La glottophobie comme idéologie hégémonique en France : de la discrimination linguistique à la liberté d’expression

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L’idéologie linguistique nationale : un certain français comme religion d’État

Il est frappant que l’immense majorité des décideurs politiques et juridiques ignorent totalement les textes internationaux ratifiés par la France et ne voient même pas qu’il s’agit de manquements graves au respect des Droits humains : c’est que l’idéologie aveugle. Le français, et plus précisément un certain français normé sur la base d’usages de la bourgeoisie parisienne, a en effet été érigé en véritable religion d’État en France, totem central de l’unité nationale (pensée comme une uniformisation autour d’une langue commune unique et unifiée), depuis la Révolution de 1789 et surtout depuis le régime totalitaire de la Terreur à partir de 1793. De nombreux chercheurs analysent en ces termes de religiosité, à peine métaphoriques, le rapport au français entretenu en France depuis deux siècles, de B. Cerquiglini à H. Walter, d’E. Charmeux à J.-M. Klinkenberg, de P. Bourdieu à L.-J. Calvet. Dans un tweet récent, une députée illustrait cet amalgame : « respecter la France, c’est d’abord respecter sa langue ». C’est d’ailleurs en se réfugiant derrière l’apparence d’un français « correct », voire « soutenu », que les discours dominants installent de façon hégémonique une certaine idéologie politique (en France : nationaliste, capitaliste, élitiste) à travers notamment un lexique piégé, régulièrement dénoncé par des critiques politiques alternatives (du type « charges sociales » au lieu de « cotisations sociales » ou « radicalisation » ou lieu de « fanatisme »).

 

Discriminations et glottophobie

C’est pour insister sur le fait que la glottophobie, comme la xénophobie, entre autres, stigmatise, discrimine, exclut des personnes et non des langues (qui sont des abstractions et ne sont pas sujets du Droit), de façon arbitraire, injuste, illégitime et illégale selon le droit international que j’ai forgé et diffusé ce terme. Il est en effet arbitraire de considérer que telle langue serait supérieure à telle autre ou telle forme linguistique meilleure que telle autre. Il n’y a pas de langue sans et hors des personnes qui les parlent. Nos langues, nos façons de parler et nos plurilinguismes sont constitutifs de notre humanité, de notre singularité, de notre être au monde, de nos existences collectives et de nos solidarités. Elles sont des attributs de nos personnalités et non des outils qui seraient extérieurs à nous. Les rejeter, c’est donc rejeter les personnes elles-mêmes en tant que sujets sociaux et humains. C’est pour faciliter la glottophobie que tout un courant de pensée à installé l’idée que les langues sont des outils extérieurs aux enjeux humains et sociaux qu’on peut et qu’on doit « gérer » et « maîtriser » d’un point de vue technique. C’est en réaffirmant le caractère profondément et indissociablement humain et social des langues que l’on peut en percevoir les enjeux politiques au sens large et humaniste.

 

Langues régionales ou immigrées, parlers populaires ou plurilingues, même combat !

J’ai été frappé de voir à quel point la réception médiatique de grande ampleur de mon livre, tout en contribuant à faire admettre nationalement qu’il y a bien un problème, en a spontanément réduit la portée. La plupart des médias en ont retenu le caractère discriminatoire du rejet des « accents » régionaux et sociaux en français, l’un des plus visibles et des plus répandus. Très peu ont étendu la question au vocabulaire ou à la grammaire, et moins encore mentionné d’autres langues que le français, probablement parce qu’on va alors trop loin dans la contestation blasphématoire de la sacralité du français national unique et unifié. Affirmer que c’est une politique totalitaire, attentatoire aux Droits humains, discriminatoire et condamnable, que d’interdire aux Provençaux de s’exprimer en provençal en Provence pour avoir accès à leurs droits et exercer leur citoyenneté, et de leur imposer de le faire en français (et pas en français de Provence) ou de les exclure, ça reste difficilement audible en France.

On a encore plus de mal à y inclure des langues venues d’ailleurs, apportées par des personnes dite « immigrées » (par rapport aux « déjà là » qui descendent toujours d’immigré-e-s plus anciennement arrivé-e-s). Par exemple, la France pose comme condition aux enfants d’apprendre d’abord le français pour avoir ensuite accès à l’éducation ou même aux classes dites ordinaires. C’est une discrimination interdite par la Convention des Droits de l’Enfant, ratifiée par la France et affichée dans toutes les écoles. Il suffirait pourtant de laisser les enseignant-e-s leur parler dans une autre langue s’ils le peuvent, ou leur fournir des aides, ou mettre en œuvre des modalités pédagogiques de coopération plurilingue entre les élèves. Ça se fait dans d’autres pays. On sait d’ailleurs que l’État français refuse de signer un contrat d’association avec les écoles régionales à pédagogie immersive (type Diwan) car l’immersion dans une autre langue que le français est interdite. L’École nationale est immersive, mais en français : traitement différent sur la base d’un critère illégitime, c’est ça, la discrimination.

La glottophobie est également exercée dans la vie quotidienne et pas seulement institutionnelle par des personnes à l’encontre d’autres personnes utilisant des formes populaires ou régionales ou non françaises de français : mon livre rapporte de nombreux témoignages de discrimination à l’éducation, à l’emploi, au logement, à l’expression publique, sous prétexte que la personne « a un accent » ou « un français bizarre » ou parle « mal » le français. On m’a même rapporté des cas de discrimination dans l’accès aux soins dans un hôpital.

Les promoteurs d’une certaine diversité linguistique ne sont, du reste, pas tous exempts de glottophobie. On voit des militants qui se soucient juste de défendre, promouvoir leur langue, et non pas un principe éthique général de Droits et de non discrimination linguistique, qu’il s’agisse de francophonistes qui crient avec raison à une certaine domination de l’anglais ou de certains activistes de langues injustement minorées.

 

Une discrète révolution en cours ?

La loi du 18/11/2016 dite « de modernisation de la justice du XXIe siècle » a modifié l’article 225 du Code pénal sur les discriminations, en y ajoutant des discriminations à prétexte linguistique : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes sur le fondement de (…) leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français ». Désormais, on ne peut plus exiger en France qu’une personne soit monolingue en français, ou qu’elle s’exprime en français, ou encore à l’inverse qu’elle soit plurilingue et puisse s’exprimer dans une autre langue que le français, sauf, selon la loi, pour l’accès à des emplois où l’un de ces trois cas de figure constitue une exigence essentielle, justifiable et proportionnée pour l’exécution des tâches professionnelles visées.

Lorsque ce projet de loi est déposé en juillet 2015 et lors du vote en première lecture le 6 /11/2015, il n’y a pas d’ajout sur les discriminations. C’est la commission des lois de l’Assemblée Nationale qui a adopté un élargissement après audition et avec l’argument de « l’adaptation au droit communautaire [européen] » (cf. rapport n° 3094 du 30/06/2016). C’est donc entre le 24/05 et le 30/06/2016 que les discriminations linguistiques ont été introduites dans la loi adoptée par l’Assemblée Nationale le 12/07.

La formulation retenue est ambiguë car la « capacité » est une possibilité mais pas forcément une mise en pratique. Il reste à voir comment elle sera interprétée par les tribunaux et quelle jurisprudence sera dégagée. Il y a un risque, dans le contexte actuel de crispation nationaliste, qu’elle fasse l’objet d’une interprétation réductrice retournée au seul profit du français, comme cela s’est déjà produit pour la célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Mais ce sera plus difficile parce que cet article est moins ambigu que celui de 1539 et parce que son intention est explicite dans les textes institutionnels d’accompagnement. On peut espérer que le contexte explicite de mise en conformité de la loi française avec les textes européens permettra de l’interpréter comme une véritable lutte contre la glottophobie. Il s’agit de restituer dans leurs droits, dans leur dignité, dans leurs capacités de personnes juridiques égales aux autres et dans leur liberté d’expression les usagers d’autres langues et d’autres variétés que le français normatif.

Philippe Blanchet

 

Compte -rendu La langue outil de domination, outil de libération- DEBAT :

Un intervenant :

Est-ce que vous faites vos cours en provençal ?

Philippe Blanchet : Oui, mais pas à Rennes parce qu’il n’y a pas un public qui parle provençal.

Le même intervenant :

Est-ce que vous n’êtes pas en contradiction avec tout ce que vous avez développé ?

PB :

Non, parce que j’ai bien dit que chacun doit faire un pas vers l’autre. Je n’ai pas le droit de leur imposer mes ressources linguistiques. Il faut que j’utilise des ressources linguistiques qui soient en relation avec ce qu’ils peuvent recevoir, en français mais avec l’accent provençal. Et là ils n’ont pas le droit de dire « on dit pas otre mais autre »… Il faut qu’ils acceptent quelque chose et que j’accepte quelque chose : c’est un chemin mutuel.

Un intervenant :

Dans un de vos exemples, est-ce que l’enseignant parlait le breton ?

PB :

Je pense que oui, parce que pendant de nombreuses décennies le recrutement était départemental donc il y a beaucoup de chance que l’instituteur ait parlé la même langue que ses élèves, en plus du français. Mais même s’il ne le parlait pas, la moindre des choses est de mettre en place un système pour que quand les enfants ne parlent que dans leur langue, quelqu’un comprenne ce qu’ils disent. Si l’enseignant ne comprend pas il doit apprendre leur langue et en attendant il doit prendre un traducteur, parce qu’on doit respecter les enfants et leurs droits.

Un intervenant :

Je suis enseignant sociolinguiste à Poitiers, spécialisé en langues régionales. J’ai beaucoup apprécié tout ce que vous avez dit. Notamment les questions d’hégémonie, les variations du français. J’ai grandi en Limousin, j’ai entendu parler limousin, je l’appelle occitan. Par rapport à la question des langues qu’on peut appeler minorées, j’ai bien compris que vous défendiez le point de vue que la norme, en fait, n’est pas quelque chose de nécessaire. Dans quelle mesure ne pas doter ces langues d’un certain nombre de normes pourraient les conduire à rester subordonnées aux langues dominantes, qui sont des langues faites de normes ?

PB :

La question est complexe. Mon point de vue fondamental est qu’on ne lutte pas contre les langues dominantes parce qu’elles ont des normes, mais parce qu’elles sont dominantes. L’objectif c’est de renverser les dominations sans les remplacer par d’autres. Donc l’idée, c’est que quand on travaille à la promotion d’une langue, donc des gens qui la parlent et qui font l’objet de discrimination (glottophobie), ce qu’on essaie de renverser dans le domaine politique c’est le fait qu’il y ait de la domination. L’idée c’est de viser la domination et pas la langue. Si on veut être cohérent on ne peut pas imiter le système de la domination en disant qu’on va lutter contre les dominants à armes égales. Je comprends la stratégie. Le dominant nous dit : une vraie langue c’est une langue qui s’écrit, qui a une orthographe, qui a une norme standardisée, sinon c’est pas une vraie langue. Si je fais ça, de m’adapter aux normes des dominants, des fois ça marche, des fois non. Ça a marché en Catalogne, assez bien au Pays Basque sud. Mais ça soulève d’autres problèmes. Ça va créer, à l’intérieur du groupe qui était dominé, une division entre ceux qui auront accès aux formes normalisées, qui vont devenir les dominants, et les autres qui vont être doublement dominés : par ceux qui dominent avec leur autre langue et par ceux de leur propre langue détenteurs de la norme de cette langue. On va multiplier la minoration linguistique par deux. Ça me pose un vrai problème. Qui sont les gens qui construisent les normes des langues minoritaires ? Ce sont les gens détenteurs du pouvoir, au moins symbolique, clef du pouvoir comme disait Gramsci : ce sont des enseignants, des universitaires, des gens qui ont fait de longues études. Ce ne sont pas les gens que j’ai dû croiser sur les petites routes, ce ne sont pas les ouvriers. Comme toujours, ça va être les dominants symboliques, culturels, économiques, politiques de la société ce qui va leur permettre d’être toujours du bon côté du manche. C’est vrai, que ce que je défend n’est pas simple : défendre les parlers populaires tels qu’ils sont et laisser la population autogérer ses formes linguistiques et ne pas passer par le système de l’ordre linguistique établi, ça peut aboutir à ce qu’on n’arrive pas à réussir le combat. Je me dis qu’il y a deux dangers : tout perdre en voulant garder nos parlers et à un moment donné plus personne ne parlera nos langues et peut-être qu’une forme survivra mais une forme de dominant qui n’empêchera pas les dominés de l’abandonner : tant qu’à apprendre un standard, autant apprendre le français, c’est plus efficace que le provençal ; du coup on n’est pas sûr d’enrayer la perte, il va rester une autre langue partiellement de domination et on va perdre les parlers populaires dans tous les cas, et ce sont les classes populaires qui perdent. Je sais qu’il y a des expériences d’autogestion langagière qui ont marché, c’est l’exemple du corse : Marcellesi n’est pas seulement l’inventeur de la sociolinguistique gramscienne, il a été l’un des principaux promoteur de la langue corse. Ils ont posé un parti pris de départ, c’est : il n’y aura pas de normes, de standard, d’orthographe du corse. Il y aura une transcription phonétique, une limitation des variations (à mon avis ils n’étaient pas obligés) mais bon : tout le monde peut parler corse à sa façon. C’est l’approche polynomique. Et ça a marché. On est bientôt quarante ans plus tard et la situation du corse est bien meilleure et cette autogestion a perduré. J’ai été à une soutenance de thèse de quelqu’un qui a étudié cette approche-là de la langue et ses effets trente ans plus tard. Dans la tête des gens, c’est clair : chacun parle son corse, selon le sud, le nord et si tu as appris le corse à l’école, tu le parles à ta façon et c’est pas grave. Le principal c’est que tu parles corse. Et du coup je me dis que puisqu’il y a des exemples où ça a marché ça me donne espoir que l’on peut imaginer des communautés linguistiques sans norme, sans standardisation, autogérées et donc sans domination. Je crois toujours à cet horizon-là d’une société linguistiquement égalitaire, et politiquement aussi. Mais je suis d’accord que c’est aussi prendre un risque.

Un intervenant :

Je vous remercie parce que votre conférence m’a décomplexé si on peut dire et m’a encouragé à intervenir. Je suis issu de la Kabylie, en Afrique du Nord, et la discrimination linguistique m’a forcé à militer dans un mouvement séparatiste. Donc j’étais un petit peu facho sans le savoir parce que ma langue est mon identité et elle est menacée de disparition vue la domination arabe algérienne, la bourgeoisie nationaliste arabe. Jusqu’à ce que je découvre les idées communistes et anarchistes. Est-ce qu’on peut dire, scientifiquement parlant, que la société communiste du futur va donner naissance à une langue internationale, vu que vous avez souligné une hospitalité linguistique, sans rapports de domination ?

P.B :

Si j’ai bien compris la question, je vais faire un commentaire sur la façon dont vous vous êtes présenté, votre petit parcours : vous avez dit une chose qui est très importante, c’est le fait que quand les gens sont en situation d’être discriminés ça les conduit à des comportements de repli, ça peut (pas toujours) parce que les sociétés qui excluent produisent de l’exclusion chez les exclus. Les exclus produisent de l’exclusion. C’est un phénomène classique. On monte les exclus les uns contre les autres parce qu’ils ont dans la tête l’idée que comme ils n’ont pas de place dans cette société-là il faut qu’ils créent leur société à part des autres, pour que les autres arrêtent de les exclure. Du coup ça donne une vision de l’humanité dramatique qui serait une juxtaposition de petits groupes humains, avec des frontières, des barrières, des murs… On sait à l’inverse, (on a plein d’exemples de ça), que les sociétés inclusives, c’est-à-dire celles qui assument leur pluralité, sont les sociétés qui assument le plus cette dérive-là. Il n’y a pas de démocratie, d’égalité, de société humaine juste et équitable, sans acceptation de la diversité des humains. Si on se dit qu’on peut vivre ensemble malgré nos différences, notre pluralité, qu’on se respecte en tant qu’êtres humains et qu’on partage nos points communs, personne n’est tenté de dire : « Je quitte, j’ai pas ma place, je vais construire quelque chose ailleurs ». Vous avez mis là le doigt sur quelque chose de très important. Le mythe que la société fonctionne bien si elle est homogène : dans ce cas ça devient une société excluante, discriminante, une société des tensions, et ça devient une société qui dysfonctionne gravement. La deuxième bonne question c’est : est-ce qu’on peut imaginer dans une société juste, égalitaire, où on met tout en commun dans le sens étymologique du communisme, l’émergence d’une langue internationale où il n’y aurait pas de domination ? Ça dépend de ce qu’on entend par là. Si on veut dire une langue qui serait en plus des autres langues partagée par tous, on peut l’imaginer. La question qui va se poser est : laquelle ? Et à partir de là ça va se compliquer. A ma connaissance il y a deux solutions : soit on prend une langue d’un certain groupe qui est déjà là et il devient le groupe dominant par rapport aux autres, soit on invente une langue qui ne serait la langue de personne. Ça a été le projet de l’élaboration des langues qu’on appelle artificielles, la seule qui ait un peu réussi étant l’espéranto. Mais là aussi, ce n’est pas une langue qui vient de nulle part, elle n’est pas neutre : c’est une langue occidentale et l’espéranto vu de l’Afrique subsaharienne c’est une langue de blanc, donc elle n’est pas neutre. Il faudrait réussir à inventer une langue qui ne soit la langue de personne, émanent de l’ensemble des communautés humaines, et ,qu’au final, elle n’apparaisse pas comme étant la propriété, l’invention, la façon de penser le monde, d’une certaine partie du monde. Dans ce cas-là, oui. Mais c’est un sacré boulot. Personnellement, si on me demandait d’y participer je dirais que le projet est enthousiasmant mais que je ne suis pas sûr d’avoir l’énergie. Je crois plutôt à la pluralité, au plurilinguisme. Il ne faut pas oublier que tous les humains sont dotés naturellement de cette capacité de parler plusieurs langues. Un bébé, il ne parle rien, donc il peut parler tout. La plupart des enfants du monde grandissent en moyenne dans quatre ou cinq langues premières. Il est assez fréquent de rencontrer des gens qui maîtrisent quatre ou cinq langues, qui se débrouillent pas mal dans deux ou trois, un peu dans deux ou trois de plus et quelques bricoles dans d’autres. L’idée c’est d’éduquer les gens à être plurilingues partout, et qu’on ait toujours quelqu’un qui fasse la médiation quand on n’a pas de langue en commun. Au lieu de se parler à deux on va se parler à trois. Et si on a vraiment envie on va apprendre une des langues de l’autre. Ça me paraît beaucoup plus réaliste que de créer une langue commune à tous.

Un intervenant :

On dit souvent que le système scolaire, que les Français, ne savent pas parler anglais, qu’on connaît peu d’autres langues. Comment améliorer ce côté plurilingue à l’école, comment permettre une ouverture aux langues qui fonctionne et qui donne envie ?

PB. :

Cette question a été beaucoup étudiée, il y a beaucoup de propositions qui ont été faites. Ce qui se fait à l’école fonctionne toujours en continuité et en prise, même s’il y a des discontinuités et des oppositions, avec le monde autour. Une des choses que l’on sait c’est que pour que l’école arrive à développer des plurilinguismes il faut d’abord et parallèlement que la société développe du plurilinguisme. Dans une société française qui donne comme modèle dominant le monolinguisme, c’est parfaitement incohérent et contradictoire de dire qu’à l’école on va apprendre plusieurs langues. On vit dans une société qui dit : la légitimité c’est d’avoir une seule langue ; et puis après on leur dit : apprenez-en plusieurs. Il faut renverser cette hégémonie du monolinguisme par l’idée d’une pluralité linguistique et éduquer tout le monde en disant que c’est parfaitement normal de grandir, de vivre, de développer sa vie à travers plusieurs langues. Du coup ça mettra en place des dispositifs où les enfants trouveront normal d’apprendre plusieurs langues. Après on sait : il y a les activités plurielles, les stratégies d’éveil aux langues, de didactique des langues. Ces choses fonctionneront efficacement à condition que tout le corps social soit convaincu de passer au plurilinguisme. Je dis à ceux qui ont des enfants : faites grandir vos enfants dans plusieurs langues. N’importe lesquelles. Le principales c’est qu’ils ne grandissent pas avec une seule langue. Quand ils grandissent avec une seule langue, vous oblitérez leurs capacités plurilingues et vous contribuez à construire un monde monolingue. J’ai toujours parlé à mes enfants en provençal, ils ont entendu à la maison parler arabe, espagnol, italien,… cela leur paraît normal ; juste pour les amener à cette disposition. Après ils en font ce qu’ils veulent. Créer l’idée d’une société plurilingue.

On peut s’amuser au niveau des distributeurs de billets. En France, en Bretagne il y a quelques distributeurs qui proposent le Breton. Si un distributeur propose l’italien et que vous choisissez cette langue, il refuse parce que votre compte est en France et vous n’êtes pas sensé être italophone. Mettez du plurilinguisme et vous verrez que la société va changer.

Un intervenant :

J’aimerais savoir ce que vous pensez de la langue des signes et de la définition et des connotations contenues dans l’expression « langue morte ».

PB. :

Je vais essayer de vous proposer des pistes : ce qu’on appelle la langue des signes, est complétée en France par française parce qu’en général il y en a une différente élaborée dans chaque État. Mais il y a des différences : les sourds de la moitié Nord de la France ne signent pas comme les sourds de la moitié Sud, ils ont des « accents ». Cette langue a une particularité : ce n’est pas une langue orale mais visuelle.Le principe a été de remplacer la communication orale par visuelle. Ça fonctionne comme les autres langues, mais là aussi, pour des raisons de domination des normes sociales il y a eu une longue période, en Europe en général, et en France en particulier, où l’enseignement de la langue des signes a été interdit par la loi. Il a fallu attendre la fin du XXème siècle pour qu’elle soit à nouveau autorisée. Vous imaginez dans quelle difficulté on met les enfants qui pourraient très bien communiquer en langue des signes, à qui on impose une langue orale qu’ils ne peuvent pas entendre ! Comme discrimination, on fait fort. C’est l’idée aussi que tout le monde doit passer au même moule. Et puis, en 2002 ou 2004, un texte a été voté qui reconnaît la langue des signes comme une langue comme une autre, dont les usagers bénéficient des mêmes droits et protections que les autres face aux discriminations.

Langue morte : ça s’appelle une métaphore biologique, le fait qu’on parle des langues comme si c’était des organismes vivants. Et là aussi c’est une façon de construire une idéologie. On fait croire qu’il y a des langues vivantes, donc des langues mortes, qu’il y a des langues maternelles. Les langues ne sont jamais ni maternelles, ni vivantes, ni mortes, parce que les langues ne relèvent pas du biologique mais du culturel. C’est des trucs inventés par les humains que les humains se transmettent par l’éducation. C’est la définition même de ce qui est culturel chez les humains. Le contraire de culturel c’est naturel, c’est-à-dire biologique, ce dont les humains sont porteurs par leur organisation biologique, leur ADN. Les langues ne sont pas dans nos ADN. Les langues sont des choses qu’on a inventées pour vivre ensemble. On peut arrêter de les utiliser, les abandonner, en inventer. Je préfère dire qu’il y a des langues qui apparaissent et d’autres qui disparaissent, ça oui. Il y a des gens qui ont arrêté de parler une langue ou alors l’ont énormément transformée, comme le latin qui a donné l’occitan, le corse, l’espagnol… Mais jamais le français n’est né, ni le latin. Il ne mourra jamais. Par contre, a un moment donné une langue émerge d’autres langues et à un moment donné son usage disparaît. Ça c’est plus juste. L’idée d’une langue maternelle qui serait transmise comme une donnée génétique, c’est une position idéologique : c’est pour enfermer les gens dans des identités linguistiques pensées comme ethniques dans le sens le plus racial. Comme si ça faisait partie de votre physique. Tout ceux qui s’intéressent à ces questions ne parlent pas de langues vivantes, mortes, maternelles parce qu’ils pensent les langues comme des pratiques sociales.

Un intervenant :

Vous parliez de la discrimination par rapport à la manière de parler. Cela revient souvent un peu comme une blague. Je pense notamment à l’écriture des SMS, l’écriture des adolescents, du coup c’est un peu une manière d’infantiliser, d’estimer qu’ils ne sont pas encore adultes parce qu’écrivant d’une certaine manière. C’est un peu revenu avec la réforme de l’orthographe.

Comment considérez-vous cette écriture : est-ce que c’est un moyen de résistance, est-ce une langue ?

P.B :

C’est un moyen de transcrire à l’écrit, de rendre visuel une langue qui au départ est une langue orale. La confusion est souvent faite et quand il n’y a pas longtemps, quelques milieux réactionnaires se sont rendu compte qu’on avait intégré depuis de nombreuses années l’orthographe rectifié dans les programmes de l’Éducation nationale, ils ont poussé de hauts cris pour dire qu’on massacrait l’orthographe et qu’on allait modifier la langue. En modifiant l’orthographe on ne modifie pas la langue sauf dans des cas particuliers, à l’inverse je pourrais vous expliquer comment l’orthographe compliquée du français a modifié la prononciation quand les gens prononcent des choses qui s’écrivent mais qui au départ ne se prononçaient pas, dans ce sens-là. Mais quand vous simplifiez l’orthographe pour la rapprocher de la forme orale vous ne transformez pas la langue orale, au contraire. Ça ne concerne pas la langue mais sa forme écrite. Il faut toujours se poser la question de la pratique sociale. Qu’est-ce qui socialement la justifie ? Qu’est-ce qui fait que notamment des jeunes, mais pas uniquement, ont inventé une façon d’écrire le français avec un système d’abréviations qu’on va retrouver surtout dans les SMS, textos, « chat » et autres forums ? Deux raisons principales. La première, comme les langues, la façon de les parler, de les écrire sont une façon de dire qui nous sommes, elles ont une fonction de marquage identitaire. Chaque génération, pour marquer son appartenance à une nouvelle génération, a toujours inventé des marques linguistiques d’identité de sa classe d’âge. Il y en a eu dans la mienne, il y en a dans la vôtre, il y en a toujours eu parce que chaque groupe humain, dès lors qu’il a conscience d’être un groupe, développe des marqueurs linguistiques de son identité. Ils abandonneront ces marqueurs quand ils passeront dans le groupe des adultes installés. En général il faut attendre trois ou quatre générations et il va être réutilisé des formes linguistiques des anciens quand on est jeune. Un grand classique : c’est daron et daronne (le père et la mère). C’était du français populaire des jeunes des années 1920 – 1930, c’est passé dans l’argot dans les années 1940 – 1950. On le retrouve souvent dans les romans policiers de cette période. Et puis ça a disparu. Et à la génération de mon propre fils j’ai entendu un jour mon fils, en parlant de moi, dire le daron. Ouah ! il parle français comme quatre générations plus tôt ! Le deuxième facteur c’est que ces jeunes-là (ils sont plus inventifs que les autres et heureusement, sinon on en serait encore à la préhistoire) se sont retrouvés avec un moyen de communication, un support du message linguistique tout à fait nouveau qui n’existait pas précédemment (portable). A la fin des années 1990 ils se sont retrouvés avec la première génération de téléphone portable c’est-à-dire avec un clavier avec les chiffres et si vous appuyez plusieurs fois sur les touches vous faites apparaître plusieurs lettres ou signes et la possibilité d’écrire un message avec un clavier à chiffres et ils ont eu cette inventivité, car un texto c’était limité en nombre de caractères. Du coup, pour prendre en compte ce nouveau support de communication il fallait faire court et ils ont inventé une nouvelle façon d’écrire le français à partir de sa forme orthographique : ils l’ont adapté à une situation particulière. Par exemple, bcp pour « beaucoup », (et on se demande pourquoi il y a un p à la fin). Ils sont revenus aux structures consonantiques (cf. l’arabe, l’hébreu), ils ont utilisé certains chiffres à la place de mots. Comme le 1 pour un. Moi qui vais beaucoup au Maghreb, je vois qu’ils ont été très inventifs parce qu’en plus ils l’ont utilisé pour écrire l’arabe marocain ou algérien, qui normalement ne s’écrit pas. Ils se sont mis à l’écrire en utilisant les caractères de l’alphabet latin plus les signes et les chiffres pour s’envoyer des textos en marocain ou en algérien avec des téléphones où il n’y avait pas les symboles de l’alphabet arabe et avec des sons qu’on ne peut pas transcrire avec l’alphabet latin. Ils sont allés prendre des chiffres pour écrire des sons. Ce qui est admirable c’est l’inventivité développée. C’est un bel exemple d’autogestion des pratiques langagières. Après ça a été utilisé aussi dans les « chats » ou il faut faire vite et court. C’est plus de l’oral, donc la forme orthographique devient secondaire. Dans les méls aussi. On utilise plus des formes de la relation orale qu’écrite, avec des raccourcis. Les méls sont des formes courtes aussi.

C’est encore un bon exemple de l’adaptation des gens aux codes sociaux de la langue. Il y a une pluralité de normes et on invente des formes linguistiques qui correspondent aux pratiques : un mél ça doit être court, on invente les formes linguistiques adaptées. J’ai beaucoup d’admiration pour ces gens qui ont inventé ces nouvelles formes.

Un intervenant :

La grande machinerie linguistique qui les entoure, la novlangue, comment ils y réagissent ?C’est comme la langue nazie qui avait subverti les mots.

PB :

Ça nécessite une éducation linguistique, c’est-à-dire que les gens sont éduqués à ne pas remettre en question les terminologies circulantes. Ce que vous avez appelé la novlangue, c’est la traduction de New Speech chez Orwell. Les gens ne sont pas éduqués à décortiquer ça, c’est-à-dire que c’est une façon de faire passer de l’idéologie cachée sous les mots (mon prochain bouquin s’appelle Les mots piégés de la politique, il parle de ça, je cite Victor Klemperer* dont vous avez parlé à propos de la langue du IIIème Reich). Les dominants sont très forts pour imposer à travers leurs formes linguistiques une certaine façon de penser le monde, et une certaine idéologie du monde cela fait partie de la mise en place de l’hégémonie. On connaît bien, parce qu’on a une certaine conscience politique, les trucs du genre « charge sociale », plutôt que cotisation sociale, cette façon de voir les choses et d’essayer de nous les mettre dans la tête. Ça nécessite une prise de conscience. Ces jeunes-là, parce que c’est eux la société de demain, on peut leur montrer que ce qu’ils ont élaboré c’est une forme linguistique particulière et qu’il faudrait qu’ils aient sur les autres qui parlent différemment, la même conscience que ce n’est pas universel, que cela ne s’impose pas de soi, qu’il faudrait déconstruire la façon dont ça a été construit de façon à éveiller leur vigilance. « Vous voyez, vous avez été capables de construire une façon d’écrire, eh bien il y en a qui sont capables d’inventer une façon de nommer les choses. Et, faites gaffe parce qu’à la façon dont ils nomment les choses, ils vous piègent ». Donc on pourrait les éduquer à cette vision critique-là de ces discours dominants en faisant le lien autour de l’inventivité langagière et de l’idée que la langue est un moyen de pouvoir. Du coup, il faut se méfier des messages parce qu’ils peuvent servir à prendre le pouvoir ou à exclure du pouvoir.

Le même intervenant :

Regardez le titre de la conférence : « la langue outil de domination, outil de libération ! »

P.B :

L’idée de résister aux discriminations, de se retourner contre les discriminations c’est la dynamique même de la libération. Se libérer de l’hégémonie, se libérer des mots piégés dont on vient de parler, de leur idéologie embarquée, se libérer des inégalités instaurées dans la société y compris par les inégalités linguistiques mais pas seulement, et donc retrouver une liberté d’expression et d’exister en tant qu’être digne et égal des autres.

Le même intervenant :

C’est repenser la dialectique qui me semble pas tout à fait au centre de votre réflexion, entre l’universel et le singulier.

P.B :

L’universel, c’est ce qu’on se fabrique de partagé. On peut rêver, et moi je rêve aussi de choses qui deviendraient universelles. Tout au long de ma carrière dans les sciences sociales je n’ai jamais rien trouvé d’universel de fait, et donc je me dis que puisque ce qui caractérise avant tout l’humanité ce n’est non pas uniquement la singularité mais la pluralité, parce que la singularité cela voudrait dire que les sociétés ne seraient que des juxtapositions d’individus différents les uns des autres. Or je pense que les individus sont différents les uns des autres et semblables pour partie, que les sociétés sont aussi différentes les unes des autres et en partie semblables aussi. Il n’y a pas d’universel mais tous ces gens-là peuvent partager quelque chose et se fabriquer du commun.

J’ai assisté à une conférence d’un psychanalyste autour de l’inclusion des enfants en situation de marginalisation sociale et il a eu une belle phrase. Il disait que la question n’est pas d’inclure, parce qu’inclure c’est prendre tout à l’intérieur, la vraie question c’est celle de l’intersection. L’intersection c’est la partie partagée par deux ensembles qui, par ailleurs, ont des parties différentes. Cette notion d’intersection c’est ça le commun, ce qu’on est capable de partager. On ne peut pas tout partager. Poser le problème en termes de singulier/universel ou relativisme/universalisme, c’est une mauvaise façon de poser le problème. La seule façon, à mon avis, de poser le problème pour qu’on puisse lui trouver une solution (parce qu’il n’y a pas de solution à un problème mal posé), c’est de poser le problème en termes de : qu’est-ce qui est commun et qu’est-ce qui ne l’est pas ? On peut avoir du commun sans parler la même langue. Moi qui parle des langues romanes, j’ai du commun avec des gens qui ont des langues romanes que je n’ai jamais apprises. Quand ils me parlent je suis capable de comprendre, quand ils écrivent je suis capable de lire. On a du commun sans le savoir. Donc je vais cultiver ce commun. Je comprends du portugais parce qu’en mélangeant l’italien, le provençal et l’espagnol, ça se ressemble et j’arrive à comprendre. Du coup je crée du commun. Qu’est-ce qu’on va trouver à partager ? Cela me paraît une chose fondamentale. Si on est dans l’alternative singulier/universel on est toujours dans l’alternative du renoncement. Et on ne peut pas renoncer à qui on est, à son histoire… La question n’est pas de renoncer à qui je suis pour devenir l’autre (ça, c’est le fantasme de l’assimilation) c’est de dire : qu’est-ce que je peux partager avec l’autre ?

Un intervenant :

Je suis aussi pour le plurilinguisme dès l’enfance. Dans l’État français, il me semble me souvenir qu’il y a une trentaine d’années le Cercle Gramsci avait fait un débat sur le sujet, et je constate qu’on refait un débat : les choses, au niveau du limousin (parce que je suis Limousin et je parle limousin, (l’occitan d’ici) les choses n’ont pas avancé, au contraire. C’est la décrépitude. Il y a peu de temps je suis allé dans un café philosophique à Limoges et le sujet de la soirée c’était le fameux mythe de la langue universelle. Je me suis dit : la langue universelle c’est la langue des signes, celle qui n’a aucun support linguistique écrit et ce que vous avez dit complète et infirme en partie ce rêve. C’est vrai que vous êtes un rêveur et on est tous, peut-être, des rêveurs.

Quelques remarques à propos du français : un grand linguiste occitan a fait un travail gigantesque sur le provençal et toutes les formes d’occitan et il avait eu l’audace d’écrire le français en supprimant le th, le ph, le y. C’est resté sans suite. Les démêlés des pauvres élèves dont 30 % ne savent plus lire ni écrire en français, on aurait pu l’éviter si cela avait été adopté et le français aurait pu faire un pas en avant énorme qui aurait permis l’intégration sans problème de toutes les communautés (ce mot n’est pas péjoratif) qui ont pu arriver ou qui étaient déjà là dans l’État français. A propos de cette idéologie française que vous avez considérée comme une religion, c’est vrai, la langue est sacralisée. Je ne vois pas pourquoi le problème de l’identité est liée au Front National. Ce ne sont pas mes idées. Quand on parle, je pense à M Valls qui est trilingue et qui est absolument contre les langues de France, ce n’est pas la peine de penser à Marine Le Pen et la plupart des gens, des Français et des hommes politiques sont comme ça. On les appellera fascistes ou pas, mais malheureusement je crois que ce n’est pas le lot en particulier d’un parti ou d’un groupe politique.

A propos de l’autogestion. Je suis occitaniste et je pense, et vous en tant que provençal vous devez comprendre un peu mieux, que la langue, quels que soient ses dialectes, ses parlers, elle doit aboutir à un moment donné à une sorte d’écriture, parce que les locuteurs de ces langues ils ont, à un moment donné, besoin d’un support écrit. Il doit être élastique, relatif. Il y a sans doute une façon d’imaginer une écriture globale avec des normes mais qui soient assez souples pour accueillir une diversité, qui est celle que vous revendiquez et que je revendique aussi, qui fait l’humanité. Donc l’idée de l’écriture, de la langue écrite, quelle que soit la langue, je pense que c’est un passage obligé et je signalerai que dans cette Europe, dont on parle beaucoup et qu’on veut détruire, il y a 54 langues qui existent (il faudrait définir le mot), de la plus petite jusqu’à la plus grande (territorialement) : c’est une diversité, une richesse et la plupart des gens ne sont pas conscients de cela.

A propos de ce concept de langue morte, en général on parle du latin et du grec ancien, elles se sont régénérées. Il vaudrait mieux parler de langue disparue, en voie de disparition. En tous cas en ce qui concerne le limousin, elle est en voie de disparition. Depuis plus de trente ans Limoges est capitale de la francophonie et dans cette instrumentalisation de la francophonie on ne parle que du francophone et donc elle est un instrument de notre disparition, élimination sur place. Il faudrait que les Limousins soient un peu conscients de cela. Ils n’ont aucun enseignement dans leur langue autochtone, s’y j’ose dire, elle n’existe nulle part. Alors qu’en Bretagne, elle est présente.

PB :

Merci d’avoir complété mes propos. J’ai effectivement été frappé, parce que je voyage dans beaucoup de régions de France : on voit en Limousin très peu de présence publique de la langue limousine. J’ai vu un panneau à l’entrée d’un petit village, doublé en occitan. En Bretagne c’est quasiment tous les panneaux, partout. Chez nous en Provence ce sont les municipalités qui les installent. C’est tout un combat. Lutter contre cette glottophobie qui fait que dans ce pays on a chassé la langue locale, qu’il ne reste quasi plus, en tous cas pour ces gens-là, que le français. On voit bien pourquoi il faut une prise de conscience, un combat pour que les gens, dont c’est la langue, aient le droit de l’avoir, de la parler, de l’écrire comme les autres, ni plus, ni moins. C’est un bon exemple de revenir à du local.

Un intervenant :

C’est à peu près ce que disait le précédent intervenant, avec des nuances. Quand on interroge le Rectorat il dit : l’occitan, oui on en fait. Il y a une calendreta avec deux emplois payés par la République. C’est merveilleux ! On a écrit au Défenseur des droits au mois de novembre, parce que tous les ans, le 20 novembre il y a la journée internationale des droits de l’enfant, que la France a signés, ratifiés sauf l’article 30 qui dit que tout enfant d’une minorité linguistique a droit à une éducation dans sa langue. On vient de recevoir la réponse qui dit que ce n’est pas possible parce que la Constitution s’y oppose. On est dans une idéologie qui est confortée par quelque chose de très solide. C’est difficile de s’adresser aussi bien à la population qui est formatée : je les vois à la Fête de l’amitié entre les peuples, à la Ligue des droits de l’homme et je leur ai dit : « ça ne vous dirait pas de vous investir dans la lutte contre cette discrimination-là ? – D’où tu tombes toi ? Ça n’existe pas ça. » Dernière anecdote que je voulais vous servir : par rapport aux Jeux olympiques. Il n’y a pas très longtemps il y a eu des jeux olympiques d’hiver à Sestrière en zone occitane. Et là l’occitan avait une place. On n’aura jamais les jeux olympique d’hiver sur le plateau de Millevaches. Les prochains se tiennent à Paris, il paraît que la partie maritime se tiendra à Marseille. Quelle place pour le provençal dans les jeux olympiques de 2024 ? C’est pas possible parce qu’on est en France. Quand les gens on créé des Calendretas, en 1979-1980, à l’époque ils disaient : on va montrer l’exemple et l’Education Nationale française va suivre l’exemple. Au bout de 10 ans elle a fait quelques classes bilingues mais c’était plutôt la politique du contre-feu, pour éviter que ça marche trop bien. Maintenant c’est très intéressant parce que ceux qui ont fait ça qui étaient amoureux de leur langue, de leur culture. Ils ont découvert, à l’occasion, qu’il faut s’organiser soi-même, de manière citoyenne, prendre ses affaires en main et avancer, donc ça a un impact sociétal important. C’est aussi en cela que la langue est un outil de libération. Si on aime sa langue, on s’aime, ça permet d’être des êtres humains dignes.

Je trouve que c’est une très belle conclusion. Merci beaucoup.

*Victor Klemperer, né le 9 octobre 1881 à Landsberg et mort le 11 février 1960 à Dresde, est un écrivain et philologue allemand.

Romaniste éminent, il est l’auteur notamment d’une Histoire de la Littérature française au XVIIIe siècle et d’un essai, Lingua Tertii Imperii, décryptage de la novlangue nazie utilisée comme moyen de propagande.

 

 

 

 

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