Résistance et libération en Haute-Vienne

Résistance et libération en Haute-Vienne

Avec Michel TAUBMAN
Lors de la soirée du 21 octobre 1994, Michel TAUBMANN a présenté son ouvrage sur « l’affaire Guingouin »(1), fruit de sept années de recherches, ouvrage centré bien évidemment sur l’itinéraire de Georges GUINGOUIN, mais abordant également un certain nombre d’aspects de l’histoire de l’après-guerre dans notre région.
Freddy LE SAULT animait le débat, assisté de Daniel CLEREMBEAU, qui présenta notre invité. Gérard MONEDIAIRE, coauteur avec Georges Guingouin du livre G. Guingouin premier maquisard de France avait accepté de se joindre au débat.

L’EXPOSÉ
LA « FACE NOIRE » DE LA LIBÉRATION
C’est le cinquantenaire de la Libération, et ce cinquantenaire -nous dit M. Taubmann- a suscité bien peu de passions, si ce n’est en ce qui concerne les « révélations » touchant au passé de François MITTERRAND. En fait, les seules passions suscitées en France ces dernières années par ce sujet, l’ont été par des révélations concernant la face « noire » de cette période. On en est même arrivé à une inversion de la vision qui prévalait jusqu’au début des années 70, où l’on valorisait -voire mythifiait- la Résistance, ou plus précisément l’attitude résistante des Français durant cette période.
La découverte de l’action de Vichy, de sa complicité dans le génocide des Juifs, la passivité d’un certain nombre de Français dont -entre autres- le film Le chagrin et la pitié s’est fait l’écho, ont fait basculer cette tendance vers son exact contraire.
L’ÉMERGENCE DES « RÉSISTANCES »
Pourtant ces aspects négatifs ne doivent pas occulter les aspects positifs, et surtout ils doivent faire l’objet d’une analyse plus poussée. Ainsi la nature profondément antirépublicaine du régime de Vichy se révèle plus dans la promulgation du statut des juifs en 1940 que dans la rafle du Vélodrome d’hiver. Le premier élément révélait la mise en place d’un régime d’apartheid, de discriminations imposées à une catégorie
sociale, ethnique ou religieuse, alors que le second s’inscrivait dans le cadre de la « solution finale » (2). A cet égard, dire que la France était composée de « 40 millions de pétainistes » (H.Amouroux) est un raccourci totalement erroné (Comment évaluer l’état d’esprit des individus dans un régime dictatorial ?) et occulte le positif de cette période : la Résistance de la période de 1940 à 1942 qui est quelque chose d’unique dans notre histoire et méritait d’être valorisé. Dès 1940 on voit émerger des actes de résistance qui sont le fait d’individus, qui vont par là contre toutes les institutions et souvent contre leur;groupe social, n’étant motivés que par leur seule conscience, tels De GAULLE, Jean MOULIN, Edmond MICHELET ainsi que 80 parlementaires ayant refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain.
Il en est ainsi pour G.Guingouin qui agit à la fois contre les Allemands et -sans s’en rendre compte au début- contre son institution, le Parti Communiste. Il est de ceux qui ont immédiatement réagi, et en ce sens l’affaire Guingouin est révélatrice de la manière dont les pouvoirs établis ont évincé, après la guerre, ces hommes de la Résistance -ou du moins leurs élites- qui étaient leur mauvaise conscience (ceci indépendamment du fait qu’avoir résisté ne donnait pas nécessairement accès au pouvoir dans un état devenu démocratique).

LES SPÉCIFICITÉS DE L’AFFAIRE GUINGOUIN

« L’Affaire » est une machination politico judiciaire, amenant un homme à être accusé de crimes dont il n’était en rien coupable (G. Guingouin a bénéficié en 1959 d’un non-lieu de la Chambre de mise en accusation de Lyon) à la manière de l’Affaire Dreyfus. On peut d’ailleurs établir entres ces deux événements les liens suivants: 1) Il s’agit non pas d’une erreur judiciaire, mais d’une machination ayant des relais dans différents niveaux de l’appareil d’état -dont la police- et dans les milieux politiques. 2) Comme l’affaire Dreyfus avait servi de prétexte à amener une campagne de dénigrement contre les Juifs, l’affaire Guingouin servira de prétexte à la première grande campagne de dénigrement de la Résistance, dix ans après la Libération. En jetant une bande de résistants en pâture, on va déculpabiliser les non-résistants.
Guingouin va être accusé d’avoir organisé un guet-apens un soir de novembre 1945 « alors qu’il était maire de Limoges » pour exécuter deux paysans rentrant d’une foire, PARRICHOUT père et fils. Ce c.crime sera considéré pendant des années comme étant de nature crapuleuse jusqu’à ce qu’un policier établisse (huit ans après) un « lien » avec un autre crime commis en juillet 1944 par des proches de la Résistance. La « charge » retenue contre Guingouin dans ce crime était d’avoir fourni les armes (armes qui avaient été fournies dans le cadre de la Résistance, comme des milliers d’autres). Pour farfelues qu’aient été ces accusations, il s’agissait de viser la Résistance du maquis limousin dont deux des principales caractéristiques étaient d’être populaires, et dirigées par un personnage atypique puisque ayant réussi à se mettre à dos tout l’establishment de la région.
LA GENÈSE DE L’AFFAIRE GUINGOUIN
Guingouin s’évade en 1940 de l’hôpital de Moulins, ne voulant pas être fait prisonnier. Il rejoint St-Gilles et commence à réorganiser le Parti Communiste clandestin (il était avant la guerre responsable du secteur d’Eymoutiers et membre du bureau régional…). Il va très vite entrer en opposition avec le PC.
D’abord fin sept. 1940, il refuse d’appliquer la ligne officielle de fraternisation avec les soldats allemands -ceci dans le droit fil du pacte germano-soviétique. C’est l’époque des tractations avec Otto Abetz pour la répartition de »l’Humanité » et du soutien à un projet de gouvernement d’union de tous les Français incluant le PC.
Le retournement de tendance du PC se produira le 21 juin 41, avec l’invasion de l’Union Soviétique par Hitler.
La deuxième opposition est à dater de fin 1941 et a pour objet la question des maquis. Guingouin, alors responsable du PC pour la Haute -Corrèze, est partisan de la guérilla, alors que la ligne du parti à cette époque repose sur la pratique des attentats, ligne que Guingouin considère comme prématurée et trop coûteuse en vies humaines. Guingouin se retrouvera alors dans une situation étonnante : condamné aux travaux forcés par Vichy, il se verra exclu du PC et celui-ci lancera un « contrat » sur sa tête (sous le prétexte qu’il s’agit d’un agent anglais !). Guingouin survivra néanmoins et son maquis deviendra incontournable.
La troisième opposition datera de fin mai 1944 : Guingouin va refuser de prendre Limoges, considérant cet assaut comme prématuré. Mais les termes de l’enjeu sont différents pour le PC : la prise de Limoges s’inscrit dans une stratégie qui n’exclut pas -à ce moment- une future prise du pouvoir: Guéret et Tulle étant prises, il est nécessaire de prendre Limages pour constituer une région contrôlée par le Parti. Par conséquent, en refusant de prendre Limoges, Guingouin sauve des vies humaines (compte tenu de l’avancée de la division SS Das Reich) mais dans le même temps se met en travers d’une stratégie internationale de prise du pouvoir (qui ne relevait pas de la seule direction du PC).
LE CONTEXTE DE L’APRES-GUERRE
Après la guerre, le conflit entre Guingouin et le PC va se dérouler dans un paysage politique caractérisé par la compétition entre le Parti et ceux qui veulent restaurer l’état, et par un conflit très dur entre communistes et socialistes ayant pour enjeu la mairie de Limoges et 1e contrôle de la région. Du côté socialiste, les représentants politiques sont peu appréciés des résistants. Les résistants appartenant à la gauche non­communiste ont pour la plupart été tués ou déportés dans les derniers mois de la guerre. Jean LE BAIL a été politiquement inexistant. Léon BETOULLE, en votant comme parlementaire les pleins pouvoirs à PETAIN, a participé à l’étranglement de la République. Quant à CLAVAUD, il a pris régulièrement position pour l’occupant et peut être considéré comme un authentique collaborateur.
C’est à ce moment que va réellement se nouer l’affaire Guingouin. En effet, jusqu’alors il s’agissait d’une de ces affaires internes caractéristiques du fonctionnement du PC dont le réajustement procédait d’une autocritique pratiquées par le « coupable ». Or Guin;ouin, non seulement refusera de procéder à cette autocritique mais il provoquera un débat, mettant à contribution la presse et la justice « bourgeoises », allant jusqu’à intenter un procès en diffamation contre l’Echo du Centre et l’Humanité. A la différence d’autres acteurs de ces affaires, Guingouin dispose d’une base locale, d’une légitimité acquise dans la Résistance. Des milliers de personnes sont prêtes à le défendre. Avec la « résolution » de l’affaire Pamchout par un inspecteur lié antérieurement à Vichy, blanchi à la Libération -et donc redevable-, on va assister à la conjonction d’une affaire politique et d’une affaire de droit commun, et l’on va voir Guingouin subir dans la France de l’après-guerre le sort qu’ont subi beaucoup d’opposants communistes dans les pays de l’Est.
Emprisonné, mis en hôpital psychiatrique, il ne sera que très peu défendu, trouvant face à lui une coalition paradoxale de communistes, d’anti-communistes et de pétainistes.
LE DEBAT
Nestor SPEL : Guingouin était un homme honnête, mais il n’appartenait pas à l’appareil. Il s’est heurté au Parti, mais également à fétat-major anglo-américain, qui avait poussé à des actions immédiates.
Il était naïf de croire à une reconnaissance de la Résistance: elle gêne. Guingouin a été écrasé comme d’autres. Le policier « C.. » a été décoré pour senrices rendus, en juillet dernier…
Il y a eu une commission d’enquête interne au PC sur l’affaire Guingouin. Certains ont continué à le défendre.
Gérard MONEDIAIRE relève que des expressions telles que « Limoges s’est libérée toute seule » peuvent faire oublier que des gens concrets, vivants, se sont levés pour la libérer.
Des gens comme Jean Le Bail -qui n’ont rien commis de légalement répréhensible- ont-ils eu une position légitimabie en ne faisant rien sous l’occupation ?
Guingouin a fait l’objet d’un processus étonnant de diabolisation qui a commencé très tôt. On le surnommait « le fou qui vit dans les bois ». Des gens retrouvent aujourd’hui ce qualificatif de « fou » pour le désigner. Un ancien responsable du PC -qui n’en revient pas d’avoir pu contribuer à l’éviction de Guingouin- rapporte que l’on racontait « qu’il se levait la nuit pour écraser des chiens ».
L’affaire Guingouin est un véritable meurtre collectif, le moyen pour réduire les différences qui prévalent dans un groupe en désignant une victime expiatoire dont la principale caractéristique est de ne pouvoir en aucun cas se défendre. Un exact parallèle peut être établi avec l’affaire Henri NANOT (3) , montée -poticièrement- de manière identique, à cette différence près que là, le but sera atteint: Henri Nanot deviendra fou et mourra.

UN INTERVENANT: M. Taubmann a effectué une « angélisation » de Guingouin en n’évoquant pas l’assassinat de René BUISSON, maire socialiste de Chamberet, et des officiers de l’Armée Secrète.

M. TAUBMANN : Il est question de cette affaire dans mon livre, mais elle n’en constitue pas l’objet. Pour quelle raison Guingouin aurait-il donné l’ordre de faire exécuter ces eens ? D’ailleurs on a cherché à mettre plusieurs fois en cause Guingouin à propos de cette affaire -le fond de l’affaire Parrichout étant de remonter à celle de Chamberet- sans jamais y parvenir.
Michel KIENER : Il faudrait revenir sur la période d’août-septembre 1944. Beaucoup de gens considèrent que la démocratie façon III ème République est périmée, quelle que soit leur appartenance politique. Quel a été l’état d’esprit des résistants quand on leur a demandé de rendre les armes ? Est-ce que les gens se sont sentis floués ?

M.TAUBMANN : La période de confusion politique a duré très peu de temps à Limoges. Beaucoup de mythes sont nés sur
cette période -on a parlé de « République rouge »- mais en fait l’appareil d’état a été très vite restauré. Il n’y a pas eu de « justice sauvage » et l’épuration a été comparable à ce qui s’est passé ailleurs (à situation égale).

G. MONEDIAIRE : Sauf en ce qui concerne certains groupes, les maquisards -qui avaient pris les armes dans une situation précise préoccupaient avant tout de l’avenir et non d’une éventuelle insurrection.

Claude GOBEAUX fait part de lettres et coups de téléphone qui lui sont parvenus, provenant d’amis qui ont lu le livre de M. Taubmann : Alphonse DENIS tient à préciser que sa rencontre avec Guingouin à l’automne 43 dans le maquis avait pour objet une interview pour le journal de `Front National » et qu’il n’était pas l’envoyé du PC. Pour sa part, Paulette DUQUERROIX, veuve d’Adrien, s’inscrit en faux contre l’affirmation de M. Taubmann, selon laquelle ce dernier « ne cachait pas un certain mépris envers les maquisards ».
Il poursuit en soulignant que l’affaire Guingouin ne doit pas occulter le phénomène de résistance de masse du Limousin, seule région où un maquis important n’a pas été réduit par l’occupant. Ce phénomène de masse doit être analysé dans le « temps long ». II se rattache à la tradition d’insoumission naturelle dans le tempérament limousin, et, en ce qui concerne la Haute-Vienne, à la liaison particulièrement forte entre Limoges et sa campagne, particulièrement à l’est de la ville.

UNE INTERVENANTE : S’étonne que peu de députés aient refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain et trouve étrange l’entente entre les autorités, le PC et la police.

M.TAUBMANN : Il n’y a pas entente globale mais conjonction d’intérêts, compromissions. L’intluence du PC était importante dans la police du fait de son prestige dans la Résistance. Représentant 29% des voix peu après la Libération, il était normal que le parti soit influent, et qu’il ait des relais dans l’appareil d’état, la radio, la presse…
Jean-Marie CHALIFOUR : La présentation de l’affaire a pris un tour policier. La tradition anarcho-syndicaliste n’a pas été analysée, non plus que les problèmes de 1a guerre froide. Il ne faut pas se focaliser de manière manichéiste sur le rapport PC/Guingouin, d’autant que les militants communistes ont été divisés sur cette affaire -hormis les hommes d’appareil ; il faudrait également préciser le rôle du trio Betoulle/Clavaud/Le Bail. Ce dernier était animé par un anti-communisme des plus primaires.

M.TAUBMANN:Lelivre n’est pas une thèse sur l’histoire politique du Limousin mais néanmoins les précisions demandées s’y trouvent. La présentation policière est liée à la nature de l’affaire. Elle révèle les « cuisines » de l’appareil d’état, le partage du pouvoir en coulisse par des gens qui se présentent comme des adversaires face aux électeurs.
Michel PATINAUD (question écrite) : Qu’en est-il du poids du caractère de Guingouin ? Peut-on parler de « culte de la personnalité » en ce qui le concerne ? Qu’en est-il de la réalité des tentatives d’assassinat sur sa personne ?

René DUMONT (idem) : Le dossier Guingouin est-il complet ? Y a-t-il des témoignages concernant sa position sur le pacte germano­soviétique ?

Pierre LE BERRE : Ancien militant communiste de lar égion parisienne, arrivé à la SAVIEM après l’affaire, a fait part de sa satisfaction d’avoir pu enfin avoir des éclaircissements sur un passé dont personne ne parlait.
Jacques VALERY, président des Amis du musée de la Résistance, apporte quelques précisions : Jean Le Bail a refusé de prendre un commandement quand Guingouin le lui a proposé.
Les Milices patriotiques ont rendu les armes reçues, à la caserne Marceau.
Le 19 octobre 19994 vient d’avoir lieu au Sénat le premier colloque sur les grands maquis dans lequel il a été enfin question du maquis limousin…

M. TAUBMANN renvoie au livre sur de nombreuses questions posées. Le « caractère » de Guingouin est souvent rattaché au mythe de sa « folie ». On a colporté de la même manière que sa mère était internée en hôpital psychiatrique, ce qui est totalement erroné. Ce qui i a le plus surpris dans les dossiers, c’est le cynisme dont il est fait preuve dans l’acharnement.
Philippe NANEIX

(1) Editions Souny
(2) M. Taubmann cite à ce propos l’ouvrage d’H.Rousseau et E.Connan : »Vichy, un passé qui ne passe pas »
(3) Henri Nanot-Rougerie.

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