Quelle Justice aujourd’hui ?

C’est en tant qu’ancienne présidente du Syndicat de la Magistrature et non en tant que Présidente du TGI de Limoges que Madame Simone Gaboriau s’est présentée aux cent treize personnes venues partager cette soirée, et ceci, d’abord, au nom de la revendication d’une liberté de parole conquise au long d’un militantisme syndical, ensuite parce que le thème de cette soirée – « Quelle Justice aujourd’hui ? » – en plaçait l’objet ailleurs que dans une institution judiciaire particulière.

Jusqu’à une date très récente, les visions Républicaines sur la Justice en ont toujours fait le bras armé de la souveraineté populaire. En tous cas, cette justice, se devait de transmettre fidèlement les messages du législateur, sans rien y ajouter n’y rien en retrancher. Le plus démonstratif en cette matière étant sans doute la notion de référé législatif : la loi, pure et parfaite ne pouvant être sujette à interprétations, les éventuelles difficultés d’application devaient être renvoyées au niveau législatif.
La méfiance à l’égard de celui-ci à vite fait de faire glisser la notion de souveraineté populaire vers l’exécutif. Ce glissement n’a laissé la place à nul contre-pouvoir.
La méfiance de la Révolution vis à vis des juges professionnels a été entérinée au cours des périodes suivantes ,la Justice étant essentiellement appréciée à l’aune de sa fidélité au pouvoir.
L’histoire contemporaine ne montre pas de grands changements, les fonctionnaires de Justice jouant d’ailleurs en majorité le rôle attendu : Un seul magistrat à refusé de prêter serment au Maréchal Pétain et les positions prises pendant la Guerre d’Algérie n’ont pas témoigné d’orientations plus décisives. Le général de Gaule avait d’ailleurs vigoureusement repoussé l’idée d’une quelconque autonomie de la chose judiciaire.

C’est en ce sens que les récents bouleversements du monde judiciaire sont significatifs : l’image du Juge inféodé aux puissants est en train de se modifier, une véritable « révolution culturelle » est en train de s’opérer, des privilèges – implicites ou explicites – tombent, et des privilégiés sont condamnés pour corruption. Cette évolution ne doit pas être qu’une évolution conjoncturelle, elle doit s’inscrire dans la durée, dans les institutions et faire son lit dans une réflexion républicaine sur la Justice.

Les différents défis que la Justice doit relever ont étés exposés dans le document préparatoire à la soirée et ne seront donc cités que pour mémoire : Défi d’une demande et d’une attente de plus en plus forte, Défi de la crise morale et de la crise sociale, Défi de la légitimité de l’état et de ses institutions.

La Justice doit évoluer et rendre cette évolution concrète et durable. Simone Gaboriau synthétise cette réflexion selon trois axes, fondements de notre démocratie : Liberté, Égalité, Fraternité.

Liberté

Les juges sont , de part la Constitution, les gardiens de la liberté, certes, mais aussi les seuls à pouvoir en priver quelqu’un par le biais de l’incarcération. (Notons toutefois que l’application des peines les plus fortes est effectuée en association avec un jury populaire)
Mais il y a beaucoup de gens en prison, beaucoup trop : En Juillet 1997 on comptait 58366 détenus dont 22699 prévenus, le fait que les condamnés soient majoritaires étant le résultat d’une évolution récente.
Il y a 88,3 détenus pour 100000 habitants (50 en 1975). La durée de détention moyenne est de 7,8 mois (4,3 en 1975). La durée de détention provisoire moyenne est de 4,2 mois (2,4 en 1975)
La prison n’est pas essentiellement une affaire de Justice, mais une affaire de société et de culture. Nous sommes tous sont prêts à critiquer l’inflation carcérale, mais combien hurlent avec les loups contre la laxisme des juges qui laissent tel ou tel présumé coupable en liberté. Papon en est un exemple : ignoré – – en majorité – par l’opinion publique au long d’une instruction débutée en 1981, il s’est vu harcelé par des commandos pro-carcéraux de la vingt cinquième heure. La prison est encore trop souvent vue comme la seule ‘vraie’ sanction.
Qui dit trop de gens en prison dit trop de places de prison disponibles. Il y a environ 50000 places disponibles en France et toute place disponible – en vertu d’un principe absolu -est irrémédiablement remplie.
Il est noter par ailleurs que les détenus le sont à 70% pour des peines ne dépassant pas six mois de détention (ce chiffre passant à 80% pour une durée de un an). Ces détentions ne s’effectuent d’ailleurs pas toujours dans des conditions dignes, la surpopulation pénale étant criante dans certains établissements.(1)
Ce problème de l’inflation des détentions doit être traité, d’une part en se penchant – de la manière la plus imaginative possible – sur l’élaboration de solutions alternatives , et d’autre part en entreprenant un travail destiné à faire évoluer les mentalités sur ce sujet.
Tenter d’appliquer des solutions alternatives à l’incarcération aux 70 ou 80% de peines courtes sans l’assentiment de la population serait suicidaire!

La Justice est par ailleurs concernée d’une autre manière par la question de la liberté : dans sa capacité de réaction à diverses atteintes dont elle est l’objet : Il est essentiel qu’un juge puisse réagir a des atteintes aux droits fondamentaux, par exemple sanctionner les atteintes à la vie privée. Il est également essentiel qu’un Juge puisse s’opposer aux ‘voies de faits’, c’est à dire à l’utilisation par des administrations de droits qu’elles n’ont pas pour porter atteinte à des gens. Récemment, La fermeture du café ‘Le sous-marin’ , muré par décision de la Mairie de Vitrolles, à été déclarée illégale en vertu d’une voie de faits par le Juge des référés. En l’occurrence, la Justice a prouvé sa capacité à sauvegarder un espace de liberté.

Égalité

Notre société est profondément inégalitaire. Comment une de ses institutions peut elle prétendre à y faire respecter cette exigence? Ce problème n’est d’ailleurs pas spécifique à la Justice : L’Éducation Nationale y est confrontée de la même manière, pour ne citer qu’elle.
Dans une approche réaliste, on ne peut que tendre vers un mode de fonctionnement plus égalitaire, sans garantie d’y parvenir.
Il faut un traitement égalitaire – devant la Justice pénale – pour ceux qui ont une situation assise et pour ceux qui sont dans la précarité.
Le chemin à parcourir est encore long mais, néanmoins, des progrès se font jour : la lutte contre la corruption, la fin des privilèges explicites ou implicites. L’effort doit porter notamment sur l’écoute des plus démunis au plan culturel afin de faire passer leur message : pour certains, il est déjà difficile d’établir un communication avec la défense et le problème se renforce encore vis à vis du Juge. Nulle pétition de principe ne permettra un traitement de cet aspect des choses auquel il convient de s’attaquer de front.
L’égalité doit également se prouver dans l’accès à la Justice, par la mise en œuvre d’aides juridictionnelles, de financements, pour les plus démunis.
L’égalité, c’est aussi l’accès à la Justice : une société démocratique doit être imprégnée de droit : nous devons avoir le sentiment que nous sommes des sujets de droit et non les sujets d’un Etat-providence. Pour cela, il faut une politique ambitieuse d’éducation au droit, de diffusion du droit. Tout reste à faire dans cette matière. L’indigence de la connaissance juridique, toutes classes confondues, est vraiment manifeste, ce qui a pour conséquence que la Justice s’enferme dans des modes de fonctionnement professionnels, voire corporatistes.
Un plus large accès au droit ne signifie pas la multiplication des accès à la Justice. Une excessive judiciarisation est révélatrice de la démission, ou de la disparition, des acteurs sociaux. Et, de fait, nous vivons la disparition d’un certain nombre d’institutions qui exerçaient un rôle médiateur : l’église, le parti communiste, les syndicats, les patronages ou encore la famille structurée. En réponse, il faut organiser des lieux de médiation. la Justice, en tant que telle ne pouvant toujours jouer un rôle d’apaisement social, étant structurellement un lieu d’affrontement (même si elle peut apprendre à fonctionner autrement).

Fraternité

Si le mot paraît aujourd’hui galvaudé, on peut lui préférer celui de Solidarité, plus moderne et signifiant aujourd’hui. Participer à des politiques de solidarité, pour un juge, c’est être attentif aux droits des plus faibles, des plus démunis, élaborer un « Droit des pauvres » qui ne soit pas un « Pauvre droit » : droit des délais de grâce, droit des délais de paiement, droit des délais d’expulsion, des problèmes de surendettement. Car, si le droit ne peut modifier la situation de précarité d’une personne, ou résoudre une situation sociale, il peut accompagner une demande sociale globale.
La Solidarité, c’est aussi la proximité, revendication datant des États Généraux, attente très forte des justiciables contemporains. Parfois la distance est trop forte. Les Juges d’instance et surtout les Juges aux affaires familiales répondent en partie à cette attente, mais il faut aller plus loin. La Justice est une machine lourde et il est urgent de réfléchir sur des instances de médiation et de conciliation.

Jamais la Justice ne sera vraiment gardienne des libertés, jamais la Justice ne sera tendue vers l’égalité de tous si elle n’est pas indépendante, autant en ce qui concerne le siège, qu’en ce qui concerne la parquet. La justice indépendante n’est sans doute pas ce que les français réclament en priorité, mais il faut savoir qu’il y toujours deux enjeux fondamentaux dans cette question : l’équilibre démocratique des pouvoirs, et la solution au quotidien des problèmes de société. (2)
Toutes ces questions ne devraient pas être débattues entre Juges, mais faire l’objet d’un vaste débat, de vrais États Généraux de la Justice, afin de faire remonter les attentes des citoyens, afin d’écouter les professionnels et les élus sur un thème dont on sent bien que c’est un enjeu majeur pour la Démocratie et la République.

(1) Voir la Conférence donnée au Cercle par Christine DAURE-SERFATY et Christophe SOULIE le 22/3/95 : « La Prison en question »
(2) En matière de travaux pratiques on analysera en fin connaisseur la subtile dialectique des divers positionnements gouvernementaux de ces derniers jours, entre velléités de satisfaction de certaines des revendications des syndicats de Magistrats et stratégie d’occupation du terrain sécuritaire..

NANEIX P.

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