Coupures d’électricité : comment ça va se passer et en quoi c’est inadapté

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Coupures d’électricité : comment ça va se passer et en quoi c’est inadapté

Un membre du bureau du Cercle estime utile de partager ce texte avec les lecteurs de La Lettre, pour alimenter les débats cet hiver :

Le gouvernement le confirme : l’hiver sera rude pour les usagers, qui pourraient connaître des coupures par tranches de deux heures, aux heures de pointe entre 8h et 13h et de 18h à 20h, par zones « en taches de léopard » (zones géographiques limitées : quartiers ou groupes de communes rurales). Tout cela est cadré par une circulaire « tenue secrète », même par les médias qui se font le relais de « la voix de son maître » ! Comme nul n’est censé ignorer la loi, ce site publie la Circulaire délestage électrique programmé du 30/11/2022. Détail de la mise en œuvre de ces coupures : – 1ère étape : EcoWatt émet un signal rouge à J-3 : chaque jeudi, RTE identifie, selon les données météorologiques, le niveau de production d’électricité et les interconnexions avec les pays voisins, un possible recours au délestage entre le samedi minuit et le vendredi de la semaine suivante. A J-3, il émet, via l’application EcoWatt, un signal rouge annonçant les coupures sans préciser les zones géographiques. – 2ème étape : appel à réduire la consommation. On l’a déjà bien connu avec le Covid : un matraquage médiatique est lancé : écogestes, dont baisse du chauffage à 19 degrés, extinction des appareils en veille, décalage de l’utilisation de certains appareils ménagers, etc. – 3ème étape : l’alerte est levée si la consommation semble gérable en fonction de la météo, de la quantité d’électricité disponible. – 3ème étape bis : le signal rouge est confirmé à J-1. Mais si… RTE confirme, à 17 heures, les zones géographiques concernées par les coupures sont communiquées (avec des mises à jour possibles jusqu’à 21h30, visibles par les usagers qu’à 6 heures du matin). – 4ème étape : dispositifs d’urgence pendant la coupure : les maires des communes concernées devront activer une « cellule de crise » pour relayer l’alerte aux services de secours, de santé et de sécurité, pendant la coupure des réseaux téléphoniques (mobile et fixe, puisqu’ils seront, eux aussi, affectés par les coupures). Pour les urgences, il faudra se rabattre sur le 112, les autres numéros d’appel 15, 17, 18, 115 et 196 (sauvetage maritime) pouvant être perturbés. Une « garde postée » devra être assurée devant les centres d’incendie et de secours, les brigades de gendarmerie et les commissariats de police, afin de réceptionner physiquement une demande de secours. Les réseaux radio des forces de sécurité, du Samu et des sapeurs-pompiers sont exclus du délestage. Plus d’ascenseurs, plus d’éclairage public, plus de feux de circulation. Suppression des trains, tramways, métros… Ecoles, collèges, lycées, universités (?) : chaque jour à 17h, les parents, étudiant·es (et les enseignant·es) devraient vérifier par eux-mêmes sur le site monécowatt pour connaître les coupures du lendemain ! Celles-ci dureraient deux heures sur des plages prédéterminées : 8h-10h, 10h-12h ou 18h-20h. Si la coupure a lieu le matin, les écoles seront fermées toute la demi-journée. Un même établissement pourra subir jusqu’à trois coupures cet hiver. Le gouvernement prétend que la restauration le midi pourrait être maintenue (en fait c’est à la charge des maires pour les écoles, des conseils départementaux pour les collèges, et régionaux pour les lycées). Ces conditions, dérogatoires aux règles générales (nombre de coupures, conditions de prévenance), font bien de l’école une victime collatérale de la gestion chaotique du pouvoir. C’est bien un climat « de guerre » qui en résulte, et on peut être sûr que ce sera exploité médiatiquement pour nous installer dans la peur, la même que lors du covid (une peur chasse l’autre). Pour ceux qui veulent s’inscrire dans ce stress organisé : ils peuvent consulter le site coupures-temporaires d’Enedis ou monécowatt de RTE (lequel fournit une appli et un dispositif d’alerte par SMS, mais dans les deux cas, gare au pistage !). Par ailleurs certain·es habitant·es, classé·es prioritaires, pourraient n’avoir pas de coupures (patients à haut risque dépendants d’un équipement médical à domicile, hôpitaux, caserne de pompiers, sites « stratégiques »…), ou parce qu’ils sont raccordés à une ligne prioritaire (40% des gens d’après le gouvernement). Et le « délestage » ne devrait jamais porter deux fois sur les mêmes personnes… En quoi c’est inadapté ? Nous nous retrouvons dans cette situation largement par l’imprévoyance de nos gouvernants qui ont privilégié, depuis des années, des achats à un fournisseur unique (la Russie) et des contrats au coup par coup, moins coûteux à court terme, mais qui nous placent en totale insécurité énergétique quand le marché se retourne. Ce sont les mêmes qui n’ont absolument rien fait pour engager le passage vers les énergies renouvelables. Le pari français (car c’en est un !) du tout-nucléaire est aussi responsable de cette situation : le réchauffement climatique (qui impose d’interrompre le fonctionnement de centrales le long du Rhône pendant l’été) et le vieillissement des centrales (qui entraîne des problèmes techniques très lourds : fissures…) font que moins de la moitié de ces centrales fonctionnent, durablement. Or Macron nous annonce 6 EPR supplémentaires : technologie pas au point (aucun ne fonctionne actuellement dans le monde, même en Chine…) ; coût démentiel qui endetterait le pays pour des années alors que le coût unitaire d’un nouveau kilowattheure nucléaire coûterait désormais cinq à treize fois plus cher qu’un nouveau kilowattheure solaire ou éolien ; démantèlement jamais pris en compte dans le coût et dans la durée (pour des centaines d’années) ; … et risque considérable avéré depuis Hinkley Point, Tchernobyl et Fukushima. Au delà, l’interview de Fanny Lopez1, autrice du livre À bout de flux2, permet de s’interroger sur la gestion centralisée du réseau électrique telle que pratiquée en France. Elle avance la nécessité de la redéfinir autour de la notion de « biens communs », en la repensant de bas en haut (à l’opposé de la définition actuelle, de haut en bas), sans ignorer la mutualisation entre régions, entre pays. Elle montre bien l’inutilité des « smart grids », ces Linky qu’on veut nous imposer. Par ailleurs, Maxime Combes, économiste travaillant sur les politiques climatiques, souligne fort justement3 que les coupures d’électricité, non ciblées, vont aggraver les inégalités : « annulation de trains et fermeture d’écoles pendant que les remontées mécaniques de Megève ou Courchevel continueront à fonctionner ? Ou ne pas avoir de courant pour réchauffer la soupe à 19 ou 20 heures pendant que des panneaux publicitaires lumineux continueront à fonctionner dans les gares et nos centre-villes ? ». Une ironie pas du tout gratuite, vu notre vécu des confinements (moins durs pour celles et ceux qui se gobergeaient dans l’arrière-salle des restaurants de luxe ou allongés dans leurs transats sur la Côte ou dans des paradis exotiques !). Le même souligne aussi que « si les objectifs du Grenelle de l’Environnement (en 2008) en matière d’isolation des bâtiments avaient été tenus, nous économiserions l’équivalent du gaz que nous importions de Russie avant le début de la guerre en Ukraine. Quand on constate que le gouvernement vient de rejeter les propositions visant à augmenter les crédits dévolus à la rénovation énergétique des bâtiments, avec pour conséquence le fait qu’on va moins isoler de logements en 2023 qu’en 2022, on comprend qu’aucune leçon n’en a été manifestement tirée. » Il mentionne que « puisque ces mesures de rationnement imposé semblent inéluctables, leur mise en œuvre devrait s’appuyer sur un débat public démocratique de qualité pour savoir où, quand et comment les appliquer. À la place, nous avons l’alliance d’une technocratie d’État et d’un gouvernement enfermé dans sa tour d’ivoire en charge de prendre des décisions qui ont des répercussions sur l’ensemble d’entre nous, et pour lesquelles ils n’ont reçu aucun mandat ». Il énonce les règles suivantes (que nous reprenons à notre compte ! ) : 1) La sobriété sans égalité, c’est l’austérité pour les plus pauvres ; 2) La sobriété sans interdiction des activités nocives, c’est une politique de classe qui s’affirme ; 3) La sobriété sans services publics, c’est l’austérité pour la majorité ; 4) La sobriété sans isolation généralisée, c’est la précarité énergétique prolongée.

Texte rédigé par Denis, 5 décembre 2022. Paru sur le site halteaucontrôlenumérique.friv4

Notes : 1/ https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/011222/coupures-d-electricite-pourquoi-il-faut-repenser-les-reseaux 2/ Voir la présentation sur le site de son éditeur : https://www.editionsdivergences.com/livre/a-bout-de-flux 3/ Dans un blog sur Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/011222/les-coupures-delectricite-non-ciblees-ce-sont-les-inegalites-aggravees 4/ Site du collectif stéphanois de critique du tout-numérique : https://halteaucontrolenumerique.fr/?p=2005

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