L’Algérie après 1962, l’engagement des Pieds rouges

Soirée organisée conjointement par Cultures Maghreb Limousin et le cercle Antonio Gramsci
Avec Catherine Simon, Mohammed Harbi et Georges Chatain

Présentation de la soirée

Première soirée de l’année 2011, cette soirée organisée conjointement par Cultures Maghreb Limousin et le cercle Antonio Gramsci, était exceptionnelle à plusieurs titres. Elle l’était par sa thématique tout d’abord, occultée et ignorée jusqu’à une période toute récente, par la qualité des trois invités ensuite : Catherine Simon qui a contribué à faire sortir de l’oubli  » les années Pieds-rouges « , Mohammed Harbi, acteur important de l’Algérie de cette époque, et Georges Chatain qui fut l’un de ces Pieds-rouges, et enfin par la qualité et la vivacité du débat, qui a été (on pouvait s’en douter) marqué par l’empreinte des bouleversements en cours dans le monde arabe.

Pascale Pellerin, pour le cercle Gramsci présente les invités. Catherine Simon est auteure de romans noirs. On peut citer en particulier Un baiser sans moustache (1) dont la lecture aide à comprendre l’Algérie d’aujourd’hui. Elle est grand reporter au journal Le Monde et fut correspondante de ce quotidien en Algérie au début des années 1990. Elle a publié récemment Algérie, les années pieds-rouges, des rêves d’indépendance au désenchantement 1962-1969 (Editions La Découverte) dont elle va parler ce soir. Le Cercle et Cultures Maghreb ont le très grand plaisir d’accueillir également Mohammed Harbi (2), qui a croisé à la fois l’activité intellectuelle (en tant qu’historien) et les préoccupations politiques : il fut en effet engagé d’abord au sein du MTLD(3), puis du FLN, avant et après l’indépendance où il fut conseiller du Président Ben Bella. Enfin, Georges Chatain, journaliste, qui a travaillé en Algérie dans ces années-là où il a collaboré à l’hebdomadaire Révolution africaine, un temps dirigé par Mohammed Harbi.

Driss Boularas présente ensuite Cultures Maghreb Limousin, jeune association créée en 2004 afin d’animer le débat autour de thèmes en rapport avec la culture, l’histoire, les questions de société. L’association a organisé des soirées comme celle d’aujourd’hui, mais aussi des projections de films. Elle est une laïque, ouverte à tous. Driss Boularas remercie la mission  » Diffusion culture et savoir  » de l’Université de Limoges qui a soutenu l’organisation de ce débat.

Premier intervenant, Georges Chatain, rappelle son parcours en Algérie. Il y est resté de 1962 à 1965. Il a travaillé à Révolution africaine dont M. Harbi a été le directeur, puis à l’hebdo de la jeunesse du FLN qui s’appelait Jeunesse. Après le coup d’Etat militaire de Boumédiène en 1965, Jeunesse a disparu et Georges Chatain a dû rentrer en France. Il s’interroge aujourd’hui sur l’origine de l’expression  » Pieds-rouges « , par allusion à celle plus connue de  » Pieds-noirs  » évidemment. Plusieurs origines possibles comme toujours dans ces cas-là. D’après Henri Alleg (l’auteur de La question) il s’agit d’une expression due à l’écrivain Kateb Yacine ; pour d’autres, Edmond Bruhat en aurait la paternité : ce Français d’Algérie connu pour avoir traduit Le Cid en dialecte pied-noir algérois, a travaillé pour un quotidien libéral qui a continué à paraître pendant les premiers mois qui ont suivi l’indépendance. Mais comme toutes les expressions populaires, son origine reste incertaine.

Les Pieds-rouges étaient souvent des militants qui en France avaient lutté contre la guerre. Certains avaient même participé aux réseaux de soutien au FLN.

Pour sa part, Georges Chatain doit son engagement à des amis algériens très engagés dans la lutte pour l’indépendance qui l’ont sensibilisé aux difficultés de la jeune Algérie indépendante, qui a été handicapée par le départ brutal des cadres français et par la politique de la terre brûlée menée par l’OAS, etc. Il y avait aussi l’impression sans doute un peu naïve de vouloir  » réparer  » les dommages de la guerre. Ainsi beaucoup de Pieds-rouges ont travaillé dans les ministères de l’Algérie indépendante, à l’Agriculture notamment. Il y avait aussi des enseignants (de la Primaire à l’Université), des journalistes … Il n’y a pas forcément de profil type du  » Pied-rouge « , les raisons et les niveaux d’engagement étaient divers et également leur façon de percevoir la réalité algérienne.

Catherine Simon vient d’apprendre la démission en fin d’après-midi du Président égyptien Moubarak. Cet événement a un rapport avec le sujet de la soirée. Au moment où elle a préparé ce livre sur les Pieds-rouges, le mot  » révolution  » apparaissait comme vieillot. Née en 1956, bercée dans son enfance par le contexte de la guerre d’Algérie, puis dans les années 1990 correspondante permanente du Monde en Algérie, elle a été frappée par le silence qui a régné à propos de l’Algérie de l’après 1962. On n’en a presque plus parlé, sauf à partir de la fin des années 1980 (avec la montée de l’islamisme puis avec la guerre civile). Lorsque Catherine Simon a commencé à travailler sur l’Algérie algérienne, elle a constaté qu’il y avait peu de travaux sur le sujet. Elle a choisi de faire témoigner les  » Pieds-rouges  » pour aborder cette période. Ces derniers ont formé une nébuleuse hétéroclite, avec des degrés d’engagement politique très divers, ce n’étaient pas tous des  » rouges « , il y avait des chrétiens de gauche, des opposants à la torture, des syndicalistes, etc. Ils ont ensuite été remplacés dans les années 70 par une autre génération, celle des  » coopérants techniques « . Catherine Simon a fait le choix de clore son étude en 1969. En effet, l’été 69 a vu l’organisation du  » Festival pan-africain « , qui a été quelque chose de fantastique pour ceux qui l’ont vécu. Il en reste aujourd’hui une trace magnifique : le film de William Klein qui vient de sortir en DVD(4). Le festival a duré 15 jours, c’était un événement culturel et festif, mais aussi très politique … Ce fut le point d’orgue d’une période d’effervescence où Alger a été en quelque sorte la Mecque des révolutionnaires, parce que beaucoup de gens se réfugiaient en Algérie ou venaient d’Afrique ou d’Amérique latine pour y discuter politique. Mais le livre aurait pu s’arrêter en 1971, au moment de la dissolution du syndicat des étudiants, de la nationalisation du pétrole… Mais 1969 a été un tournant, car le mouvement Pied-rouge a été beaucoup plus important d’un point de vue culturel et symbolique qu’au plan politique. Les Pieds-rouges ont été des acteurs mineurs au niveau politique, ils n’ont pas pesé sur le cours de la vie politique en Algérie, tout comme la majorité des Algériens d’ailleurs…
Quand les Pieds-rouges sont partis pour l’Algérie ils ne savaient pas s’ils partaient pour trois semaines ou pour trois ans ! Ce sont des aventures que l’on imagine mal aujourd’hui et que C. Simon a voulu restituer, car après 1965, le silence est retombé sur ces expériences, alors qu’elles ont eu leur utilité, notamment dans les secteurs de la santé, de l’éducation, où les Pieds-rouges ont joué un rôle important pour compenser le départ des cadres européens : ils ont soigné, alphabétisé, à la ville comme à la campagne.
Les Pieds-rouges ont eu également une utilité symbolique. C’étaient des étrangers qui allaient aider un pays qui n’était pas le leur, qu’ils ne connaissaient pas du tout… mais ils ont aussi contribué à concrétiser une troisième voie : le tiers-mondisme, un espoir révolutionnaire distinct du  » modèle  » soviétique. Beaucoup de Pieds-rouges interviewés par C. Simon reconnaissaient avoir eu honte. Ils ont connu des désillusions ou au moins des déceptions (la révolution algérienne n’a pas eu lieu), pour certains leur expérience s’est achevée en prison… ou bien ils ont été chassés d’Algérie au moment du coup d’Etat de 1965. Cela explique pour une part le silence des Pieds-rouges…

Un double silence

Mais il y a eu aussi un silence plus général, celui des Algériens et celui de la gauche française qui avait beaucoup de choses à se reprocher (socialiste comme communiste) et donc à se faire pardonner. On ne parlait pas du passé (la guerre d’Algérie), mais pas non plus du présent de l’époque (les échecs de l’Algérie indépendante, la vraie nature du FLN, qui n’était pas le grand parti révolutionnaire démocrate et populaire attendu). Tout cela n’a pas pu se dire, pendant des décennies, en Algérie, où le pouvoir du FLN s’est bâti sur le mythe d’un peuple algérien unanime et héroïque, tout comme en France où le PCF et l’extrême gauche ont longtemps colporté l’image d’une Algérie héroïque et socialiste. Le discours des Pieds-rouges pouvait donc apparaître comme décalé par rapport au discours officiel de cette gauche-là. Certains Pieds-rouges avaient peur de se faire taxer de néocolonialistes, d’ailleurs beaucoup de Pieds-rouges, parmi la centaine interviewée, ont eu du mal à se livrer, plus de 40 ans après… Au cours de ce travail, Catherine Simon a aussi découvert l’ampleur de la répression en Kabylie en 1963, la mise en place dès 1962 du système policier algérien, mais aussi  » l’Algérie des espérances « , cette énergie formidable dans la société algérienne des années 1960 qui n’a pas eu l’élite qu’elle méritait…

Mais ce travail pour briser le silence n’est pas terminé. Nombre de témoins de cette époque ont encore beaucoup de choses à livrer, y compris Mohammed Harbi. Il y a des livres de témoignages qui paraissent, par exemple celui d’Annette Beaumanoir (5) qui a fait fonction de numéro 2 du Ministère algérien de la Santé, et qui vient de publier ses mémoires.

Une société de parvenus

Mohammed Harbi : comme pendant toutes les révolutions, l’Algérie a connu une période lyrique, mais elle duré très peu, car la  » glaciation  » est arrivée très rapidement. Pendant les deux années de cette période lyrique (1962-1964), l’espoir était tel que des processus se sont développés pendant cette phase de construction de l’Etat, qui ont été occultés : la mise en place d’un système policier, le poids de l’intégrisme musulman dès 1964, avec aussi la montée de la xénophobie, vis-à-vis des Egyptiens tout d’abord.

L’émigration brutale des Européens a ouvert l’ascenseur social au sein de la société algérienne, qui est devenue une  » société de parvenus « , avec également une mentalité de parvenus, ce qui a entraîné de l’arrogance, comme du volontarisme. L’insurrection algérienne a commencé en 54 au moment d’une scission dans le parti, où les cadres inférieurs sont devenus les maîtres de leurs anciens dirigeants. Cela a créé des frictions qui ont pesé au moment de la création de l’Etat algérien.

La majorité de la population a eu un rapport particulier au politique. Les élites gouvernantes se sont protégées. Par exemple, pendant la guerre FLN / MNA (6), ce sont les enfants du peuple qui se sont entretués ; il en a été de même pendant la guerre civile des années 1990. Les dirigeants du FIS étaient déjà actifs en 1962-1963, ils avaient leur propre presse et étaient proches de certains dirigeants du FLN.

Mohammed Harbi se limite à ces quelques propos introductifs, souhaitant laisser la part la plus large au débat.

Le débat

G. Chatain précise que les Pieds-rouges n’étaient pas tous français. Il se souvient d’avoir côtoyé des nord-Américains, des Portugais, des Africains, des indiens, qui ont collaboré à Révolution africaine.

M. Harbi rappelle que plusieurs mouvements de libération (d’Afrique du Sud, de l’Angola, du Mozambique, du Zimbabwé…) ont pu bénéficier de la solidarité active de l’Algérie des années 1960 (sous Ben Bella comme sous Boumédiène).

Aux origines de l’expression
 » Pieds-rouges  »

Un responsable de Cultures Maghreb Limousin remercie Georges Chatain pour son rôle essentiel dans l’organisation de cette soirée. Algérien (il a vécu toute sa jeunesse en Algérie jusqu’à l’âge de 24 ans), il n’avait jamais entendu le terme de  » Pieds-rouges  » avant de découvrir le livre de Catherine Simon. Il interroge les invités :  » comment se fait-il que l’on ait ignoré pendant aussi longtemps le sens de cette expression et de l’expérience qu’elle recouvre ?  »
Georges Chatain confirme que le terme n’était pas employé en Algérie à cette époque. C. Simon rappelle que même le terme  » Pied-noir  » apparaît seulement à l’été 1962, auparavant on parlait des  » Européens d’Algérie « , puis des  » repliés « , enfin des  » rapatriés « . Le terme  » Pied-rouge  » quant à lui est apparu d’emblée comme péjoratif. Au cours de ses interviews, C. Simon a constaté que très peu parmi les témoins de cette époque se reconnaissaient dans le terme de Pied-rouge.

Un intervenant qui a séjourné pendant 15 mois à Constantine en 1962-1963, témoigne que les Européens d’Algérie étaient identifiés comme des  » Pieds-noirs « .

Une intervenante livre une autre version des origines du vocable  » Pied-noir « , qui remonterait au tout début de la colonisation, pour désigner les personnes qui aidaient les passagers à débarquer sur le sol algérien. Le terme a été occulté puis a réapparu en 1962.

C. Simon rapporte que l’anthropologue et résistante Germaine Tillon lui a indiqué qu’un correspondant lui avait écrit que dans les années 1950 à Casablanca, de jeunes Européens qui défrayaient la chronique des faits divers, avaient été appelés  » pieds-noirs « , par référence aux peaux-rouges, aux Apaches, le mot aurait par la suite glissé vers l’Algérie.
Un autre intervenant indique qu’il a entendu le mot  » Pied-rouge  » vers 1968, employé par un étudiant, avec le sens actuel.

Une intervenante se demande comment la présence pied-rouge a été perçue par les Algériens à cette époque.

C. Simon précise qu’au début, en 1962-1963, les Algériens des villes les percevaient comme des représentants de la  » bonne France  » (d’après ce que lui ont dit les  » pieds-rouges  » qu’elle a interviewés). Mais les  » pieds-rouges  » étaient peu nombreux dans les campagnes. Pendant la période  » pied-rouge « , il est probable que les habitants des campagnes attendaient surtout une présence forte de l’Etat dans leur village (l’école, l’hôpital…).
C. Simon rappelle que dans les villes on a beaucoup reproché à certains  » pieds-rouges  » de venir en Algérie donner des leçons de socialisme, comme les  » socialistes en peau de lapin  » que raillait Houari Boumédiène. Après 1965, Boumédiène a considéré que les étrangers n’étaient là que pour être de bons exécutants du gouvernement algérien, et ne devaient plus s’immiscer dans la vie politique algérienne.

M. Harbi estime que c’est de la petite bourgeoisie algérienne des  » parvenus « , que sont arrivées les premières critiques vis-à-vis des étrangers en général. Les Egyptiens par exemple, ont été envoyés en Kabylie dans le cadre de l’arabisation, au moment même où la répression s’abattait sur cette région. Le nouveau pouvoir était gêné par l’intervention d’étrangers dans ses affaires, il ne voulait que de simples exécutants…

G. Chatain se souvient de l’accueil très chaleureux de la population algérienne dans ces années-là. En 1962, il a été étonné de cela : il s’interroge sur ce qu’aurait pu être la réaction des paysans limousins si des Allemands étaient venus en 1945 pour les aider… Mais il se souvient qu’il y a eu parfois des problèmes de comportement de la part de certains  » pieds-rouges « , qui prétendaient avoir la solution à tous les problèmes. Certains tutoyaient tous les Algériens, il s’agissait du tutoiement révolutionnaire, mais cela était souvent perçu comme une marque de mépris, à l’image du tutoiement des colons.
Après le coup d’état de 1965, le sentiment xénophobe a été utilisé comme une arme politique…

Un intervenant parle du rôle du PSU qui a soutenu l’Algérie algérienne.

L’Histoire sous surveillance

M. Harbi revient sur le positionnement des partis politiques en France, qui ne s’est clarifié que tardivement (vers 1958/59). Le PSU était formé de personnalités d’origines politiques diverses. Trotskystes et anarchistes quant à eux se sont rangés dès 1954 aux côtés des Algériens. Mais il constate que ces faits ne sont pas connus aujourd’hui en Algérie, car l’histoire y est toujours  » sous surveillance « .

Pascale Pellerin rappelle que l’Algérie coloniale était composée de trois départements (Alger, Oran, Constantine), donc très intégrée à l’espace français. Elle se demande si les pieds-rouges ne manifestaient pas une sorte de continuité dans l’attachement que portaient les français à l’Algérie, en  » miroir renversé  » ? Elle pose également la question de la Kabylie et des berbères.

M. Harbi apporte quelques éclairages sur la question berbère :
Elle n’a pas commencé avec la guerre, mais bien avant celle-ci. Seulement, chez les intellectuels, il y a eu l’impact de l’exclusion de la Kabylie des organismes dirigeants : ils n’acceptaient pas que la Kabylie soit représentée par Mohammedi Saïd (7). Effectivement, c’était l’élément le moins apte à représenter la Kabylie. Il y avait tous ces aspects-là qui ont réactivé un sentiment berbère, kabyle ; mais ce n’était pas la question berbère qui était posée à ce moment-là.

Un intervenant s’interroge sur le rôle de Krim Belkacem (8), qui était berbère lui-même.

M. Harbi :
Krim Belkacem était un militant du PPA (9). Quand il y a eu la scission du PPA-MTLD en 1954, il était quasiment le chef de la Kabylie, comme clandestin. Il a pris position en faveur de Messali Hadj(9). Puis, ensuite, après des discussions avec Boudiaf, Ben Boulaïd (10), il a abandonné l’appui qu’il avait apporté à Messali et a été coopté parmi les premiers dirigeants du FLN. Ensuite, il a été l’élément le plus adroit sous l’aspect militaire et il a eu l’intelligence de faire appel à quelqu’un qui s’appellait Abane Ramdane. C’est Abane Ramdane (8) qui va en fait donner au FLN une direction qu’il n’avait pas. Il y avait plusieurs directions : une direction au Caire, plusieurs en Algérie. C’est lui qui, en organisant le congrès de la Soumamm (8) en 1956, a donné au FLN une direction et un programme. Par la suite, des problèmes l’ont opposé à Krim, mais Krim est resté jusqu’en 1959 le principal chef de l’armée. Et à partir de 1959, il a perdu la direction de l’armée et a obtenu le Ministère des Affaires étrangères et c’est à ce titre-là qu’il a été le principal négociateur, avec des techniciens bien sûr autour de lui, des accords d’Evian.

Un intervenant :
Est-ce que vous pouvez donner quelque précision sur la fin tragique de Krim Belkacem ?

M. Harbi :
Il était dans l’opposition ; il a été étranglé dans un hôtel à Francfort. Je dois dire pour l’Histoire que Krim Belkacem était censé lui-même mettre en place un commando pour assassiner Boumédiène et ce sont ces mêmes hommes qui l’ont assassiné.

C. Simon :
Beaucoup de ceux que j’ai interviewés avaient été dans les réseaux d’aide au FLN pendant la guerre, donc voilà leur lien avec l’Algérie. Et après 1962, souvent ce sont leurs camarades, leurs amis algériens qui leur ont dit :  » mais non, il ne faut pas nous laisser tomber maintenant, c’est maintenant que le boulot commence, on va avoir besoin de cadres, etc « . Beaucoup d’entre eux ont été convaincus de venir en Algérie par des amis algériens, par des réseaux aussi. Chacun en plus avait ses clans, ses réseaux, ses amis, les uns et les autres se jalousant un peu. Donc, c’est vrai pour les Français, mais ceci dit, ce n’est pas du tout vrai pour les Bulgares, ce n’est pas du tout vrai pour les Egyptiens, pour les Russes qui sont venus en Algérie pour des raisons différentes et dans des conditions différentes. Les Français sont venus pour des raisons politiques, mais qui tenaient à la guerre d’Algérie, et à leurs positions politiques pendant l’époque coloniale. Par exemple, les instituteurs égyptiens n’avaient pas du tout le même lien avec l’Algérie, tout comme les Cubains. Les Français continuaient à travailler avec leurs amis algériens, en croyant qu’il y aurait la révolution. C’est ça d’ailleurs la différence avec les générations futures de coopérants qui n’avaient plus du tout le même lien avec l’Algérie, même si beaucoup parmi eux ont pu être des gens de gauche qui venaient en Algérie, comme c’est le cas de Djibouti. En même temps, ils n’avaient pas ces liens d’amitié, ces liens un peu organiques que la guerre a sans doute forgé avec ces premières générations de Français qui sont venus dans l’Algérie algérienne. Boumédiène avait très bien compris cela. Il voulait justement que ces liens-là soient rompus et que ce soient strictement des gens qui viennent aider techniquement l’Algérie et l’Etat algérien à se construire et qu’il n’y ait surtout plus aucun lien d’amitié politique entre les Algériens et les Français.

M. Harbi :
Il faut souligner qu’un certain nombre de ces militants étaient en délicatesse avec leur Etat. Beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, quand il y a eu le 19 juin 1965, le coup d’Etat, ont été expulsés vers la France, et ceux qui étaient considérés comme déserteurs de l’armée française se sont retrouvés directement dans les casernes.

G. Chatain :
Dans l’imprimerie où j’ai travaillé, il y avait la moitié des ouvriers du livre qui étaient des Pieds-noirs, l’autre moitié qui étaient des Algériens, et il y avait une réelle fraternité. Beaucoup de ces ouvriers du livre pieds-noirs sont restés là-bas, mais disons qu’ils n’étaient plus chez eux. Leurs familles étaient parties, leurs amis étaient partis. En général, ils habitaient Bab-El-Oued où la réalité sociologique avait complètement changé. Ils avaient de la famille en France qui leur disait qu’ils pouvaient venir. Finalement, ils sont partis sans animosité particulière. Il y avait une évolution qui a fait que c’était comme ça. Certains d’entre eux étaient bien intégrés dans la lutte pour l’indépendance. J’en ai connu un, Denis Martinez, qui était un artiste peintre dont le père était postier à Blida, il était aussi professeur aux Beaux-arts d’Alger, et il avait bien l’intention de rester en Algérie. Mais beaucoup plus tard, au moment du FIS (début des années 1990), il a vu le directeur de l’école égorgé, presque sous ses yeux, ce qui l’a résolu à partir. Il est devenu professeur à Marseille, mais sa mère et sa sœur sont toujours à Blida et apparemment, elles n’ont pas envie de quitter les lieux.

Un intervenant :
Ma question est pour Mohammed Harbi. Comment expliquez-vous en tant qu’historien, l’échec de l’expérience algérienne en particulier et du monde arabe en général dans la réalisation d’une société libre et démocratique ? Et deuxièmement, comment expliquez vous, si vous permettez l’expression, le  » retard historique  » du monde arabe par rapport à l’Occident ?
Le poids du patriarcat
et du modèle autoritaire

M. Harbi :
C’est énorme, là (rires)… Je ne pourrai pas… C’est une thèse de doctorat… Je peux répondre d’une manière rapide. Je pense que les systèmes arabes de manière générale sont de type autoritaire : ils n’ont pas réglé au niveau élémentaire leurs comptes avec le patriarcat. Ce sont des sociétés qui sont restées patriarcales. Une des questions clefs, pour la libération des énergies et pour l’autonomie des individus, c’est la question des femmes. C’est une question centrale, parce qu’elle ne touche pas seulement aux rapports sociaux, elle touche aussi aux fondements de la personnalité et à l’autorité. C’est une idéologie de type autoritaire qui s’est répandue dans ces sociétés, et l’interprétation religieuse donnée au phénomène de l’autorité contribue beaucoup à rendre ces sociétés difficilement accessibles à des principes démocratiques.
Aujourd’hui, par exemple, l’autoritarisme n’est pas simplement un fait individuel, c’est un fait de société, c’est une caractéristique de société. Prenez le phénomène de la  » hisba  » (la surveillance mutuelle des uns à l’égard des autres et la surveillance des interdits), c’est quelque chose qui pèse énormément dans les formules d’élaboration du pouvoir. Jusqu’à présent, ce principe continue à régner même quand il n’est pas traduit dans la loi. Mais dès que vous touchez à un certain nombre d’interdits, vous avez des réactions. Mais il y a beaucoup d’autres facteurs qui jouent. Les rapports historiques avec l’Occident ont créé un certain nombre de crispations qui ne seront  » dépassables  » que le jour où la convergence se fera entre les forces créatrices qu’il y a dans les peuples d’Occident et celles à l’œuvre chez les peuples arabes.
Avec ça, il y a le phénomène de l’endogamie qui joue. Je pense qu’un certain nombre de choses sont à la base des sociétés. Le problème de la famille est un des problèmes clefs de l’évolution de ces sociétés. Mais je reviens toujours au même problème, le problème de la famille, c’est le problème de l’émancipation des femmes.

Un intervenant :
J’ai été coopérant avec mon épouse à partir de juillet 1963 et je me pose la question  » est-ce qu’entre juillet 1962 et juillet 1963, il y a eu beaucoup de coopérants qui sont arrivés ? « , parce que l’essentiel des personnes que nous avons rencontrées, étaient soit des fonctionnaires qui avaient été nommés en Algérie et à qui en juillet 1962, au moment de l’indépendance on a proposé (avec des avantages financiers) de continuer leur emploi et qui sont restés pour la plupart. Il y avait aussi quelques Pieds-noirs, qui ont tenté le coup par amour pour leur pays ; ils voulaient à tout prix rester. J’étais dans la fonction publique, je travaillais aux PTT, je ne me souviens pas avoir vu des coopérants dès juillet 1962, au moment de l’indépendance. Nous avons été volontaires pour y aller en 1963 (nous y sommes restés jusqu’en 1966) parce que beaucoup de coopérants n’étaient pas satisfaits de leurs conditions de travail, parce qu’ils étaient chefs auparavant et ils sont devenus exécutants, avec des Algériens qui les commandaient et ça ne leur plaisait pas beaucoup. Donc, ils ont fait leur valise. Et beaucoup de fonctionnaires français aussi sont repartis pour différentes raisons. Quand Boumédiène a fait son coup d’état, nous n’avons pas vu de différence. Bien sûr, nous étions en bas de l’échelle des coopérants, nous n’avions pas de responsabilités importantes. Nous étions très bien acceptés et très bien intégrés avec nos amis algériens. J’ai gardé de très bons souvenirs et de très bons amis là-bas.

M. Harbi :
Il n’y a pas eu beaucoup de coopérants qui sont allés en Algérie en 1962, à cause de l’exode, du départ des Pieds-noirs. La France et le Général De Gaulle ne s’attendaient pas à ce que l’Algérie se vide des Pieds-noirs et donc n’ont pas organisé la coopération avec l’Algérie. Les coopérants sont arrivés plus tard, avec le statut de coopérants.

Un intervenant :
En 1962, il y a eu le problème de l’exode des Pieds-noirs qui a été particulièrement dur à Alger et à Oran. Le problème des Pieds-noirs à Constantine était moins crucial et l’émigration, l’exfiltration des pieds-noirs a été organisée de façon parfaitement méthodique et j’y ai du reste participé. Mais, ce que j’ai pu remarquer à l’époque, c’est qu’il existait à l’intérieur du FLN une organisation politique administrative. J’ai été frappé de constater que les agents de renseignement du FLN recherchaient non pas les Pieds-noirs, mais plutôt les anciens militants du parti communiste algérien. Et d’autre part, j’ai été témoin d’un mini-putch militaire vers le 25 juillet 1962 à Constantine, où des éléments militaires de l’ALN qui étaient venus de Tunisie, ont essayé de reprendre des positions qui avaient été prises par le GPRA au moment de l’indépendance. Et enfin, j’ai personnellement connu des gens qui étaient déjà ce qu’on appelle maintenant des Pieds-rouges, sur place. J’ai en mémoire, par exemple, un jeune professeur de philosophie nantais qui était devenu chef de cabinet du nouveau préfet algérien qui avait pris ses fonctions début juillet.

Une intervenante :
Vous avez parlé tout à l’heure de la montée de la xénophobie, à partir de 1964, si j’ai bien retenu, et je me demandais si ce n’est pas plutôt une manipulation de la part de ceux qui voulaient accaparer le pouvoir et qui n’ont pas mal réussi à clouer le bec à tous ceux qui essayaient d’apporter un point de vue différent ou de contester. Par exemple, dès que quelqu’un avait un point de vue, qui appelait un peu à la démocratie, on le qualifiait de  » hizb frança  » (le parti de la France), c’est-à-dire de néo-colonialisme, d’impérialisme… Il y avait toutes sortes d’étiquettes qui pleuvaient sur tous ceux qui voulaient exprimer un point de vue qui dérangeait.

Et je pense entre autres aux luttes qu’il y a eu et que vous évoquez dans votre livre, au moment du débat sur la définition de la nationalité algérienne. L’attribution de la nationalité a été refusée à des gens qui étaient d’origine européenne, mais parfois d’origine très lointaine, qui étaient nés en Algérie, qui y étaient depuis plusieurs générations, qui, pour pas mal d’entre eux, avaient lutté pour l’indépendance et qui ont eu de très grandes difficultés par la suite… Est-ce que ce n’est pas une simple volonté de se débarrasser de tous ceux qui dérangeaient ?

C. Simon :
Je ne suis pas sûre que ce soit pour des positions politiques. J’ai découvert que ces débats avaient été très houleux à l’Assemblée nationale algérienne, quand le code de la nationalité a été voté par les députés algériens. Alors, est-ce qu’ils étaient représentatifs de la société algérienne à ce moment-là ? Mais en tous cas, la  » centrifugeuse  » s’est mise en marche pour éliminer les impurs et les étrangers, c’est-à-dire, tout ce qui n’était pas arabo-musulman : c’est ça qui a commencé à se mettre en place dans ces années-là, à travers l’islam, l’arabisation de l’école, le statut des femmes et ce Code de la nationalité qui, effectivement, excluait des gens qui étaient nés sur la terre algérienne, et même les Juifs du M’zab (11) , puisqu’ils n’étaient pas musulmans. Donc, ils se sont retrouvés apatrides, ça avait sa logique. Je ne suis pas sûre que ce soit pour éliminer des gens sur des critères politiques, mais il y avait bien le souhait des dirigeants de faire taire les diversités. Le coup d’état de Boumédiène a donné un coup d’arrêt : finis les débats, finies les contradictions et finie l’Algérie lyrique.

G. Chatain :
Sous Ben Bella, il y avait une espèce d’ouverture ou d’incertitude qui fait qu’on trouvait des exemples du tout et de son contraire. Par exemple, dans la première assemblée algérienne qui était donc mono-couleur puisque le FLN était le parti unique, il y avait un prêtre, l’abbé Beringuer, qui était député d’Oran et il y avait aussi des Juifs algériens qui tenaient des postes importants comme le directeur d’Algérie Presse Service, Pierre Chiche. Le temps que j’y étais, je n’ai jamais entendu quelqu’un s’étonner de ça. Il y avait quand même une injure pire que d’être colonialiste, c’est d’être sioniste. Alors là, ça ne pardonnait pas. Mais, c’était plus dans le discours et dans la posture que dans une réelle xénophobie populaire.

M. Harbi :
Je pense que la question de la nationalité tient à l’idéologie même du nationalisme algérien dans sa forme dominante et ça a été clairement exprimé lors des négociations d’Evian : les Algériens ont été définis comme étant les descendants des populations d’avant 1830. Les Juifs, leur question était résolue à partir du moment où il y a eu le décret Crémieux. Et donc, la nationalité ne concernait, selon la thèse nationaliste, que les Algériens… musulmans. La disposition selon laquelle tous ceux qui n’étaient pas musulmans devaient demander la nationalité a été adoptée. Je connais même un cas qui a fait jurisprudence, c’est le cas de Félix Colozi (il vit toujours en Algérie) (12) qui était un militant communiste algérien arrêté en même temps que Fernand Yveton (Yveton a été condamné à mort et guillotiné en 1957 pour avoir rejoint la lutte armée pour l’indépendance).

Un intervenant revient sur son expérience dans les campagnes algériennes à cette époque, sur la convivialité, la confiance que la population témoignait aux  » Pieds-rouges « . Il évoque aussi le sentiment de grande sécurité qu’il a pu avoir même à Alger la nuit… Il souligne aussi que Ben Bella lui-même se promenait au milieu de la population sans protection lourde. Pour lui, Ben Bella était, avec Arafat, le seul dirigeant arabe à pouvoir se permettre cela.

Pascale Pellerin estime que l’opposition à la guerre d’Algérie, et l’engagement des Pieds-rouges, constituent  » un pont  » entre la résistance à l’occupation nazie et mai 1968. Beaucoup d’opposants à la guerre en Algérie avaient été des résistants entre 1940 et 1944, ils ne supportaient pas que la France fasse subir aux Algériens ce que l’occupant nazi avait fait subir aux Français.
Elle s’interroge sur le fait de savoir si les révolutions arabes en cours ne viennent pas revitaliser la mémoire  » Pied-rouge « .

Il n’y a plus de fatalité
au maintien des dictatures

C. Simon pense qu’il est juste de parler de révolution à propos des événements en cours actuellement en Tunisie, mais une révolution sans discours idéologique marqué. Les Tunisiens ont montré que la mobilisation de  » Monsieur tout le monde  » pouvait faire tomber un tyran. Mais ce mouvement ne touche pas tous les pays du Maghreb. Catherine Simon estime qu’au Maroc  » il ne se passe rien ou presque rien « . Quant à l’Algérie, c’est l’armée qui détient le pouvoir. La Tunisie a plus d’atouts sociétaux : 92 % des enfants sont scolarisés, le Code de statut personnel garantit depuis 1957 le droit à l’IVG, etc. De plus, le régime Ben Ali / Trabelsi a progressivement vidé de tout sens les organes qui le soutenaient (par exemple, le parti du pouvoir, le RCD, a été complètement désidéologisé). Cependant les événements de Tunisie redonnent espoir à tous ceux qui, en Algérie et au Maroc s’opposent aux pouvoirs en place. Elle mentionne l’appel à manifester dans les principales villes d’Algérie lancé pour le 12 février, les rassemblements prévus au Maroc le 20 février… En Tunisie la parole s’est libérée depuis le mois de janvier, cela aura forcément des conséquences sur les pays voisins.

C. Simon indique qu’il y a eu aussi des  » Pieds-rouges  » en Tunisie, mais ce pays n’a pas eu la même histoire (il n’y a pas eu de guerre de libération comme en Algérie,…).

G. Chatain estime que les deux régimes qui viennent de tomber (Tunisie et Egypte) étaient justement ceux sur lesquels les pays occidentaux s’appuyaient le plus (La Tunisie pour le modèle de développement, de modernité, de laïcité, et l’Egypte pour son rôle en faveur de la  » stabilité  » au Moyen Orient, ndlr). Cela mérite réflexion !

M. Harbi pense que depuis longtemps on savait que la Tunisie et l’Egypte avaient en elles des virtualités qui permettaient de construire des régimes démocratiques. Dans ces pays, l’Occident a soutenu des dictatures sous le prétexte que sans le maintien des dictatures, des régimes à l’iranienne allaient s’imposer. Or on ne dit pas que le tournant vers l’islamisme a commencé avec des régimes dits laïques. Par exemple en Tunisie, c’est en luttant contre la gauche (notamment le syndicat UGTT) qu’au parlement a été posée la question de la centralité musulmane. De même en Egypte, c’est le président Sadate qui a permis le retour des Frères musulmans sur la scène sociale. M. Harbi constate que les événements en cours viennent contredire deux thèses qui jusqu’ici étaient presque dominantes : la thèse de la  » servitude volontaire  » (les peuples arabes consentent à l’asservissement dont ils sont l’objet) et la thèse du  » choc des civilisations  » (entre Islam et Occident). Ces thèses ne tiennent pas d’un point de vue historique, mais elles servent une propagande et ont leur efficacité. Pour les peuples concernés, les événements égyptien et tunisien prouvent que l’on peut agir collectivement et de façon positive.

Un intervenant signale la présence dans la salle de beaucoup d’anciens Pieds-rouges. Ils ont créé une association,  » Limousin-Algérie « . Il revient sur l’histoire du PCF et sur son positionnement pour la paix en Algérie. Il rappelle les neuf morts du Métro Charonne à Paris le 8 février 1962.

Pascale Pellerin estime que la gauche a la responsabilité majeure de soutenir les peuples arabes en lutte. Hélas, ce soutien a été bien tardif.

C. Simon remarque que le message que nous adressent les Tunisiens, c’est aussi qu’ils n’ont pas eu besoin de nous pour se débarrasser de leur dictateur. Elle se souvient qu’il y a quelques années les intellectuels tunisiens réclamaient un soutien extérieur pour se débarrasser du régime.

G. Chatain, en conclusion, estime avoir beaucoup appris pendant son expérience algérienne. Il ne s’est jamais senti trompé, il savait dès le départ que les Français n’allaient pas en Algérie pour faire la révolution.

Un autre intervenant exprime sa satisfaction d’avoir assisté à un débat où il a appris beaucoup de choses. Il estime que les peuples arabes en révolte nous donnent une sorte de leçon de mobilisation et leur combat rejoint le nôtre. Il s’inquiète de recevoir de plus en plus de courriels à caractère raciste, lui petit fils de pieds-noirs et dont le gendre est algérien.

Un dernier intervenant rappelle l’exécution de Krim Belkacem à Francfort, mais se demande pourquoi on ne parle pas de l’élimination de Abane Ramdane (8).

M. Harbi répond qu’il y avait des divergences au sein de la direction du FLN sur la question du leadership. Abane Ramdane apparaissait à beaucoup comme étant le leader rêvé, dans la mesure où il a été à l’origine du Congrès de la Soummam (8). Le clan militaire qui dominait le FLN a décidé de capturer Ramdane, qui par la suite a été assassiné, mais la direction politique du FLN n’a jamais décidé cet assassinat.

P. Pellerin conclut en remerciant les invités et le public, nombreux à s’être déplacé.

C.Nouhaud et D.Boularas

Note :
(1) Editions Gallimard (réédition Gallimard poche 2001).
(2) Né en 1933 dans l’Algérie coloniale, Mohammed Harbi a exercé d’importantes responsabilités au sein du FLN durant la guerre, comme ambassadeur en Guinée (1960-1961) et comme secrétaire général du ministère des Affaires Étrangères (1961-1962). Il a notamment participé aux premières négociations des accords d’Évian. Conseiller du premier président de la République algérienne, Ahmed Ben Bella, il est emprisonné puis mis en résidence surveillée en 1965 après le coup d’État de Houari Boumédiène. suite note 2 : Il s’évade et rejoint la France en 1973. Il devient ensuite professeur et enseigne la sociologie et l’histoire dans plusieurs universités parisiennes. Il est actuellement professeur émérite à la retraite. Mohammed Harbi est l’auteur de nombreux ouvrages de référence sur l’histoire de la  » révolution algérienne « . Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé en 2009.
(3) MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), fondé par Messali Hadj en 1946. Le FLN est issu d’une scission au sein du MTLD en 1954. Messali Hadj (1898-1974) est considéré comme le père du nationalisme algérien.
(4) édité chez Arte Vidéo en 2009.
5) Anne Beaumanoir : Le feu de la mémoire : la Résistance, le Communisme et l’Algérie, 1940/1965 (préface de Mohammed Harbi) éditions Bouchène, 2009.
(6) Mouvement National Algérien (MNA) fondé en 1954 par Messali Hadj et rival du FLN dans la lutte pour l’indépendance. La lutte fratricide FLN/MNA a fait plusieurs milliers de morts en France comme en Algérie.
7) Mohammedi Saïd : l’un des dirigeants de l’ALN, devenu après l’indépendance un opposant au régime de Boumédiene.

(8) Krim Belkacem est un des neuf chefs historiques du FLN (avec Ben Bella, Aït Ahmed…) Opposant à Ben Bella puis à Boumédiene, il a été assassiné à Francfort en 1970.
Abane Ramdane était un dirigeants majeurs du FLN. Proche de Krim Belkacem, il s’est opposé aux militaires du FLN, il a été assassiné en 1958 au Maroc. Il est l’un des organisateurs du Congrès de la Soummam, qui s’est tenu en Algérie en août 1956 et qui a désigné une direction unifiée, le Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA).

(9) Parti du Peuple Algérien (PPA), ancêtre du MTLD, fondé en 1937 par Messali Hadj.

(10) Mostefa Ben Boulaïd a été l’un des neuf chefs historiques du FLN, il a été tué au combat en 1956. Mohammed Boudiaf est également l’un des neuf. Passé à l’opposition après 1962, il s’exile et ne rentre en Algérie qu’en 1992 pour y exercer les fonctions de chef de l’Etat. Il sera assassiné quelques mois plus tard.
(11) Les Juifs du Mzab (région située au nord du Sahara) n’ont pas été concernés par le Décret Crémieux de 1870, qui a accordé la nationalité française aux Juifs autochtones des trois départements d’Algérie. A l’époque la région du Mzab était déjà colonisée par les Français, mais la loi française ne s’y appliquait pas encore. Les Juifs de cette région ont donc conservé leur statut particulier.
(12) Voir Le Monde Diplomatique – Mai 2008 (« Sans valise, ni cercueil, les Pieds-noirs restés en Algérie « )

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