Nous vous présentons le compte-rendu de la partie exposé de la soirée du 2 décembre, avec Jean-Pierre Berlan (environ 150 personnes), coorganisée avec la Confédération paysanne. Le débat sera publié dans le prochain numéro de la Lettre.
Je voudrais remercier l’O. M. C sous l’égide de laquelle se déroule cette conférence, puisque vous savez qu’aujourd’hui ces braves gens ont discuté des O.G.M[1] et qu’ils ont dû discuter aussi des ADPIC[2]. Ces gens-là s’occupent de nous de très près. Nous allons nous occuper de nous-même ce soir, essayer d’expliquer ce en quoi consistent les O. G. M, cette agriculture transgénique que l’on nous présente comme la seule solution pour nourrir l’humanité en respectant l’environnement. C’est ce qu’on appelle la propagande du complexe génético-industriel.
On est face à un appareil de propagande qui va avoir tendance à minimiser les risques et à surestimer les avantages à long terme.
Pour comprendre ce dont il s’agit il ne faut évidemment pas se tourner vers l’avenir. Les plus honnêtes diront que les nouvelles technologies présentent des risques mais que les avantages sont tellement considérables que ca vaut le coup de courir ces risques. Souvent, l’exemple que l’on donne, c’est au 19ème siècle le début du chemin de fer : on croyait que la trop grande vitesse des trains se traduirait par des troubles mentaux très graves chez les gens et comme ça ne s’est pas produit, les craintes que nous avons à propos des O.G.M sont des craintes irrationnelles et émotionnelles. C’est un discours réactionnaire voulant faire passer pour irrationnels ceux qui résistent aux pseudo progrès techniques proposés par notre société. Nous allons plutôt nous retourner vers le passé et essayer de comprendre les O.G.M et leurs buts ainsi que l’agriculture transgénique non pas comme un futur extraordinaire mais plutôt comme le résultat d’un processus historique. Les O. G. M et l’agriculture transgénique ne sont qu’une mystification apparue vers le milieu du 19ème siècle, dès que l’hérédité est apparue comme un enjeu d’importance économique. A propos des risques : il y a déjà eu des morts avec les produits transgéniques : c’est l’affaire du tryptophane-L qu’une entreprise japonaise s’est mise à produire dans les années 80 par recombinaison génétique. Ils ont utilisé une bactérie, un bacille. Ils lui ont injecté des gènes permettant de produire cet acide aminé, le tryptophane-L, utilisé en médecine naturelle parce que c’est un précurseur de la sérotonine, une hormone favorisant l’endormissement. Le tryptophane était utilisé depuis longtemps. Cette firme s’est mis dans le crâne de le produire par recombinaison génétique. En même temps qu’elle changeait de mode de production, elle a supprimé deux étapes de filtration. Ce produit a été mis sur le marché américain en 1989, et en 1990 on a constaté l’apparition d’une nouvelle maladie, appelée syndrome de la myalgie éosinophile, qui se traduit par des troubles mentaux, neurologiques graves, en particulier des problèmes cutanés, des maladies auto-immunes. Cette maladie a provoqué des morts, 37 officiellement, on a arrêté de les compter officiellement en 1991. Et 400 personnes ont été invalidées gravement, certaines paralysées à vie par ce tryptophane-L. Les autorités américaines ont cherché dès l’apparition de cette maladie quelle pouvait en être la cause. Elles ont fini par l’identifier. Cette identification a été retardée car la firme japonaise n’avait pas signalé qu’elle avait modifié son processus de fabrication. Toujours est-il que l’entreprise responsable a aidé à payer deux milliards de dollars d’indemnités aux personnes qui avaient été invalidées. D’autre part la firme japonaise a toujours refusé de collaborer avec les autorités sanitaires américaines et le laboratoire où étaient stockées les bactéries recombinantes a opportunément pris feu. On ne saura jamais le fin fond de l’affaire. Cet épisode montre qu’il y a déjà des risques, et il existe d’autres cas où des problèmes ont été évités de justesse. Tous ces projets de recherche à but transgénique présentent des risques et ne servent pas à grand chose, et même à rien. Pourquoi courir des risques si ca ne sert à rien ? Mais si on reste sur ce problème de Risque/ Bénéfice on est face à un appareil de propagande qui va avoir tendance à minimiser les risques et à surestimer les avantages à long terme. Ils disent : on va faire des maïs qui vont pousser dans les zones arides. Un jour lors d’une conférence quelqu’un est revenu à deux reprises sur cette possibilité de faire des maïs poussant dans des zones arides. J’ai répondu : « un maïs poussant dans des zones arides s’appelle un cactus »… Il y a beaucoup à dire sur les illusions qui entourent ce genre de promesses qui ont tendance à se multiplier depuis une dizaine ou une quinzaine d’années. On veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes. On va se tourner vers le passé après vous avoir lu un article du mois d’octobre paru dans le Gardian Weekly et qui s’intitule « Comment l’attitude de Monsanto a été changée ». Vous savez que cette firme est la plus grande entreprise de biotechnologie, elle représente environ 80% des Organismes Génétiquement Modifiés vendus dans le monde. En sous titre de cet article : « un homme a convaincu le géant américain que nos gènes Terminator étaient une technologie devenue folle ». Le gène Terminator, permet de fabriquer des plantes sur lesquelles vous allez récolter un grain stérile. L’homme qui a convaincu Monsanto, c’est le Président de la Fondation Rockfeller, ce qui pose un problème : pourquoi la fondation Rockfeller est-elle en train de s’occuper de questions qui concernent des intérêts privés ? Cet article du Guardian, qui est pourtant un journal de centre gauche, est typiquement destiné à désinformer et à mystifier la réalité. Nous allons voir à l’instant que Terminator n’est pas une technologie devenue folle, mais que c’est le plus grand triomphe de la biologie. C’est enfin la réalisation dans le vivant du projet d’économie politique de notre société. Et là il s’agit de mystifier la réalité en vous disant que c’est une technologie devenue folle. Non, l’hérédité est devenue en elle-même un enjeu économique.
Pour comprendre il faut partir d’un principe économique dont jamais personne n’a remis en cause l’universelle validité et qui devrait me valoir personnellement un prix d’économie prochainement, à savoir qu’on ne peut vendre à quiconque ce qu’il produit ou ce dont il dispose déjà à satiété. Ca veut dire qu’un semencier ne peut pas vendre de « semences » – et on verra pourquoi le terme semences est entre guillemets – tant que le paysan récolte un grain qui est aussi la semence de l’année suivante. Là, ca commence à être embêtant… Ca veut dire qu’un semencier n’a pas de marché tant que le grain que récolte le paysan est aussi la semence de l’année suivante. Ca veut dire que l’objectif du semencier, la condition sine qua none de son existence, c’est d’interdire au paysan de mettre le grain de côté. Et vous voyez pourquoi Terminator est le point d’aboutissement, le plus grand triomphe de la biologie moderne. En effet Terminator réalise cet objectif : le but du semencier est de faire des plantes et des animaux qui sont stériles. Autrement dit, il y a une incompatibilité entre l’économie politique de notre société qui veut que le capital investisse, se reproduise et se multiplie et le vivant. Pour que le capital puisse se reproduire et se multiplier, il faut que le vivant ne puisse pas le faire. En d’autres termes on va vers l’économie politique. Tant que les plantes et les animaux se reproduisent dans le champ du paysan, bien sûr le capital investi ne peut ni se reproduire ni encore moins se multiplier sur le bilan du sélectionneur. Nous vivons dans une société qui est mortifère à l’égard du vivant puisque l’objectif de cette société est de confisquer le vivant ; pour confisquer le vivant il faut le rendre stérile et là il y a aussi un autre aspect des choses, c’est le renversement sémantique (constant dans notre société) ainsi que le renversement de la réalité, c’est à dire que les entreprises, dont l’objectif est de faire un bilan, s’appellent des entreprises de sciences de la vie. Maintenant il faut pousser l’analyse et comprendre le terme « semences » parce que ce terme est une véritable mystification. Il suffit d’ouvrir n’importe quel bouquin sur l’amélioration des plantes, pour comprendre que le plus grand triomphe de la biologie moderne a été de réduire le vivant à l’unidimension d’une information – au sens de qui donne forme – d’un programme, d’un logiciel génétique. Nous allons prendre au sérieux cette métaphore. Sélectionner, c’est créer un nouveau logiciel et produire, en agriculture, c’est reproduire et multiplier ce logiciel, c’est à dire le copier! Un logiciel que tout le monde peut copier n’a aucune valeur au sens de l’économie politique, c’est à dire qu’il n’est pas source de profit. Ce qui intéresse ces gens là, c’est au fond de bricoler la double hélice[3] de telle façon qu’elle ne puisse pas se répliquer.
Nous vivons dans une société qui est mortifère à l’égard du vivant puisque l’objectif de cette société est de confisquer le vivant.
Lorsque l’agriculteur achète des variétés hybrides, (variétés qu’il ne peut pas reproduire), il n’achète non pas des semences mais un logiciel. Ce logiciel lui coûte la peau des fesses. Alors l’objectif, c’est de faire des logiciels que l’on ne peut pas reproduire, c’est à dire des logiciels du vivant, des plantes et des animaux qui sont en quelque sorte stériles. Comment atteindre cet objectif? Il y a deux méthodes qui sont envisagées au 19ème siècle.
La voie légale : interdire à l’agriculteur de semer les grains récoltés pour faire en sorte que seul le sélectionneur ou le semencier puisse vendre des semences. C’est une forme de stérilisation légale. Pour des raisons politiques évidentes, cette stérilisation légale est impossible. Lorsque les semenciers s’adressent aux juristes au 19ème siècle pour leur dire « faites-nous un brevet là dessus » les juristes leur disent » mais vous pensez bien qu’on va pas se lancer sur ce terrain là ! ». Les juristes ont trouvé un prétexte juridique pour dire ce n’est pas possible. Pourquoi ? Parce que les paysans étaient très nombreux, les entreprises de semences étant toutes petites, et le vivant étant sacré. A partir de 1892-1893, très précisément lorsqu’on a fait la première manipulation génétique, le vivant perd tout caractère sacré puisque manipulable, à des fins de profit, et l’agriculture et les paysanneries sont en voie de disparition. Cette disparition ne fait que s’accélérer au cours du temps et maintenant les firmes agrochimiques ont pris le contrôle du marché des semences. En effet quand on parle de semencier, d’agriculture transgénique, d’agriculture à OGM, on parle de cinq firmes, pour l’instant, Monsanto, Pioneer-Vuitton, Avantis-Rhône-Poulenc-Agrevo et Hoetsch et Astra-Zenetton et Novartis. Ces cinq firmes dominent le marché des semences mondiales. Qui veut confier sa nourriture, son alimentation et l’agriculture à cinq firmes? Le problème, est politique. Il était politiquement exclu de privatiser le vivant et de la même façon le fait que les animaux et les plantes se reproduisent et se multiplient, c’est le plus grand malheur qui puisse lui arriver, que l’agriculteur, c’est son ennemi, parce que pour lui c’est un pirate, que se nourrir est un acte de recel. Il faut mystifier la réalité, parce qu’elle est trop gênante ; quand il s’agit de confisquer un bien commun de l’humanité, il faut le confisquer sans que personne ne s’en aperçoive.
De la même façon la voie biologique se heurte au même problème. Puisque la voie légale était exclue, la seule solution c’était la voie biologique. Elle est mise en œuvre dès la deuxième moitié du 19ème siècle lorsque les premiers sélectionneurs professionnels fabriquent des variétés se détériorant dans le champ du paysan. Ce qui est assez drôle dans l’affaire, c’est la technique mise en œuvre à ce moment là une technique dite de sélection continue et est tout à fait conforme au point de vue scientifique. A l’époque, conforme aux principes darwiniens. Vous savez que pour Darwin quand la pression sélective cesse, les plantes ou les animaux ont tendance à revenir à une forme d’état naturel. Vous voyez comment on peut utiliser la meilleure science de cette époque-là le darwinisme pour justifier, en réalité, cette technique selon laquelle il faut sélectionner continuellement les plantes car si on arrête la sélection il y a détérioration dans le champ du paysan. Ce qui est intéressant de savoir c’est qu’en 1892 on va redécouvrir que tout cela était faux. Au début du siècle, on pratique une méthode de sélection dite par isolement, c’est à dire que l’on sélectionne une fois pour toutes et que les plantes conservent leurs caractéristiques. A partir de 1860 il faut sélectionner de façon continue, mais on va s’apercevoir que ca c’est complètement bidon, expérimentalement à partir de 1892 et théoriquement à partir de 1903.
La science intervient en tant qu’instance de mystification, pour quelles raisons ? On ne sait pratiquement rien, les connaissances que l’on a sont extrêmement fragiles. Par conséquent on peut avancer n’importe quelle théorie conforme à ses intérêts sans risquer d’être détrompés. La science se caractérise par le fait qu’on ne sait pas. C’est absurde de demander à des scientifiques de se prononcer alors qu’ils ne savent pas. L’exemple le plus parfait de cette situation c’est l’exemple du prion et de la vache folle ; personne n’en sait rien et si vraiment ce sont des protéines qui s’autorépliquent qui sont responsables du prion, on mettra quarante ou cinquante ans pour débrouiller ce problème là. La seule chose à faire c’est en effet d’empêcher au maximum les risques, c’est le principe de précaution qui s’impose avec une très grande force. On est dans le cas d’une situation d’une activité scientifique où, sur le plan de la biologie, les biologistes de l’hérédité vont être confrontés à une situation parfaitement schizophrénique c’est à dire en réalité confisquer le vivant en se donnant l’impression qu’ils font tout autre chose. C’est à dire en mystifiant la réalité. Par contre les sélectionneurs qui veulent faire de l’argent s’aperçoivent dès la première minute qu’ils ne peuvent pas vendre de semences tant que le grain que récolte l’agriculteur est aussi la semence de l’année suivante. Ce qui est stupéfiant dans notre société c’est qu’il ne semble pas que l’on ait réfléchi à cette dimension là dans le domaine de la science et qu’au contraire les scientifiques se sont soigneusement abstenus de réfléchir à cette contradiction. Simplement pour vous montrer que les sélectionneurs ont parfaitement conscience de cela et que parfois ils l’écrivent. Voici un texte provenant de l’American goodyears magazine, c’est à dire la revue des sélectionneurs américains. Ce texte qui date de 1910 présente les grands sélectionneurs, non seulement américains, mais aussi anglais ou français comme Vilmorin. Et là c’est un texte qui présente Ephraïm Buhl qui avait créé une variété de raisin qui s’appelle Concorde dont nous dit ce texte « Concorde est cultivée dans des milliers de vignobles partout où la vigne pousse, le travail de ce Monsieur, Ephraïm Buhl, a aujourd’hui autant de valeur que le jour où il a offert au monde sa première vigne-mère qui prospère jusqu’à ce jour Concorde, Masasuchetts a multiplié sa puissance des millions de fois sans perdre un iota de ses nombreuses qualités qui en ont fait la valeur. Ephraïm Buhl est mort dans la pauvreté à l’âge de 89 ans et les passants peuvent lire sur sa pierre tombale toute simple l’épitaphe suivante : « Il sema, d’autres récoltèrent ». Donc Novartis, Monsanto, Rhône-Poulenc etc. vont tout faire pour que ce qu’ils essayent de semer ils le récoltent au centuple. Nous somment entrés, maintenant nous dit-on dans l’ère «biotech» Elle se caractérise par le fait qu’il existe toute une gamme de méthodes qui permettent d’obtenir ce résultat brillant. Le brevet, c’est ce qui est en train de se discuter à Seattle et la commission européenne avec la directive 9844. Il y a deux formes mineures de stérilité La stérilité réglementaire c’est lorsque la commission européenne exige que les agriculteurs qui veulent produire du blé dur achètent les semences certifiées. On ne peut produire du blé dur que si on achète des semences commerciales. Ca a fait un tollé. La commission est revenue en arrière, « vous n’avez qu’a mélanger une part de semences commerciales avec une part de semences de ferme ». Ou les semences commerciales servent à quelque chose et il faut en imposer l’usage, ou bien elles ne servent à rien et vous laisser les agriculteurs libres de faire ce qu’ils ont envie de faire. Derrière ça c’est toujours la même idée, c’est faire un cadeau, créer un marché pour les entreprises multinationales qui veulent entrer dans ce secteur. Et si vous n’y prenez pas garde vous verrez que la commission européenne vous demandera de mélanger une part de yaourt commercial avec deux parts de yaourt maison quand vous voudrez préparer vos yaourts à la maison. Alors nous allons étudier les différents modèles de stérilité. Tout d’abord les hybrides, ce sont des plantes qui ont cette particularité, quand l’agriculteur sème le grain qu’il a récolté, le rendement s’effondre, il faut racheter des semences chaque année, comme par hasard. Pour traiter cette question là, 3 points :
– la technique de l’isolement,
– les hybrides sont ils vraiment hybrides ?
– que sont ils vraiment ?
Quelles en sont les conséquences?
« Il sema, d’autres récoltèrent »
La technique de l’isolement est inventée au début du 19ème siècle par des gentilshommes agriculteurs anglais. Ces gens là constatent que leurs céréales, le blé, l’orge, l’avoine « breed true » se reproduisent à l’identique d’une génération à la suivante pour peu que l’on ait démarré à partir d’un seul grain ou d’un seul épi. Ils n’ont pas d’explication, mais une simple observation empirique. A partir de ce constat pour passer à une technique d’amélioration des plantes c’est très simple, vous allez isoler différentes plantes qui vous semblent intéressantes dans un champ – puisque un champ c’est un mélange de différentes plantes – vous allez les reproduire et les multiplier individuellement, les tester et si vous en trouvez une qui est meilleure que la moyenne de la population. Vous allez remplacer cette population par la meilleure des plantes que vous avez pu isoler. Pour prendre une image ici, supposez que je puisse définir un type humain qui me semble tout à fait favorable et intéressant, que je sache le cloner, je vous remplacerai tous par cet individu cloné. Cette technique de l’isolement exige deux choses : d’une part qu’il y ait de la variabilité et d’autre part que cette variabilité soit fixée, c’est à dire qu’on sache reproduire un modèle de plante à volonté. Si je sais faire ça, je peux toujours remplacer un mélange par la meilleure des plantes ou le meilleur individu que je vais trouver à l’intérieur de ce mélange. Cette technique de l’isolement va être remplacée vers 1860 par la technique de l’amélioration continue qui ne repose sur rien. Deuxième point, les hybrides sont ils hybrides ? Il faut savoir que le maïs se présente comme une plante dont la fleur mâle est au sommet de l’épi, la fleur femelle est sur l’épi. C’est à dire que le pollen, au moment de la fertilisation, est transporté par le vent et les insectes jusqu’à plusieurs centaines de mètres aux alentours. Ce pollen va féconder les autres plantes du champ. Le maïs est une plante à fécondation croisée. Toute plante de maïs est un hybride. Ce qu’on vend sous le terme hybride, c’est tout simplement une plante de maïs tout à fait naturelle qui n’est ni plus ni moins hybride que n’importe quelle plante que l’on tire d’une population naturelle de maïs, par conséquent les hybrides ne sont pas hybrides, ce n’est pas cela leur caractéristique. La caractéristique de ce qu’on appelle un hybride, c’est d’être reproductible à volonté par le sélectionneur et par lui seul. Pour quelles raisons ? Il faut savoir que chez le maïs on peut faire une opération qui s’appelle l’autofécondation. D’une manière générale chez tous les organismes à fécondation croisée, lorsque vous faites de la consanguinité c’est à dire que lorsque vous apparentez des organismes qui ont une hérédité commune il se produit un phénomène qui s’appelle le phénomène de dépression consanguine c’est à dire que l’organisme perd de sa vigueur. Chez les mammifères, par exemple les croisements frères soeurs, ce n’est pas bon. Chez le maïs, vous pouvez faire une forme drastique de consanguinité qui est l’autofécondation qui consiste à ensacher la fleur mâle en haut de l’épi, ensacher la fleur femelle sur l’épi et transporter le pollen de la fleur mâle sur la fleur femelle. La conséquence est une dépression consanguine drastique, le maïs perd de sa vigueur et vous voyez que la perte de vigueur est maximale à la première génération d’autofécondation. Alors une fois que vous avez compris cela vous êtes prêts à comprendre comment on a mystifié la réalité. Qu’est ce qui se passe dans un champ de maïs dit hybride ? Toutes les plantes sont identiques puisque c’est la technique de l’isolement. Maintenant essayez d’imaginer ce champ de maïs au moment de la pollinisation, il va y avoir pollinisation croisée, les plantes vont se féconder les unes les autres, mais comme elles sont toutes identiques c’est exactement comme si l’on avait fait l’opération titanesque consistant à ensacher chaque fleur femelle et chaque fleur mâle de chaque plante et à transporter le pollen de la fleur mâle sur la fleur femelle. La génération suivante va souffrir de dépression consanguine, l’agriculteur ne pourra pas la re-semer. C’était l’objectif poursuivi. Alors vous voyez bien que la technique des hybrides c’est la technique de l’isolement utilisée pour des espèces à fécondation croisée pour tirer parti de ce phénomène de dépression consanguine qui fait qu’il y aura autofécondation dans le champ du paysan et que le paysan ne pourra pas semer le grain récolté. Voilà on utilise la dépression consanguine pour stériliser le maïs, c’est ca l’objectif de la politique. Evidemment, vous ne pouvez pas raconter la vérité. Vous n’allez pas clamer sur les toits que vous voulez absolument empêcher l’agriculteur de semer le grain récolté.
Monsanto a le racket égalitaire.
Alors à partir de 1914, (la technique a été inventée en 1908), on commence à monter un bobard Les biologistes ont inventé un phénomène biologique mystérieux qui entre parenthèses est toujours inexpliqué et inexplicable, une sorte de yéti qu’on appelle l’hétérosis, l’inverse de la dépression consanguine pour améliorer le maïs. Vous voyez le renversement dialectique des choses. Au lieu de dire que l’on utilisait la dépression consanguine pour stériliser le maïs, on a dit que l’on utilisait son contraire, que l’on a baptisé l’hétérosis, pour l’améliorer. Et ca fait quatre vingt ans qu’en toute bonne fois et à leur insu les sélectionneurs et généticiens s’efforcent d’expliquer ce phénomène mystérieux dont on n’a jamais eu la preuve. Il existe de la vigueur hybride certes, mais la vigueur hybride, il ne faut pas la confondre avec l’hétérosis.
Terminator, c’est le triomphe de la biologie moderne. C’est une technique qui est fondée sur les mêmes principes que les mines antipersonnel, c’est la mine antipersonnel du vivant. C’est une technologie qui mérite le terme de nécrotechnologie. C’est l’objectif qui a constamment et historiquement été recherché. C’est l’objectif nécessaire de l’économie politique de notre société face au vivant.
Les méthodes contractuelles et les méthodes de stérilisation par le brevet
Voici une menace qui est sortie au début de l’année 1998 dans la presse américaine publiée par Monsanto. Monsanto n’a pas publié cela dans sa campagne, en mai et juin 1998 où il s’agissait de nous persuader de l’intérêt colossal des biotechnologies, que cela allait résoudre les problèmes de la faim dans le monde, de l’écologie, etc. C’était au moment de la mascarade de la commission soit- disant citoyenne sur les OGM. On n’a pas porté à la connaissance du public français cette menace, qui vous dit comment des semences « biotech » piratées peuvent coûter plus de 1200 dollars par hectare au paysan. Puisque Monsanto ne l’a pas fait, je vais compléter cette information qui manquait. J’ai traduit le texte de Monsanto. Il s’agit de semences de soja Roundup tolérantes à l’herbicide de Monsanto Roundup. Alors, Monsanto nous dit que : « Lorsqu’un agriculteur conserve et replante des semences « biotech » brevetées de Monsanto il doit comprendre que ce qu’il fait est mal ». Je vous signale que l’agriculture a commencé lorsque justement on a mis de côté une partie du grain. Il y a 10.000 ans, des femmes, probablement, ont mis de côté une partie du grain pour le semer l’année suivante. Il commet un acte de piraterie, même s’il n’a pas signé d’accord au moment où il a acquis les semences. En effet Monsanto, par des campagnes de publicité agressives visant à faire croire que ce soja Roundup était un véritable miracle a réussi à vendre ses semences mais l’agriculteur qui veut acheter ces semences doit signer un contrat qui l’engage à ne pas re-semer le grain qu’il a récolté. Le soja est une plante qui se reproduit identique à elle même, donc pour l’agriculteur rien ne serait plus simple que de re-semer des grains qu’il a récolté et que vous dit ce texte : l’agriculteur a pu se procurer des semences par d’autres moyens qu’un achat auprès de Monsanto. Par exemple, comme c’est toujours le cas, les agriculteurs échangent leurs semences. Ce n’est plus possible parce que les semences sont brevetées et à l’heure actuelle il y a 450 agriculteurs américains qui sont traduits devant les tribunaux par Monsanto. Je lis la suite : « arrêter le piratage des semences permet de mettre chaque agriculteur à égalité » ; comme vous le voyez, Monsanto a le racket égalitaire. Quel est le projet politique derrière tout cela : c’est un projet politique dément qui veut faire des paysans du monde entier des pirates et des citoyens, des receleurs. De quoi s’agit-il? Il s’agit de créer un privilège pour cinq transnationales. Pourquoi un tel privilège est-il complètement inefficace ? C’est une vieille tradition de l’économie politique. Depuis Adam Smith on sait que tout privilège est une forme particulièrement inefficace d’organiser la société. Et pour le comprendre on peut utiliser la métaphore suivante empruntée à Frédéric Bastiat, grand pourfendeur du libéralisme : « Le soleil brille, c’est malheureux pour les marchands de chandelle, mais il ne viendrait à l’idée de personne de nous forcer à condamner nos portes et fenêtres pour permettre aux marchands de chandelle de lutter contre la concurrence déloyale du soleil ».
En général les êtres vivants se reproduisent et se multiplient. Quelles sont les conséquences d’un tel privilège ? Il menace les libertés individuelles. Parce que dans la mesure où vous créez un tel privilège vous créez une injustice qui est ressentie comme telle. Je pense qu’aucun agriculteur normalement constitué ne peut admettre qu’on lui interdise de se mettre des grains de côté. C’est fondateur de notre civilisation. Donc il y aura du piratage pour utiliser une expression de Monsanto. S’il y a du piratage, il faut mettre en place les moyens de lutter contre les pirates et cela veut dire dans le cas américain avoir recours aux détectives privés de Pinkerton, vieille tradition en matière de répression ouvrière, c’est ce que l’on appelle la mondialisation. Ou bien comme le fait Monsanto aux Etats Unis, ouvrir des lignes téléphoniques gratuites incitant les agriculteurs à dénoncer leurs voisins pirates. Si nous voulons d’une société de délation, il faut continuer.
Troisième point, la variabilité génétique est un bien commun de l’humanité. Et elle a été crée par les hommes et la nature, par les paysans. C’est le produit de l’activité humaine en particulier des paysanneries du tiers monde. C’est scandaleux que ce soient les Etats-Unis qui soient en train de mener la bataille pour la brevetabilité des êtres vivants parce qu’il faut savoir que les Etats-Unis sont un pays dont toute l’agriculture a été importée. La seule plante d’origine d’Amérique du nord est le tournesol, le seul animal que les Etats-Unis nous ont donné, c’est la dinde. Toute cette agriculture a été importée, ils ont vraiment utilisé les ressources génétiques du monde entier. Un homme comme Thomas Jefferson lorsqu’il était en Europe a risqué la peine de mort en Italie quand il a volé en contrebande des semences de riz pour les introduire aux Etats-Unis.Tous les officiers de marine américains et les consuls américains à l’étranger avaient pour mission d’envoyer, de collecter des semences de variété différentes autant qu’il le pouvaient et de les envoyer dans leur pays. Toute cette agriculture, y compris les animaux, est totalement fondée sur des ressources génétiques venues du monde entier. Et maintenant les USA veulent au nom de la protection de leur technologie pouvoir breveter tout cela. On devrait exiger que les Etats-Unis maintenant remboursent leur dette génétique au monde et on devrait le faire en exigeant que ces technologies soient mises gratuitement à la disposition du monde entier.
La recherche publique internationale ce n’est pas le libre échange mais c’est l’échange libre des connaissances et des ressources génétiques, c’est le partage, c’est la coopération internationale qui ont permis ce succès.
Le dernier point dont je vais traiter c’est l’aspect de la libre circulation des connaissances et des ressources génétiques. Je vais prendre l’exemple de la révolution verte. Vous savez que dans les pays développés les rendements des principales cultures ont été multipliés par cinq en l’espace de 50 ans, et qu’il avait fallu près de 10 siècles pour qu’il double. Cela s’explique par la libre circulation des ressources génétiques et des connaissances, et leur partage. La révolution verte commence en 1946 quand un agronome américain, Salmon, qui fait partie des troupes d’occupation au Japon constate que les japonais cultivent des variétés de blé à paille courte qui sont cultivées depuis longtemps. Salmon envoie ces variétés à la station de Pullman où elles sont croisées avec des variétés américaines. Ensuite ce matériel est envoyé de Pullman à Norman Borlo à Mexico et à partir de là les variétés à paille courte vont se diffuser dans le monde entier. Le Mexique va devenir exportateur de blé grâce aux variétés à pailles courtes de Norman Borlo qui sont également insensibles au photopériodisme. Tout ceci a été lié a la recherche publique internationale qui malheureusement est en voie de privatisation à l’heure actuelle. La recherche publique internationale ce n’est pas le libre échange mais c’est l’échange libre des connaissances et des ressources génétiques, c’est le partage, c’est la coopération internationale qui ont permis ce succès. Je voudrais dire que la même opération va être faite un peu plus tard avec le riz ; de la même façon les japonais cultivent des riz à pailles courtes, les fondations Rockfeller et Ford qui veulent reproduire le succès du Mexique dans l’Asie du Sud-Est, révolution verte contre révolution rouge, c’est ainsi qu’ils la définissent. La première opération que font ces fondations, c’est d’une part de prendre le matériel génétique de ces riz japonais comme source de variété génétique de départ et de faire traduire toute la littérature japonaise sur le riz, ce qui va permettre aux chercheurs en l’espace de six ans de créer les premières variétés de la révolution verte en Asie du Sud-Est. On avait effectivement un système dans lequel il y avait une mondialisation effective des ressources génétiques, des connaissances, un partage, une coopération internationale et on est en train de remplacer cela par la cartellisation marchande, par la guerre économique, et par le pillage des ressources génétiques. C’est une formidable régression de s’engager dans la voie du brevet comme on est en train de le faire.
Je vais conclure sur deux points. Voici le titre d’un article publié au Centre International d’Amélioration du Maïs et du Blé, centre international destiné en principe aux pays du Tiers-Monde. C’est un symposium mondial sur l’hétérosis dans les cultures, tenu à Mexico. L’article de Devich qui est ancien directeur de la recherche de Pioneer s’intitulait L’hétérosis. Il faut traduire : les plantes stériles économiquement. Qu’est ce que cela permet de faire ? Cela permet de nourrir les hommes et de protéger les ressources naturelles. Et il y a la propagande du complexe génético-industriel particulièrement bien exprimé par Monsieur Axel Kahn[4], qui déclarait aux Echos : « les O. G. M permettront de nourrir la planète en respectant l’environnement ». Pour nourrir la planète et respecter l’environnement, il n’y a pas besoin de plantes stériles par quelques moyens que ce soient, qu’il s’agissent d’hybrides ou de brevets, ou de plantes terminatorisées. Il n’y a pas besoin d’O. G. M, il n’y a pas besoin d’Agriculture transgénique. Il y a besoin d’avoir des paysans et de les maintenir dans leurs exploitation en leur donnant des conditions de vie et de travail supportables ou même agréables, on a les moyens politiques de le faire. Nous avons besoin d’une recherche publique lucide.
J’ai commencé l’exposé de cette conférence par cette évidence : « Nous devons à quiconque ce qu’il produit déjà et dont il dispose à satiété ». Nous avons déroulé la logique interne de l’économie de notre société en ce qui concerne la biologie appliquée au secteur de l’agriculture. Un autre grand domaine jumeau de la biologie appliquée est celui de la santé et de la médecine. Faites le même raisonnement : on ne peut vendre de médicament ni avoir de marché tant que les gens sont bien-portants. Par conséquent l’objectif de notre société, c’est de nous rendre tous malades, c’est ca l’économie politique de notre société. Nous y sommes presque ! Ca s’appelle la théorie génétique de la maladie et vous avez malheureusement des gens qui se sont fait avoir avec ca, ca s’appelle le téléthon où on diffuse ce genre d’idéologie, l’idéologie génétique de la maladie. Quelle est la conséquence de la théorie génétique de la maladie ? J’ai une mauvaise nouvelle a vous annoncer, c’est que vous êtes tous porteurs des cinquante ou soixante maladies génétiques, tous. Lorsqu’on aura décrypté votre génome, vous vous promènerez avec une carte à puce avec votre génome en l’an 2010, on vous aura tous transformé en malade potentiel. Et vous comprenez que c’est beaucoup plus facile et profitable de transformer des gens bien portants en malades potentiels que de faire de gens malades des gens bien portants. L’enjeu de la théorie génétique de la maladie c’est le même que celui de la biologie appliquée à l’agriculture, c’est les mêmes conséquences mortifères de l’économie politique de notre société.
En 1997, Le Monde a publié, à la suite d’un article de la revue scientifique Nature, un article qui disait qu’une équipe franco-américaine avait découvert un gène responsable de l’obésité, et l’article poursuivait en disant que le gène avait été breveté, avant même que la publication ait eu lieu, et que contact avait été pris avec les multinationales « thérapeutiques ». Alors j’ai écris au Monde en leur disant : « je n’y comprend plus rien, mes connaissances en biologie sont limitées mais il faudrait que les journalistes scientifiques du Monde m’expliquent comment en deux générations, la population américaine a pu muter au point que 25% de la population soit obèse et en tout cas 50% soit en surcharge pondérale grave ». Le Monde m’avait dit qu’ils me publieraient mais ils ne m’ont pas publié. Cela m’a un petit peu surpris… L’article poursuivait ensuite en disant qu’il faudrait réfléchir sur le fait qu’il ne faudrait pas confondre l’agent et la cause. A la limite on trouvera toujours des gènes impliqués dans toutes formes de maladies pour la raison que les gènes produisent des protéines et que les protéines sont impliquées dans toutes les pathologies imaginables. Par conséquent la découverte d’un gène responsable de ceci ou de cela, qu’il s’agisse du gène du sport, du gène de la fidélité, du gène de l’homosexualité, plus récemment on a découvert le gène de l’intelligence… chez la souris… Cela laisse pantois car la définition de l’intelligence chez la souris c’est une question à mon avis délicate sur le plan épistémologique. On a vu qu’on avait découvert les gènes responsables du cancer (les oncogènes) ; on nous a même dit dans Le Monde récemment que – grande nouveauté – nous étions génétiquement extrêmement inégaux devant la tuberculose. Autrement dit, ils sont en train de faire de la tuberculose une maladie génétique. Cette confusion entre l’agent et la cause a pour objectif en effet et c’est là qu’il y a une collusion et je pense que c’est très grave entre le Politique et le Scientifique qui a pour objet de débarrasser les politiques de leurs responsabilités politiques. Pour quelles raisons, au fond ils y croient, on leur explique que l’obésité c’est génétique, il n’y a qu’a confier ca aux transnationales des sciences de la vie. Par contre si on leur explique que l’agent de l’obésité c’est un gène, mais que la cause de l’obésité c’est « Mac Do qui rend trop gros, c’est Coca qui rend trop gras » comme le disaient des manifestants interwievés par Daniel Mermet, vous êtes devant un problème politique : comment allez-vous lutter contre Mac Do, comment allez-vous lutter contre Coca, comment allez-vous lutter contre leurs clones européens, comment allez-vous construire une société dans laquelle la nourriture ne sera pas une marchandise destinée à vous empoisonner ? Vous voyez que le problème politique est central ici. La science intervient comme instance de mystifications de la réalité. Il s’agit de rendre naturelles des causes sociales et politiques. Il faut absolument résister à ce genre d’idéologies et notre rôle est de reposer constamment les problèmes politiques de notre société.
Compte-rendu réalisé par Marc VUAILLAT.
[1] Organismes génétiquement modifiés.
[2] Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle relatifs au Commerce.
[3] L’ADN (NDLR).
[4] Ancien Président de la commission de génie biomoléculaire, directeur adjoint des sciences de la vie chez Rhône-Poulenc.
LE DEBAT
Les brevets sur le vivant :
un racket sur la vie !
Voici la suite du compte-rendu sur la soirée du 2 décembre 1999, avec Jean-Pierre BERLAN (avec la participation de la Confédération paysanne).
N’avez-vous pas peur pour votre vie ?
Vous savez, on n’est quand même pas au Brésil. J’ai rencontré il n’y a pas très longtemps des représentants syndicalistes, des paysans sans terre, 35 d’entre eux avaient été assassinés depuis le début de l’année. Pour l’instant on n’en est pas là. Ce n’est pas le combat d’un homme seul, mais de nous tous, contre cette confiscation du vivant. Il y a 18 mois, les gens qui se battaient sur ce terrain-là étaient peu nombreux. Mais tout un travail avait été fait dans l’obscurité, dans l’anonymat par tous ces groupes, ces associations, ces O. N. G qui se réunissent, discutent et maintiennent le lien social, qui luttent pour essayer de créer un monde meilleur, plus profitable. Je ne suis que l’expression particulière d’un mouvement collectif.
Pourriez-vous nous parler de Génoplante qui est la relation entre le service public auquel vous appartenez et le privé ?
Je vous ai parlé de la privatisation du vivant qui est en cours ; parallèlement notre gouvernement – dit socialiste – qui a le plus privatisé de tous les gouvernements que nous avons connu depuis 25 ou 30 ans s’attaque aussi à la privatisation des Services Publics. Il y a plusieurs enjeux : je parlerai d’abord de Génoplante et j’aborderai les conséquences que cela va avoir. Le Génoplante est un partenariat entre Public et Privé. Ce sont les termes même des promoteurs de l’opération. On suppose que l’intérêt général est l’intérêt des firmes privées. Ce partenariat entre Public et Privé est destiné à faire de la génomique qui consiste à fabriquer de la propriété industrielle, c’est à dire déposer des brevets.
En effet, lors du grand marchandage planétaire, quand tout sera breveté, il faudra que les firmes européennes aient leurs brevets, leurs jetons, pour pouvoir les échanger avec d’autres firmes. Pour l’un des promoteurs du Génoplante il s’agit de donner à la France – à Rhône-Poulenc en l’occurrence – les moyens de participer à la guerre économique – c’est ce qu’ils disent. Le Génoplante s’est doté d’un comité stratégique composé de 3 personnes : le Directeur général de l’ I. N. R. A, qui a été membre du conseil d’administration de Rhône-Poulenc- agrochimie de 1989 à 1994, le Directeur Général de Rhône-Poulenc-agrochimie et le Président ou le Directeur Général de Limagrain qui a des relations de travail étroites avec Rhône-Poulenc. On peut en tirer la conclusion : il s’agit de privatiser la recherche publique. Pourquoi est-ce une erreur stratégique ? D’abord parce que les américains brevettent à tour de bras depuis maintenant 20 ans. On nous invite donc en tant que chercheurs publics à faire la guerre économique sur le terrain qu’a choisi l’adversaire. Si vous voulez faire la guerre économique, vous choisissez le terrain sur lequel vous allez la faire, c’est le terrain politique, c’est le terrain consistant à dire : « le vivant est un bien commun de l’humanité, aucun moyen de privatisation n’est tolérable dans ce domaine », c’est à dire qu’aucun brevet n’est possible en matière de vivant. Dans ces conditions nous aurions des chances de battre les américains à leur propre jeu dans la mesure où ils seraient les seuls à breveter. Ce Génoplante revient à créer un privilège pour quelques firmes au nom de la compétitivité et des emplois futurs. Il y a d’autres erreurs dans Génoplante. Il s’agit de forcer les chercheurs publics à travailler pour lui. Comme l’Etat est impécunieux, il lui a affecté très peu d’argent et il s’est contenté de récupérer, dans les laboratoires publics, des crédits de recherche qu’il fait transiter par le Génoplante. Ce qui fait que les chercheurs qui faisaient les choses qui les intéressaient dans leurs laboratoires sont obligés de passer des contrats avec le Génoplante pour pouvoir continuer à travailler. Ce n’est pas la meilleure façon de travailler que de forcer les gens à faire des choses qui ne les intéressent pas c’est à dire fabriquer de la propriété industrielle.
De plus, une des plantes-modèles sur lesquelles on veut travailler au Génoplante, c’est à dire Arabidopsis, serait déjà décryptée et brevetée à raison de 80%, nous n’aurions donc au mieux que des miettes dans ce type de politique. Sur le plan concret, ce projet ne correspond à rien. Il présuppose que la bataille de la brevetabilité est perdue avant même qu’on ait commencé à penser à la livrer. D’autre part toutes ces techniques d’expropriation du vivant, cette transgénèse, sont prodigieusement inefficaces. Elles créent des profits mais sont du point de vue de l’utilité pour la société proche de zéro. Je vous ai déjà dit qu’on aurait pu améliorer le maïs beaucoup plus rapidement si on n’avait pas fait des hybrides. Sans compter qu’actuellement les hybrides en France coûtent trois fois plus cher qu’aux U. S. A (350 francs/ha pour les semences de mais dit hybride aux Etats Unis ; 1000 francs/ha en France). Il y a donc un prélèvement de 2 milliards de francs dans la poche des agriculteurs alors qu’on pourrait faire autrement. L’une des conditions du succès d’une technique inefficace, c’est d’exclure les techniques efficaces.
Si vous voulez mettre en place une technique d’expropriation, puisque ce n’est pas une technique d’amélioration, il faut que vous empêchiez que d’autres mettent en place des techniques d’amélioration, car l’agriculteur n’achètera évidemment pas quelque chose qui n’est pas meilleur. Cette politique va conduire justement à cela : exclure systématiquement les techniques qui sont efficaces pour la société pour les remplacer par des techniques qui sont les plus profitables pour les entreprises et les plus ruineuses pour la collectivité. C’est pourquoi on privatise la recherche publique en France, mais aussi en Angleterre et aux Pays Bas et dans les centres internationaux de Recherche… Une illustration de cela : l’extrait d’un rapport du CIMIT. Il s’agit de sélectionneurs de blés hybrides sud africains qui donnent leurs conclusions : « la possibilité de produire du blé hybride a suscité l’enthousiasme ». Evidemment pour des sélectionneurs, produire du blé hybride suscite l’enthousiasme. Si l’on regarde les faits il n y a pas de succès en matière d’amélioration de la qualité de la plante mais en matière de profits éventuels, c’est spectaculaire ; eh bien on n’a pas réussi à vendre d’hybrides de blé : « Cette situation malheureuse est due au succès d’une recherche publique hautement concurrentielle qui a réussi a améliorer régulièrement le blé à l’aide des techniques et procédures conventionnelles ». Autrement dit pour que le blé hybride marche il faut que la recherche publique se fasse « hara-kiri ». Et c’est ce qui est en train de se produire en Angleterre avec le rachat par Monsanto du Plant Breeding Institute qui était autrefois l’Institut public de Recherche, l’équivalent du département de l’amélioration des plantes de l’I. N. R. A. D’après une thèse que j’ai suivi, l’objectif est d’imposer le blé hybride en en prenant le contrôle. Monsanto, qui travaille depuis longtemps sur le blé hybride, pourra le faire percer. Quand lors d’un échange sur un forum de l’I. N. R. A, à propos de riz transgénique insecticide pour lutter contre la pyrale du riz, un chercheur de l’I. N. R. A dit : « pour lutter contre la pyrale du riz il n’y a pas besoin de riz transgénique, de riz insecticide, vous n’avez qu’à broyer finement les pailles de riz parce que les pailles de riz sont l’habitat de la pyrale pendant les mois d’hiver. Donc à partir de ce moment là, il n’y a plus d’habitat pour la pyrale, elle crève et vous avez l’année suivante un niveau d’infestation de pyrale parfaitement contrôlable sans avoir eu besoin d’utiliser ni pesticides, ni riz insecticide ». Vous voyez bien que proposer une telle technique, agronomiquement intelligente, respectueuse de l’environnement, cela n’intéresse personne ! Le chercheur qui va proposer cela n’aura certainement aucun avancement alors que celui qui va trouver un riz transgénique, on va le promouvoir, on va dire : voilà un grand chercheur.
Récemment, dans la presse américaine, est paru un article d’un agriculteur qui expliquait qu’en resserrant les grains de soja et en réglant ses machines de sarclage différemment il arrivait à désherber complètement son soja en recourant à de toutes petites quantités d’herbicides, sans recourir à des plantes transgéniques résistant à l’herbicide. Il est bien évident que cette invention n’est pas brevetable. N’importe qui peut la reproduire et l’imiter. Ce n’est ni une source de profit, ni une source de création de nouvelles marchandises. Par conséquent dans notre société, ces voies ne seront pas explorées. Je crois que le rôle de la recherche publique, maintenant, est d’intervenir pour explorer systématiquement ces voies en travaillant avec les agriculteurs de terrain parce qu’ils ont cette pratique qui permettrait d’avoir une synergie entre le travail de laboratoire et le savoir concret des agriculteurs et des paysans. Avec la privatisation de la recherche publique, les firmes seront maîtresses de la direction du changement technique. Donc le problème, c’est bien de reprendre un contrôle démocratique sur la direction du changement technique et pour cela il faut sortir la recherche publique de la privatisation.
Un décret de 1997, publié en mai dernier fait que seulement les variétés fixées depuis 20 ans ou les hybrides F1 peuvent être commercialisables. Par exemple, un petit producteur de semences qui a 1400 variétés de semences diverses et variées va être obligé de payer 1400 francs par variété parce qu’elles ne font plus partie du catalogue officiel. Je voudrais savoir qui est à la tête de la commission qui décide que telle ou telle variété est commercialisable ?
C’est une question qui est en pleine évolution. On a créé tout un appareil de réglementation et de surveillance de la commercialisation des semences parce que, c’était un marché particulièrement véreux autrefois. N’importe qui pouvait vendre n’importe quoi sous n’importe quelle dénomination et l’agriculteur ne s’y retrouvait donc pas. On a essayé de réglementer tout cela mais petit à petit les firmes semencières, surtout les firmes actuelles, ont pris de plus en plus de pouvoir au sein du système réglementaire et il est exact qu’actuellement on n’a pas le droit de commercialiser des semences qui ne sont pas inscrites au catalogue. Cela pose des problèmes en particulier aux agriculteurs bio qui ne peuvent pas cultiver des variétés qui sont inscrites au catalogue parce que ce sont, par définition, des variétés modernes. Celles ci ne peuvent fonctionner que dans un environnement dans lequel on met des pesticides, des herbicides, des régulateurs de croissance… Il faut donc revenir à des variétés en apparence moins performantes mais qui sont adaptées au milieu écologique et aux conditions techniques dans lesquelles on veut les cultiver. Et la seule solution, c’est de revenir à des variétés anciennes.
Les producteurs bio ont une obligation de moyens mais les produits bio peuvent être pollués parce qu’on vit dans un environnement pollué. Cependant, beaucoup de gens consomment du bio non seulement pour éviter la pollution pour eux mais aussi pour les autres parce qu’ils savent que ces produits sont cultivés dans des conditions qui ne polluent pas. Et cela, c’est formidable ! Pour revenir à votre question sur les semences, il y a un problème qui est apparemment en train d’être résolu, c’est à dire qu’on est en train de réintroduire de la souplesse là dedans et de permettre plus de liberté dans le commerce des semences et en particulier en ce qui concerne les variétés anciennes. C’est une commission qui se réunit et il faut verser une somme chaque année pour qu’une variété puisse être inscrite au catalogue des variétés. C’est un système très compliqué, hautement administratif, plutôt opaque, qui passe par le GEVES (Groupement d’Etude des Variétés de Semences). Ce système, intéressant au départ, est devenu un outil pour les semenciers pour contrôler le marché et éviter la concurrence d’autres sortes de semences.
Une question de santé humaine : est ce que vous pensez que les perspectives de guérison de la myopathie par la génétique sont une totale « fumisterie » ? Pour préciser, pensez vous qu’il y ait des gens intéressés ou des gens de bonne foi ?
Il y a évidemment des gens de bonne foi. Les gens qui participent à cela, je leur tire mon chapeau. Mais en même temps, je crois qu’il y a derrière une grande mystification car il faut bien voir que les multinationales profitent de la diffusion de cette idéologie du tout génétique. Le livre d’Henri Atlan qui critique cette idéologie dit qu’on en est sorti, je crois qu’au contraire on est en plein dedans et encourager cette idéologie du tout génétique est une erreur, c’est la seule chose que je dis. La seule chose qui intéresse les grands laboratoires en ce qui concerne la myopathie, – car le marché est très étroit, au plus quelques centaines de malades en France – c’est de créer un précédent.
En effet s’il y a un succès sur une maladie de ce type, à ce moment-là on aura soigné une maladie génétique par la thérapie génique et cela permettra de justifier le fait de transformer toutes les pathologies dont nous souffrons qui sont des pathologies politiques et sociales en des pathologies d’origine génétiques. Savoir si on luttera contre le cancer en s’occupant des gènes, en faisant de la thérapie génique sur les gènes qui sont soit disant responsables du cancer ou en luttant contre tous les pesticides, les herbicides, et tous les produits chimiques qu’on disperse dans la nature, le stress de notre société ou la sale bouffe, ça c’est un problème politique ; il ne faut pas transformer l’un dans l’autre. La grande peur que j’ai, c’est que cette mystification fasse abandonner des méthodes qui permettraient de lutter efficacement et rapidement contre ces maladies. C’est-à-dire éliminer le problème politique pour en faire un problème technique ou scientifique. Il y a un dernier point à préciser : en principe les médicaments sont surveillés. Dans le cas des plantes transgéniques, ce n’est pas le cas. Là aussi, ce sont des mystifications sémantiques. On vous parle de maïs BT, et on vous dit que c’est un maïs résistant à la pyrale. A partir de ce moment-là, cela a une coloration écologique, et on n’a pas besoin d’étudier les risques toxicologiques éventuels. Si vous appelez cela par son nom réel, c’est un maïs insecticide et à partir de ce moment-là il faut faire des tests de toxicologie à long terme. On ne les fait pas, parce que l’on a appelé cela un maïs résistant à la pyrale.
On se posait justement l’utilité des O. G. M : on peut toujours trouver une bonne raison de continuer à en faire. Un article de Science et Vie rapporte la mise au point de peupliers […] qui vont permettre de faire une industrie papetière beaucoup moins polluante. C’est une façon de regarder la chose. On peut la trouver positive. Mais si on fabriquait moins de papier il y aurait peut être moins de pollution. Quand on regarde l’usage qui est fait du papier dans notre société, on aurait peut être les moyens de faire des économies. C’est la même histoire quand, au lieu d’arrêter de polluer les nappes phréatiques en Bretagne, on parle de dénitrifier l’eau. Alors, arrêtons d’aller toujours dans ce même sens.
C’est une fuite en avant. C’est le même projet que celui que j’ai décrit d’agriculture industrielle qui se poursuit tout en se dissimulant derrière le manteau de la philanthropie et de l’écologie. Au lieu de réfléchir, dans le bassin parisien on fait du blé sur blé sur blé, c’est à dire que l’on déverse herbicides sur pesticides sur fongicides sur régulateurs de croissance et on recommence, avec des pollutions considérables, des maladies chez les enfants dans les écoles quand commence la saison des épandages de ces produits là. En Bretagne, on fait des usines à porcs qui flottent au milieu d’une mer d’excréments et ça pollue. La solution transgénique, nous dit on, c’est de faire des porcs qui produiront moins de phosphore ou moins d’azote et on pourrait même, dit on, les parfumer. On pourrait donc même avoir des excréments qui sentent la rose et le jasmin… Si on veut produire de façon écologique et intelligente, il faut rapprocher de nouveau l’élevage et l’agriculture de sorte que l’élevage contribue à la fertilité de l’agriculture. Ce sont des choses banales et connues depuis longtemps.
Pour terminer, je voudrais vous projeter deux transparents pour vous montrer comment raisonnent nos élites. Ces transparents portent sur la directive européenne 98-44 qui a été votée en 1997 et une seconde fois, définitivement en 1998. Le premier vote en juillet 1997 a eu lieu dans des circonstances intéressantes. Quand les parlementaires se sont réunis au parlement européen à Strasbourg, une manifestation d’handicapés graves, sur leurs tables et leurs chaises roulantes, les attendaient dans la salle des pas perdus. Ils avaient été revêtus de T-shirts jaunes sur lesquels on avait inscrit : « breveter les gènes, c’est sauver la vie ». Les T-shirts étaient fournis par ces messieurs des transnationales qui n’ont pas hésité à manipuler le handicap pour arriver à leurs fins. Ils y sont arrivés en 1998 avec la complicité de la commission. Le texte a été adopté par le parlement, les Verts étant les seuls à avoir voté contre. Deux exemples de l’incohérence de ce texte. D’abord ce texte nous dit porter sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques, c’est un mensonge. Il s’agit de breveter les gènes. Vous savez que le droit de brevet interdit de breveter des découvertes. On ne peut breveter que des inventions. Pour qu’il y ait brevet il faut qu’il y ait activité inventive, sinon vous pourriez breveter une loi naturelle que vous avez découverte. Or ce texte organise la brevetabilité des gènes c’est à dire la brevetabilité des découvertes. Il y a donc quelque chose de mensonger dans l’utilisation des termes de façon à endormir votre vigilance. Cette manipulation du langage est véritablement scandaleuse.
Art. 4 alinéa 1 : Ne sont pas brevetables, les variétés végétales et les races animales
Art. 4 alinéa 2 : Les inventions portant sur les végétaux ou les animaux dont l’implication n’est pas techniquement limitée à une variété végétale ou à une race animale sont brevetables.
Autrement dit, à partir du moment où j’ai fourré un gène par transgénèse, un gène de résistance à un herbicide dans du soja, le soja devient brevetable parce que cette technologie du transfert de gène est valable pour toute les variétés végétales et pour les animaux c’est pareil. Vous voyez l’hypocrisie de ce texte.
Art. 5 alinéa 1 : Le corps humain aux différents stades de sa constitution et de son développement ainsi que la simple découverte de ses éléments y compris la séquence et la séquence partielle d’un gène ne peuvent constituer des inventions brevetables.
Art. 5 alinéa 2 : Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène peut constituer une invention brevetable même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel.
D’où la notion de découverte ici : on a découvert quelque chose, on peut le breveter. Ce texte là pour différentes raisons légales a fait l’objet d’un recours par les gouvernements italien, hollandais et norvégien. Le gouvernement français, que fait il ? Il est en train de rédiger un mémorandum afin de soutenir ce projet de directive. Ce mémorandum est rédigé par l’Institut National de la Propriété Industrielle et par le service juridique des Affaires Etrangères. Non seulement le gouvernement français ne dit rien mais il vole au secours de ce texte invraisemblable qui organise notre dépossession. L’espoir c’est que devant les contradictions de ce texte, l’affaire aille devant la cour européenne de justice et qu’elle tranche en disant que tout est brevetable. Je crois qu’il faut se mobiliser à propos de cet hold-up sur le vivant qui est perpétré en Europe mais aussi à l’échelle mondiale par l’O. M. C en ce moment même à Seattle. Il faut vraiment se mobiliser, le faire savoir et faire échouer ces textes.
Juste une réflexion. On peut être horrifié de la propriété du vivant mais est ce que l’on n’est pas dans cette logique qui est la même que celle de la propriété économique, de la propriété du travail. Tout cela a fait des dégâts, des désastres humains, et les recherches quelles qu’elles soient, qui pourraient être celles du progrès, sont à mettre dans deux démarches : celle de l’économie capitalisée et rentable qui s’oppose à celle de l’économie généralisée et utile.
Je n’ai pas grand chose à ajouter. J’essaie de montrer qu’il y a une opposition entre ce qui est utile et ce qui est profitable. On est dans une société où il s’agit de produire plus de profit et pas plus de choses utiles. Ce qui est profitable n’est pas nécessairement utile et ce qui est utile n’est pas nécessairement profitable. C’est tout le commentaire que je peux faire.
Quelles alternatives envisageriez vous pour les pays du Sud qui n’ont que le choix entre un rapport de dépendance suicidaire et une méthode de production traditionnelle qui les maintient dans un état de dépendance économique ?
Je n’ai pas assez passé de temps dans les pays du Tiers monde, donc je ne peux pas vraiment répondre à votre question mais je pense qu’ils sont en effet pris en tenaille. Il faut aussi bien voir que dans les pays du Tiers monde il y a des gens très riches et des gens très pauvres et qu’en général ce sont les gens très riches qui sont au pouvoir et pas les gens très pauvres. Les gens très riches sont tout à fait d’accord pour aller négocier à l’O. M. C et ils ne réclament surtout pas de clause sociale. Il y a justement un article dans Le Monde diplomatique de ce mois ci sur les maquinadoras au Mexique. Ce sont des usines délocalisées qui exploitent et broient, comme au 19ème siècle, de la matière humaine. Les élites mexicaines sont tout à fait d’accord pour continuer ce jeu-là. Pour le reste, il faudrait l’avis d’agronomes de terrain qui viendraient expliquer quelles solutions seraient possibles pour mieux travailler dans ces pays-là et pour améliorer la situation des paysans.
Améliorer la situation des agriculteurs et des gens qui ont faim réside dans la capacité de la terre à nourrir les gens à condition qu’on la respecte. Et de ce point de vue-là l’I. N. R. A a failli à son service public en introduisant les engrais comme une nécessité alors que la plante est composée à 95% d’atmosphère et il n’y a pas besoin de faire appel à des ressources extérieures. On peut voir dans des exploitations en Afrique ou ailleurs que des gens s’ingénient à produire gratuitement ce que d’autres voudraient leur faire produire en leur vendant de la camelote.
Vous avez tout à fait raison sur ce point-là. Encore une fois ce qui a déterminé l’évolution de notre système de culture et d’exploitation, ce n’est pas la sous production mais la surproduction. On nous a transformé en mangeurs de surproduction. Cela a commencé aux U. S. A dans les années 20 avec la motorisation de l’agriculture. On a supprimé les chevaux qui, aux Etats Unis, utilisaient 28% de la superficie. On pouvait donc accroître la surface finale de 28 sur 72 c’est à dire de 40%. La reconversion des terres consacrées aux chevaux aux U. S. A se traduit par la découverte et la mise en valeur (du point de vue des ressources alimentaires) de nouveaux continents en plein 20ème siècle. La grande crise des années trente, elle, s’explique par cette raison là. Cela en fait une crise structurelle de première grandeur. Et les U. S. A ne vont pas cesser de lutter contre cette crise de surproduction.
Pour remplacer l’avoine qui était le fourrage des chevaux, on a choisi le soja. Quand on s’est aperçu que le soja mélangé à des céréales permettait de produire des viandes plus efficacement. On nous a transformé en mangeurs intensifs de viande. On a littéralement mangé la surproduction. Et ce modèle s’est développé pour les mêmes raisons en Europe. Les excédents de blé ont commencé dès le début des années 50. On les a transformé pour nous les faire manger sous la forme de viande (les élevages hors sol etc.). Claude Bourguignon, un agronome biodynamicien, disait, dans une conférence, que l’on pouvait produire en agriculture bio, sans utiliser tous ces produits, une quarantaine de quintaux à l’hectare en blé. Cela fait à peu près trois fois le rendement à la fin de la guerre. On pourrait cultiver la France en bio, convenablement, sans polluer, dans le cadre d’une agriculture durable, avec des agriculteurs nombreux. C’est parfaitement possible de faire ça dans les trente ou quarante ans qui viennent. Cela permettrait tout à fait d’éviter l’agriculture transgénique et se sortir surtout de l’agriculture chimique qui est un véritable désastre sur le plan écologique, ce que l’on ne sait pas assez.
Et d’être libre tout simplement ! De ne simplement plus dépendre des multinationales !
Oui, je vous signale qu’il y a des choses très intéressantes qui sont faites dans le Gard : des cantines scolaires travaillent en collaboration étroite avec des agriculteurs. Dans le cadre de projets pédagogiques des enfants vont chez les agriculteurs, sur les fermes, ils voient pousser les plantes, grandir les animaux. Du point de vue du coût de fonctionnement, ce sont des emplois de qualité qui vont créer des emplois de proximité dans l’agriculture avec un emploi de cantinière et le coût est à peine supérieur à la nourriture fournie par la SODEXO ou des boîtes de ce type. A Lorient il y a un restaurant universitaire qui sert des repas bio aux étudiants.
J’ai remarqué qu’à l’O. M. C des manifestants on montré des pancartes disant organisons-nous. Est ce que c’est possible de créer des relations entre les consommateurs, les agrobiologistes, les administratifs pour faire connaître toutes ces idées et faire barrage à cette agriculture transgénique. Ne pensez vous pas qu’il s’agit d’organiser la société de façon complètement différente ?
Il y a un problème politique qui est le problème de l’organisation du système de production et d’échanges. Il faut lutter contre le capitalisme, – même si ce terme paraît suranné – contre un système dont la dynamique est de transformer en marchandise, de limiter de plus en plus l’autonomie des gens et de nous rendre esclaves de ce monde marchand.
Est-ce que si vous proposiez vos conférences à des parlementaires, elles seraient boycottées ou écoutées ?
Les parlementaires européens Verts français se sont réunis à Metz récemment. Il y avait José Bové, Laurence Kavafidès de l’Observatoire de la Mondialisation et moi-même pour les interpeller notamment sur ces sujets. Donc les parlementaires, verts tout au moins, sont au courant. En règle générale, les parlementaires français ne connaissent pas forcément tout cela. Les ministres sont souvent désinformés. Souvent leurs conseillers proches sont des gens qui sont délégués par les firmes pour être conseillers techniques…
Compte-rendu rédigé par Marc Vuaillat.