Ce dossier sur la Russie comprend à la fois un compte rendu «sous écoute» de Marie France RICHARD-ELIET de la conférence du 4 décembre et suivi du point de vue de la présidente de Droujba.
Ce qui suit est un compte rendu rédigé par quelqu’une …. qui n’a pu assister à la conférence-débat, et qui s’est donc basée pour l’établir sur l’enregistrement audio de la soirée ( les fameuses K7, en prêt gratuit, du Cercle! ). Je me ( et m’en! ) tiendrai à cette transcription-synthèse, aussi fidèle ( mais kèce à dire? ) que possible, et à 2 ou 3 impressions-réflexions issues de l’écoute attentive et solitaire de l’exposé, des questions, des réponses croisées et entre intervenants et avec le public.
La demande faite au Cercle d’une «soirée sur la Russie» date déjà du sondage de 1994. C’est l’acceptation de J. L. M. qui permet de répondre aujourd’hui, pour la 62 ème conférence du Cercle, à ce voeu. C’est, bien sûr, depuis son point de vue propre, et l’orientation que lui donne son travail, qu’il parlera.
Jean-Louis MOYNOT, présenté par Maïté GIL, a travaillé avec la C.G.T. jusqu’en 81, a été membre du «Conseil Economique et Social» jusqu’en 82, créateur d’un «centre de recherches» jusqu’en 96, tout en étant chargé de mission sur la conversion des Industries de Défense en ( ex ) U.R.S.S. depuis 93, comme Conseiller d’Etat en service extraordinaire
Parole à J.L.M.
( en substance….)
Il y a 6 ans que je vais régulièrement en U.R.S.S., puis en Russie, chargé d’un problème lourd: l’accompagnement de démarches d’entreprises françaises civiles pour envisager des projets industriels en coopération avec des entreprises, civiles ou militaires, sortant du «Complexe de Défense» de l’ex U.R.S.S.
J’ai, donc, une mission publique actuellement, avec la Russie et les pays voisins.
Je ne suis pas un spécialiste, donc, et je m’appuie fortement, pour l’exposé de ce soir sur une conférence de Vadim ZAGLADINE, spécialiste en sciences politiques, ayant vécu la Perestroïka de très près, membre de la fondation GORBATCHEV, connaissant très bien la France. Son point de vue est construit, synthétique, intelligent, critique ( et que l’on peut aussi critiquer ) quant aux limites et aux erreurs de la période précédente.
Cette soirée du 4 décembre sera donc surtout une occasion d’échanger entre nous ce qu’on pense et ce qu’on comprend, les uns et les autres, ici….
Pour se poser de bonnes questions, il est nécessaire de remonter, plus de 10 bonnes (!) années en arrière, à la tentative de PERESTROÏKA. Et, vu la situation difficile et très contradictoire actuelle, il faut chercher d’où viennent ces différents éléments.
1ère question: Est-ce que la Direction de L’U.R.S.S. ( de l’Etat et du Parti Communiste ) avait envisagé une transformation aussi complète, allant aussi loin ?
-Non ! Les principaux dirigeants étaient convaincus plutôt, qu’une amélioration du système et de son fonctionnement était inévitable ( mais sans voir comment l’instaurer ) à moins de faillite, de catastrophe inexorable dès la fin de ce siècle. Mais après 2 ans de travail, de réformes, et d’affrontements, ils ont dû se rendre au constat qu’un aménagement était impossible, que cela ne pourrait pas se faire dans le système, que cela ne serait plus le même système.
Donc, depuis 87, le principe des transformations graduelles et accompagnées a été remplacé par des
interrogations sur : l’abandon du Communisme lui-même, le choix du Capitalisme, ou la recherche d’une «troisième voie»;
celle-ci se cherchant par -et un souci de conserver du passé le plus possible en matière de garanties sociales – et le voeu de
création d’un mode de société qui ne serait pas «importé». Projet du type: Construire un pays «normal», avec un système démocratique réglé par une économie «mixte» ( participation de l’Etat, mais pas trop), un pluralisme politique et idéologique.
But, visé, mais qui, jusqu’en 90, n’a pas été proclamé ouvertement. Et la conviction demeure toujours que, plus tôt, c’eût été prématuré, les objectifs étant à préciser en cours de route, opinion publique, structures et cadres n’étant pas préparés, vu l’ampleur des bouleversements en jeu.
Le système à «mettre à bas» :
1) Le monopole absolu – de l’Etat et du Parti soudés – excluant toute démocratie (et à détruire, dit V.Z. ) – pour établir un système de type parlementaire. Le premier véritable Parlement de toute l’ Histoire de la Russie/U.R.S.S., créé avec élections libres, les premières qui ne soient pas avec un seul candidat pour chaque poste, désigné par le Parti, i.e. : destruction de la base du système politique TOTALITAIRE englobant tous les aspects de la vie de la société et de chaque individu.
2) La base économique = le système administratif de l’économie, avec MONOPOLE, là aussi TOTAL , sur les moyens de production, y compris la terre, sans possibilité d’initiative décentralisée, à remettre en cause. Mesures progressives:
Ÿ création de «petites coopératives agricoles»
Ÿ puis statut juridique d’entreprise ( même si restant la propriété de l’Etat )
Ÿ loi sur la propriété édictée à la fin de la Perestroïka, la 1ère depuis 1917 = Toutes les réformes se basent sur un principe d’égalité en droit de toutes les formes de propriété. Tentative, déjà, de remplacement de la forme exclusive du monopole par le principe de l’économie mixte.
3) Sur le plan idéologique ,en U.R.S.S. on assimilait le «non-conforme» à l’idéologie du Parti ( et même si celle-ci avait dérivé par rapport à la visée de Révolution Prolétarienne, et s’était nourrie d’ambitions autres)…. à une dissidence, ne pouvant se réclamer du Marxisme, et ses tenants à des «ennemis». Ouverture à amorcer, ce qui est lancé dès peu après 1987… Mais, «de l’intérieur», les gens ont mis bien du temps à comprendre ces enjeux. Cela a provoqué des résistances mais aussi des mouvements irrépressibles dans l’ensemble de la société et des métiers. …. Redécouverte aussi d’un monde de la Pensée : des sciences humaines et de la philosophie occidentales. Reparut ion aussi des textes de philosophes et d’auteurs russes, d’une richesse énorme, interdits et restituant au peuple russe sa richesse spirituelle propre.
Tout cela c’est le Bilan positif le plus indéniable, même si pas «idéal» de cette «période de transition» ou la transformation – déjà en 90-91 – était évidente, malgré tout, mais ne représentait qu’un début…..
Si cela n’a pu être «mené à bien, s’il y a eu Echec et Eclatement de l’U.R.S.S., si le «pas réussi» l’a emporté, c’est dû à 2 grands problèmes:
1. Echec du Pouvoir: N’avoir pas su transformer l’Union Soviétique en une fédération de républiques ou d’Etats, vraiment démocratique. L’Union avait le titre «d’Etat fédéral» mais c’était un Etat très unitaire et centralisé ( l’affirmation dans la Constitution de 77 de la souveraineté de chaque état n’était qu’une formule ) . De plus, cette réforme a été commencée dans un très fort courant d’affirmation d’identité des différents peuples, et même des identités nationales, revendiquant souveraineté, et même indépendance. Cela n’a été que commencé. Les conflits finaux, les coups d’Etat se sont joués la-dessus cf. le coup d’Etat d’ août 91 : 48h avant la signature d’un accord, conclu après des difficultés énormes. Nouveau traité, prévu pour le 21 août, d’Union nouvelle; le coup a eu lieu après. Et version inverse – mais identique – en décembre 91 : Eltsine, le Président de la Biélorussie et celui de l’Ukraine décrétaient la fin de l’U.R.S.S. Et c’était alors l’inverse d’un nouveau Traité d’Union : c’est l’éclatement qui a été ratifié.
2. Sur le plan économique l’incapacité du pouvoir à augmenter, ou même à préserver le niveau et les conditions de vie des citoyens. Le prix des réformes entreprises a alors, et c’est normal, paru trop dramatique, insupportable. La popularité du pouvoir est très vite devenue catastrophique. Résistance forte, quelles raisons à ces 2 suites négatives? Des raisons inévitables:
Ÿ Héritage du passé très lourd – difficulté de sortir du système, mais aussi d’en faire sortir les gens, dont la pensée même s’est formée dans un système rigide et s’adapte avec réticence à la promotion de l’initiative, de l’échange, du débat.
Ÿ Luttes politiques internes, résistance des forces liées au système et à ses privilèges, cela dès le début.
La grande qualité de Gorbatchev a été longtemps de «rebondir en avant», de dépasser – dans d’autres directions – les lignes de réforme prévues, en cas de difficulté. Il y a eu changement d’univers, possibilité, enfin, d’apparition de désaccords en public, chose impensable auparavant.
Ajoutons les erreurs commises : Gorbatchev l’avoue – comme étant sous sa responsabilité – et tire dans le sens des leçons pour l’avenir. Ex: Au début – le plus «folklo» peut-être – la loi contre l’alcoolisme, très naïve dans son principe, et impopulaire. Cela restait dans l’esprit d’une conception autoritaire du système critiqué. Or on ne peut changer ainsi d’un seul coup. (Gorbatchev fut surnommé le «secrétaire minéral» ) . Tout cela entraîna des dégâts:
Le plus grave: Les réformes en profondeur ont été engagées avec retard. Quant à la question nationale (U.R.S.S. – fédération), le problème a été sous-estimé, ou alors, comme pour la transformation économique, cela aurait dû être envisagé plus tôt et plus vite. Y aurait-il eu craintes, peur de non-maîtrise du mouvement à amorcer?
L’échec a été consommé là, sur le problème national, avec le Putsch d’août 91 et le coup d’Etat de décembre. La situation est devenue, alors, très différente !
Je vais me centrer sur la Russie, à partir de cet éclatement……
1. Une certaine forme de continuité demeure ( le passage au «Marché» ) mais sur les méthodes politiques, globalement, c’est tout à fait différent. Car la politique est basée sur l’idée d’une Russie Seule, «libérée», «débarrassée» des autres pays. Mais c’est une idée fausse qu’elle peut s’en sortir seule ! : En fait 40% de la chute de la production actuelle est due à la rupture des liens avec les autres pays. ( Heureusement, la «Confédération», même avec peu de consistance, a quand même été un lieu de concertation, de sagesse, de négociation avec certains pays ). La Perestroïka visait, elle, le maintien de la cohésion d’un espace économique, culturel, juridique même, commun.
Les réformes de la Perestroïka étaient prévues graduelles. Or comme il y eut rupture, … les effets en ont été violents dans la situation économique et sociale. La libération des prix + les privatisations, lancées trop vite mais sans réformes de structure ni perspectives de politique d’investissements industriels, et avec des principes relevant du libéralisme, type Fonds Monétaire International, ont entraîné des chutes successives de l’activité, de l’inflation, un Bilan mauvais et même dramatique, pendant quelques années. Ce dont la Presse occidentale s’est complue à faire l’écho.
Aujourd’hui, tout cela est plutôt en voie de stabilisation économique, malgré, c’est vrai, des problèmes considérables.
Ex: L’industrie militaire qui fonctionnait sur commande d’Etat a chuté à partir des accords de réduction des programmes stratégiques conventionnels et d’armement. Puis, après 92, l’Etat s’est avéré incapable de maintenir les forces restantes et même de passer commandes. Pendant longtemps ce problème n’a pas été pris en charge. Puis, par ex en 90-91, : Essai, ( déraisonnable ), de transformation de ces industries = pour la production de biens de consommation – voué à l’échec à cause de la distorsion entre les métiers traditionnels, les compétences, et ce qu’on voulait leur faire faire. De plus : Pas de débouchés des produits par des marchés organisés. Désordre…..
1. La ligne politique devenant plus structurée, l’appui sur un potentiel de ressources technologiques considérables, à double usage, civil et militaire, est possible. Mais cela reste hypothéqué par le manque de définition et de la politique de défense et d’une ligne de développement de la consommation. Rendre les choix effectifs , mais quels choix?
2. Tirer parti des ressources existantes. Le choix de restructurer la Défense Nationale est peu défini encore. Manque de moyens propres à l’Etat : Celui-ci vote un budget, 20% de ce qui est voté est effectivement dépensé ( politique de rigueur du F.M.I. ), salaires pas versés, entreprises travaillant peu, situation misérable de survie.
3. S’ajoute un manque de compréhension de ce que peuvent être besoins et fonctionnement politiques des entreprises. L’équilibre de la gestion chute . La somme des impôts dépasse les bénéfices de certaines entreprises. Une politique d’Etat seule peut redresser cela…..
4. Ces difficultés s’expliquent aussi par:
a. Manque de soutien suffisant des investisseurs de la part du gouvernement, d’ouverture à ceux qui même de l’étranger apportent des capitaux ( pas de couverture convenable de leurs risques, pas de législation fiscale correcte, stable et correspondant aux pratiques internationales… ) Cela freine tout. Diminution du potentiel industriel et de production.
b. Appauvrissement à caractère catastrophique. Revenus individuels 3 fois inférieurs en 96 à ce qu’ils étaient en 90-91 ( années noires déjà ). Le nombre de chômeurs est moindre que «chez nous», mais, selon le Bureau International du Travail : 8%. C’est un phénomène nouveau et il n’y a pas de couverture sociale, c’est donc tragique. De plus : Distorsions de revenus et de salaires entre les salariés, payés peu et avec retard, et faisant plusieurs métiers pour s’en sortir, et les «Nouveaux Riches», ceux qui gagnent l’argent «en dormant», par spéculations, trafics mafieux. La haine de la population à leur égard est très forte, travaille profondément la société et empêche une mobilisation du peuple pour l’avenir. Que d’anecdotes à ce sujet!!
c. Crise grave de la démocratie russe : Depuis 92, crise permanente entre le Parlement et le Pouvoir Exécutif. D’abord, le Président de la Russie Souveraine, celui élu en 90. Crise dure. Si c’était un Parlement relativement «conservateur», il représenterait mieux l’état de l’opinion publique que le Pouvoir Exécutif. Il faut en tenir compte dans la vie politique. En 93, cette crise a été résolue par la force : l’Armée a tiré sur le Parlement… puis, «à la va vite» nouvelles élections, pour faire adopter une Constitution majorant les pouvoirs du Président. Mais …. de nouveau, Parlement d’opposition, et , de nouveau, conflits, après l’élection de 95 ( Parlement très oppositionnel à l’Exécutif, et restant proche de l’Opinion Publique, de ce qu’elle attend )
A l’actif de la politique gouvernementale :
1. La chute de la production s’est ralentie, certains secteurs redémarrent et sont proches de l’équilibre de la croissance
2. Inflation, et taux de change de la monnaie, stabilisés. C’est aussi le fait de la société elle-même.
3. Véritable pluralisme des formes de propriété, et début d’initiative économique: 60 % du Produit National est produit par entreprises privées ou coopératives.
4. Le pluripartisme est devenu une réalité, le pluralisme idéologique plutôt, car ce sont des «protopartis» pour la plupart. Seul, Un des partis communistes ( celui de la fédération russe et celui de Irinovski ) est un «vrai» Parti. Les autres sont peu organisés. On a été jusqu’à 1200 partis déclarés ! 259 ont eu le droit de participer aux élections, 69 seulement ont désigné un candidat, 43 ont pu réellement se mettre sur les rangs (phénomène surtout moscovite ). Les élections par circonscriptions sont mieux situées mais une partie de l’élection du Parlement se fait aussi sur le Plan National avec liste de partis et cela ne clarifie rien pour les provinces ou républiques. Mais il y a une «vie politique» et une expression de celle-ci.
5. La société civile se crée. Beaucoup d’organisations nouvelles se mettent en place hors Parti enfin ( qui ne les «coiffe» plus ). Ex : Organisation des mères des soldats en Tchétchénie, qui a mené une action vigoureuse pour faire éclater la vérité sur ce qui s’y passait. Organisation de consommateurs, résultat d’une situation plus «libre» de la Société, où les initiatives émergent.
6. La psychologie commence à changer. Alors que la résignation était constante, car il n’y avait pas d’autre voie possible qu’appliquer les décisions, les Russes deviennent peu à peu de personnes, des citoyens, avec leur propre conscience, choisissant de s’adapter, d’agir ensemble, ou pas, pour que cela change; en tout cas ça leur est possible de l’envisager. Bien sûr, tout cela traduit une situation de crise, contradictoire : Une part importante de la population souhaiterait un retour au passé, et pas seulement ceux qui y avaient des privilèges, car la protection sociale était générale et c’est mis en cause .Le reste se partage entre une masse flottante et puis ceux décidés à aller de l’avant. Si la crise persiste, est-ce seulement d’origine politique ? ou, alors, plus profondément, cela toucherait à l’histoire particulière de la Russie. Je donne l’opinion de V.Z. ( la mienne aussi ) : La 2ème hypothèse: Les erreurs, OK, sont à rectifier, mais la Russie d’aujourd’hui est un pays absolument nouveau par rapport à son histoire antérieure, avec des frontières qui n’ont jamais été les siennes, lesquelles n’existaient ni physiquement ni géographiquement, avec, pour la première fois, la perte de l’accès à la Mer Noire, avec, enfin, 25 Millions de compatriotes russes vivant dans les pays voisins dont ils sont citoyens! que de difficultés
7. La Russie ne s’est pas encore identifiée comme un Etat nouveau .
8. Il n’y a aucune tradition ( mémoire donnant forme à la capacité d’action ) de l’économie de marché en Russie, . Avant 1917, il n’y avait que des embryons de marchés, et 70 ans ont passé! Le «modèle imposé» du F.M.I. a été «pris en bloc» défauts compris. D’autres modèles correspondant mieux à la spécificité du pays, étudiés par des conseillers-experts occidentaux, plus adaptés auraient pu naître…. Le manque d’expérience propre de la démocratie renforce cette difficulté.
Conclusion: Mais….. où va la Russie ?
Elle ne peut revenir en arrière…. C’est une question qui reste ouverte, les événements sont difficiles à prévoir même à court terme, même si on ne peut pas ne pas commencer à constater les transformations positives profondes et avérées, ainsi que ce qui «rapprochera» la Russie des autres pays du monde d’un niveau comparable. Les jeunes Russes de 20 ans seront davantage prêts à jouer le jeu que leurs aînés, même ceux de 30 ans qui ont été pris dans la situation ancienne. Il faudra au moins «une génération» pour que la pensée se libère en fonction de la situation nouvelle….
Intervention de Danièle CARRANCE
Invitation faite par J.L.M. à D.C. de «donner son sentiment» sur la Perestroïka, le Putsch, la période 91-96, l’avenir
Rappel insistant des liens d’AMITIE que tient surtout à promouvoir DROUJBA, et d’amitié par la culture et les échanges. Pas de formation politique particulière, mais :
Ÿ Une action personnelle depuis plus de 20 ans, déjà à «France-URSS» (qui a pu dire bien des choses « non-dites» à l’époque de la Perestroïka )
Ÿ De très nombreuses rencontres tous les jours en France et en Russie ( + pays voisins ) lors d’innombrables voyages.
D.C. Si Zagladine a été un conseiller de Gorbatchev apprécié au début de la Perestroïka, même déjà en 90-91, et surtout depuis, il ne l’est plus du tout. Quel intérêt à se fier à son témoignage?
Les années 91-92, au moment du Putsch, ont été pour les Russes des années très dures et noires, sans argent, avec des «queues» interminables, des ventes de cigarettes etc… sur le trottoir ( débrouillardise ), puis début 92, perte complète de l’épargne individuelle: Et les Russes ont gardé le sourire ( inertie? ) . En 93 Eltsine se servait de la force pour éliminer le Parlement, les députés lisant tout haut les poètes russes, en attendant qu’on «leur tire dessus». Ce Parlement était-il vraiment démocratique ?
La partie négative du bilan de J.L.M. me parait être «en écho» des média occidentaux. La vision donnée est pire que celle donnée du temps de l’ex-URSS. Or on ne peut nier que «les façons de s’en tirer» sont diverses et inventives. Des questions ? oui: Est-ce que le Parlement actuel représente mieux l’opinion publique que l’exécutif ? Pourquoi y a-t-il eu ce vote massif pour Eltsine, alors ?
O.K. pour la partie positive du bilan. Mais que dire de la privatisation? des Sovkhozes, des Kolkhozes ? Cela reste moins net que dans l’industrie ( 60 % du Produit National ) .
Pour notre association, la Perestroïka en 87-88 a représenté les certificats d’hébergement enfin possibles, des échanges multipliés, l’effervescence, l’ivresse des publications multipliées elles aussi, ceci pendant 3-4 ans. Si, après 90, restait toujours l’envie de lire la littérature russe, ( plutôt que la presse rabâcheuse ) , celle-ci n’apportait pas grand chose face à l’actualité….
La période «révolutionnaire» a été fascinante à regarder : les modes de réaction des nouveaux Russes, les fringales d’achats d’oeuvres d’art à St Petersbourg comme à Moscou. Même s’il y a, depuis, des déceptions la Russie ( les Russes, très riches, eux ) va de l’avant. Ils ont l’impression de «s’en tirer» mieux seuls. Est-ce une idée fausse ? Les Bielorusses se sentent «orphelins» et agressifs envers les Russes.
Mon souhait : Voir naître un pays nouveau
Ouverture du DEBAT :
Libre circulation de la parole
Reprise par J.L.M.: Précision sur l’émergence de la société civile
Sur le plan syndical, à l’Est comme à l’Ouest, on a pensé qu’il y avait en Russie une place pour des syndicats sur une base nouvelle… or non. D’abord, les syndicats, en URSS, étaient plus institutionnels, intégrés qu’en Europe ( Trio d’hommes, souvent : 1 Responsable du Parti + 1 de l’entreprise + 1 du syndicat ) Ils avaient, avant tout, une fonction sociale : Gestion de ressources et de biens sociaux, du type «maison de vacances pour employés». Cette continuité est assurée, même si ce n’est plus pour le compte de l’Etat. Ils tiennent un rôle de mise en valeur économique, à but collectif. Les cotisations, naguère obligatoires, sont moins bien collectées. Si il y a une nouvelle appellation – «Fédération des Syndicats Indépendants de Russie» – …., rien d’autre n’est né ! Il s’agit toujours d’assurer des services aux salariés tout en réalisant des affaires de caractère «économique» avec les biens dont ils ont hérité…. Leur importance est plus grande qu’on ne le dit. Donc les structures ont subsisté ( avec démocratie intérieure ? ), la mise en place d’institutions nouvelles du travail ( où les travailleurs sont associés ) est variable selon les régions ( à Samara par ex, grande région industrielle, qu’en est-il ? ). La situation est donc très diverse mais ne semble pas pervertie, ni mafieuse, elle.
Intervention de Joannès , à l’adresse de J.L.M.
Vous citez, dans le positif, «le retour à l’économie de marché», c’est plutôt du Capitalisme qu’il faut parler: les recettes appliquées sont sorties des poubelles du F.M.I.. Ici aussi on y goûte, dans le tiers monde on en meurt…. Combien de misère et d’injustice le monde peut-il supporter ? Le F.M.I. a une réponse prête pour tous les cas de figure. Mes questions : Voilà un pays disposant d’extraordinaires ressources naturelles, qu’en feront-ils ? Pour les retombées de qui? . Peut-on dire, par le rapport à la justice, que la société russe est «bien partie» ?
Un pays industrialisé va-t-il se développer dans une société juste ?
Questions d’une participante
I. Le Putsch n’a-t-il pas été davantage une «Révolution de palais»? – et c’est à Eltsine que ça aurait profité – que s’est-il passé en arrière en fait ?
II. Qu’en est-il maintenant des putschistes, des KGBistes, de la Nomenklatura ?
III.Que sont devenus aussi, «ceux qui pensaient différemment», qui avaient une vision nouvelle, d’une démocratie renouvelée ? Tout cela, entre 89-91, puis avec le retour en 93 d’un Eltsine populaire, puis la déception ….
IV.Qu’en est-il de la vie intellectuelle et artistique ? A Moscou est-elle restée très intense ?
Réponses de J.L.M.
Se référer à Zagladine, même si Gorbatchev est vomi maintenant, pourquoi pas ? En quoi cela enlèverait-il de l’importance à ce qu’il a fait lorsque le pays s’enfonçait, en particulier sous le poids militaire ? La Perestroïka a été une tentative réelle dont, avec le recul du temps, on saura qu’elle a représenté une conviction vraie, un éveil critique aussi
Ÿ Il me semble que le vote pour Eltsine, faisant suite à celui pour un Parlement d’opposition, a représenté un moment d’interrogation. On ne peut nier que l’élection de parlementaires représente la sensibilité des électeurs. Mais l’élection d’Eltsine signifiait non le choix enthousiaste de l’homme mais celui «d’aller de l’avant», sans retour en arrière possible.
Ÿ J’ai passé ma vie à lutter contre le Capitalisme, je n’en suis pas un chantre, mais quelle est la «solution de rechange» actuellement, pour la Russie et la C E I ( Communauté d’Etats Indépendants ) ? Ce serait malhonnête de dresser un bilan trop noir, comme le font, avec complaisance, les leaders d’opinion en Occident. Est-ce une vengeance à l’égard du poids passé de l’URSS ? Cela m’épouvante. «La grande tentative, de mettre la communauté des hommes en mouvement, vers plus de justice et non par l’intérêt» a été un échec historique. Elle aura duré 70 ans. «On» n’a pas réussi…. Alors ? Et dans le cadre d’un tel échec, quelle place pour que les hommes reprennent leur destin en main ? Les Russes ont un niveau d’éducation élevé, des compétences introuvables ailleurs : c’est la richesse humaine exceptionnelle de ce pays. Ces qualifications sont reconnues, originales Pour que cette richesse se mette en valeur, il faut qu’ elle se mette elle-même en mouvement, maintenant que la société n’est plus bloquée. Les forces se lèveront après les errances et les injustices inévitables au départ, même si énormes !
Ÿ Quant à la conscription, elle fonctionne très mal : Arbitraire, injustice, brutalité ( cf.Tchétchénie ). S’ajoute le problème de l’armée de métier, encore trop nombreuse, sans crédits suffisants même pour lessoldes, et les difficultés de conversion à la vie civile.
Ÿ Le Putsch : A-t-il été une «Révolution de Palais» ? Oui . Mais qu’en sait-on ? Gorbatchev y a-t-il trempé ? Je ne dirai pas tout ce que je pense à ce sujet.( Eltsine, en tout cas, en a bien profité ) Des choses complexes se sont jouées pendant ces trois jours ….
Ÿ Les KGBistes ? Corruption et «mafia» dans l’Ancien Régime surtout sous Brejnev où tout croulait, et sans aucune cohésion interne… On «fermait les yeux»..
Ÿ Nous sommes en Russie actuellement à la «phase d’accumulation capitaliste primitive», période peu maîtrisable.
Ÿ Irinovski ? Il commence à «redescendre», il s’use . Influence idéologique des idées nationalistes «pan-russes». Par ailleurs, hélas, il est évident que l’antisémitisme en Russie est important, profond ….
( films, livres, plaisanteries ) Ces relents, d’origine ancienne, y sont manifestes, même chez « des gens bien».
Ÿ La vie intellectuelle et artistique est riche. ( J’ai rencontré un couple de cinéastes, elle chercheur, lui réalisateur, passionnés et passionnants, logeant dans l’ancien appartement de Lili Brick, plein de reliques d’Aragon, Maiakovsky ). La liberté retrouvée, c’est extraordinaire ! Un ferment pour la société future…. Et pourtant, même à l’époque de la censure violente, les conditions de travail cinématographiques étaient «extra» : que de films merveilleux, peu diffusés en URSS mais produits même si très critiques ! Ces systèmes étatiques se sont hélas effondrés. Et il n’y a pas de grande «cause mobilisatrice» actuellement à la création…. ou alors c’est «caché» ? En phase de troubles, la création «se cherche».
Ÿ D.C. Limoges même a eu récemment et pendant trois ans un «Festival du Cinéma Russe» annuel, avec invitation de réalisateurs. Hélas, il n’existe plus. En Russie la création continue avec des réalisateurs, peu de salles, quelques ciné-clubs. Et la T V ?
Témoignage d’un chercheur du CNRS , Russe, récemment arrivé à Limoges, venu «par le hasard» d’une affiche à la Fac:
105 personnes ici, et par mauvais temps !… Où va la Russie ? Je suis pessimiste. Elle ne va nulle part, elle coule, plus profond toujours comme le Titanic !
Agitation, puis pessimisme, dépression, voyez la fable des «cages du zoo ouvertes» : Sur le trottoir, les zèbres, les girafes ne trouvent rien à manger, mais les loups, les tigres, les panthères : oui et beaucoup….
Après le Putsch, l’URSS divisée, déconstruite, les circulations économiques supprimées, la crise majeure. Et puis alors : Marché libre ? frontières libres ! Articles occidentaux se déversant en Russie comme les chutes du Niagara ? Comment notre économie, de textile par ex, peut-elle «produire» ? Tout vient de Finlande d’Allemagne, même ….les clous !
Notre pays va dans le sens de notre économie. Celle-ci ne bouge pas elle tombe. Les richesses matérielles et le grand Marché, voilà l’essentiel. On est loin de l’enthousiasme démocratique d’il y a 5 ans. Ce n’est plus «La liberté ou la mort», mais «1: vivant, 2 : libre». Ce n’est plus la poésie, mais la crise de la vie, la banalisation du mal ( c’est ça la catastrophe la plus grande de la Russie ). Cf. l’article de Soljenitsyne dans «Le Monde» en Novembre 96, titré «La pré-agonie de la Russie». Quel est l’état qui peut venir après celui-là?
Autre intervention
L’optimisme de «la tribune» en contrepoint ? quid d’un Gorbatchev déconsidéré, d’un Eltsine réélu triomphalement alors même qu’on sait que c’est un pochard ? Est-ce là le progrès de la démocratie ? J’aimerais un point de vue critique et sur Gorbatchev et sur Eltsine. Il me semble que les intervenants ont édulcoré, de toute façon, les points de vue négatifs. La question elle-même, de se poser, dit bien qu’on ne sait où elle va. Est-ce une question que l’on pose pour la Californie, l’Allemagne, la France, les U S A , l’Europe elle-même ?
J M Chalifour
La Russie, comme le phénix, renaîtra-t-elle ? Quel interlocuteur, sur le plan diplomatique maintenant face aux USA ? ( et aux décisions de guerre dépendant d’un arbitre cf. Yougoslavie, Iran, Irak ) il n’existe plus. Qu’en est-il de ce qu’était l’ex-URSS derrière son leader, la Russie ? et autour d’elle ?
Cl Gobeau
Qu’en est-il de Lebed ? Comment est-il perçu ? lui qui se dit l’admirateur de Bonaparte et de Pinochet? Quel poids ? Représente-t-il le complexe militaro-industiel ?
Dans cet immense pays, y a-t-il, au moins, des «poches» de prospérité ? Et l’extrême-orient sibérien ? Et les mineurs ? Comment s’extrait-on de ce qui a été, et si longtemps, une CENTRALISATION et à l’ECHELLE d’un CONTINENT ? ( avec un maillage de moyens de transport défaillant )
Quels sont les axes qui se mettent en place ? ( cf. un Courrier International récent ) : Moscou -Téhéran – Damas, Russie – Iran – Syrie ? contre Turquie – Israël ? Et l’Irak ? Et l’Azerbaïdjan – Caspienne ? Par où passeront les pipe-lines ? Vers le sud de la Russie : Amorce d’une conflagration mondiale !
J L M Que de questions ! Au moins 1 ou 2 réponses…..
L’impopularité de Gorbatchev a été injuste, il a été à l’initiative d’un processus. or : 20% de voix aux dernières élections….. Sa dernière campagne restait intéressante, ses idées ont pu encore être exposées. Mais à l’avenir: Eltsine ? Il se présentait au moins pour la démocratie, contre les putschistes ? N’est plus populaire… et a été réélu ! La presse russe parle aussi de cela…. Lebed ? Sa popularité croît il n’a, au moins, pas trempé dans les histoires d’argent. Mais est-il autoritaire ? directorial ? Il a été secrétaire du Conseil de Sécurité, il a du punch, a eu le courage d’arrêter la guerre en Tchétchénie. Vers quoi basculera-t-il ? Je ne sais.
D.C. Au nom de quoi «donner des leçons» au peuple russe ? Accepterait-on en France, la réciproque ( sur la montée de Le Pen, etc… )
Et encore : Faisons-nous petits. 25 Millions de morts russes «pour nous» lors de la guerre, or sommes-nous le nombril du monde ? Mon souhait : que la Russie retrouve une vraie fédération, redevienne un grand pays. C’est indispensable à la paix du monde etc…
Lebed ? apprécié dès il y a 2 ans
La jeune génération a à trouver une nouvelle forme de société, mais pourquoi ne pas être plus optimiste que pour la France avec ses 3,5 Millions de chômeurs, et sa jeunesse déboussolée…? En Russie la jeunesse travaille ou cherche. Peu de chômage, beaucoup de «débrouillardise» et de «solidarité» . Est-ce du délire que d’imaginer qu’il puisse y naître une société nouvelle ?
J.L.M. Je n’ai pas de prétention à répondre à toutes ces questions soulevées. Je me garde, même, de donner des éléments d’information qui ont une signification en eux-mêmes, mais trop locale souvent…. que la question reste POSEE ! Tant de choses diverses et complexes restent à l’oeuvre ( malgré les mainmises évidentes japano-coréennes….)
Et je pourrai, pour chaque question effleurée, dire aussi: «je n’en sais fichtre rien !» a fortiori pour les questions internationales, l’apparition des configurations territoriales ? Hypothèses , esquisses, Rien n’est figé. La diplomatie russe est très pro . Mais l’ensemble du pays et de la politique n’est pas fixe …Et les lieux de conflagration sont multiples sur le globe.
Merci à vous tous, si nombreux et à nos amis russes, A bientôt ?
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