nouveau qui est celui des réseaux paysans. J’ai commencé à bosser avec eux en 2003 et avec plein de bonne volonté du chercheur qui veut bien faire, on a cartographié leurs échanges de graines pour montrer que ce qu’ils font c’est plus intéressant que les banques de graines dans les frigos qui n’augmentent pas la diversité, alors que les échanges de graines l’augmentent. On a réussi à le démontrer avec des généticiens de l’INRA. On est allé voir les gens en leur demandant d’où ils tenaient leurs graines, combien, par qui ? On a interrogé 50 personnes sur un réseau de 200 personnes et on a produit une carte qui aplatissait complètement la complexité de ce qu’est ce réseau de semences paysannes, alors que ces échanges de graines non inscrites au catalogue étaient à l’époque interdits. Ils nous avaient fait l’amitié, la confiance de nous dire ça parce qu’on avait anonymisé le questionnaire ; mais nous, en tant que chercheurs, tout en voulant les aider à exister politiquement face au catalogue, à Monsanto, au ministère, on était nous-mêmes dans un imaginaire de réseau accessible. Petit à petit j’ai compris que ce n’était pas ça. Pendant des journées on était là, à les étudier. Il y a un des participants qui me donne une semence de haricot très belle, irrégulière, un peu comme un tableau. Il me dit : “Tiens, prends ça, fais-en quelque chose”. Là j’ai compris qu’en fait il allait me tester à travers ce que j’allais faire de la graine. A l’époque j’habitais à Paris, et elle est morte. Après j’ai déménagé, j’ai fait comme eux en cultivant des blés, je suis entré dans une autre démarche. Au moment où il me l’a donnée je n’ai pas su être à la hauteur du cadeau qu’il me faisait. J’ai senti que la semence, ce n’est pas uniquement quelque chose qu’on va évaluer de façon quantitative dans un réseau multi-local pour évaluer les variétés, c’est le modèle du CTPS, où on va évaluer sur toute la France pour voir si on les met au catalogue ; mais ça devenait un vecteur de communication interpersonnelle entre des humains qui constituent un groupe de pratiques et d’échanges, où on ne donne pas n’importe quoi à n’importe qui. La confiance est importante. Par exemple ils ne donnent jamais une tonne de semences anciennes à quelqu’un qui va les voir et qui leur dit : “Oh ! je voudrais cultiver du Rouge de Bordeaux, donnez-m’en plein”. Non. Ils vont lui donner un petit sachet de graines, et démerde-toi avec. Tu le cultives sur un mètre carré, tu le multiplies. Ces semences-là vont t’éduquer en même temps que tu vas les utiliser. Donc il y a une reconnaissance. C’est cette interaction plantes / humains, qui est essentielle dans la façon dont se transmettent les savoirs, les compétences dans le Réseau Semences paysannes. Je trouve ça assez intéressant parce que c’est la nécessité d’entrer en relation, de faire réseau, mais pas dans l’immédiateté. La question de l’opacité reste essentielle. Il faut que tout ne soit pas transparent, sinon on ne construit rien d’intéressant dans nos relations sociales, dans nos relations avec le vivant. Là je débouche sur des choses que je maîtrise très mal : la notion de la philosophie de la relation développée par Edouard Glissant, les archipels du monde, des choses comme ça… Il me semble qu’il y a un univers du réseau qui n’est pas celui de la cybernétique, et ce serait peut-être intéressant de relier cela aux pratiques des jardiniers, des agriculteurs, des alternatives forestières.

Habiter/être habité.e : quelles relations au vivant ?

Polyphonie Paysannes : Quels paysages nourriciers pour demain ?

Rencontre-débats avec des paysans à Eymoutiers le 17 mai 2019 (extraits)

Présentations

Michel Deslandes : je suis paysan, principalement éleveur avec des terres pour nourrir les bêtes, je cultive aussi des pommiers. Ma ferme, en agriculture biologique, qui fait beaucoup de ventes directes, se situe à Royères près de St Léonard de Noblat, en Haute-Vienne. Etant installé depuis pas mal d’années, je vais témoigner de ma démarche en ce qui concerne l’autonomie sur une ferme, en expliquer le cheminement et dire là où j’en suis. Il s’agit d’une autonomie au sens d’une entité constituée fonctionnant un peu sur elle-même en faisant un lien entre l’élevage et les cultures.

Namik Bovet : je suis éleveur de brebis limousines et de vaches Highland à Tarnac en Corrèze. Je vais expliquer comment notre ferme fonctionne en abordant la question à partir du paysage sur le plateau de Millevaches.

Jean Pierre B : je suis agriculteur au nord de la Creuse, avec une toute petite ferme de 6-7 hectares en surface agricole. Je fais de l’expérimentation et cherche des méthodes non violentes de faire de l’agriculture. Je m’inspire de Masanobu Fukuoka (1913-2008), agriculteur japonais qui a développé des méthodes pour une culture naturelle. Les deux mots culture et naturel se contredisent, mais ceux-ci sont pris ici dans le sens de retourner à l’origine de la production, c’est à dire d’utiliser le moins de machines possible et pas de produit chimique.

Bruno Guiatin (co-animateur du débat) : je suis burkinabé, étudiant à l’université de Limoges, préparant une thèse sur « Les approches sémiotiques du développement et des innovations durables au Burkina Fasso ». L’objectif de cette rencontre c’est de montrer que, pour s’alimenter, le contact entre les humains et leur milieu ne consiste pas seulement en une relation d’opposition, mais d’aller au-delà. Nous allons considérer cela à travers les témoignages, les expériences et la réflexion des paysans ici présents.

Jean Jacques Peyrissaguet : jardinier-paysan, co-animateur du débat et organisateur de la rencontre.

Le débat (extraits)

Michel Deslandes : je suis sur une ferme qui a une superficie de 40 ha, principalement avec 35 hectares d’herbages, 2 ha de pommiers enherbés où des moutons pâturent et 3 ha de céréales qui sont utilisées pour engraisser les animaux qui partent à la vente. Sur la superficie fourragère j’ai 18 vaches limousines, ce qui fait un chargement assez faible, mais je garde tous les veaux qui naissent, donc les génisses ou les mâles (castrés). Au final, cela fait une quarantaine de bêtes en UGB (Unités Gros Bétail). La ferme correspond à environ 1 UGB/ha, ce qui est peu par rapport à la moyenne limousine et encore moins par rapport à la moyenne nationale qui se situe entre 1,5 et 2 UGB/ha. Mais cette relative faible charge permet une autonomie alimentaire, donc quasiment pas d’achat d’aliments du bétail extérieurs. La base de l’alimentation des animaux est l’herbe. C’est important. Pour constituer ces prairies, l’herbe que je sème est un mélange avec beaucoup de légumineuses ainsi que des graminées. Les légumineuses, au niveau de la prairie elles-mêmes, vont apporter de l’azote1 aux graminées. Il n’y a donc pas d’apport d’engrais sur les prairies, juste, dans le cycle avec les animaux, un retour de compost sur les prairies et sur les céréales. Toutes les parcelles de la ferme sont, soit en prairies avec un équilibre entre graminées et légumineuses pour que cela fonctionne au niveau de la production d’herbe, soit en céréales. Sur ces dernières, on cultive ensemble quatre céréales à paille (blé, avoine, orge triticale) mélangées avec un protéagineux comme le pois. Là aussi l’idée est de ne pas ajouter de l’engrais pour la parcelle de céréales. Le compost va venir nourrir la plante. En ce qui concerne l’azote, c’est le protéagineux qui va apporter de l’azote aux céréales à paille. Au niveau des racines, un échange s’effectue car le protéagineux capte l’azote de l’air pour le transporter dans le sol via ses racines.

Ce qui fait que les animaux vont se nourrir d’herbe pendant toute la période de pâture. Les compléments alimentaires sont les céréales récoltées par la ferme elle-même. Ce mélange des céréales mentionnées précédemment, lui-même équilibré en azote, fournit de l’énergie aux animaux. Sur la ferme, ce que je récolte pour mes animaux ainsi que ce qu’il pâturent correspond à une nourriture équilibrée. J’achète aucun compléments sinon quelques minéraux. Ces achats consistent en de petites quantités d’amendements calcaires, en raison de leur grand acidité du sol.

Cet ensemble constitue un système qui fonctionne à peu près en autonomie. Le marché en général exige des animaux dits « productifs », qui poussent vite. Pour ce qui me concerne, je fais des cycles longs, c’est à dire des bêtes qui ont trois ans. Ce ne sont pas des taurillons et des broutards de 18 mois. Les bêtes de ma ferme ont le temps de grandir. On ne cherche pas des croissances rapides, alors que dans le Système bovin, laitier ou viande, on cherche la productivité maximum à l’hectare. Quand j’ai démarré, j’avais des vaches laitières. Petit à petit je me suis rendu compte que ce que l’on gagne d’un côté avec la « productivité », c’est à dire faire produire à l’hectare le plus et le plus rapidement possibles des animaux, on le perd par l’achat d’intrants : engrais pour les plantes ou aliments complémentaires pour les animaux (par exemple, soja venant du Brésil pour équilibrer en azote le maïs d’ensilage donné aux bêtes). Petit à petit, j’ai diminué mon nombre de bêtes et essayé d’être le plus autonome possible sur la ferme. J’en arrive aujourd’hui à une rentabilité malgré tout avec moins de bêtes, puisque j’ai finalement très peu d’achats. On peut passer aujourd’hui d’un système basé sur la performance à un système moins performant mais économe.

Bruno Guiatin : ce que vous venez de décrire fonctionne comme une sorte d’économie circulaire où l’autonomie est au centre. Au fil du temps, vous avez développé des relations avec les bêtes avec ce que vous utilisez pour les nourrir et votre savoir faire. Au-delà des questions de production économique, quel type d’interaction, quel approche, quelle proximité avez-vous actuellement avec ce monde animal ?

M.D : je ne sais pas si je vais bien répondre à la question, mais au plan de l’évolution de mon métier, je suis parti, comme beaucoup d’agriculteurs qui sont aujourd’hui en place ou qui démarrent, avec une formation agricole assez classique. Et c’est plus par l’observation et les petits pas qu’on fait pour s’affranchir que j’ai abouti là où je suis. Par exemple, il fallait faire au départ une analyse de sol pour savoir ce qui y manque et ce qu’il faut y apporter. Je me duis rendu compte que petit à petit on finit par connaître son sol, sa ferme. Je ne fais plus d’analyse de sol, c’est de l’observation. Au niveau des animaux c’est pareil. Le fait d’avoir moins d’animaux et d’être quasiment en autonomie au niveau de l’alimentation entraine la fin des traitements vétérinaires, sanitaires. Dans mon groupement de producteurs, au dernier contrôle, on me demandait mon cahier de traitements pour les animaux. Je me suis dit, qu’il fallait que je le retrouve ! Cela faisait cinq ans sans traitements sur les animaux, même pas de vermifuge (dans le système classique il y a jusqu’à trois traitements de vermifuge dans l’année). Cela change le contact aussi bien au niveau du végétal que de l’animal, car on n’est plus sur des éléments techniques purs mais plutôt sur de l’observation, de la relation proche. On ne peut pas dire que ça se passe tout seul, il y a plein de difficultés par exemple avec l’évolution climatique, les prairies souffrent de sécheresse. Je suis aussi dans un démarche de vente directe ce qui fait que tous les produits de la ferme, dont les pommes que je transforme en jus de pomme et en cidre, engendrent une relation avec le client final. C’est pareil pour la partie des viandes de la ferme que je vends directement. Le rapport n’est plus du tout le même que celui que j’avais autrefois quand je produisait du lait pour une laiterie industrielle. On ne savait pas qui consommait le produit final, ce n’était pas du tout le même rapport. Aller jusqu’au bout du produit et avoir le retour direct du consommateur cela fait un ensemble de relations qui est valorisant. Je ne fais plus le même métier qu’il y a trente ans et je le dis désormais. J’ai du matériel en commun avec des voisins (CUMA)2. A une réunion j’ai fini par leur dire qu’on ne faisais plus le même métier. Quand il s’est agi de faire des choix pour du matériel collectif et que je vois leur manière d’évoluer dans leur métier, finalement je me retire du matériel qu’ils achètent parce que ce sont des machines de plus en plus grosses. Je reste avec des tracteurs qui me paraissent pourtant d’une grosse puissance (85 CV), mais eux utilisent des moteurs de 150-180 chevaux. Nous sommes en train de partir dans des voies vraiment divergentes.

Jean Jacques Peyrissaguet : ces gros engins pleins d’électronique avec les matériels qu’ils tractent représentent une fortune (1 million d’euros). Et il faut la visite régulière de spécialistes en machines agricoles venant parfois de loin pour faire l’entretien et les réparations de ces matériel. De plus, tout le monde ne peut pas s’en servir.

Namik Bovet (éleveur de brebis limousines et de vaches Highland à Tarnac) : L’idée de « paysage nourricier » m’a d’abord un peu posé question. Finalement, Il y a plein de manières différentes de le penser. Il y a, de plus, une forte problématique du paysage sur le plateau de Millevaches. Quand je suis arrivé sur le Plateau, la première chose que j’ai beaucoup entendu tournait autour des questions de « la fermeture du paysage ». Beaucoup disaient : « avec la déprise agricole et la plantation de résineux, le paysage se ferme ». Cette fermeture était le symbole d’une déprise de l’agriculture, quelque chose qui touchaient les gens. Souvent on me disait en même temps qu’à l’origine c’était un pays de landes, qu’il n’y avait pas de forêt. Plus tard, j’ai entendu l’inverse, à savoir : « les agriculteurs avaient tout défriché par le surpâturage et créé une forme de désert, alors qu’à l’origine c’était la forêt partout ». Finalement, en étudiant un peu cette question, je me suis rendu compte que les deux affirmations étaient fausses ou au moins exagérée, puisqu’on sait qu’avant le Moyen âge c’était ni une lande à perte de vue ni une forêt en continu, mais plutôt une mosaïque faite d’espaces ouverts et d’espaces fermés qui était entretenus par des grands herbivores qu’on a massacré par la suite. Ces deux affirmations là m’on fait poser la question : au lieu de chercher un paysage originel il s’agirait plutôt de le penser à travers les pratiques qui donnent un sens à ce paysage. Ce qui est autre chose que ce que l’on essaye d’habitude de faire. Par exemple, considérer que la lande est le paysage patrimonial du plateau de Millevaches et qu’il faut le restaurer, démarche portés par des organismes de restauration des espaces naturels, avait comme conséquence d’y imposer la lande à bruyères. Mais comme c’était pensé de manière un peu dogmatique, il s’agissait d’y faire pousser la bruyère et pas grand chose d’autre. Le principe était : on amène sur un secteur le gyrobroyeur pour éliminer toutes les ronces et les framboisiers pour ne garder que la bruyère. Au final, il ne reste plus grand chose à manger aux moutons qui sont là mais n’y restent pas beaucoup. Le seul intérêt pour le paysan est de mettre pour le décors dans les parcelles de lande des moutons et de toucher des primes agro-environnementales. Cela ne faisait pas vraiment sens. Depuis que je me suis installé, la question qui me préoccupe c’est : comment, en faisant de l’élevage, on interagit avec un espace vivant. Justement, les races qu’on a choisi -brebis limousines et vaches Highland- ne l’ont pas été par hasard, parce qu’elles nous semblaient les plus capables d’intervenir avec un espace vivant dans le cadre particulier de ce territoire. Cela veut dire qu’elles vont être capables d’aller dans un espace qui n’est pas complètement façonné pour elles, d’y trouver à manger et de participer à son entretien, ici, dans le cas particulier de landes et de tourbières. Quand je parle de landes ce n’est pas du point de vue gestionnaire évoqué tout à l’heure, où il ne faut absolument que de la bruyère. En commençant à faire de l’agriculture je me suis pas mal questionné sur le fait qu’en général celle-ci tend à transformer les espaces qu’elle utilise en déserts. Mais ceci est une affirmation faite un peu à la louche. En réalité, j’ai l’impression que c’est plutôt à géométrie variable, selon les espaces et les pratiques agricoles. Les champs de maïs de la Beauce sont vraiment des déserts qu’on a créé, mais, à partir du moment où on fait de l’agriculture, c’est à un niveau plus ou moins important de modification de l’espace auquel on est forcément confronté. Une prairie temporaire par exemple est une prairie qu’on va renouveler tous les 2, 3 ou 4 ans. Donc on re-sème à chaque fois avec des espèces bien définies : on va vraiment maîtriser l’espace. Ce n’est pas vraiment un désert mais ce sont des espaces qui sont quand même appauvris. Une prairie permanente, qui est fauchée une ou plusieurs fois par an, est un espace où pas mal d’espèces vont pouvoir vivre, mais il est quand même appauvri par le fait qu’il est ratiboisé au moins une fois par an. Enfin, ce qui est devenu très rare en agriculture et je pense quasi inexistant à l’échelle des pays industrialisés, c’est ce qu’on appelle les espaces de parcours, c’est à dire des espaces qui sont pâturés mais ni fauchés ni cultivés. Ce sont des espaces vraiment vivants avec plein d’espèces qui vont, non seulement pouvoir y circuler, mais y créer leurs habitats. Elles vont s’y reproduire car aucun site ne va être coupé par un travail mécanisé. C’est ce que j’appelle une lande. Après, ce qui y pousse dépend des espaces. Ce sont de tels espaces que je trouve le plus intéressant à développer dans les activités d’élevage, même si on ne peut pas faire que ça.

Je reviens sur les forêts et cette question entre espaces ouverts et espaces fermés. On retrouve un peu pour la forêt la même graduation que pour l’agriculture des plantes. Il y aura la forêt exploitée n’ offrant à l’intérieur qu’une possibilité de vie appauvrie par l’activité et une forêt non exploitée avec beaucoup de vieux arbres morts qui sont des espaces des plus vivants où parallèlement on peut faire pâturer. Mais au final, on veut quand même se nourrir et on a besoin de bois. Du coup, il ne s’agit pas d’arrêter tout travail du sol, tout travail de fauchage, mais essayer de penser des systèmes mixtes.

Le système qu’on essaye de développer dans notre ferme c’est d’avoir 20% de terrains qui sont de fauche ou de culture, en sachant que sur ces terrains on évite de faire de la prairie temporaire mais plutôt de la permanente. On a des espaces pour notre production de fourrage ou de compléments alimentaires avec les grains. Il reste 80% d’espaces de parcours où il n’y a ni travail du sol ni fauche. Pour l’instant, on n’arrive pas tout à fait à ce ratio. Par exemple, en ce moment, les vaches et les moutons qu’on a sont occupés à pâturer une ancienne coupe rase vieille d’une dizaine d’année, donc avec une végétation qui a pas mal grossi. C’était en l’occurrence une première plantation de résineux sur de la lande à bruyère. Sur ces plantations de première génération, quand elles ne sont pas replantées, il y a une végétation de lande qui repart assez spontanément. Ce qui est fou. Les graines sont encore là, le potentiel dans le sol est là aussi, après 40 ans de plantation de résineux. Ce qui n’est pas du tout le cas lorsqu’on est sur des plantations de deuxième génération. Ce qui signifie souvent une replantation en sapin douglas après un défrichage. C’est alors beaucoup plus compliqué de faire repartir une végétation diversifiée à cet endroit. C’est pour cela qu’il est intéressant de lutter pour que les coupes rases ne soient pas replantées car il reste quelque chose de vivant qui peut repartir. Evidement la lande qui repousse sur une coupe rase ne ressemble pas à la lande du gestionnaire en patrimoine, celle qu’on voit sur les cartes postales des Monédières. On y rencontre énormément de ronces, de framboisiers, de sureaux, de sorbiers, de petits bouleaux. Mais les brebis ou les vaches Highland trouvent très bien de quoi faire là-dedans. Au début, si elles son habituées à la prairie, elle font un peu la gueule – comme nous elles ont l’habitude d’aller au plus facile – , mais au final elles découvrent aussi le potentiel qu’il peut y avoir dedans. D’un point de vue agronomique c’est assez intéressant, on retrouve les avantages de pratiques qui ont été abandonnées depuis des années. Dans ces circuits extensifs de pâturage de landes, il y a très peu de parasitisme sur les animaux. Donc, on ne déparasite pratiquement pas, sachant aussi que c’est un gros problème environnemental le déparasitage en masse en particulier dans les endroits où il y a beaucoup de cours d’eau. Cela s’attaque aux parasites des bêtes mais aussi à tous les invertébrés aquatiques. Donc dans un territoire comme le nôtre où il y a assez peu de pollutions liées aux grandes cultures, déparasiter très peu est assez intéressant. De plus, lorsque l’hiver aura fait geler les prairies, utiliser ces parcours qui sont composés de beaucoup d’espèces ligneuses de végétaux (bruyères, ronces…) permet aux animaux de trouver encore de quoi s’alimenter. Ces espaces de parcours contribuent à développer des systèmes d’exploitation où on a besoin du moins d’intrants possible et cela limite la consommation en foin et en grains. Et puis, en périodes de sécheresse, quand les prairies sont grillées, ces parcours là, au même titre que les tourbières, sont inestimables. Il y a encore de quoi manger sur les ligneux.

Quand on travaille sur ce genre d’espace, nous sommes entourés de nos animaux mais aussi de pleins d’espèces vivantes, ce qui pour moi fait vraiment partie du plaisir de faire de l’élevage . Quand on travaille, il y a des lézards et des araignées dans les tourbières. On rencontre tout le temps des chevreuils et des serpents quand on va voir les bêtes. On n’a pas l’impression d’être uniquement centré sur une activité productrice pour nous. C’est une activité qui est liée au territoire où elle s’insère.

Jean-Pierre B. : Je travaille sur un très petite ferme dans le nord de la Creuse où je m’efforce de pratiquer une agriculture naturelle inspirée par le paysan-chercheur Fukuoka. L’agriculture naturelle est de l’agriculture biologique à laquelle on enlève encore des opérations. On ne travaille plus la terre et on ne désherbe plus. Finalement, si on y pense, travailler la terre ou désherber, c’est la même chose. Travailler la terre c’est avant, désherber c’est après, mais de toute façon cela revient un peu au même. Dans l’idéal, donc, on ne touche plus au sol, on ne fait plus que semer des graines. Si on a un sol en bon état, la graine va pouvoir produire malgré tout. Ensuite on peut moissonner. C’est un idéal qu’on ne peut jamais atteindre mais que l’on vise sans cesse. J’ai rencontré Fukuoka mais l’ai très peu fréquenté sur le plan de son expérience agricole elle-même. Je suis allé le voir à la fin de sa vie. Il était vieux mais on a eu un échange humain, au sens d’une reconnaissance mutuelle, de personne à personne. L’important c’était de voir la personne, parce qu’on peut parler de bien des choses, mais en fin de compte est-ce que nos paroles reflètent ce que nous sommes vraiment ? Alors j’ai voulu voir la personne, voir qui elle était vraiment. Pas seulement lire ses livres ou ses paroles. On parlait de l’observation : c’est très important. A chaque seconde, à chaque minute, on peut apprendre plein de choses en observant. On entend des informations à la radio, on les lit dans les livres ou quelqu’un nous les dit : est-ce que c’est vrai ? Et petit à petit on accumule. Ce n’est pas un savoir, parce que ce savoir on va l’oublier, mais c’est une forme de découverte en même temps qu’on cultive son propre caractère. Quand je vois une herbe et je dis c’est une mauvaise herbe, pourquoi je dis qu’elle est mauvaise ? Si je l’arrache, pourquoi est-ce que je l’arrache ? Cette herbe, n’est-ce pas un être vivant qui a le droit de vivre ? pourquoi ? Est-ce que je vais manger mieux ? Est ce que je ne peux pas la manger, cette herbe ? C’est ce genre d’approche qui m’intéresse.

Je travaille avec un tracteur, bien que je pourrais être en traction animale. Ce tracteur est petit et vieux. Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est que cette région où j’habite, il y a cent ans, n’avait pas d’arbre. J’ai des parcelles qui sont « très grandes », la plus grande fait 85 ares. Je m’aperçoit qu’il y a cent ans cette même parcelle correspondait à 3, 5,6 parcelles. Les paysans avaient des mouchoirs de poche. Ils n’avaient pas de tracteur et pouvaient cultiver un tout petit terrain. L’intérêt du petit terrain c’est que s’il y a de l’eau, elle va couler; il y a des effets de lisères et chaque lisière est un endroit de richesse biologique. Donc, ils avaient des petites parcelles de 1000 mètres carré et ils en étaient contents. Après, on a réuni ces parcelles, on a bloqué les ruisseaux et il a fallu mettre des tuyaux pour que l’eau coule. J’appelle ça le bocage, c’était un bocage sans arbre, mais dans le sens où c’était des systèmes de terrasses. Une parcelle était plus haute que la suivante. Quand elle est seule, elle se met à l’horizontale. C’est sa nature. Le sol est un fluide. Donc il y avait plein de petites parcelles qu’on ne voit plus. Maintenant, il y a des arbres. C’était ce système là, qu’on retrouve dans le monde entier. Les terrasses sont le produit des interactions entre les humains et la nature. Ce n’est pas un système naturel mais pas artificiel non plus, dans le sens où on réduit autant qu’on peut notre action vis à vis de la terre. Donc cette agriculture pose la question : Est-ce utile ? Sinon je peux me passer de le faire. Celle du faire de moins en moins. La différence entre l’agir et le faire c’est que l’action fait partie de la vie et le faire c’est une intention (je vais faire ça). Ici, on enlève le faire et on garde l’agir – qui fait partie de notre nature : on ne peut pas vivre sans agir, on a besoin de manger etc.

N.B. Effectivement, les techniques traditionnelles de culture sur le plateau de Millevaches font penser à la permaculture. Le système de banquettes que tu viens de noter, c’est aussi les prés qui étaient de très petite taille et étaient irrigués par des systèmes de rigoles (les levades).

1 L’azote, principal constituant de la chlorophylle et des protéines, stimule la croissance des plantes

2 Coopérative d’Utilisation de Matériels Agricoles

 

Habiter, être habité : quelle relation au vivant ?

De la mémoire paysanne

au renouveau des figures de la sorcière.

Table ronde avec Camille Ducellier, artiste multimédia,

et Marie-France Houdart, ethnologue.

Animation par Marianne Lanavère.

Mariane Lanavère :

Un nombre important d’ouvrages ont été publiés ces cinq dernières années sur l’histoire des sorcières et leur éradication en Occident chrétien et masculin. Ces livres sont parfois issus de recherches féministes politiquement situées, tel Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive de Silvia Federici, publié aux États-Unis en 2004 et traduit en français seulement en 2014. Ce sont parfois des publications plus journalistiques, comme celle de Mona Chollet (Sorcières. La puissance invaincue des femmes, 2018), en passant par des expositions dans le champ de l’art contemporain, notamment celle organisée par Anna Collin à Montreuil en 2012. Et parallèlement à ces ouvrages, sont traduits dans le même temps en français des textes plus anciens parus dans les années 1970 aux États-Unis sur ce sujet. Souvent non académiques, issus de pratiques activistes ou spirituelles, ces textes ancrent la figure de la sorcière dans une approche éco-féministe. Une figure qui permet d’appréhender le rôle de la femme dans l’histoire à travers ses liens au vivant, ou à partir de leur interruption ou de leur séparation. On peut avoir un aperçu de cette littérature dans l’anthologie de textes intitulée Reclaim1 rassemblés en 2016 par la philosophe Emilie Hache aux éditions Cambourakis.

L’une des figures importantes du lien entre écologie, spiritualité et féminisme, l’américaine Starhawk2, nous offre de belle manière des outils pour penser un autre rapport au monde dans son livre Rêver l’obscur3, à travers ce qu’elle appelle « le pouvoir du dedans » ou encore « la déesse ». Elle y décrit « les pouvoirs de ce qui nous connecte, nourri, guérit, crée et permet de lutter contre tous les systèmes de séparation établis depuis le XVIème siècle entre nature et culture par le christianisme et le patriarcat ».

Et c’est précisément Starhawk qui a écrit la préface du livre de Camille Ducellier, qui est présente à cette table-ronde : le Guide pratique du féminisme divinatoire4.

Les deux intervenantes

Camille Ducellier est auteure, plasticienne, réalisatrice de films et de l’œuvre multimédias Reboote me qu’elle va présenter tout à l’heure.

Marie-France Houdart est une ethnologue qui ne se réclame pas de la démarche éco-féministe, mais qui a fait porter ses recherches ethnologiques à la fois sur les femmes et sur la paysannerie. Après une enfance en Algérie et des recherches ethnographiques de terrain dans le Andes, elle s’est installée en 1975 à Lamazière Basse, en Corrèze, où elle vit. Dans son livre C’est par les femmes… La terre, la mère, les filles en Limousin, paru en 2015 aux éditions Maïade5, elle dit que la christianisation, dès le IVème siècle, a fait disparaître les formes de paganisme, jugées idolâtres et créant des relations avec les esprits : ces croyances liées notamment aux fontaines et aux sources, aux pierres levées et aux arbres. Ses travaux en Limousin relatent les puissances féminines de l’eau, déesses « féministes » souvent remplacées par des saints masculins. Nous l’avons invitée parce qu’elle nous donne des éléments historiques sur les rituels pratiqués par les femmes, en lien avec les éléments naturels. Son éclairage nous permet de tracer des pistes d’interprétation de ces pratiques toujours existantes, et comment elles continuent d’incarner un rapport au vivant à travers des formes plus contemporaines, que Camille Ducellier nous présentera ensuite. Je laisse d’abord la parole à Marie-France Houdart.

Marie-France Houdart [montrant une diapo de deux gravures du XVIIIème siècle représentant un paysan et une paysanne aisés des environs de Limoges, en costume de l’époque] : En dessous de ces images vous avez un titre, « Paysans« . Ce mot contient le terme « pays » d’où vient le mot païen. Il faut faire le rapport : les païens étaient les gens du pays, les gens d’ici. Donc, quand l’Église traite les gens de païens, cela veut dire qu’ils avaient une religion autochtone, indigène, de chez eux (vernaculaire). Aujourd’hui le terme est clairement péjoratif, mais à l’origine païen qualifiait seulement la religion des gens d’ici.

Une peinture datant de la fin du XIXème siècle montre une femme du Limousin qui trempe son enfant mourant dans l’eau d’une fontaine froide, une frega font. Gaston Vuillier, le peintre dont je vais vous parler, est un voyageur, un peintre-dessinateur, un journaliste et aussi un ethnographe venu du Midi. Il arrive en Limousin à la fin des années 1880, y rencontre des coutumes étonnantes, s’attache au pays et s’installe à Gimel en Corrèze. Comme il n’y avait alors quasiment pas de photos, il peint les coutumes, notamment limousines, et confie ses reportages que j’ai réédités à des grandes revues de l’époque6.

A 10 km de Limoges se trouve une fontaine comme il y en a des dizaines en Limousin : la fontaine Saint Martin. Elle est couverte de linges. Ce sont des linges de dévotion, des linges de malades qu’on apporte à la source pour obtenir une guérison. On me fait souvent remarquer , « Mais c’est partout pareil ! ». Pas vraiment. Si vous regardez la carte de France des Bonnes-fontaines, vous en verrez une plus grande concentration en Limousin, et leurs rites sont beaucoup plus vivants. Ces histoires de fontaines à linges ou à chiffons existent en Bretagne et dans les Landes notamment, mais celles-ci sont très christianisées. Ici, en Limousin, les pratiques d’origine païenne subsistent. Essentiellement féminines et encore particulièrement fortes dans les années 1950, elles n’ont pas disparu au XXIème siècle.

Le Limousin est un pays mouillé, où l’on « goye » – on s’enfonce dans les tourbières, dans les marécages. Ce n’est pas étonnant qu’il y ait autant de sources. C’est une terre pauvre à la limite de deux mondes : le monde d’Oc (Occitan) et le monde d’Oïl (Franc). Ce pays aux limites et son monde fut christianisé tardivement, parce que pauvre et peu accessible, donc pas intéressant. L’Église, qui n’est pas arrivée tôt, y a été tôt abandonnée. L’Église et les riches ne se sont pas accrochés à la terre limousine. Ainsi, tout ce qui se pratiquait dans les fonds de vallées, dans les gorges, dans les bois, a pu continuer « tranquillement ».

Il y a 20 000 ans, au Paléolithique supérieur, sur les bords de la Vézère et de la Dordogne, malgré le froid7, une vie artistique s’est développée car la région parcourue par les troupeaux de rennes sauvages, était clémente, avec ses abris, ses grottes dans les falaises. Une gravure sur un os de renne, que nous appelons « La femme au renne », trouvée en Dordogne près des Eyzies dans une tombe magdalénienne8, représente une femme nue couchée au-dessous d’un renne. Elle est parée de bracelets et présente une grossesse très avancée. Cette image est tout à fait révélatrice de cette absence de coupure, alors, entre les humains et les animaux. On a l’impression que le renne est là pour veiller à ce que l’accouchement se passe bien.

Une autre gravure, sur pierre, « la Vénus de Laussel » ou « Vénus à la corne », trouvée à Marquay prés des Eyzies, montre aussi une femme enceinte, debout, tenant ses bras dans une position dissymétrique. Elle porte sa main gauche en direction du bas, sur son ventre, dans une attitude courante de femme enceinte et lève l’autre en brandissant ce qui a été interprété comme une corne de taureau, puissance fécondatrice. On voit sur cette corne des petites stries, des encoches que certains chercheurs ont interprété comme des marques de cycles menstruels, des chiffres lunaires ou ceux marquant le terme de la gestation. On ne sais pas vraiment, mais je crois cependant que ce geste-ci associé à ce geste-là signifie la fécondité et la gestation.

Dans les civilisations de la Préhistoire, du Paléolithique au Néolithique9, la complémentarité des sexes apparaît comme une caractéristique des couples. Dans ces territoires alors glacés, les femmes sont en particulier les gardiennes du chaud, leur attributs étant de donner la vie, d’assurer la survie grâce à la chaleur du ventre, du feu, et par la confection de vêtements en fourrure. Elles connaissent les secrets des relations avec les esprits, sans lesquels rien n’est possible et, près du foyer, elles confectionnent très probablement des outils en éclatant des silex, et tracent ou gravent certainement aussi des dessins sur les parois des abris.

Par la suite, au Néolithique, lorsque le climat se réchauffe et avec l’apparition de l’agriculture, la complémentarité se prolonge. Désormais, l’homme féconde la terre en la labourant avec le soc de sa charrue tirée par des animaux : on trouve des représentations avec cette symbolique parmi les gravures rupestres montrant des rameaux, des attelages d’animaux, des hommes, leurs sexes, des labours.

 

Ultérieurement, à l’époque gauloise, l’actuel Limousin était totalement rattaché à la civilisation celte. La découverte récente en Corrèze d’un trésor l’atteste tout particulièrement. On a trouvé près de Naves, à Tintignac, un dépôt d’armes parmi lesquelles figurent de splendides hautes trompettes (1,80 m) de guerre en bronze avec des embouchures en forme de figures effrayantes, les carnyx. Ces mêmes trompettes sont représentées sur le magnifique chaudron de Gundestrup10 découvert au Danemark, composé de plaques en argent martelées. [M-F.H. présente une diapo qui en détaille les motifs]. Les figures de ce grand chaudron montrent l’absence de coupure entre les animaux, les humains, la végétation et les divinités. On y voit des personnages fantastiques venus d’un bestiaire des plus débridés, comme le dieu de la végétation, Cernunnos11 avec ses cornes de cerf, assis en position de lotus, environné de dauphins qui volent, de serpents, de dragons, de béliers, etc. Ces représentations nourrissent un imaginaire fantastique dont nous ne comprenons pas tout. Mais on sait que chez les Celtes il y avait le monde et l’autre-monde. Cet autre-monde qui se trouve à la fois dans l’avant et dans l’après fait partie de notre grand univers cosmique où il existe un passage entre hommes et animaux, où il y a réincarnation. Ce monde forme un ensemble sans coupure.

Dans l’aire indo-européenne les sexes étaient complémentaires. Pour tous les Indo-Européens l’année était coupée en deux. Il y avait le temps des vivants et le temps des morts : pour qu’il y ait des vivants, il faut de la mort. Dans la religion grecque antique, la jeune Perséphone12, fille de Déméter (la déesse de l’agriculture, des moissons), était chargée au début de chaque hiver de retrouver sous terre son vieux mari Hadès, au royaume des morts, de faire ce qu’ils avaient à faire, pour ressortir au printemps en amenant avec elle la végétation. C’est une complémentarité qu’en remarque encore aujourd’hui si on est attentif au rite de l’arbre de Mai, encore pratiqué en Corrèze, en Dordogne et dans le Lot. Ce « Mai » (un arbre ou un mât), qui est dressé à chaque élection auprès du domicile du nouveau maire, signifie que le pouvoir se renouvelle, comme la végétation se renouvelle. C’est un rite de la fécondité : c’est l’été après l’hiver.

[MFH montre les images de petites statues gallo-romaines en pierre, provenant de fouilles en Limousin]. D’abord, celle d’une déesse-mère en pierre13 assise, allaitant deux bébés qui reposent sur des sortes de langes. C’est la déesse-mère universelle, comme on la retrouvait en Égypte. Suivent, deux petites divinités féminines gallo-romaines14 qu’on appelle Vénus parce qu’elles sont « bien roulées » ; des Vénus anadyomènes, c’est à dire sortant de l’eau, faites sur le modèle classique gréco-latin. Elles ont toujours la même attitude : leur main droite se porte vers le haut en direction du visage, une « grande » main qu’on associe à une main de vérité. L’autre main au bas du corps est censée tenir un linge pour s’essuyer. Mais ici les Gallo-romains en ont fait autre chose : la main gauche au bout de ce bras ballant ne tient visiblement pas un linge de bain, mais de l’eau en sort. Ces femmes-déesses sont donc les dispensatrices de l’eau. Plus tard, à la Renaissance, Botticelli représentera cette Vénus dans la même attitude mais ses gestes, profanes, traduiront la pudeur : la main droite cache la poitrine, la gauche masque son sexe avec sa longue chevelure.

Le sanctuaire celte typique est un lieu où il y a de l’eau (source, fontaine), des arbres, des pierres, des rubans de tissu et une effigie (sculpture représentant un personnage). Ces rituels perdurent jusqu’à nous. Ainsi , dans la Creuse, je suis tombée sur de petits chiffons accrochés dans les arbres près d’un endroit consacré à un saint.

Pour réussir à remplacer les religions païennes, l’Église chrétienne a été amenée à reprendre beaucoup de ses pratiques. Aux premiers siècles, elle a d’abord envoyé de toutes parts ses évangélisateurs – qui deviendront les saints – et commencé par détruire tout ce qui se rapportait aux religions anciennes. Puis elle s’est ravisée, a effectué une substitution des pratiques, et a masculinisé les références. L’Église a marqué tous les lieux forts où se pratiquaient des rites depuis la nuit des temps. Elle y a planté soit une croix, soit l’effigie d’un saint. C’est seulement vers l’an 600 que le pape Grégoire Ier, dit le Grand, donna cette consigne aux évêques. Il fallut donc à l’Église six longs siècles de tentatives infructueuses pour constater son échec et changer de politique. La nouvelle orientation était de ne plus casser les idoles, de continuer les même rituels sur les sites où un culte était installé, mais en ayant au préalable installé un saint. Le sacrifice qu’on faisait aux anciennes divinités se fit désormais pour les saints. Ainsi, tous les rituels anciens se sont transmis. L’expression du « sacrifice de la messe » est symptomatique de la perpétuation des rites de sacrifice par l’Église chrétienne. Grégoire disait : « Là où on sacrifie des bœufs, on va continuer, mais en l’honneur du vrai dieu ».

En Haute-Vienne, en arrivant à Roziers-Saint-Georges près d’Eymoutiers, sur le bord de la route, on voit un panneau blanc marqué « Saint-Georges » avec un flèche. En s’approchant on découvre une fontaine, donc le lieu d’un culte très ancien devenu avec l’Église celui de Saint Georges. A noter que Saint Georges, pourfendeur de dragons, symbolise la victoire de la foi sur le mal (ceux qui faisaient des sacrifices humains).

En plein cœur du plateau de Millevaches, dans une propriété privée, se trouve un chaos rocheux. Cet endroit toujours plein d’eau s’appelle Bèlafilha (belle fille). Au pied du chaos se trouve une source surmontée d’un petit édifice protégeant une Sainte Vierge. Ici, nous avons affaire à un de ces rares cas où le nom de la source est féminin, car c’est la Sainte Vierge qui patronne le lieu. On rencontre aussi quelques rares Sainte Geneviève, Sainte Madeleine ou Sainte Anne ; sinon ce sont essentiellement des saints qui donnent leur nom aux fontaines. Les fontaines portent le nom des personnes en place qui évangélisaient, c’est-à-dire les évêques. Ils forment d’ailleurs l’essentiel de la cohorte des saints.

Aux XIIème-XIIIème siècles, le pape Grégoire VII lance des réformes politiques et religieuses afin de mettre de l’ordre dans la société. Sa première action fut de cadrer les femmes, considérées comme agents de perturbation. La consigne fut de « se méfier des femmes », en considérant que procréer est un acte vil. Certes, il faut bien procréer, mais faire cet acte le moins souvent possible et seulement à certaines dates, sinon c’est pécher. Certaines femmes avaient le droit de se marier ; quant aux autres, elles devaient rester chastes.

L’Église en donnait deux modèles : d’une part, Marie, la mère vierge et, d’autre part, Madeleine dont le culte en tant que sainte a seulement émergé à cette époque car un pape a considéré qu’elle était une belle image à montrer.

L’Évangile propose trois figures de Madeleine : la pécheresse repentante, mais aussi la femme qui a de la connaissance en ayant appartenu au mouvement gnostique15 et celle qui a recouvert de parfum les pieds de Jésus après les avoir lavés avec ses larmes. Cette triple figure de femme pécheresse était celle d’une riche prostituée, mais la Madeleine choisie est censée s’être repentie : l’histoire dit qu’elle est restée recluse 30 ans dans une grotte16 pour expier.

Un belle peinture murale dans l’église de Gimel en Corrèze donne une image extraordinaire de Marie lors de l’Annonciation. Marie se tient à une table sur laquelle est posé son livre de prières. Devant elle, l’ange va lui annoncer qu’elle va avoir un enfant. Au-dessus de leurs têtes, Dieu le Père envoie du ciel une colombe, le Saint-Esprit, en direction de Marie. Et entre la colombe et Dieu le Père, est peint un bébé miniature qui tombe des cieux. Il s’agit là d’une représentation-modèle (une allégorie) de la vie civile vertueuse que l’Église veut instaurer. L’Église institue alors le mariage comme sacrement indestructible pour encadrer la société et contrôler les héritiers : il y a les femmes mariées et les autres.

Il fallait diaboliser la femme pour qu’elle ne soit pas la tentatrice des hommes, des moines en particulier. A partir des trois figures de Madeleine, la femme est montrée tour à tour comme une lubrique, une none ou une pénitente. Les femmes non destinées au mariage étaient envoyées en grande quantité dans les monastères, où elles apportaient leur dot. C’est une époque où les monastères féminins se développent de manière extraordinaire, recevant en quantité des nonnes pénitentes. Ainsi, au musée du pays d’Ussel on peut voir cette figure en statue avec une Sainte Madeleine abîmée dans sa douleur17.

Souvenez vous de ces petites divinités gallo-romaines sculptées dans la pierre, liées à l’eau et à la fécondité, qui avaient toutes la même position dissymétrique, un bras vers le haut et l’autre vers le bas le long du corps, comme si elles reliaient le ciel et la terre. Trois petites sculptures polychromes en bois provenant de trois églises corréziennes représentent de belles Madeleine de la Renaissance (XVè-XVIè siècles), époque où on convoque des saintes déhanchées et très jolies. D’abord voici la Madeleine de Vitrac (Corrèze) qui, dans le même geste que celui des petites divinités gallo-romaines, porte son bras gauche vers le bas, mais pour tenir sa belle robe (au lieu d’en laisser écouler l’eau). Elle tient levé dans sa main droite son pot de parfum. Dans l’église du bourg de Corrèze (en Corrèze), Sainte Madeleine pleure ses péchés en portant sa main droite à sa tête. Sa main gauche est appuyée en contrebas sur un pot de parfum. La troisième Madeleine provient des sculptures polychromes de l’autel d’une chapelle à Ussel. Celle-ci n’est pas du tout pénitente ! [rires]. Richement vêtue, à-demi allongée, la tête appuyée sur sa main droite, elle tient avec sa main gauche le crâne de la vanité posé sur sa hanche et nous regarde bien en face, droit dans les yeux. Un livre, la Connaissance, est fermé devant elle. On peut aussi observer que toutes ces Madeleine ont des postures assez identiques à celles des vénus gravées du paléolithique.

Ainsi, n’y aurait-il pas un modèle invariable de la femme faisant le lien entre le haut et le bas, modèle décliné de différentes manières ? Il existe une permanence historique de la femme qui assure la procréation, position liée à la fécondité, ainsi que le lien entre le ciel – le haut, et la terre – le bas.

Il y a une chanson traditionnelle en langue limousine qui date des XIIIème-XIVème siècles, celle de Sainte Madeleine protectrice des gabariers de la Dordogne : Lo planh de Madalena. Ce chant raconte l’histoire de Jésus et de son frère Joset qui, se promenant, rencontrent Madeleine et lui demandent de venir avec eux. Après avoir dans un premier temps refusé, elle se ravise et les rejoint, habillée d’une une robe couverte d’étoiles, portant un tablier couvert de lunes et un châle couvert de soleils. Pour se présenter devant les parents de Jésus, ce n’était pas vraiment ce qu’il fallait ! Ce chant montre une espèce d’opposition entre le christianisme (Jésus et sa famille) qui arrive dans le pays et le monde païen dont cette Madeleine semble être une divinité, une prêtresse.

Avec la transmission de la propriété, des biens, du patrimoine par la lignée des femmes nous passons aux choses très concrètes de la vie paysanne. Ce type de transmission a effectivement existé en Limousin, alors qu’en France la tradition patrilinéaire était la règle. Le Limousin est un pays pauvre d’émigration : les paysans partaient en grand nombre pour travailler, notamment comme maçons, mais aussi pour exercer d’autres métiers. Ils partaient au XVIIème siècle en Espagne, aux XVIIIème et XIXème siècles à Paris et à Lyon pour bâtir des villes modernes pendant la belle saison. Ces hommes étaient absents au moins six mois de l’année. Il partaient à la belle saison et revenaient l’hiver au pays pour faire des enfants. Ces situations faisaient souvent des femmes du Limousin les héritières de la terre. On les appelaient les « foncières ». Là où j’habite en Corrèze, à Lamazière Basse, au début du XXème siècle le recensement de 1906 montre qu’encore au moins un tiers des femmes sont propriétaires de terres. Les gens du village n’en avaient plus vraiment conscience mais, lorsque j’ai mis le doigt sur cette affaire en dépouillant les archives, beaucoup de personnes m’ont dit : « effectivement, dans ma famille les terres se sont transmises en grande partie par les femmes ». Celles-ci avaient souvent été choisies – et pas forcément l’aînée – comme l’enfant qui toucherait l’héritage, les familles ne voulant pas morceler des propriétés déjà très petites à la succession. Quand une femme héritait d’une terre en direct, son mari venait habiter chez elle, et vous entendiez dans les conversations : « Le Jean, là, il est le gendre, il n’est que le « gendre ». Tout se combine ici pour faire de la transmission féminine une chose véritablement importante. C’est une particularité des territoires pauvres, et ils sont nombreux en Limousin.

Je reviens à la femme et l’eau en Limousin avec le tableau de Gaston Vuillier : la femme qui trempe dans la fontaine son enfant malade, peut-être mourant, scène dont il a fait un récit, que voici : « L’enfant paraissait si malade et la mère avait dans le regard une si profonde angoisse. L’enfant fut vite déshabillé, la mère le prit dans ses bras et, après avoir mis dans sa main une pièce de menue monnaie, le plongea vivement dans l’eau glacée. Seulement, la mère était très inquiète parce que l’enfant n’avait pas laissé tomber la pièce, ce qui voulait dire que l’offrande n’avait pas été acceptée ». C’était vraiment un mauvais pronostic.

A Fournol, hameau au cœur du plateau de Millevaches (Saint-Merd-les-Oussines), il existe une fontaine dédiée à la Vierge Notre Dame, surmontée de sa petite statue. Au XIXème siècle des femmes venaient encore y apporter dans leur tablier le bébé qu’elles venaient de mettre au monde quasiment mort, ou déjà mort-né. Elles avaient l’espoir que le tremper dans la fontaine lui donnerait un sursaut de vie, ce qui permettrait de le baptiser. Car selon la tradition, l’âme de l’enfant non baptisé était condamnée à errer indéfiniment, à rejoindre la « Chasse volante » ou chasse fantastique des damnés18, au milieu des cris et aboiements terrifiants des chiens et autres créatures, chose qu’on craignait énormément dans nos campagnes. On observe ici l’association étonnante entre un geste impie et le christianisme : le prêtre approuve une telle pratique, mais seulement pour gagner une âme au christianisme.

Aujourd’hui, quand on est malade, on consulte un généraliste qui indique vers quel médecin spécialiste il faut aller. Dans ce temps là, au fin fond des campagnes, il n’y avait pas de médecin. Comment faisait-on pour savoir à quelle fontaine aller, pour guérir ? Gaston Vuillier l’a expliqué en détail dans ses articles19. La personne concernée par la maladie consultait une recommandeuse, une femme qui « tire les saints » en consultant les braises. Tout en priant les saints locaux, la recommandeuse trempe dans une bassine d’eau des tisons incandescents, surtout de noisetier, après avoir donné à chacun le nom d’un saint assorti à une fontaine. Les tisons qui plongent indiquent à quelles fontaines aller. Ces pratiques existent toujours. Je connais une femme qui tire les saints, sait dire d’où vient le mal et à quelle bonne fontaine se rendre. Il fallait aller à pied et arriver avant l’aube. Cela supposait un effort, un investissement personnel du malade, et aussi de l’argent pour faire une offrande, payer le prêtre pour dire une messe et les gestes à accomplir. Le pouvoir de recommandeuse20 se transmettait de mère en fille. C’est la femme qui a la connaissance, le secret, le don qu’elle doit transmettre.

Lorsqu’il s’agissait d’un bébé malade, il existait un autre procédé pour tirer les saints. Aux quatre coins du berceau où l’enfant atteint de « naudze » (état de langueur ne permettant pas de savoir s’il va survivre) est couché, on allume quatre chandelles de même longueur portant chacune le nom d’un saint. La première qui s’éteint désigne la bonne fontaine. En matière de guérisons, tout est une histoire d’eau, de feu, de gestes. Toutes sortes de rituels s’effectuent à la bonne fontaine : tourner autour, jeter une pièce, se faire couler l’eau sur le corps et toujours de haut en bas parce qu’il faut que le mal s’en aille.

[Pour illustrer la pérennité de ces pratiques, Marie-France Houdart montre une photo récente d’une femme faisant couler de l’eau à l’endroit de ses rhumatismes, photo qu’elle met en regard avec des gravures de Gaston Vuillier montrant des rituels effectués à la même fontaine plus d’un siècle auparavant].

En 2018, à Benayes, près d’Uzerche en Corrèze, à Font Faure, fontaine située à trois kilomètres de l’autoroute A20, on trouve sur la balustrade de bois qui l’entoure toutes sortes de vêtements visiblement accrochés tout récemment.

Des personnes continuent à « apporter leur mal à la fontaine » en sacrifiant une pièce de leur garde-robe. Le rite peut consister en une prière, un remerciement. Des gens apportent parfois deux linges : un à laisser à la fontaine, et l’autre à rapporter après l’avoir trempé dans la bonne eau afin que la personne malade le porte, encore humide. J’ai le témoignage d’une femme âgée entre 50 et 60 ans et se souvenant qu’on lui a fait porter, petite, une chemise humide. Cela a dû lui réussir puisqu’elle était là, et bien là, pour en parler ! [rires].

J’insiste sur le fait que ces pratiques s’effectuent aux moments rituels, en particulier au mois de mai ou de novembre. Et, chose très importante, ces pratiques nous relient à l’Antiquité. [Marie-France Houdart montre des images d’ex-votos thérapeutiques gaulois issus d’un sanctuaire gallo-romain aux sources de la Seine21. Ces petites figures en bois de chêne sculptées représentent des parties de corps d’humains ou d’animaux malades : tête, pied etc.] On les a trouvés dans l’eau. Ces objets servaient à transférer le mal de la personne malade sur un objet. La médecine gauloise était centrée sur l’expulsion du mal par des pratiques à vocation médicale mais aussi – c’est important – par la participation active du malade. Aux temps gallo-romains, cette médecine était composée d’un ensemble d’ablutions, d’offrandes, de rituels, d’actes de foi, d’usages du feu, des plantes…

C’est ce que font toujours les recommandeuses avec leurs rituels aux bonnes fontaines et en incitant le ou la malade à participer à sa propre guérison. La femme-sage, celle qui sait, la femna-saja ou la radegonda dont parle Marcelle Delpastre, était présente dans chaque village pour faire naître les enfants, pour aider à mourir, pour remettre en place ce qui dans le corps était « dérangé ». Ces femmes savent d’où vient le mal et où cela parvient, elles conjurent le mal, elles font faire des rituels, elles font participer le malade à sa propre thérapie. On peut dire qu’elles ont pris la suite du thérapeute de l’Antiquité, des temps gaulois et celles qu’on dit « sorcières » sont des femmes qui savent. Elles étaient indispensables. Elles ont la connaissance des herbes, des lieux, de la vie, du mal, de la mort. Ce sont des femmes savantes donc puissantes, désignées comme nocives donc condamnées. Elles se transmettent secrètement ce savoir comme un « don ». C’est un don qui tient sa force de cette très, très longue transmission féminine secrète pour maintenir la vie.

Cela me choque un peu que des femmes se désignent actuellement avec fierté comme étant des sorcières, l’usage veut que ce soit les autres qui le disent, mais c’est aussi une manière d’affirmer sa féminité.

Camille Ducellier :

Camille Ducellier explique pourquoi elle a été conduite à s’intéresser aux personnes désignées comme sorcières, qu’elle a filmées depuis plusieurs années.

Elle a entendu pour la première fois parler des sorcières dans son enfance, au sein même de sa famille. L’une de ses arrière-grand-mères était guérisseuse et qualifiée de sorcière par la famille. On qualifiait ainsi les femmes qui avaient des pratiques qui nous échappent, qui développent un rapport particulier au monde invisible.

Dans la bibliothèque de sa mère, elle a découvert une revue intitulée Sorcières, revue féministe de littérature publiée dans les années 197022. Ainsi, le mot de « sorcière » apparaissait dans un contexte inattendu, décalé.

Ensuite, elle est partie à la recherche des femmes qui se disent des sorcières.

Comment les définir ? Qu’est ce qui fait qu’une femme aujourd’hui se dit sorcière ?

Il y a trois entrées. Une entrée spirituelle, ésotérique. Une entrée politique : les sorcières sont les « mauvaises femmes de l’Histoire », des femmes qui par leur corps, leurs pratiques, leurs discours sont hors normes. On peut penser par exemple aujourd’hui aux transgenres, aux queers, aux femmes en situation de précarité, aux migrantes… Parmi celles-ci, certaines se revendiquent comme sorcières, comme pour retourner le qualificatif péjoratif qui leur est attribué, et se revendiquer comme telles. Les Noires : « Black is beautiful » ; les homosexuelles : « Oui je suis une gouine » ; toutes ont ainsi utilisé le qualificatif stigmatisant qui leur était accolé, pour se défendre et revendiquer leur identité. Enfin une entrée éco-féministe, c’est-à-dire montrer comment la domination de l’homme sur la femme, et du capitalisme sur la Terre sont deux systèmes qui se croisent et se recoupent.

Camille Ducellier a créé un programme d’arts divinatoires interactifs en ligne, intitulé « Reboot me » http://rebootme.fr/ pour se reconnecter au vivant lorsque l’on vit en ville.

Elle présente le programme en ligne. Quatre domaines sont proposés :

– Amour : sexualités, polyamour, MST ;

– Projets : création, procréation, recréation ;

– Travail : burn-out, chômage, free-lance ;

– Spiritualité : introspection, psychanalyse, ésotérisme.

Elle développe plus particulièrement dans le domaine « Projets », la thématique « Comment repenser nos relations au vivant ? »

On tire cinq cartes virtuelles, qui correspondent à des vidéos documentaires.

– 1ère carte : « Renoncement, abandon, ascétisme ». Quatre personnes sont interviewées : un couple transgenre (pour l’élément EAU), une personne wicca23 (pour l’élément Terre), un homme (élément Air), et une femme clairvoyante (élément Feu) ;

– 2ème carte : « Ce dont nous manquons actuellement pour repenser nos relations au vivant » ;

– 3ème carte : « Les ressources dont nous disposons pour repenser notre relation au vivant » ;

– 4ème carte : « Ce qu’il faut dépasser » : amour, union, association ;

– 5ème carte : L’enseignement qui en découle.

Puis, une synthèse du tirage virtuel est proposée sur « Comment repenser nos relations au vivant », au travers de « Seyrig », une intelligence artificielle (nom choisi en référence à l’actrice et réalisatrice Delphine Seyrig). La synthèse est la suivante : « Les divinités de la dimension gynécologique vous aideront à rééquilibrer votre écosystème vaginal ou intestinal. Par ailleurs vous aurez besoin de relations. En revanche, j’ai la sensation que vous devrez faire sans vivants » [rires…]

Camille Ducellier évoque également les « fées » d’aujourd’hui. Ce sont des communautés internationales d’hommes gay, païens, qui se rassemblent dans des lieux de nature pour pratiquer des rituels ou partager leur spiritualité, sans que ce soit déconnecté de la sexualité.

Une participante au débat s’interroge sur les formes et le langage employés par les « sorcières » que Camille Ducellier a rencontrées. En quoi ces formes et langages sont-ils nouveaux ou en rupture avec les formes traditionnelles ?

Pour C. Ducellier il s’agit plutôt de mélange, de syncrétisme. On n’invente pas nécessairement, mais on associe de façon nouvelle différents rituels, différents éléments. Par exemple, Starhawk, qui est une activiste wicca, associe son activisme à sa spiritualité. Ainsi, lors d’une manifestation devant un commissariat de police il y a quelques années aux États-Unis pour protester contre un meurtre raciste, un groupe de femmes wicca a entouré le commissariat pour le « nettoyer » avec des rituels particuliers, de la souillure représentée par ce meurtre. Cette manifestation à caractère spirituel s’est ajoutée à la manifestation classique, alliant ainsi manifestation politique et manifestation spirituelle.

Une autre intervenante remarque que l’éco-féminisme, c’est aussi des luttes très dures menées par des femmes amérindiennes en Amérique latine, qui se battent à la fois pour conserver leur terre et pour préserver la spiritualité de leur culture, souvent au péril de leur vie.

Camille Ducellier évoque aussi d’autres luttes éco-féministes dans le monde. Dans les luttes contre la déforestation, ce sont souvent les femmes qui mettent en avant leur corps.

Nicole Pignier présente la déambulation dans les monts de Blond/Cieux, qui va se dérouler à la fin de l’après-midi autour des dolmens et autres mégalithes. Elle pose la question suivante : Est-ce que ces mégalithes ne sont que des traces du passé néolithique de l’humanité ? On aurait envie de poser une autre question : En quoi les relations concrètes, existentielles et nourricières que les femmes et les hommes du Néolithique ont créé avec ces lieux où ils ont vécu, où ils sont passés, nous interpelle sur la relation que nous entretenons aujourd’hui avec nos propres lieux de vie, et aussi pour demain.

Ce que nous souhaitons proposer, au travers de cette déambulation, c’est de mettre en écho des voix de femmes et d’hommes qui sont passés par les Monts de Blond qui ont laissé des écrits sur le lien avec le vivant, la nature, le cosmos, avec les témoignages de personnes qui seront présentes physiquement et qui vivent sur ce territoire.

Compte-rendu : F. Juchereau et Ch. Nouhaud.

1 « Reclaim », littéralement « récupérer ». Selon Isabelle Stengers, philosophe et éco-féministe, « reclaim » se traduirait plus précisément par « se réapproprier ce dont on a été séparé », c’est-à-dire aussi « guérir des effets mutilants de cette séparation ».

2 Starhawk, née Miriam Simos en 1951, est une écrivaine et militante éco-féministe californienne, antinucléaire, meneuse de cérémonies néo-païennes et se revendiquant sorcière. Plusieurs ouvrages dirigés ou écrits par Starhawk sont publiés en France par les éditions Cambourakis..

3 Starhawk, Rêver l’obscur: Femme, magie et politique, éditions Cambourakis, 2019, préface Emilie Hache, postface Isabelle Stengers. Un livre paru en 1982 mais traduit en 2015.

4 Camille Ducellier, Le Guide pratique du féminisme divinatoire, Éditions Cambourakis, 2011, préface de Starhawk pour la réédition (2018).

5 Marie-France Houdart a créé en Corrèze les Éditions Maïade : http://maiadeeditions.free.fr (pour le nom, voir ci-après la coutume des « arbres de mai »). Gaston Vuillier, Sorcellerie et culte des fontaines en Limousin, suivi de Marie-France Houdart, L’Eau, le diable, les saints. Retour aux sources, Editions Maiade, 2017.

6 Gaston Vuillier (Perpignan, 1845 – Gimel, 1915) travailla pour les grandes revues illustrées du XIXeme siècle, en particulier Le Tour du monde et Le Monde illustré (Wikipedia, 2021).

7 La dernière période glaciaire commence il y a 115 000 ans et se termine il y a 11 700 ans (début de l’Holocène).

8Une civilisation du renne se développe dans la période magdalénienne, située dans la Préhistoire à la fin du Paléolithique supérieur(âge de la pierre ancienne / taillée), environ 15000 ans avant J.-C.

9 Autour de 6000 avant J.-C., le Néolithique (âge de la pierre nouvelle / polie) : débuts de l’agriculture et de la sédentarisation des humains.

10 Découvert dans une tourbière en 1891, ce chaudron qui mesure 42 cm de haut et 69 cm de diamètre date du 1er siècle avant J.-C. Ses motifs illustrent la mythologie celte : représentation des dieux Cernunnos, Taranis, ou celle d’un géant plongeant des guerriers morts dans un chaudron afin de les ressusciter. Dans la mythologie celtique, le chaudron « magique » peut donner de la nourriture pour un millier d’hommes (chaudron d’abondance) ou bien donner le savoir universel à celui qui goûte de son contenu, ou encore ressusciter les morts. Ces vertus sont d’ailleurs à rapprocher de celles des sources bienfaitrices. Le Saint Graal du roi Arthur n’est autre qu’une représentation christianisée du chaudron d’abondance ou du chaudron de la connaissance. Sur le chaudron de Gundestrup, on trouve aussi des représentations d’animaux exotiques comme un lion, un éléphant ou un dauphin.

11 Cernunnos incarnerait le cycle biologique de la nature, reflétant simultanément la vie et la mort, la germination et le dépérissement, à l’image du cerf qui le symbolise, lequel perd ses bois en hiver pour les recouvrer au printemps

12 Déesse du monde souterrain (les Enfers), elle est également associée au retour de la végétation lors du printemps dans la mesure où chaque année, elle revient six mois sur Terre puis six mois dans le royaume souterrain.

13 Musée d’art et d’archéologie de Guéret.

14 Musée d’art et d’archéologie de Guéret et Musée fondation Marius Vazeilles, Meymac (Corrèze).

15 Aux premiers siècles, Le gnosticisme est la doctrine selon laquelle une certaine connaissance apporte à l’homme le salut.

16 Cette grotte aurait été située dans l’actuel massif de la Sainte Baume, en Provence, entre Marseille et Toulon, à l’intérieur des terres.

17 Statuette polychrome venant de la chapelle des pénitents de l’église de Saint-Angel (Corrèze),

18 La chasse fantastique ou chasse sauvage est un mythe populaire européen impliquant un groupe fantomatique ou surnaturel de chasseurs qui mènent une poursuite sauvage. Les chasseurs peuvent être des elfes, des fées ou des morts, et le chef de la chasse est souvent une figure associée au dieu germanique Wotan.(Wikipedia).

19 Dans « Le culte des fontaines en Limousin » (1901) et « Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze » (1899).

20 Marcelle Delpastre appelait ces femmes les raigondas. Ce nom vient de Sainte Radegonde.

21 Offrandes à la bonne déesse Séquana, cf. Pierre Bachoffner. Les ex-voto du sanctuaire des sources de la Seine, – Revue d’Histoire de la Pharmacie – Année 1966 190 pp. 223-225.

22 Sorcières. Les femmes vivent est une revue bimestrielle créée en 1975 par Xavière Gauthier et publiée jusqu’en 1982. La collection de 24 numéros constitue un exemple particulièrement intéressant de la presse féministe, foisonnante lors de la deuxième vague du féminisme dans les années 1970. https://femenrev.persee.fr/la-revue-sorcieres

23 D’après Wikipédia, la Wicca ou wiccanisme est un mouvement religieux fondé sur des religions « païennes ». Elle comprend des éléments de croyances telles que le chamanisme, le druidisme et les mythologies gréco-romaine, slave, celtique et nordique. Ses adeptes, les wiccans, prônent un culte de la nature et s’adonnent pour une grande partie à la magie.

 

 

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