Avec Freddy LE SAUX et Jacques BOULAN
Le réchauffement climatique une pollution différente
L’ALDER, qui travaille depuis plusieurs années sur le thème des énergies renouvelables et des économies d’énergie, fait le constat que les efforts faits en matière de diminution des gaz à effet de serre (GES) restent dans la marge. Ce qui est gagné d’un côté, est perdu par l’augmentation continue de la consommation. Il ne sert à rien d’imposer ces idées aux forceps dans notre société de gaspillage. Une prise de conscience des risques encourus par le climat de la planète est nécessaire pour une action efficace.
Le thème du réchauffement climatique est devenu récurrent dans notre société. Mais il se limite aux comptes rendus des grandes messes internationales, et quelques raccourcis spectaculaires lors d’événements climatiques.
C’est aux citoyens de s’emparer de ce thème ; le changement ne viendra pas d’en haut, comme le dit Frédéric Durand, Maître de conférence à Toulouse en géographie (Le Monde Diplomatique, novembre 2002) : » Quel responsable politique ou gouvernement de pays industrialisé oserait reconnaître que les modes de vie et de consommation qu’il défend et qui sont les nôtres constituent un risque majeur pour une part importante de l’espèce humaine et peut-être même pour nos civilisations ? »
Aujourd’hui les conclusions du GIEC (Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) ne font plus débat, elles sont admises par tous, scientifiques et politiques ; mais de là à agir sérieusement, il reste un fossé intellectuel immense à franchir.
Le rôle du GIEC, composé de 2000 scientifiques, est « d’expertiser l’information scientifique, technique et socio-économique qui concerne le risque de changement climatique provoqué par l’homme ». Il ne s’agit donc pas d’un laboratoire de recherche, mais d’une référence internationale admise par tous.
La principale conclusion est que la température de la terre est intimement liée à la teneur en gaz à effet de serre (GES), en particulier le gaz carbonique (CO2). Depuis 400.000 ans, la teneur en CO2 a toujours décru et n’est remontée que depuis le début de l’ère industrielle. L’augmentation des GES est liée à l’activité humaine et en particulier à l’usage des combustibles fossiles, mais aussi à l’agriculture : élevage, riziculture, engrais qui dégagent du méthane et du protoxyde d’azote, puissants GES.
Fin octobre, à New Delhi, à la conférence sur le climat, les Européens soutenus par les Canadiens et les Japonais souhaitaient, pour préparer l’avenir, que la déclaration fasse en outre référence aux travaux du GIEC qui montrent que seules de très fortes réductions d’émissions seraient susceptibles d’atténuer le dérèglement climatique à venir. Evidement, il n’en fut rien.
Actuellement les engagements de Kyoto proposent de ralentir nos émissions de GES. Nous admettons donc qu’il y a un problème. Au lieu de foncer à 100km/h dans le brouillard, on nous propose d’y aller à 95km/h. Même si avec de grands efforts, nous arrivions à l’arrêt devant le mur, à quoi cela nous servirait ? Ce n’est pas d’une décroissance pure et simple que nous avons besoin, mais de réorienter nos sociétés vers un mode de vie qui puisse être partagé par la planète entière sans dégât pour notre écosystème ni pour la société. Cela veut dire repenser complètement comment satisfaire nos besoins vitaux, sans faire appel aux énergies fossiles.
Certes le chemin à parcourir et long, deux siècles d’abondance ne s’oublient pas comme ça, c’est plus une question de réadaptation mentale que technique.
Pourquoi agir maintenant ?
Le réchauffement climatique a-t-il déjà commencé ? Oui, de 0,6°C au cours du 20ème siècle. De nombreux indices le prouvent en plus des relevés : recul des glaciers, déplacement des zones de peuplement de certaines espèces animales et végétales…
0,6°C cela paraît peu et encore supportable, mais le phénomène est lié à une très grande inertie. Physiquement d’abord : le CO2 que nous émettons maintenant, restera dans l’atmosphère un siècle environ. Plus nous tarderons à stabiliser nos émissions, plus la concentration en GES sera élevée. Une fois la concentration stabilisée, la température continuera de croître un millier d’années avant de se stabiliser. Plus la concentration finale sera haute, plus l’augmentation de température sera importante.
Le GIEC a étudié plusieurs scénarios. En fonction de la concentration finale de GES, les estimations varient entre plus 1,5 et 6°C au cours du siècle. Une augmentation de 2°C en un siècle, même si c’est considérable, peut apparaître comme supportable ; mais 6°C, on peut appeler cela un choc climatique, nos sociétés et la nature auront beaucoup de mal à s’adapter.
Tous ces scénarios prennent en compte qu’à plus ou moins long terme, nous n’émettrons plus que 3Gt (giga tonnes) d’équivalent carbone au lieu des 6 ou 7 actuellement. Le scénario du laisser-faire sur la pente actuelle qui conduirait à 20 Gt par an à la fin du siècle, n’a même pas été étudié par le GIEC tellement il serait CATASTROPHIQUE. Il est INENVISAGEABLE.
Pourquoi devons-nous arriver à 3 Gt d’équivalent carbone par an ?
Tout simplement parce que c’est la quantité de carbone que la nature peut absorber, en compensant nos émissions.
Si l’on souhaite que tous les humains aient les mêmes droits, cela veut dire qu’à l’heure actuelle, chacun peut émettre 500kg d’équivalent carbone par an. Nous, Français, sommes à 2200kg, les Chinois à 600kg, les Américains à 5500kg et les Indiens à 400kg. On comprend tout de suite que l’économie basée sur l’énergie carbonée n’est pas compatible avec la préservation du climat et la juste répartition des richesses.
Quelles conséquences sur le climat ?
Les conséquences d’une augmentation brutale de la température ne peuvent être définies avec précision région par région. Mais les tendances générales sont connues : accentuation des extrêmes entre pluies et sécheresses, déplacements des zones favorables pour les végétaux mais aussi pour les parasites et les vecteurs d’épidémies, montée des océans, ralentissement voire arrêt des courants marins qui assurent une régulation thermique comme le Gulf Stream, augmentation de la fréquence et de la force des événements climatiques.
L’augmentation de la température peut être aussi favorable dans certains cas : croissance des végétaux, recul des zones aujourd’hui hostiles.
En plus de l’augmentation de la température, le facteur important est la vitesse du phénomène. Si le pissenlit est capable de se déplacer rapidement pour suivre une zone favorable, il n’en est pas de même pour le chêne. De même si des pays deviennent trop inhospitaliers, les déplacements rapides de population se feront dans la douleur. Les migrations actuelles sont déjà mal vécues. On ne reconstruit pas une ville nouvelle en quelques années et l’adaptation de l’agriculture ne se fera pas sans frais.
Plus nous attendrons pour réagir, plus l’augmentation de température sera élevée et plus rapide sera le phénomène entraînant en choc climatique et des tensions géopolitiques fortes autour des sources d’énergies et des zones favorables.
Sur quels facteurs agir ?
Puisque l’activité humaine est responsable de l’émission des GES, l’homme se doit de réagir. Mais sur quels facteurs agir en priorité?
L’équation de Kaya illustre bien la problématique.
GES= GES/TEP*TEP/PIB*PIB/POP*POP
Où : GES= Gaz à effet de serre ; TEP= Tonne équivalent pétrole ; PIB=Produit intérieur brut et POP=Population.
Traduit en français cela signifie :
Emissions de GES = Contenu en gaz à effet de serre de l’énergie * Intensité énergétique de l’économie * Production par habitant * Population
La quantité de GES émise actuellement doit être divisée par 2 au moins. Etant donné que le dernier facteur de l’équation, la population, n’est pas une donnée vraiment maîtrisable et qu’elle doit quasiment doubler au cours du siècle, nous devons agir sur les trois autres facteurs pour réduire nos émissions d’aujourd’hui par 2.
Le choix des énergies utilisées : les énergies fossiles que sont le charbon, le pétrole et le gaz sont à proscrire le plus rapidement possible car elles sont grosses émettrices de GES. En France, surtout utilisées pour nous chauffer et nous déplacer, elles seront très difficiles à remplacer, si nous ne changeons rien à nos modes de déplacement et si nous ne faisons pas de sérieux efforts pour l’isolation de nos maisons.
L’intensité énergétique, c’est à dire la quantité d’énergie consommée par unité de production. Ce facteur est en constante amélioration, nous avons fait de beaux progrès depuis le début de l’ère industrielle, mais aujourd’hui, sur trente ans nous gagnons environ un facteur de 0,2.
La consommation par habitant : il paraît difficile de la diviser par 2 quand on sait que 20% de la population consomme environ 80% des richesses. C’est bien sûr à nous, pays développés, de revoir notre consommation matérielle.
Par exemple une nourriture trop carnée est génératrice de beaucoup de GES, car on consacre environ 50% des terres à la nourriture animale. Nos poubelles contiennent grosso modo, triées ou pas, 10% de nos émissions de GES. L’avion est le pire des moyens de transport, la voiture ne vaut guère mieux, et c’est un secteur en forte croissance : doit-on faire le 3ème aéroport parisien et développer le programme autoroutier ? Il y a sûrement d’autres voies à suivre.
Potentiel et risque de chaque énergie :
Les énergies fossiles sont une énergie de cueillette, elles seront bientôt épuisées, elles produisent des déchets impossibles à gérer, elles représentent une menace grave sur l’ensemble de notre écosystème, elles sont à proscrire au plus vite. Mais elles ont un faible coût et sont faciles d’utilisation.
L’ énergie nucléaire est séduisante par son rapport entre la quantité de matière en jeu et l’énergie fournie, mais elle exige une grande maîtrise technologique. Elle produit des déchets difficiles à gérer, à ne pas mettre entre toutes les mains, mais ne produit pas de gaz à effets de serre. Le coût du kWh est compétitif, mais les ressources en uranium 235 sont limitées, la filière est peu développable. La filière uranium 238 (surgénérateur) présente de moindres risques, la ressource est abondante, mais elle manque de recherche. Dans le contexte actuel, l’abandon pur et simple est à mettre en balance avec nos besoins actuels et les risques que nous préférons courir.
Les énergies renouvelables sont une énergie de flux. Leur mise en œuvre est plus complexe et entraîne des investissements plus lourds. Le coût du kWh est souvent plus élevé dans le contexte actuel. Le potentiel est de 40% de nos besoins actuels.
Les économies d’énergie : c’est le plus grand gisement qui est devant nous.
La résolution de cette équation n’est pas simple. Si nous ne voulons rien changer à notre mode de consommation, il faut remplacer les énergies fossiles (les plus utilisées à ce jour) par l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables. C’est à dire remplacer des émissions diffuses de CO2, incontrôlables et préjudiciables à notre climat, par des déchets radioactifs hautement toxiques, mais potentiellement contrôlables, ou par la prédation d’espace précieux pour nourrir la planète.
Sachant que les énergies renouvelables et le nucléaire représentent actuellement chacun moins de 10% de la production mondiale, on mesure le chemin à parcourir. Si le choix était de miser sur le nucléaire, on pressent bien qu’on aurait toutes les chances de remplacer les marées noires par des » marées nucléaires « . Si l’on veut encore l’utiliser ce doit être avec raison pour satisfaire les besoins de grosses puissances de l’industrie. Quant aux énergies renouvelables, le potentiel admis pour ne pas tomber dans des excès néfastes est de 40% de nos besoins actuels.
Doit-on attendre un miracle technique ?
On en rêve encore. Mais malheureusement l’état des connaissances actuelles, les limites de la physique et de la nature, font qu’il n’y a rien qui nous sauvera à moyen terme. La fusion nucléaire n’est pas près d’être maîtrisée. Le sera-t-elle un jour ? L’hydrogène qui ne peut être qu’un vecteur énergétique pose lui aussi de gros problèmes. A l’heure actuelle il est obtenu à 90% à partir du gaz ou du pétrole ! Ce n’est pas pour faire le pessimiste jusqu’au bout, mais il n’y a aucune énergie aujourd’hui qui puisse remplacer le pétrole qui sera en voie de disparition vers 2050, le gaz qui expirera ses dernières bouffées vers la fin du siècle, et le charbon qui reste disponible pour 3 siècles environ, mais qui est la plus sale des trois.
Aucune solution ?
Si l’on pense toujours le monde sur le modèle actuel, il n’y a sans doute pas de bonnes solutions. Seulement des fuites en avant qui nous conduiront à d’autres travers. Un seul exemple et je ne parlerai pas du choix du nucléaire car tout le monde devine bien la dérive. Imaginez un seul instant qu’il existe la voiture » Zéro Pollution » et que l’on continue sur la pente actuelle : on devine bien que l’on va vers la saturation et le blocage du système du déplacement individuel. Nos villes sont déjà saturées et rendues invivables par la voiture et au moindre incident climatique ce sont tous nos grands axes qui se bloquent. Nos grands systèmes centralisés et monolithiques sont devenus contre-productifs : Nous ne développons plus l’automobile pour le bien-être qu’elle nous donne, mais parce que c’est générateur d’emploi et que c’est bon pour le PIB.
Je voudrais par cet exemple un peu caricatural, montrer que ce n’est pas en cherchant des solutions à nos problèmes d’aujourd’hui (comment faire rouler ma bagnole sans polluer ?) que nous trouveront les vraies solutions, mais en nous posant des vraies questions : Quand je dois me déplacer seul, dois-je déplacer avec moi une tonne de ferraille qui occupe 6 à 8 m² quelle que soit la distance ? Ou bien aller à pied, à vélo ou en bus pour les courts trajets, prendre le train pour les longs parcours, faire du covoiturage pour aller au travail ? Ces simples actions individuelles sont bien plus efficaces que n’importe quel progrès technique pour réduire nos émissions de GES.
Collectivement repensons la façon de faire nos villes où la voiture ne serait plus au centre des préoccupations pour les rendre plus agréables aux hommes, pour pouvoir y organiser des déplacements efficaces et agréables au lieu de partir miter la campagne de pavillons faussement campagnards.
Cet exemple montre que dans presque tous les domaines où l’on doit agir, il y a à la fois une part de responsabilité individuelle et une part collective.
Si nous sommes capables de reformuler nos besoins, de distinguer le nécessaire du superflu, alors, il y a des solutions.
Une des premières est l’économie d’énergie. De tous les gisements qu’il y a devant nous, l’économie d’énergie est de loin le plus grand. C’est aussi le plus efficace : un kWh non consommé n’a aucun impact sur l’environnement. Tout le monde connaît aujourd’hui les lampes basse consommation qui consomment 5 fois moins que nos lampes classiques et qui rendent le même service. Mais savez-vous que l’on fait des maisons et même des immeubles qui consomment 10 fois moins d’énergie que nos maisons modernes, au point qu’ils n’ont plus de système de chauffage traditionnel ? Ils sont simplement sur-isolés, et on renouvelle l’air sans laisser sortir les calories. Le chauffage c’est 20% de notre consommation totale, l’éclairage quelques %. Si on veut, on peut. La différence principale est qu’il y a un plus gros investissement mais ensuite un moindre coup de fonctionnement.
Ensuite, viennent les énergies renouvelables. Si on en attend les mêmes services que les énergies classiques, on sera déçu, car elles ont leurs limites. Ce sont des énergies diffuses, plus ou moins faciles à stocker et à faire circuler. Mais elles ont l’immense avantage qu’elles sont diffuses et variées sur les territoires et qu’elles permettent des productions décentralisées, voire individuelles. Individuelle ne veut pas dire individualiste. Il faut toujours penser collectivement et rester en réseau pour une meilleure efficacité. Nul ne doit pouvoir accaparer des ressources naturelles sans organisation collective, qu’il s’agisse de paysage (éolien), d’eau (hydroélectricité), de biomasse ( bois de chauffage, biocarburant). Ce qui est bon ici, peut être néfaste ailleurs : le bois énergie est pertinent en Limousin, il est néfaste dans nombre de pays africains.
Quels outils utiliser pour cette mutation culturelle ?
– L’éducation, la formation. Pour le moment nous en sommes au degré zéro dans nos écoles, tout est à faire. Mais qu’y enseigner ? Le choix du « toujours plus » dans la technicité et la fuite en avant en déplaçant les problèmes au lieu de les régler, ou l’apprentissage d’un monde plus spartiate et économe de ses ressources ?
– Les outils fiscaux : ne soyons pas naïfs, s’il n’y a pas un intérêt économique, nous ne changerons pas nos comportements pour raisons morales. A nous d’exiger des mesures et de mettre au point des systèmes qui engagent des changements irréversibles. Même si tout le monde pleure quand le prix de l’énergie monte, le passé nous démontre que nos sociétés font des progrès quand le prix de l’énergie est élevé.
– Les outils juridiques et constitutionnels : le marché seul ne peut prendre en compte les émissions de GES, même si l’on essaye avec les permis d’émission, seuls les industriels sont concernés. La moitié des émissions est due aux particuliers. Il faudra trouver un cadre législatif. Peut-on laisser remettre en cause à chaque élection le prix des énergies ou le choix des écotaxes ?
– L’analyse de nos besoins :
Ne plus penser en termes de production d’énergie, mais en termes de besoin.
Réorienter les infrastructures générales de nos sociétés.
Réorienter la recherche et les investissements.
C’est bien là-dessus qu’il doit y avoir débat. Il est certain que derrière cette mutation apparemment technique se cache une mutation philosophique qui remet en cause notre modèle de société. Si nous ne faisons pas ce travail rapidement, c’est le changement climatique qui remettra en cause nos civilisations, et dans la douleur.
Le Débat
Le débat s’amorce à partir d’une grille projetée sur l’écran, intitulée : comment serait un monde énergétiquement » vertueux » ?
Une intervenante, sur l’idée de « moins de transports », demande si des actions sont faites à la mairie de Limoges pour des transports gratuits, comme c’est le cas à Châteauroux.
Jacques BOULAN :
Si ça permet aux gens de ne pas prendre leur voiture, c’est quelque chose d’intéressant. Je vois bien l’aspect social du transport gratuit, mais il ne faut pas se faire d’illusion. Si on veut que l’utilisation des transports motorisés baisse, il faudra forcément que le coût augmente. Cela dit, à Limoges il y a des trolleys-bus, ce qui est un point important sur le plan de l’effet de serre.
La même intervenante donne une information pour les avions : 97% de la population mondiale n’utilise pas l’avion.
Freddy LE SAUX
Actuellement les bateaux consomment plus, produisent plus, mais vont être dépassés très rapidement par l’avion qui est une calamité pour l’émission des gaz à effet de serre et qui, en effet, n’est utilisé que par 3% des humains.
Christophe SOULIé revient sur la gratuité des transports. A propos de ce que disait Freddy : » une tonne permet de transporter une personne » (dans le cas de la voiture), avec les transports en commun, ce rapport diminue. Donc la gratuité peut être non seulement une mesure sociale, mais aussi une incitation. Châteauroux est la plus grande ville en France qui pratique la gratuité. D’autres villes plus petites se sont lancées dans l’expérience.
Jacques BOULAN projette le graphique des dépenses énergétiques par passager au kilomètre selon les modes de transport. On voit que le mode le plus économe est la bicyclette (curieusement par rapport à la marche). On voit que les trains et les autobus ne sont pas loin (ce graphique ne représente pas les trolleys et les tramways qui consomment de l’électricité). On voit la voiture particulière, puis l’avion. L’avion court courrier est la plus mauvaise solution. Quant à l’avion long courrier, on dit qu’un voyage en avion correspond à la même consommation d’énergie que si chaque passager avait fait le voyage seul dans une voiture particulière.
Joannès BILLO pense que sur la question des transports on est en pleine hypocrisie médiatique en criant haro sur les chauffards […]. En ce qui concerne l’alimentation : comment a-t-on calmé les paysans qui bloquaient les routes avec les tracteurs ? On a eu vite fait de leur faire avaler n’importe quoi à coups de milliards. Le monde agricole se laisse prendre, car pour lui il n’y a que l’immédiat qui compte et, du moment qu’il tombe des sous dans son escarcelle, il oublie tout le reste. Avec des solutions comme ça, Jonnaès est très pessimiste.
Freddy LE SAUX : La question de la consommation de la viande est très importante car dans un pays comme la France, 50% des terres agricoles servent à produire la nourriture des animaux. En gros, c’est une image, avec un bœuf on nourrit 1500 personnes, avec les céréales qu’il a mangées, on pourrait en nourrir 15.000. Une tonne de céréales dégage 110 kilos de gaz à effet de serre, alors qu’une tonne de carcasse de bœuf peut aller jusqu’à huit tonnes, plus que le poids de la viande. Il est donc évident que la nourriture carnée est génératrice de gaz à effet de serre.
Par rapport à la sauvegarde des paysans, il n’y a rien à perdre à aller vers une autre agriculture. Par exemple l’agriculture biologique a une vertu, c’est d’être génératrice de main-d’œuvre. Elle a des rendements inférieurs mais si on utilise moins de surfaces en produisant des céréales au lieu de nourrir des animaux, on peut tout à fait nourrir 11 milliards d’être humains avec une agriculture différente.
Jacques BOULAN : Il n’est pas question de ne plus manger de viande. Ce n’est qu’une réflexion pour montrer qu’en matière de gaz à effet de serre, certaines productions, dont les productions carnées, sont plus nuisibles que d’autres.
Par exemple, il vaut mieux manger du porc que du bœuf et il vaut mieux manger du poulet que du porc, parce qu’on a des émissions de gaz à effet de serre liées qui sont moindres. Evidemment ça touche des choses un peu sensibles et ça peut être désagréable. Mais il faut rappeler qu’actuellement en France chacun d’entre nous émet deux tonnes de gaz à effet de serre par an dans l’atmosphère. On ne va pas ramener cette émission à 500 kilos parce qu’on ne va pas arriver à un monde idéal où chaque homme consommerait la même quantité d’énergie, mais il faut la réduire de façon extrêmement importante, ce qui ne pourra pas se faire si l’ensemble des individus qui constituent cette société ne prend pas conscience de tout ça, et n’oriente pas ses choix de consommation en conséquence.
Donc, oui, les céréales demandent beaucoup moins d’énergie. A calories égales c’est absolument vrai. Ca fait donc partie des choix que l’on aura à faire. Si on ne fait pas ce choix-là, il faudra en faire d’autres, car il faut arriver à un résultat très vite.
Une intervenante souhaite orienter le débat vers la santé, domaine actuellement en pleine expansion. Elle n’a pas vu grand chose dans les études présentées, sur le coût énergétique dans ce domaine, ainsi que sur les conséquences que pourrait avoir une modification de notre mode de vie, par rapport à cette santé que l’on veut à tout prix comme si c’était un domaine auquel on ne veut pas toucher.
Freddy LE SAUX : Je ne peux pas donner de chiffres. Mais cela renvoie à la question : qu’est-ce qu’on veut préserver du niveau de vie qu’on a aujourd’hui ? Qu’est-ce qui est le plus important ? Est-ce que c’est consommer un peu tout et n’importe quoi ? (à savoir que dans nos poubelles il y a à peu près 10% de nos gaz à effet de serre). C’est comme l’éducation. Je ne sais pas ce que cela consomme, mais c’est un secteur qui me semble primordial. D’abord l’éducation et la santé, puis le reste, dans lequel des tas de choses sont superflues. Je schématise, mais je ne pense pas que ce soit sur le secteur de la santé qu’on puisse faire les plus gros progrès. Encore une fois : quelles sont nos priorités ? C’est de cela qu’il faut débattre.
Pierre-Louis CAZAUX : Je travaille à l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) , en particulier sur la promotion des énergies renouvelables et la maîtrise de l’énergie. Je suis aussi parfois un peu militant, j’aimerais donc aborder l’aspect géopolitique de ce débat.
On a vu tout à l’heure que l’impact de l’effet de serre n’était pas homogène. Par rapport à l’agriculture, on peut avoir des impacts positifs (augmentation des rendements) suivant l’implantation géographique. Des pays comme le Bangladesh devraient disparaître sous les inondations, mais d’autres pourraient ne pas forcément y perdre. En termes géopolitiques, l’effet de serre risque d’augmenter les inégalités qu’il peut y avoir dans le monde. En effet, un certain nombre d’impacts pourra tout à fait être maîtrisé par les pays puissants, qui possèderont les technologies pour réduire ces impacts au niveau de leur population. A mon avis, il va y avoir des tensions migratoires très importantes.
Deuxième remarque : faut-il faire une évolution ou une révolution ? Faut-il faire de petites choses ou opérer un changement complet de notre façon de vivre ?
Vous nous avez démontré qu’il ne faut pas rêver, ce ne sont pas des petits changements de technologies qui vont suffire. Je ne suis pas spécialement révolutionnaire, et pourtant il va falloir changer énormément de choses. Comment arriver à cette révolution en question ? Là par contre, je pense qu’on peut tout à fait y arriver par un certain nombre d’évolutions qui, petit à petit, changeront notre esprit de vie. Je suis optimiste par rapport à ça, car à mon niveau je vois passer au jour le jour des petits » trucs » qui se font en Limousin.
Quant à ces politiques, à l’action incompatible avec l’objectif à atteindre, j’ai l’impression que, grâce aux petites évolutions des citoyens que nous sommes, ils pourront adhérer un jour à l’idée que ce sont de plus grosses évolutions qui doivent aboutir à terme.
Jacques BOULAN : Ca c’est un point très important, c’est le sens de notre démarche.
Dans une démocratie on ne peut pas s’attendre à ce que ce soient les hommes politiques qui fassent évoluer les choses dans le bon sens, car ils sont trop dépendants du résultat des élections. Ils ne peuvent pas proposer des mesures impopulaires. C’est donc à chacun de prendre conscience de ce problème-là, d’en faire prendre conscience ses voisins, peut-être de modifier un petit peu tous les jours sa façon de vivre pour que cela fasse tâche d’huile, et puis d’en parler aux élus pour qu’ils se disent :
» tiens il y en a trois qui m’ont parlé de ça aujourd’hui, c’est que ça doit devenir sérieux. Je vais pouvoir commencer à y penser « .
En faisant des recherches sur Internet, je me suis aperçu que le Sénat a fait un groupe de travail sur ce problème. Un rapport a été fait. Ils sont donc absolument au courant de tout ce qu’on vient de dire, certainement beaucoup plus en détail et en profondeur. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont au courant qu’ils vont influer sur la politique, car ils seraient balayés aux prochaines élections. Il faut donc qu’il y ait un nombre suffisant de citoyens qui leur disent : » allez-y, on vous soutient, il faut aller de l’avant « .
Il est sûr que les mesures individuelles ne règleront pas tout le problème, ce serait beaucoup trop lent. On l’a vu sur les courbes, il ne faut pas attendre cinquante ans avant d’avoir complètement changé les données. Les changements doivent se faire dans les quelques décennies très proches.
Freddy LE SAUX : Pour se remonter un peu le moral, on se rend compte dans un certain nombre de revues ou sur Internet que de plus en plus de personnes prennent conscience de ce problème, même à un très haut niveau. Seulement entre ce haut niveau et les militants de base comme nous, on a l’impression qu’il y a une masse informe à qui il ne faut rien dire, de peur de la traumatiser. Non, je crois qu’il faut y aller, qu’il faut rentrer dedans.
On a vécu avec une énergie abondante et pas chère, il était donc plus simple de consommer plus d’énergie que d’améliorer tel ou tel système de fabrication. On ne va pas dire c’est bien ou c’est mal, c’était comme ça.
Un livre paru il y a plusieurs années, Facteur 4, montre un gisement d’économies d’énergie. Cela prouve que lorsqu’on quitte le dogme de l’énergie abondante et pas chère, lorsqu’on décide qu’il faut payer le prix » environnemental « , on change sa façon de voir les choses et on trouve alors plein de solutions pour fabriquer, produire, se déplacer autrement.
Si on le veut tout n’est pas noir, mais s’il y a l’inertie de la planète, il y a aussi l’inertie de la société et les leviers pour faire bouger, je ne les connais pas tous.
Une intervenante demande de remettre le transparent précédent et s’arrête sur la phrase » incompatible avec l’objectif de sortir du nucléaire à moyen terme « .
Vous nous avez parlé d’un risque réel que vous avez démontré. Dans le cas du nucléaire on parle d’un risque hypothétique mais beaucoup plus grave. Bien qu’on ne soit pas dans la certitude mais seulement dans le risque, quand on voit le nombre de morts en Biélorussie et toutes les conséquences de Tchernobyl, on se rend compte qu’on ne peut absolument pas négliger ce risque. La certitude que vous nous présentez pour l’effet de serre peut faire peur, mais en même temps on se dit qu’il y aura peut-être une adaptation.
L’affirmation » incompatible avec l’objectif de sortir du nucléaire à moyen terme » n’est peut-être pas à présenter de cette façon-là. Même si on a fait allusion au surgénérateur, il reste plein de problèmes non résolus dans ce domaine : problèmes techniques, problèmes de déchets, problèmes politiques par rapport au mode de société qu’entraînent les centrales nucléaires. Il me semble donc un peu rapide de passer là-dessus sans développer davantage.
Jacques BOULAN : Nous sommes là pour ça, pour développer toutes les questions qui se posent. Le graphique de Benjamin Dessus montre un scénario appelé Noé, avec des économies d’énergie très importantes. Dans ce scénario, le nucléaire se termine à la fin du siècle et les énergies fossiles continuent au-delà de ce siècle, en diminuant. Mais je ne suis pas sûr que cette étude ait été faite en calculant les giga-tonnes d’équivalent carbone dans l’atmosphère. D’autres schémas disent qu’il faut sortir du pétrole avant de sortir du nucléaire.
Le nucléaire fait peur, le nucléaire est dangereux, on est bien d’accord.
Mais prenons l’accident de Tchernobyl. C’est quelque chose de très contesté. Non pas l’accident lui-même mais ses conséquences. Il y a effectivement des gens qui parlent d’une quantité de morts absolument incroyable, on parle de 30, 40.000 morts. Ces études-là sont des études relativement individuelles. En revanche l’organisme international dépendant de l’ONU qui est chargé de surveiller les conséquences de l’accident, qui collecte des études scientifiques épidémiologiques, arrive à des conclusions complètement différentes. Il ne dit pas que ce n’est pas grave, mais que c’est différent. Il parle d’une quarantaine de morts directes. Il ne néglige pas le fait qu’il y a des cancers, mais dit que ce sont surtout des cancers de la thyroïde qui se soignent relativement bien. Tchernobyl est certainement quelque chose de grave, mais c’est aussi quelque chose de polémique. C’est-à-dire que des gens disent que c’est dramatique, d’autres que ça ne l’est pas.
Je voudrais quand même amener d’autres informations. On dit que le nucléaire est dangereux mais on ne dit pas que le charbon s’est avéré, par des statistiques officielles, avoir fait plusieurs milliers de morts chaque année. Rien qu’en Chine, il y a au moins cinq mille morts par an dans les mines.
Le pétrole est également dangereux d’après les statistiques tout à fait officielles. Evidemment on peut toujours contester les chiffres, mais alors on n’est sûr de rien.
Voilà affiché le nombre de morts par giga-watts électriques, en fonction du mode d’exploitation. Il y en a de 1,3 à 17 pour le charbon, de 1,5 à 11 pour le pétrole, de 0,3 à 3 pour le nucléaire.
Donc, il y a eu un accident à Tchernobyl sur quarante ans de production nucléaire, c’est exact, c’est dramatique. Mais nous sommes six milliards d’hommes sur Terre et l’effet de serre nous promet quoi ? Il nous promet à échéance de quelques décennies des conséquences sur la vie des humains qui ne vont pas se compter par 30 ou 40.000 morts. Ces conséquences sont probablement déjà palpables.