Avec Jean jacques FOUCHE
Christophe NOUHAUD, au nom du cercle Gramsci, rappelle les origines de cette soirée : la publication à l’automne 2001 de l’ouvrage de Jean jacques FOUCHE « ORADOUR » (aux éditions Liana Lévi). L’auteur, dans cet ouvrage s’interroge sur les mécanismes qui ont conduit à cette violence extrême qui s’est abattue sur le village d’ Oradour en Juin 1944, cette problématique ne pouvait qu’intéresser le Cercle Gramsci, qui se veut un espace de débat critique. Notre ambition au travers de cette soirée est de tenter de mieux comprendre les mécanismes de cette violence que l’on croyait révolue au sortir de la 2nde mondiale et que l’on a vu pourtant réapparaître en Europe même, dans les Balkans ou en Tchétchénie. Mieux comprendre cette violence afin de pouvoir prévenir sa résurgence, mais également mieux comprendre le raisonnement de ceux qui la nient – les négationnistes – afin d’être capable de les combattre.
Jean Jacques Fouché est philosophe de formation, il a été le chef de projet du Centre de la Mémoire à Oradour et commissaire de l’exposition permanente qui y est présentée.
Michel KIENER, professeur d’histoire, qui a accepté de jouer le rôle de modérateur, rappelle les règles du débat et insiste sur l’intérêt qu’il y a à débattre ce soir pour comprendre ces mécanismes de la violence et tenter de les prévenir.
En introduction, JJ. FOUCHE cite ce titre d’un quotidien du soir : « La violence s’empare des mineurs », qui l’interroge : quel est l’agent ? quelle est la cause ? Comment la violence qui s’est abattue sur Oradour a t’elle été possible, comment s’est elle construite ? c’est à ces questions que l’exposition du centre de la mémoire tente de répondre. C’est cette même violence que les négationnistes vont nier.
JJ. Fouché rappelle qu’il a été accusé d’être complice, voire plus, du négationnisme et du révisionnisme, alors qu’en même temps, il était pris à partie avec violence par la secte des négationnistes ! Il souhaite ce soir nous faire partager son expérience qui le conduisit à construire l’histoire d’un événement précis, à inscrite cet événement dans une trame historique plus vaste, et à voir « comment le sens de cette histoire a pu être répercuté, instrumentalisé, manipulé et parfois même nié ».
La violence nazie :
Le savoir c’est d’abord nommer les choses, JJ. Fouché présente une définition de la violence, empruntée à Françoise HERITIER, anthropologue, professeur au Collège de France : « toute contrainte de nature physique ou psychique susceptible d’entraîner la terreur, le déplacement, la souffrance ou la mort ». La violence est donc quelque chose qui emporte, qui contraint, c’est une force tyrannique, intense, qui conduit à la transgression des normes et au plaisir qui est lié à la transgression. Il y a une jouissance de la violence.
Cela invite à s’interroger sur l’humanité. La violence est elle la part secrète de l’Humanité, un simple résidu qui resurgit de temps à autre ? La violence comporte également des degrés, il y a les violences symboliques qui passent inaperçues, les violences liées aux contraintes sociales,….etc.
La violence nazie s’est d’abord traduite par l’encadrement de la population allemande, intimidée, violentée par la propagande et ce dès avant 1933. Les nazis au pouvoir vont criminaliser certains comportements sociaux (par exemple l’homosexualité). La violence s’abat ensuite sur les territoires conquis : exploitation économique, déportation massive de populations, épuration raciste, extermination de 70 000 handicapés, enfin le génocide des juifs et des tziganes.
Comment interpréter cette violence, d’où vient elle ? : est ce un retour en arrière, à l’opposé de l’évolution de la culture européenne depuis les Lumières ? cette violence est elle une spécificité allemande, produit d’un déterminisme historique ?
JJ. Fouché emprunte son analyse à Enzo TRAVERSO (« la violence nazie, une généalogie »).
– Enfermement et peine capitale : Avec l’invention de la guillotine, comme moyen d’exécution, on mécanise le procédé, ce qui tend à déresponsabiliser le bourreau. La prison aussi se déshumanise. Les nazis vont réaliser la fusion, dans les camps de concentration, entre l’enfermement et la mise à mort « les victimes ne sont plus des détenus, mais une matière première déclassée nécessaire à la production de cadavres ».
– La colonisation : le colonisateur européen a aussi pratiqué (en Afrique et ailleurs) les massacres, l’exploitation des richesses naturelles des pays conquis. Il a affirmé sa supériorité raciale et sa mission civilisatrice. Le nazisme ne s’inscrit il pas dans cette logique ? le soldat allemand est présenté comme le sauveur de la civilisation, menant un combat régénérateur, une croisade libératrice contre l’influence des juifs. Les nazis ont mené en Europe de l’Est, une guerre totale, raciale pour l’anéantissement du bolchévisme, vu comme le produit de l’alliance entre l’intelligentsia juive et la « sous-humanité » slave. Cette guerre a été menée sur le modèle des guerres coloniales du XIXè siècle.
– La 1ère guerre mondiale : « Elle constitue un bond en avant décisif, sans lequel les pratiques d’extermination nazies n’étaient peut être pas imaginables ». La guerre de 14/18 est le condensé de la violence du siècle précédent, elle ouvre la possibilité de nouvelles pratiques d’extermination. On mobilise en masse, on fait des prisonniers en masse (dans des camps), la guerre s’industrialise, l’ennemi est déshumanisé, racialisé. La guerre efface la distinction civils/militaires. Les modalités mêmes de cette guerre constituent – plus que le traité de Versailles – l’antichambre du nazisme.
La racialisation nazie a été mise en œuvre contre les juifs, dans un souci « d’hygiène raciale », on emploie un vocabulaire médical (virus, bacille, microbe, peste,…) cela appelle une épuration, des juifs, mais aussi des anormaux (en France, le prix Nobel Alexis Carrel, auteur de « l’Homme cet inconnu », Charles RICHE « la sélection humaine », également prix Nobel, défendent ces thèses eugénistes). Le racisme prend aussi la forme d’un racisme de classe, contre les classes laborieuses, jugées dangereuses (cf. Gustave Le Bon, Vacher de la Pouge). Cette distance entre les élites et les classes populaires est exprimée dans les mêmes termes que celle qui sépare les blancs des noirs. La lutte contre les révolutionnaires se trouve ainsi justifiée par la défense de la civilisation.
JJ. Fouché rappelle que les nazis ont vécu la violence comme régénératrice, nécessaire, elle doit anéantir l’esprit marchand (anglais et américain), l’esprit universaliste (français). Ils l’ont aussi esthétisée comme ils ont esthétisé la politique, cela est pour JJ. Fouché le produit d’une construction historique dont les origines remontent au 18ème siècle.
Le négationnisme
Il convient de distinguer révisionnisme et négationnisme. Le terme de révisionnisme apparaît chez Bernstein, à la fin de XIXème siècle, dans la critique du marxisme « orthodoxe », notamment sur le rôle de la violence dans le processus révolutionnaire. Quelques années plus tard, les partisans de la révision du procès Dreyfus, sont aussi des révisionnistes. C’est pourquoi l’historien Henri ROUSSEAU a préféré au terme révision, celui de négation, pour qualifier ceux qui niaient l’existence du génocide et des chambres à gaz.
Immédiatement après la guerre, Maurice BARDECHE, beau frère de l’écrivain collaborationniste Robert BRASILLACH, sera le premier porteur du message négationniste. Par la suite il sera relayé par Paul RASSINIER, instituteur belfortin, communiste dans les années 20, puis socialiste et pacifiste (dans la mouvance de Paul Faure, le secrétaire général de la SFIO). Arrêté pour fait de résistance, Rassinier est déporté à Buchenwald. A son retour de déportation il est élu député sur un programme antisémite, battu aux élections suivantes, il va écrire sur les camps. Pour lui ce ne sont pas les kapos qui torturaient mais les juifs communistes. Rassinier allie anticommunisme, antisémitisme et pacifisme.
Robert FAURISSON, prof à la faculté des lettres de Lyon, reprendra cette thématique dans les années 1970, avec une méthode « hypercritique », de la mise en doute systématique. Il va nier l’extermination des juifs et les chambres à gaz. Aujourd’hui le mouvement a des ramifications aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie,…
Le but de cette négation est de « déqualifier pour requalifier », réhabiliter les vaincus de 1945 en discriminant les communistes, les juifs et en occultant la violence nazie. Dans le cas d’Oradour, les négationnistes vont tenter de transférer la culpabilité sur les victimes, par un récit d’une simplicité étonnante : il y avait des maquis communistes à Oradour, ce sont eux qui sont responsables du drame (en voulant fuir l’église du village où ils étaient cachés, ils ont tiré au hasard, déclenché la tuerie et provoqué l’incendie) ils sont revenus la nuit suivante maquiller leur crime. Cet usage du doute systématique s’appuie sur les approximations, parfois les contradictions inhérentes aux témoignages des victimes (quant à l’heure précise, les circonstances,….). Le négationniste va s’engouffrer dans la moindre petite faille, pour décridibiliser le témoignage de la victime. Mais la même méthode n’est pas employée pour le témoignage des bourreaux. Le but ultime est bien de discriminer les communistes et les juifs pour réhabiliter le personnel politique de Vichy et leurs héritiers dans la vie publique d’aujourd’hui.
Le débat
Michel Kiener ouvre le débat par une première question : Est ce qu’on pourrait aller jusqu’à dire que le nazisme serait une sorte de dérapage incontrôlé du racisme ordinaire qui s’est emparé de l’Europe au XIXème siècle et au début du XXème siècle ?
JJ. Fouché : Non, le « dérapage » est bien contrôlé ! Il y a chez les nazis, une rationalité qui place la violence au cœur de l’idéologie.
Philippe GRANDCOING : Vous avez parlé d’animalisation de la classe ouvrière, ne faudrait il pas évoquer aussi les massacres systématiques, planifiés, les guerres civiles de juin 1848 et de la Commune de Paris, comme facteurs supplémentaires d’explication de ce processus ?
JJ. Fouché : Oui, ces massacres s’inscrivent dans la foulée des massacres coloniaux.
Jacques CHEVASSUS salue la lucidité de Denise BARDET, dont JJ. Fouché parle dans son livre. Cette jeune institutrice d’Oradour, qui fait partie des victimes du massacre, avait consigné dans son journal, écrit en 1944, ses sentiments sur l’Allemagne. Elle distinguait l’Allemagne éternelle, notamment celle des écrivains en exil (Thoman Mann, Brecht, Heinrich Heine,…) de la barbarie nazie.
JJ . Fouché rappelle que Denise Bardet est le produit de l’école normale. C’est l’honneur de cette institution d’avoir su faire la distinction entre l’Allemagne et le nazisme. Son journal sera publié prochainement aux éditions Souny.
Question : quelles sont les raisons du « choix » d’Oradour, par les SS ?
JJ . Fouché : Il n’y a pas de cause unique à un événement historique. Beaucoup de choses ont été dites et écrites. Dès le lendemain du massacre, des rumeurs circulaient en Limousin (par exemple la rumeur de la confusion avec l’autre Oradour, sur Vayres). La rumeur est un média de substitution, qui rend naturel ce qui apparaît sans rationalité.
Les causes sont à la fois simples et terribles :
Il y a d’abord la décision du chef : en réaction à la guerre totale engagée depuis le débarquement de Normandie, l’occupant va appliquer en France, ce qu’il a pratiqué couramment en Russie ; il faut mener « une action brutale ». Sur son parcours, le bataillon désigné va donc commettre un massacre, ce parcours va du cantonnement de St Junien à celui de Nieul. La gestapo de Limoges et la Milice ont sans doute participé à la préparation du massacre (même si l’on en n’a pas la preuve), ils avaient des renseignements sur le village.
Michel Kiener : ce qui continue à interroger et paraît incompréhensible c’est le choix d’un village éloigné de toute zone de résistance armée active. On se serait sans doute moins posé de questions s’il s’était agi d’Eymoutiers par exemple.
JJ. Fouché : La Das Reich n’attaque pas de front les maquis, car les maquis évitent le combat frontal qui leur serait défavorable. Comme en Russie, elle va s’attaquer brutalement à un village. Il y a une part de hasard, c’est le trajet (sur la route entre deux cantonnements), il y a une autre part, qui n’est pas le fruit du hasard, c’est la présence de la police et des miliciens.
JP. JUILLARD : Y a t’il un continuum historique conduisant au nazisme ? ou bien le nazisme marque t’il une rupture ? JP Juillard exprime des doutes sur ce point : terreau favorable oui, mais le projet d’extermination porté par le nazisme ne constitue t’il pas une rupture de ce continuum ?
JJ. Fouché : La violence nazie est une possibilité (l’historien Yann Kershaw dit « jusqu’à présent la shoah est unique »). Il y a un moment où l’Allemagne s’est engagée dans cette voie, elle aurait pu ne pas le faire, continuum ne veut pas dire déterminisme… Y a t’il eu rupture ? en tout cas, un seuil a été franchi.
Jacques VALERY demande à JJ. Fouché d’apporter la preuve des accusations de négationnisme dont il affirme avoir fait l’objet.
JJ. Fouché mentionne le n°56 du bulletin de l’association des amis du Musée de la Résistance de la Haute-Vienne, qui a publié un article qu’il juge diffamatoire à son égard, parce que non étayé et dans lequel il est accusé de faire le jeu du négationnisme.
Jacques Valéry cite la phrase incriminée, qui est de Henri DEMAY : « dans ce livre (…) aucune place n’est faite aux innocentes victimes (…), c’est un livre inique, qui n’en doutons pas va faire les beaux jours du négationnisme (…) ce livre est à verser au dossier du révisionnisme (…) ». Jacques Valéry prend la défense de Henri Demay, au nom de la liberté d’expression, il affirme la difficulté d’exercer une censure dans un bulletin qui compte également des critiques positives sur le livre de Fouché. Il reproche à JJ Fouché d’avoir omis dans son livre quelques références bibliographiques importantes sur le sujet.
Michel Kiener trouve les propos de Demay très durs, ce sont des excès de langage. Il juge que certaines personnes ont sans doute lu trop rapidement l’ouvrage de Fouché. En tant qu’historien, ayant lu attentivement ce livre, il ne comprend pas comment on peut dire que ce livre oublierait les victimes, ouvrirait quelque voie que ce soit au révisionnisme. Le livre donne de multiples références aux sources utilisées, et porte un regard tout à fait intéressant sur les victimes. M. Kiener cite quelques ouvrages complémentaires sur le thème de la violence nazie. De Christopher BROWNING « des hommes ordinaires » (10/18), l’histoire d’un bataillon de police allemande qui participe à de nombreux massacres en Pologne ; d’Omer BARTOFF « l’armée d’Hitler », qui montre que les soldats ordinaires partagent aussi l’idéologie hitlérienne ; et enfin celui de Vassily GROSSMAN « vie et destin », publié peu de temps après la guerre, longtemps interdit en URSS, qui parle notamment des atrocités nazies à l’est de l’Europe.
Jacques CHEVASSUS a lu attentivement le livre de Jean Jacques FOUCHE. Il signale que la polémique a aussi porté sur la qualité de l’auteur qui est philosophe et pas historien. Il récuse totalement cette critique, l’histoire n’appartient pas qu’aux historiens. Au moment de la discussion sur le projet du Centre de la Mémoire, il avait plaidé pour un centre qui serait aussi celui de la paix, cette option n’a pas été retenue.
Question : comment expliquez vous qu’une petite fraction de la gauche (la « vieille taupe » par exemple) se réclame du révisionnisme ?
JJ. Fouché : la librairie « la vieille taupe », à Paris a été fondée il y a plus de 40 ans par des dissidents du groupes « socialisme ou barbarie » (crée par Cornélius Castoriadis et Claude Lefort notamment). L’équipe de la vieille taupe devient révisionniste par antisionnisme et par sympathie pour la cause palestinienne. La Vieille taupe édite Rassinier, Garaudy,…etc et dérive vers la judéophobie. Il faut citer les travaux de Valérie HIGOUNET, qui a publié une thèse sur l’histoire du négationnisme en France, ceux de Nadine FRESCAUD, sur Rassinier, ainsi que ceux de Pierre VIDAL NAQUET.
Jean-Jacques FOUCHE conclu en commentant une publicité parue récemment dans le journal d’une association d’anciens combattants. Cette publicité présente des ouvrages illustrés sur l’armée hitlérienne (uniformes, matériels,…..) sans dire un mot sur à quoi ont servi ces armes et ce qu’a commis cette armée ! Ce révisionnisme là est en vente libre !