Nous vous présentons, avec retard, le compte-rendu du débat avec Marc DUFUMIER (soirée du 9/11/99). Le débat, très riche et largement ouvert,. a permis à notre intervenant d’apporter des éléments intéressants pour préciser le concept « d’agriculture paysanne ». Les nombreuses questions pertinentes et souvent très construites ne sont pas reproduites dans le texte du compte rendu.
L’agriculture face à la santé des populations – à la défense des écosystèmes. Est-elle en mesure de nourrir les six milliards d’habitants ?
Il y a quelques travaux, notamment tout ce qui concerne le danger des pesticides dans la production légumière et fruitière. Sur les effets de la fertilisation chimique, sur la qualité des aliments, les travaux ne sont pas très développés. Je suis devenu consommateur de produits biologiques plus à cause de la traçabilité et pour des questions de saveur, que pour des questions de santé. L’agriculture paysanne est une alternative aux produits standards. Mais ça coûte plus cher. Il y a une forme de qualité que l’on trouve dans le bio, les produits du terroir. Mais pour la santé le bilan n’est pas évident, ça reste à prouver.
C’est vrai que les agricultures compétitives ne reproduisent pas le capital biologique de l’écosystème. Dans tous les systèmes de production, même ceux mis en œuvre par les agriculteurs familiaux, les économistes ne s’occupent que de la productivité du travail immédiat sans tenir compte de cette décapitalisation de l’écosystème, ce sont des valeurs perdues. C’est plus difficile d’amortir les gros investissements quand on se disperse sur plusieurs activités. Il est nécessaire d’assurer la rémunération des agriculteurs pour qu’ils protègent l’environnement. C’est bien là le défi.
Alors 6 milliards d’habitants dont 800 millions de mal nourris avec des déficiences nutritives qui sont tantôt caloriques, plus souvent en protéines, vitamines etc.. Je crois que la réponse c’est que pour ces 800 millions : leurs agricultures doivent produire davantage plutôt que d’attendre l’apport des excédents de nos pays en déprimant les cours avec une aide alimentaire structurelle, ce qui est une forme de dumping. Il y a toute possibilité aujourd’hui de nourrir dix milliards d’hommes sur ce monde. Mais à condition d’obtenir de meilleures répartitions des revenus et des moyens de production, mais c’est pas vers cela que l’on va. Pour résoudre cette question il n’y a pas d’autres solutions que la protection de l’agriculture vivrière par les prix. C’est à dire que les gens aient une rémunération suffisante pour passer de la houe à la traction animale et de la traction au petit motoculteur comme on a vu en Asie quand on a fait la révolution verte. Elle a permis de nourrir un nombre accru de gens.
Mais n’oubliez quand même pas les arguments d’opposition : le prix de la force de travail sera tellement élevé qu’on va arrêter l’industrialisation. C’est faux : la Corée du sud et Taiwan, ces nouveaux pays industrialisés, sont des pays qui ont protégé leur agriculture. Le prix du riz est trois fois supérieur à celui du marché mondial en Corée du sud encore aujourd’hui. Ils ont protégé leur agriculture vivrière, et fait des réformes agraires radicales. Ils ont bâti une agriculture paysanne familiale, avec une sécurité foncière, et sont aussi devenus des pays industriels. Là, le capital américain n’a pas hésité à venir, y compris au départ, pour le marché intérieur. C’est à dire que des paysans bien nourris peuvent commencer à vendre en ville pour nourrir les gens qui sont partis en ville. Les conditions pour l’industrialisation, c’est peut être déjà d’accroître le coût de ce qu’on appelle la force de travail et faire en sorte que l’immense majorité de la population soit mieux rémunérée, mais c’est aussi la seule façon de nourrir ces 800 millions.
Devant le désastre et la misère des pays en voie de développement, qu’est ce qui est réalisable, compte tenu des impératifs de l’OMC et des défis de l’agriculture des USA?
La nourriture
et l’environnement sont
des choses beaucoup trop sérieuses
pour qu’on les laisse à l’économie de marché.
Le souhaitable serait que les autorités européennes, nos gouvernements rémunèrent leurs agriculteurs en récompense de leurs justes efforts et du service rendu à la société. Alors qu’est ce qui est réalisable ?
Première chose, et c’est urgent : c’est que les associations de consommateurs des USA dénoncent les OGM. C’est dans l’opinion publique américaine dans les mois qui viennent que vont se définir beaucoup des résultats de ce qui va se passer à Seattle. Qui eut cru qu’un jour Monsanto serait obligé de dire qu’il cesse le Terminator ? Si ce n’est parce qu’il y a eu une opinion publique, et y compris une fondation Rockfeller qui n’est pas réputée pour son socialisme très marqué, qui a dit : non.
Il faut absolument que des représentants d’associations de consommateurs, de protection de l’environnement, de représentants dits de la société civile soient très proches de ce que seront ces organismes de régulation. Mais il faut qu’il y ait aux USA une opinion majoritairement pour. Il y a des domaines comme la sécurité alimentaire qu’il faut soustraire aux lois du libre échange. Et je pense que ça c’est déjà aider le tiers monde. Si l’Europe pouvait prendre des positions plus raisonnables, non pas de non protection de l’agriculture, mais de rémunération de l’agriculture, à condition que ce ne soit pas sous la forme de subventions aux exportations. Et en réclamant le droit pour les pays du Tiers Monde de faire ce que nous avons fait pour protéger notre agriculture vivrière. Beaucoup des négociations de Seattle seront fonction des opinions publiques. Là c’est des choses à faire à court terme.
Il ne faut pas oublier que le gouvernement des USA qui se bat contre nos formes de subventions, subventionne son agriculture. Les USA ont eu plus vite que nous une faible proportion d’agriculteurs, qu’ils ont davantage subventionné par des subventions directes. L’an dernier 18 % des aides aux agriculteurs ont été sous la forme d’aides d’urgence.
Tout le monde subventionne son agriculture, tous ceux qui ont l’autorisation, qui ont les moyens ou le pouvoir de le faire le font, c’est totalement logique. La nourriture et l’environnement sont des choses beaucoup trop sérieuses pour qu’on les laisse à l’économie de marché. Et même les gens qui prétendent tenir des discours libéraux ne le sont pas dans ce domaine.
Que faire face à une agriculture consommatrice d’énergie et polluante ? A qui revient la charge de la preuve ? Tous les OGM sont-ils à prohiber ?
L’agriculture américaine et toutes les agricultures sont très consommatrices d’énergie. Aux USA elle est à la fois plus extensive que la nôtre assez curieusement en terme de rendement, mais elle est beaucoup plus consommatrice de machines et de carburant et pour beaucoup moins cher. Il faudrait s’interroger sur le coût de l’énergie en France et de quelle énergie on parle. Mais il faut savoir que les USA sont aujourd’hui un peu en pointe pour pratiquer des formes d’agriculture de zéro labour, qui sont plus économes en énergie. En France on pourrait gagner du terrain sur ce plan-là. Le zéro labour c’est de ne pas faire autant de travail du sol, pour qu’il y ait de nouvelles activités microbiennes dans le sol ; faire une agriculture plus biologique et plus organique, mais on n’inverse pas comme cela une tendance du jour au lendemain.
C’est la rentabilité du capital,
et d’un capital de plus en plus monopolistique, qui est à l’origine de tout ce qui nous arrive et qui exige de notre part l’application très forte du principe de précaution.
Dans l’état actuel des choses je serais pour qu’il y ait assez vite des formes de rémunération des agriculteurs en fonction de services rendus à la collectivité à l’échelle territoriale. C’est le principe qui est dans les CTE (contrats territoriaux d’expmoitation) de la nouvelle loi d’orientation agricole. Les modalités d’application vont se révéler compliquées. Les fonctionnaires qui vont avoir la responsabilité de mettre en place ces CTE ne savent pas très bien comment faire et peuvent très vite devenir normatifs à leur tour. Il faut être vigilant et cela dépend de la capacité des organisations paysannes de faire de ces CTE quelque chose qui ne soit pas qu’un gadget.
Qui doit apporter la preuve de la nocivité ?. Cela pose des quantités de problèmes, y compris parfois tactiques sur ce qui est réalisable à strict court terme. Mais il y a des reculs tout récents au sein de l’Union européenne sur l’étiquetage obligatoire des produits, et notamment pour les produits génétiquement modifiés. Il faut que le danger soit étiqueté, notifié, visible et signalé pour le grand nombre des consommateurs. Quand on découvre que quelque chose de néfaste n’a pas été étiquetés que cela fasse l’objet d’un procès. Les filières bio et alternatives démontrent qu’il est possible aujourd’hui de faire autre chose que l’agriculture standardisée, comme l’ont été contraints un grand nombre d’agriculteurs du fait de cette intégration en amont et en aval. Là il y a une bataille qui est loin d’être gagnée. Sur le problème de l’étiquetage au niveau de l’Union européenne, malgré la mobilisation de l’opinion publique on est en train de reculer en le reportant à deux ans ; c’est à mon avis extrêmement grave.
C’est vrai que si on arrivait aujourd’hui à faire en sorte qu’un riz asiatique soit porteur de vitamines A et soulage les carences vitaminiques de toute population j’en serais très content. Pour le maïs il y a un risque en tant que tel, puisqu’il est porteur de son gène insecticide. Le danger pour l’environnement, c’est l’apparition de souches résistantes et ça commence déjà. On joue parfois sur des probabilités faibles. Par contre, le passage d’un gène de résistance à l’herbicide d’un colza à une autre crucifère, là c’est franchement dangereux et on le sait. Mais il y a d’autres choses sur les OGM où on sait que la probabilité est plus faible, et comme pour le nucléaire, elles sont infinitésimales. Je pense que le principe de précaution doit s’appliquer dans ces cas-là.
On n’a pas le droit de se lancer dans des trucs où il y a des risques très faibles mais non nuls. Il y a des moments où le principe de précaution doit s’appliquer en totalité, on dit non, on ne prend pas ce risque aussi petit soit-il.
Il est bien évident qu’il ne faut pas mettre tous les OGM sur le même plan. L’opinion publique ne s’est pas beaucoup mobilisée sur le fait que l’on utilisait des OGM pour la fabrication de vaccins par exemple. Au fond les OGM ce n’est pas en tant que techniques qu’il faut les diaboliser, il faut surtout prendre conscience que le diable se camoufle sur leurs conditions de naissance : à savoir qu’effectivement c’est la rentabilité du capital, et d’un capital de plus en plus monopolistique, qui est à l’origine de tout ce qui nous arrive et qui exige de notre part l’application très forte du principe de précaution. Aux USA il y a une très grande bagarre en ce moment Etat par Etat, pour qu’on puisse poursuivre en diffamation des gens qui tiendraient dans les journaux ou à la télévision des propos contre les grosses entreprises agroalimentaires. Je crois que l’ennemi n’est pas en tant que tel l’OGM que ces puissances là.
C’est l’économie de marché qui a amené l’agriculture française à perdre son caractère paysan. Les conditions dans lesquelles la paysannerie française a évolué, malgré les protections, dans l’économie de marché l’ont amenée à faire des choses que nous dénonçons.
L’agriculture paysanne, quel est son mérite ? C’est quand on pense à un agriculteur en France qui veut transmettre son exploitation à ses enfants. Au mieux, il espère remettre une exploitation à peu près en état. L’agriculture paysanne a tendance à protéger les écosystèmes ; l’agriculture capitaliste salariée, quand ce sont des gens qui investissent du capital pour réaliser un profit au moins égal à celui qu’on aurait dans l’immobilier ou que l’on aurait dans les casinos, eh bien je peux vous dire que la décapitalisation et la ruine de l’environnement ce n’est pas leur problème. Mais par contre l’agriculture paysanne qui n’en a pas les moyens parce qu’on ne la rémunère pas bien, eh bien elle décapitalise par pauvreté. Et, oui, il y a des agricultures paysannes qui détruisent les écosystèmes, parce que dans la course à la compétitivité elles ont été contraintes de spécialiser leur système de production et elles polluent les nappes phréatiques. C’est parce qu’elles n’ont pas été suffisamment rémunérées avec leur système de polyculture élevage. Et la société doit leur reconnaître cette rémunération.
Une agriculture paysanne (sans vouloir prétendre faire une définition) est très différente d’une agriculture capitaliste au sens où l’agriculteur n’est pas le capitaliste. L’agriculture paysanne est une agriculture que je qualifierais de familiale ; à l’origine cette agriculture était diversifiée, associant étroitement agriculture et élevage, s’intégrant dans son pays en harmonie avec l’écosystème et assurant (ça rejoint les problèmes d’énergie) la gestion du carbone et de l’azote. Oui il existe des possibilités réelles de faire ça encore aujourd’hui. Il faut être clair, on pourrait le faire et à ce moment-là on produirait davantage sur place, on consommerait davantage sur place.
Ma conviction c’est qu’il y a un éventuel retour, une reconversion à une agriculture paysanne, parce qu’on a été trop loin dans les mécanismes de spécialisation et de détérioration. Je crois que cette reconversion aujourd’hui suppose que les gens aient un niveau de rémunération qui soit tel qu’ils puissent faire les investissements qui leur permettraient de faire cette diversification. Dans le Puy de Dôme, il y aurait encore la possibilité de maintenir un assez grand nombre d’agriculteurs en faisant en sorte qu’ils puissent se diversifier. Il n’est pas complètement impossible d’avoir un élevage bovin et ovin associé. L’élevage laitier peut être après tout de l’élevage fermier de haute qualité, et pas seulement le contribuable mais le consommateur acceptera de rémunérer cela. De toutes façon çà va nous coûter cher après de devoir entretenir le chômeur et de réparer ces dégâts en ville. Nous avons des vins de qualité ; nous pouvons avoir des fromages de qualité ; nous pouvons avoir un grand nombre de produits de qualité. S’il y avait à faire un appel en France ce serait pour qu’il y ait une alliance entre les groupements de consommateurs et les syndicats paysans, une alliance pour en arriver au maintien de l’agriculture paysanne. Qu’on cesse de soumettre cette agriculture paysanne aux seules lois des grandes entreprises que l’on dénonçait tout à l’heure. Bien que familiale, cette agriculture a perdu son caractère artisanal et de qualité. Il y a urgence de faire une reconversion ; elle doit être rémunérée, et qu’on en dise le prix en le comparant avec le prix des gens qui sont sans emploi et au chômage. Dans les quartiers, y compris dans les campagnes, on parle de consommer localement mais il y a des agriculteurs qui commencent à devoir aller au supermarché eux aussi en ville. Il n’y a plus de magasins, il n’y a plus de postes, il n’y a plus rien dans les villages. Produire et consommer pour vivre au pays [c’est] maintenir des relations de proximité, donc d’une autre façon rémunérer l’agriculture : une alliance entre consommateurs et paysans.
Compte-rendu effectué par Alain Carof,
et « monté » par la Rédaction.