LA FRANCOPHONIE ET LES ENJEUX CULTURELS DE LA MONDIALISATION

SOIREE – DEBAT du 22 mars 2000 avec Bernard CASSEN :

LA FRANCOPHONIE ET LES ENJEUX CULTURELS DE LA MONDIALISATION

200 participants environ

Après la présentation de Bernard CASSEN par Jean SOUILLAT, chargé de mission pour la Francophonie de la ville de Limoges, Jean-Pierre JUILLARD au nom du bureau du cercle Gramsci fait une brève déclaration liminaire.

Le Cercle indique qu’il estimait, lors des discussions préparatoires, que ce débat, pour être complet, devait prendre en compte le rapport historique de domination du français sur les langues régionales et autres langues.

A une formulation affirmative orientée sur la défense de la Francophonie facteur de résistance à la mondialisation, il préférait une présentation interrogative comme : « la langue française menace pour les autres langues, ou moyen pour sauvegarder la diversité culturelle ? », plus ouverte.

En effet, si aujourd’hui la position du français se restreint dans le monde au bénéfice de l’anglais, il semblerait dommageable d’oublier que ces deux langues se sont imposées de façon similaires.

En tant que langues nationales, toutes deux ont accompagné des dominations politiques et économiques qui se sont notamment traduites par la destruction des langues régionales. En Limousin, par exemple, tout un pan de cultures – culture occitane, cultures paysannes – a été englouti .

Que le français puisse jouer un rôle dans la sauvegarde de la diversité culturelle, cela semble bien sûr possible. Mais la résistance à la mondialisation culturelle, à la domination de l’anglais comme langue véhiculaire, doit elle passer par une Francophonie gardienne d’une langue unique et immuable ? ou bien par la défense des francophonies et des autres langues ?

Le cercle Gramsci souhaite que le débat qui va suivre tienne compte de cette interrogation. Et comme le propose Marie-Paule CHUPIN, initiatrice de cette soirée, il espère que ce débat sera le départ d’un cycle de discussions publiques variées sur le thème de la Francophonie.

L’EXPOSE

Bernard CASSEN considère que cette introduction, déjà polémique, va lui permettre évidemment d’aborder des « sujets qui fâchent ». Il estime que les remarques précédentes ont un petit temps de retard. Car depuis plus de 10 ans, y compris dans les institutions officielles, il n’y a pas contradiction entre la défense du français et celle des autres langues. Ainsi la Francophonie se définit aujourd’hui comme le pluralisme linguistique.

Le problème n’est pas la défense du Français, mais celle de toutes les langues véhiculaires qui opèrent au niveau national, d’une part. D’autre part, il faut aussi défendre les langues existant sur des territoires plus restreints : les langues du foyer, de la maison, maternelles ( langues vernaculaires ).

Internationalisation contre mondialisation-globalisation

Il s’agit tout d’abord de distinguer la mondialisation (ou globalisation) de l’internationalisation ; ces deux termes étant même contradictoires.

L’internationalisation est une étape entre le sentiment d’appartenance nationale – on pourrait dire, en amont, régionale – et la conscience que l’Humanité est une ; forme un tout. L’internationalisation dépasse la nation, tout en l’englobant. Elle s’incarne dans les institutions multilatérales de la famille de l’ONU (UNICEF, UNESCO, CNUCED etc..). Ces institutions s’efforcent de définir et de promouvoir un bien commun (par des accords, des coopérations..). Cependant, les représentants des communautés nationales qui y siègent sont responsables en dernier ressort devant leur nation.

Par ailleurs, cette internationalisation prend forme également dans des réseaux ou regroupements de personnes, d’associations, de syndicats, de sportifs, d’universités.. visant les mêmes finalités et implantés dans différents pays.

La mondialisation libérale, en anglais « globalisation », est toute autre. C’est l’optimisation à l’échelle planétaire du capital financier. Ses acteurs sont les marchés financiers basés sur les trésoreries des grandes entreprises, les banques internationales, les compagnies d’assurances, les fonds de pension et de placements collectifs etc.

Cette mondialisation nie les nations et toutes les constructions collectives en tant que catégories pertinentes de l’action publique et privée. Elle renvoie à l’émergence d’une économie globalisée, dans laquelle les économies nationales sont décomposées et ré – articulées au sein d’un système qui fonctionne au niveau mondial. Cette mondialisation est une construction politique érigée dans le cadre d’un processus de dépossession des Etats ; Etats qui ont d’ailleurs créé les outils de leur propre dépossession. Ce qui équivaut à confisquer aux citoyens leurs libertés de choix – des sociétés sans pouvoir –, lorsque les gouvernements émanent du suffrage universel.

Cette mondialisation a créé pour son propre compte une sorte d’Etat supra national de facto qui a ses instruments, ses institutions, ses appareils et réseaux. C’est un pouvoir sans territoire ni société ; donc sans citoyen. Il rapporte tout à l’individu, au client. Son « polit buro » est composé du FMI, de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), de la Banque Mondiale, l’OMC, le G7, la Commission européenne (en tant que section régionale), la Direction du Trésor (en tant que section française). C’est dans ces enceintes sous hégémonie américaine que sont adoptées les grandes décisions ; décisions structurantes sur lesquelles nous avons d’autant moins de prise que nos gouvernements, de leur côté, ne veulent pas en avoir. Car ils se « castrent » délibérément afin de ne pas avoir à prendre des mesures qui ne créerait pas la confiance chez les investisseurs internationaux.

L’Europe existe aussi comme procédure commode pour ce genre de lâcheté. Les mesures libérales, largement impopulaires en France, prennent fréquemment le chemin de l’Europe pour s’imposer par la suite dans le pays (la « contrainte » européenne).

L’exemple caricatural de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI), concocté en secret au sein de l’OCDE, est là pour nous rappeler qu’une tentative de bouleversement radical de l’ordre du Monde a été poussée très loin, avec l’espoir que les parlementaires non ou mal informés ratifieraient à la va-vite ce traité. Mais la rapidité avec laquelle cette tentative, comme la négociation de Seatle, ont capoté montre également la fragilité du système.

Une langue globale pour un marche unique

La mondialisation ignore la géographie, les distances mais aussi le temps, abolis grâce aux technologies de la communication. Le marché ne connaît que l’instant (le temps réel), celui qu’il faut à une transaction pour s’effectuer. Avec un tel système il n’est pas fortuit que la question d’une « langue globale », d’une langue unique pour l’humanité, soit donc posée.

Le fantasme des opérateurs de marchés, des dirigeants des entreprises géantes, est d’avoir un marché planétaire absolument lisse. Or les langues et les cultures découpent, segmentent, constituent des obstacles

à la circulation sans frontière des marchandises et des services. Et surtout elles constituent un frein à l’idéologie qui justifie tout cela. La mondialisation – globalisation c’est donc le primat du marché sur toutes les autres valeurs ; quelles soient politiques, sociales, culturelles et bien sûr linguistiques.

David Rothkopf, ancien haut fonctionnaire de l’administration Clinton, a écrit dans Foreigh Policy un article intitulé « Eloge de l’impérialisme culturel ? » dans lequel il considère que le déclin des différences culturelles, signe tangible d’une capacité de compréhension généralisée, est un progrès de la civilisation. Pour lui, les obstacles subversifs pour la globalisation seraient : les religions, les langues, les croyances politiques et idéologiques. Et il justifie l’adoption de l’anglais comme langue unique dans la mesure où les Etats-Unis seraient dans l’histoire un modèle, pour sa tolérance, son esprit de justice, ses dispositions à se remettre en cause .. ; bref, la nation indispensable.

L’anglais dans l’espace francophone aujourd’hui

De telles positions sont aujourd’hui soutenues au plus haut niveau au sein du sanctuaire de la transmission des héritages culturels : l’Education nationale. Ainsi Claude Allègre déclarait dès 1997 que « l’anglais n’était pas une langue étrangère en France » ; ou plus récemment dans le Figaro : « l’anglais est une commodité, au même titre que l’ordinateur de bureau ou internet ». Ces prises de position provoquèrent de vives réactions, notamment dans les pays francophones d’Afrique qui se sentirent grugés d’avoir adopté une langue que les français eux-mêmes délaissaient au profit de l’anglais et ne considéraient plus comme une langue de la communication, de l’accès à l’universel.

Voici donc l’anglais promu au rang de discipline fondamentale, poussé à être enseigné dès la maternelle.

Par là C Allègre ne fait que reprendre une tradition bien représentée par Alain Minc quelques années auparavant. Ce dernier, dans un livre, La grande illusion (1988), exigeait des pouvoirs politiques français et européens qu’ils fassent de l’anglais la langue naturelle de l’Europe en rendant son enseignement obligatoire dès le primaire.

La promotion de l’anglais au statut de langue commune et non plus étrangère constitue un pilier majeur de la stratégie mondiale de globalisation- américanisation du complexe politico- communicationnel des Etats-Unis. Cette offensive est relayée par une grande partie de la presse française et par une partie importante de notre intelligentsia

La langue, enjeu majeur :

Pour une politique des espaces linguistiques

La langue est une question clé dans le combat contre le libéralisme. On ne peut pas être contre le libéralisme et pour la banalisation linguistique

Les langues, ce que reconnaît Rothkopf, constituent des facteurs de différentiations nationales ou sub-nationales. Simultanément, « elles sont autant de fils d’or qui créent, par delà les frontières, des solidarités visibles ou invisibles entre ceux qui les parlent » (Régis Debray). C’est précisément parce que ces solidarités représentent autant d’obstacles à l’utopie globalitaire que l’évocation d’une géopolitique des langues hérissent les inconditionnels de la mondialisation libérale.

C’est Winston Churchill, vers 1948, qui le premier élabore une géopolitique moderne des langues avec la théorie des trois cercles, fondatrice de l’Anglophonie. (1er cercle : les pays blancs de langue anglaise ; 2ème : l’Europe ; 3ème : les pays du Commonwealth). De ce fait, après l’adhésion britannique en 1973 à la CEE, le Royaume Uni, avec un pied dans l’Europe, conservait, d’une part, des relations spéciales avec les Etats Unis et, d’autre part, maintenait des liens privilégiés avec le « troisième cercle anglophone »

La Grande Bretagne, comme les Etats- Unis, ne se considèrent pas vraiment comme des pays étrangers. Le programme Echelon illustre d’une manière significative la mise en pratique concrète de l’Anglophonie, préférence qui se fait aux dépens de la puissance économique de l’Europe et de son indépendance. Il s’agit d’un gigantesque dispositif planétaire d’écoute des télécommunications publiques et privées au travers le monde. Echelon est basé aux Etats-Unis avec des bases annexes en Angleterre, Nouvelle Zélande et Australie. Ce dispositif d’espionnage permet notamment de récolter des informations économiques et industrielles qui sont directement transmises aux grandes multinationales américaines.

Mais une telle démarche stratégique ne peut-elle pas être adoptée par d’autres et pour d’autres valeurs communes que celles du libéralisme ?

Ainsi lusophones, francophones, turcophones, arabophones…devraient-ils constituer, autour de ce fil d’or qu’est la langue, des ensembles où règnent la confiance et qui partagent des valeurs communes !

Un projet pour la francophonie

La Francophonie telle qu’elle fonctionne actuellement n’est qu’une façade, un bluff, parce qu’il n’y a aucune volonté politique derrière.

Il faudrait qu’il y ait un projet derrière la Francophonie pour qu’elle puisse se situer sur la même ligne que l’Anglophonie. Et ce projet ne peut être que différent – en rupture totale ou partielle – du projet libéral, actuellement dominant, qui est celui de l’Anglophonie.

La cinquantaine d’Etats de la Francophonie, situés en minorité au Nord – Belgique, France, Québec, Suisse – et dont un très grand nombre figurent parmi les PMA (pays les moins avancés) au Sud (surtout en Afrique) –, composent un modèle réduit de la planète ; de son ordre mondial.

Si l’on arrivait à développer des solidarités au sein de cet ensemble, à élaborer des modèles qui fonctionnent, ceux-ci auraient ipso facto une valeur universelle et une signification de rupture avec l’idéologie libérale (anti-libérale, en tout cas a-libérale.). Bien sûr ces politiques ne sont pas contradictoires avec celles qui développent par ailleurs d’autres solidarités, comme la construction de l’Europe, mais les épauleraient.

Les mots-clé du libéralisme sont : concurrence, flexibilité, capital, commerce, loi du marché, flexibilité, ajustements structurels, individu, consommateurs, profit, dividendes, culture de masse, marketing, etc.

A cette hégémonie qui appelle tôt ou tard une résistance, il s’agit d’opposer quelque chose qui soit une avancée, non une régression ; toute résistance n’étant pas par nature facteur d’avancée (tribalisme, replis nationalistes et ethniques).

Rendre performant l’espace public francophone

La force de la mondialisation libérale consiste en ce qu’il s’agit d’un processus qui fait système, constitué d’idées simples qui parlent aux gens(la consommation, la loi du marché etc.).

L’inconvénient est que, pour arriver à contrecarrer cette rhétorique, il faut édifier une construction intellectuelle (doctrine ou projet global) plus compliquée, qui de plus n’existe pas ; qui n’est pas donnée clés en main.

Son lexique, ses idées-force pourraient être : démocratie, société, égalité, citoyenneté, identité culturelle, cohésion sociale, partenariat, co-développement durable etc..

Bien qu’il n’y ait pas de continuité territoriale entre les Etats de la Francophonie, qu’ils ne forment ni un marché, ni une force militaire, cette langue qu’ils ont en partage leur a donné une réelle dimension d’espace public constitué d’affinités et de solidarités, plus que l’Europe.

Les pays francophones – surtout les deux qui comptent, la France et le Québec – ou bien parviendront à penser ensemble un projet pour eux même et pour le reste du monde, ou bien n’auront que faire d’une Francophonie dénuée de sens.

Mais il s’agit pour le Québec et pour la France de faire deux efforts simultanés : pour le premier, s’extirper de son américanophilie, tactique illusoire grâce à laquelle il croit pouvoir se défaire de la tutelle d’Ottawa ; pour la deuxième, décider si son avenir est uniquement circonscrit à L’Europe.

C’est au prix de ce double effort simultané de multi-appartenance que l’on pourra proposer la constitution d’un axe franco-québécois (comme il y a eut un axe franco-allemand), capable de propulser un projet francophone, forcément différent du projet libéral

Seulement, très peu de dirigeants politiques de premier plan s’intéressent à la Francophonie. Ce qui pose sérieusement la question de la faisabilité d’une telle construction.

Défendre le français c’est défendre toutes les langues.

Il n’empêche que les anti-libéraux conséquents doivent aussi se poser le problème de la langue et du rapport à la langue anglaise.

Défendre le français, ce n’est pas opposer le français aux autres langues, mais défendre toutes les langues ; y compris l’anglais qui, à certains égards, n’a plus aucune territorialité, ni prise sur un substrat culturel.

Assez curieusement, une partie du combat pour la francophonie se livre dans l’Union européenne. Ainsi, les règles du droit de l’Union confèrent aux langues nationales un statut identique (de langue officielles et de travail) dans les institutions communautaires. Malgré tout, le français perd actuellement des points comme langue de travail au profit de l’anglais, et ce largement par la faute des haut fonctionnaires et des politiques français qui n’imposent pas, dans leur propre pratique, le respect du plurilinguisme.

Par ailleurs, se pose avec acuité pour l’Europe la question de l’exception culturelle. Car la seule culture commune pour les européens c’est la culture américaine (films, Mac Do etc.). Les œuvres européennes ne circulent que très peu à l’intérieur de l’Europe. On n’y connaît pas les langues d’Europe comme le néerlandais , par exemple. Cette sauvegarde de la diversité au sein de l’Europe par l’apprentissage des langues européennes n’est absolument pas contradictoire avec le projet francophone mondial, comme il peut y avoir un projet hispanophone etc.

Il faut accepter que le français « perde des part de marché », mais pas au profit de l’anglais. Il faut donc produire de la diversité linguistique et ne pas se retrouver dans un tête-à-tête avec l’anglais où le français sera toujours perdant.

La Francophonie ne peut que se définir comme l’allié de toutes les autres langues ; y compris celles qui existent dans son propre espace (créole à Haïti, multiples langues africaines etc.). Elle n’a de chance d’apparaître comme un concept acceptable que si justement elle est plurielle.

Et Bernard Cassen de conclure : les questions linguistiques sont des questions majeures, elles sont un des nœuds, une des charnières de la mondialisation libérale. Une grande cohérence existe donc entre le combat pour les identités culturelles et le combat anti-libéral.

LE DEBAT

Le premier intervenant déclare que depuis fort longtemps, bien avant le libéralisme, des langues internationales se sont affirmées dans le monde occidental. Une des plus fameuses, en usage dans les universités jusqu’au 19ème siècle, fut le Latin.

Il demande si ce n’est pas régresser, trouver une solution par le bas, que de proposer la balkanisation linguistique comme stratégie contre la globalisation. L’autre solution pouvant être l’utopie magnifique, l’essai de langue internationale, que constitue l’Espéranto.

La promotion de l’Espéranto – langue riche de communication entre les peuples, et qui fonctionne – a aussi l’avantage de se faire en toute indépendance de l’impérialisme américain ou du capitalisme.

Bernard Cassen s’interroge sur deux choses à ce propos. D’une part, sur la possibilité de promouvoir une langue qui n’est pas naturelle (artificielle, construite), c’est à dire qui ne renvoie à aucune culture particulière, à aucune singularité. D’ailleurs il croit qu’on accède à l’universel par le spécifique ; par l’Italien, le Ouolof, ou toute autre langue.

D’autre part, est-ce que promouvoir l’utopie espérantiste n’aboutit pas à dissuader de l’apprentissage réel des langues des autres pays et empêche en quelque sorte d’entrer de l’intérieur dans les autres cultures ? Par exemple, il serait possible, autant que nécessaire, qu’en Europe chaque citoyen maîtrise, en plus de sa langue, deux langues (de manière active et passive) et deux autres de manière seulement passive (comprendre simplement sans pouvoir parler).

Mais notre invité reconnaît qu’il commence à douter de sa critique de l’Espéranto.

L’auteur de cette « interpellation » reprend la parole et répond :

Au contraire, on se rend compte que la maîtrise de l’Espéranto est une excellente propédeutique (préparation) à la connaissance de langues étrangères, car cela permet de casser les schémas mentaux habituels (ceux qui résultent de sa propre langue) et ainsi pénétrer plus facilement dans d’autres cultures.

Par ailleurs, objecter que l’Espéranto n’est pas le vecteur d’une identité culturelle était peut être vrai il y a 100 ans (à sa création). Mais aujourd’hui l’Espéranto qui se classe dans les 20 premières langues du monde est riche de sa poésie, par exemple. De plus, la culture espérantiste s’est forgée dans le cadre de batailles politiques , derrière un projet à la fois humaniste et international.

L’intervenant suivant remarque, à l’instar de BC, que parler dans sa langue permet d’exprimer exactement et complètement sa pensée. D’où l’importance de développer l’échange sur le mode de l’inter compréhension (les interlocuteurs parlent dans leur propre langue avec la volonté active de se comprendre).

Par ailleurs, il s’étonne que B.C. n’ait pas un seule fois prononcé le nom du secrétaire général de la Francophonie ( Mr Boutros Ghali) dans son exposé

BC fait remarquer que ce sont essentiellement des raisons de prestige qui ont dicté le choix de l’ancien secrétaire général de l’ONU. Mais ce choix est aussi symptomatique du désintérêt des responsables politiques français pour la Francophonie. Car ceux-ci ont confié l’Institution à un personnage plus soucieux de son standing que de ses responsabilités. De plus, la désignation d’un égyptien apparaît assez mal venue, notamment par rapport aux pays d’Afrique noire.

Une participante souligne l’importance de la « démocratie » linguistique à travers l’exemple du mot « laïcité » qui n’existe pas dans le vocabulaire anglo-saxon. Car chaque langue a ses propres nuances, sa vision du monde qu’il s’agit de respecter.

Par contre, elle comprend moins pourquoi B.C. propose pour la Francophonie un projet dont les moteurs seraient la France et le Québec. Les valeurs essentielles portées par ce projet, la solidarité et le développement durable, pourraient aussi bien l’être par les pays d’Afrique avec lesquels ,d’ailleurs, un langage commun, forgé dans des pratiques concrètes de coopération, existe déjà.

B.C. part de l’exemple donné pour exprimer ses craintes sur le contenu de la Charte des droits sociaux fondamentaux en ce qui concerne la laïcité (ce document devrait être adopté au prochain Conseil européen de Nice.

Il précise ensuite son idée de moteur (l’axe) franco-québécois comme condition de la réussite d’un projet francophone spécifique. Ainsi, son l’impulsion ne peut être donnée que par ces deux pays, dans la mesure où ce sont eux qui ont le plus de moyens financiers et où ils accepteraient de sortir du cadre exclusif dans lequel ils se sont placés ( Europe, d’un côté, Etats Unis, de l’autre). De plus, ce projet ne pourra se construire qu’en y associant sans hiérarchie les autres pays dont le français est la langue.

Deux questions sont posées ensuite :

– La francophonie, telle qu’elle se pratique actuellement, n’est-elle pas, pour la France, un instrument de domination de ses anciennes colonies ?

– Ne vaudrait-il pas mieux que la collaboration ou les interactions existant dans le cadre de la Francophonie s’établissent plutôt entre des associations ou des entités non gouvernementales ?

B.C. fait sienne la formule du général de Gaulle, « les Etats n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts », pour rappeler que c’est son pré carré africain, plus son arsenal nucléaire – deux dimensions de sa politique de puissance – qui ont notamment permis à la France de « mériter » un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU.

Il indique ensuite que, dans les années 60, c’est une initiative africaine et non française qui est à l’origine de la Francophonie. De plus, les moyens dérisoires donnée à la Francophonie montrent qu’il n’y a pas de réelle volonté politique derrière. Ainsi la domination française, d’ailleurs bien fragile dans beaucoup d’Etats, se fait essentiellement par d’autres moyens.

Le choix de la langue du colonisateur par les nouveaux Etats indépendants comme langue véhiculaire est un choix par défaut fait volontairement. le français, le portugais ou autre leur apparaissaient moins menaçants que l’une de leurs langues locales (aucune ne couvrant la totalité de leur territoire) porteuse de déchirements ethniques. La langue du colonisateur comme moyen de domination n’est donc plus un sujet aujourd’hui, ni pour les africains, ni pour nous.

Les initiatives de coopération décentralisée ou directe qui se développent énormément entre associations et collectivités locales édifient fortement un espace public francophone où les gens se connaissent etc.

Une langue commune est constitutive d’un espace public car elle permet de parler à quelqu’un d’autre en faisant abstraction de son origine géographique ou nationale. Ainsi, le sénégalais, le marseillais et le parisien, grâce à la langue française, sont en lien et peuvent directement discuter, en pour et en contre, du sujet qui les intéresse (du basket comme de écologie politique, par exemple).

La Francophonie ne peut donc absolument pas se réduire à la coopération entre Etats dont d’ailleurs certains dirigeants, par la possession de gros comptes en Suisse, montrent clairement où ils situent leurs intérêts.

Puis un intervenant expose sa réflexion sur la langue en tant que pouvoir et en tant qu’entité organique vitale ; c’est à dire quelque chose d’intime à l’intellect et aux affects de chacun, qui se développe au plus prés et avec ceux- ci.

Par ailleurs, les défenseurs historiques d’une langue , comme Dante ou Diderot, en cherchant extraordinairement à atteindre l’universel, ont créé des œuvres immenses qui ont joué pour les langues concernées le rôle de citadelles.

Egaux entre eux, les langues et dialectes ,du fait de leur singularité et de leur rythme intime propre, peuvent être comparée aux espèces naturelles dont il est nécessaire de protéger la diversité.

Enfin, les langues fabriquées comme l’Espéranto ont leur utilité car la langue naturelle n’arrive pas forcement à exprimer tout ce dont on a besoin.

La personne suivante constate que l’anglais est la langue véhiculaire et de travail la plus communément utilisée par les européens. Ainsi il a vu, le jour même, une journaliste française et un étudiant espagnol s’exprimer en anglais lors d’une interview à la télévision régionale. Lui-même a été amené à apprendre l’anglais en accéléré pour participer à une mission dans le cadre d’un programme de l’Europe en république Tchèque. A cette occasion, il s’est rendu compte combien l’anglais est une langue facile à acquérir, un instrument pratique pour le travail et la communication.

Il interpelle ensuite B.C., trouvant curieux qu’il n’oppose au grand projet libéral (anglophile), fort parce que fondé sur l’économique, un projet culturel non constitué et peu attractif basé sur la diversification des langues en Europe (défense du pluralisme linguistique). Cette proposition, sans intérêt pour la masse des gens, apparaît tout à fait décalée par rapport aux points de faiblesse que le fondateur d’Attac prétend discerner dans le système de la mondialisation.

B.C. relève également qu’en Europe l’habitude de communiquer systématiquement en anglais s’installe dans les colloques, dans les conférences de presse, dans les sommets…. Au risque de déplaire à ses amis catalans, il raconte qu’au cours d’un colloque en Catalogne il leur disait qu’ils avaient pourtant à portée de main une langue internationale, le castillan. Car l’usage de l’anglais est là-bas d’autant plus prégnant que les catalans considèrent l’anglais moins dangereux pour leur propre langue que l’espagnol. En France, ce même raisonnement est tenu par le linguiste Laffont en ce qui concerne les langues régionales ; ce qui laisse B.C. pantois.

B.C. remarque que le programme européen d’aide aux pays de l’Est dont il était question est exclusivement écrit en anglais ainsi que les appels d’offre s’y rapportant. Ce qui donne un avantage énorme aux firmes de consultants anglaises, parce qu’elles sont déjà chez elles dans cette langue.

Il ne pense évidemment pas que la diversification linguistique, mesure strictement conservatoire, puisse en quoi que ce soit mettre à bas le libéralisme. Mais son message est ici de montrer que dans le discours anti libéral la dimension linguistique n’est généralement pas prise en compte, alors qu’elle fait complètement partie du sujet

L’intervenant suivant fait d’abord observer que, si les africains ont créé la Francophonie, celle-ci est néanmoins minoritaire dans les pays d’Afrique francophone. Seuls, environ 10% de leurs habitants font usage du français. Cette francophonie n’est donc pas, au départ, celle des populations mais celle des élites ;celle des bourgeoisies nationales qui se sont construites avec le colonisateur, le dominateur.

Deuxièmement, il constate qu’en France, par le passé, c’est l’imposition du français qui a réduit les langues régionales à l’inanité. Ce qui permet au linguiste Laffont d’affirmer à juste titre que l’anglais est moins dangereux que le français pour les langues régionales.

Enfin, il remarque qu’aujourd’hui, c’est au nom de la défense de la langue nationale française qu’on freine des deux pieds dans la ratification et la mise en place des dispositions liées à la charte européenne des langues minoritaires.

B.C. considère que les pays africains, 40 ans après leur indépendance, s’ils le veulent, peuvent parfaitement changer de langue. Dans leur contexte de balkanisation linguistique (on peut s’étriper pour les langues, il ne faut pas en jouer), le choix d’une langue véhiculaire se fait par défaut. Actuellement, si un choix concret se pose aux africains, ce n’est pas de passer du français à une langue africaine, mais du français à l’anglais.

Dans l’intitulé « charte européenne des langues minoritaire », B.C. n’accepte pas le concept de minorité, car il n’est pas compatible avec la République telle qu’on la conçoit en France. Dans la conception laïque, il n’y a pas plus de minorité religieuse que de minorité linguistique ou sexuelle. L’espace public y est composé de gens différents, de ressortissants, d’étrangers, mais pas de minorités.

Par contre il se déclare très favorable au développement de l’enseignement des langues régionales.

Mais en France ces langues ne doivent pas être territorialisées (superposer les langues et les entités administratives, par exemple la Corse et le corse),ni avoir la possibilité d’être utilisées de plein droit dans l’espace public à égalité avec le français ( pour ester en justice. etc.)

En gros on a droit à baragouiner n’importe quoi, sauf en public, reprend la personne ayant posé la question.

B.C affirme que mettre en œuvre la Charte des langues minoritaires reviendrait à démanteler la République, ses valeurs, la possibilité pour ses citoyens d’y circuler et d’y exercer partout.

Disloquer de la République, contrairement à ce que certains pensent, n’est pas un projet anti-libéral, bien au contraire. Les Etats représentent encore un certain obstacle pour les multinationales qui font tout pour s’en débarrasser. Ainsi la stratégie bruxelloise du libéralisme se confond avec le projet de l’Europe des régions auxquelles on ferait coïncider des dimensions linguistiques

Si B.C. reconnaît que le français a joué un rôle destructeur, il considère que ce n’est pas une raison pour ne pas le défendre aujourd’hui. Il faut, dit-il, faire fonctionner sa tête et pas seulement son cœur. De la même manière il s’agit également de ne pas considérer l’Etat comme l’ennemi principal face au libéralisme

L’intervenant suivant rappelle qu’au Sénégal, son pays, la langue officielle qui est le français se juxtapose à plusieurs langues nationales dont la sienne, le ouolof. Ensuite, il informe que l’Etat sénégalais commence depuis quelques année à faire l’alphabétisation en langues nationales.

Puis il raconte les grosses difficultés que rencontrent de plus en plus les étudiants africains francophones pour venir faire des études supérieures en France ; ce qui les conduit très souvent vers les USA qui développent, par contre, une politique d’accueil très attractive. Cette situation est aussi révélatrice de l’absence de projet politique pour la francophonie.

B.C. stigmatise la politique des visas de la France à l’égard des étudiants d’Afrique noire. Par contre, les Etats-Unis ont, eux, une politique d’Etat efficace qui consiste à attirer les étudiants africains, chez eux ou dans des établissements qu’ils implantent directement en Afrique ; leur mission non dissimulée étant de remplacer l’influence française par la leur.

Un intervenant québécois a remarqué en France une grande tolérance par rapport à l’anglais – dans les publicités, la communication – qu’il trouve scandaleuse. Il se demande si la solution ne serait pas l’imposition d’une loi linguistique afin de freiner cette forme d’hégémonie américaine et libérale anglophone.

B.C. abonde dans ce sens, tout en constatant qu’en France une telle intervention serait dénoncée comme une atteinte aux libertés individuelles : cf. les réactions de la presse contre la loi Toubon.

Un participant, évoquant J.F Lyotard et son concept de post-modernité, demande où se situe l’enjeu linguistique dans ce contexte historique (fin des Etats classiques, résurgence des entités régionales).

B.C. répond qu’il ne sait pas très bien ce qu’est la post-modernité. Pour lui, toute la question linguistique est d’envisager comment la communauté d’une langue en partage peut être un élément de résistance à l’uniformisation culturelle, sans être en même temps un facteur de régression (à l’exemple du nationalisme linguistique).

Il constate que le rouleau-compresseur libéral agit essentiellement comme une colonisation douce ; la conquête des esprit apparaissant beaucoup plus importante que la conquête des territoires.

Toutefois, il tient à préciser que sa réflexion n’est pas figée et que les propositions faites ici n’engagent que lui-même ; celles-ci n’ayant d’ailleurs pas été soumises à ATTAC où les points de vues sur cette question sont très divers.

Francis JUCHEREAU


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