Conférence-échange entre Augustin Berque (géographe et orientaliste, directeur d’études à l’Ehess) et Nicole Pignier (Professeure d’écosémiotique, Université de Limoges, Responsable universitaire de la formation et de la recherche de l’École du Jardin Planétaire),
Salle de la Mairie d’Eymoutiers, le 18 mai 2019
Nicole Pignier : je vais introduire cet échange avec l’extrait d’un texte écrit en 1995 dans le bulletin municipal de Droux par un habitant de cette commune très rurale située au nord de la Haute-Vienne :
« Cette belle et grande commune de mon enfance où j’ai passé toute ma vie se meurt. Ce n’est pas qu’elle ait perdu de son étendue, non. Elle a toujours fait 1398 hectares. Mais elle a perdu presque toutes ses activités et presque les 2/3 de sa population. Dans ce village, il y avait des cultivateurs et des maçons. Des vieux, des forts, des durs. Ceux-là sont tous disparus. On pouvait compter sur eux, et pourtant ils n’avaient pas de machine mais le travail était solide. Je vois tous les jours des ouvrages qu’ils ont fait, et rien n’a bougé. Nous avions trois forgerons qui frappaient à longueur de journées sur l’enclume et même quelquefois la nuit quand le travail pressait. Aujourd’hui tout cela a disparu. Nous avions trois charrons et menuisiers, il n’en reste plus qu’un seul. Il y avait même trois scieurs de long. Que c’était beau de les voir tirer sur leur scie toute la journée. C’était beau de les voir mais très dur pour eux. De cela, il ne reste plus rien ! Quant à l’agriculture, presque tous étaient cultivateurs. Plus ou moins grands. Il n’en reste presque plus maintenant. La Semme, cette magique et renommée rivière à truites, qui traverse toute notre commune, faisait tourner trois beaux moulins à blé d’où sortaient de si bonnes et belles farines. Oui, tout cela a disparu, c’est le progrès. Pourvu que cela dure, nous verrons bien la suite. Nous avions aussi une foire tous les 7 de chaque mois, cela aussi a disparu depuis bien longtemps. C’est le progrès. En 1930, il y avait quatre classes à Droux. Deux pour les filles et deux pour les garçons. Cette école était archi pleine, les écoliers venaient de tous les villages et même quelquefois des villages voisins de la commune. Ils y venaient à pleines routes et par les chemins. Les arbres, les buissons, tout a disparu, remplacé par des clôtures métalliques et souvent électriques. C’est le progrès. »
Henri Mathieu.
Ce petit témoignage est une introduction à cet échange intitulé « Réhabiter le Terre… », une expression signée par Augustin Berque.
̶ Augustin, pourquoi ré-habiter la Terre, l’aurions-nous déshabitée ?
Augustin Berque : dans le titre de notre discussion, « Co-énoncer avec le vivant, – expression que propose Nicole – réhabiter la terre » (ou déshabiter la terre), – expressions que je propose-, nous avons deux thèmes dont le lien n’est pas évident.
Alors, nous allons chercher, Nicole et moi, à l’illustrer et à le rendre facilement compréhensible. La question de « réhabiter la terre » peut paraître idiote ; puisque nous
sommes sur la Terre, on y est, on habite quelque part. Donc qu’est-ce-que cela peut bien vouloir dire, ré-habiter la Terre ? Au premier abord, du point de vue de la langue française, une question se pose : est-ce que » habiter la Terre » c’est la même chose que « habiter sur la Terre »? Ou habiter Eymoutiers, est-ce la même chose que habiter à Eymoutiers ? On en est pas tout à fait à dire, « habiter sur Eymoutiers » mais on s’en rapproche : voilà, la question est là, justement.
Etre habitant de son milieu de vie plutôt qu’être Yahvé, Descartes ou le cyborg
Je vais commencer par un principe qui a été évoqué ce matin par Christophe Bonneuil1 . Ce principe qui a un nom biblique est exposé dans le récit de L’Exode, quand Moïse monte sur la montagne, dans le Sinaï. La montagne s’appelle le mont Horeb et il a un dialogue avec l’Eternel. A la fin de ce dialogue, Moïse dit : « Je vais redescendre et parler aux hébreux. Avec qui j’ai parlé cet après midi ? En somme, qui es-tu ? » Et (l’Eternel) Yahvé lui répond : « Je suis l’étant » – ce qui correspond à la traduction grecque. En latin c’est devenu « sum qui sum » qui a donné en français: « Je suis celui qui suis ». Ce qu’il faut retenir, c’est que vous avez là un être absolu qui n’a besoin que de lui même pour être. Il n’a besoin de rien d’autre. En langage de la logique, on dit qu’il est à la fois sujet et prédicat de soi- même, c’est à dire : il est l’être dont il est question et c’est lui même qui le dit. Il s’auto-institue et c’est ça justement le principe de cette substance absolue.
Cela se passait vers le 13è siècle avant JC. Et puis, au 17è siècle après JC, en Europe, un philosophe, René Descartes, reprend ce principe à son propre compte en tant qu’être humain. Il l’applique à ce qui va devenir « le sujet moderne ». La formule est dans le Discours de la méthode : » Je pense et je suis une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle ». Donc, il suffit qu’il pense – et même qu’il se pense – pour être. On en est au stade de l’ontologie2 et non plus au stade de la religion et de la théologie. Descartes institue alors ce que Kant (1724-1804)3 appellera un peu plus tard, la naissance du « sujet moderne« . Du même coup va naître l’objet moderne et, dans ce dualisme proprement moderne, un détachement se produit vis à vis de ce qui était nécessaire à l’existence de cet être, et dont il prétend ne plus avoir besoin. Il n’a pas besoin d’un milieu pour être : ce lieu – milieu (ici, on peut dire qu’il n’y a pas de différence entre lieu et milieu).
A partir du 17ème siècle, ce principe va fructifier, se démultiplier dans tous les domaines de l’activité humaine. Et on en arrive en 1960 quand un inventeur, Manfred Clynes, qui travaillait à l’époque pour la NASA, va porter le même principe au plan de la technique. Donc rendre possible le principe du mont Horeb d’un être qui n’a pas besoin d’un milieu, qui n’a pas besoin de la Terre pour être, pour exister. Cet être-là, Clynes va le baptiser Cyborg. Cyborg n’a plus besoin de la Terre, de l’environnement terrestre ce qui va (lui) permettre de voyager vers les étoiles avec de la (seule) technique. Cela suppose de la physique et pas mal de chimie, vous avez vu ces films de science fiction où les humains sont endormis. On les met dans des espèces de sarcophages et au bout d’un certain temps, voire quelques siècles, un robot est chargé de les réveiller etc. L’humain serait devenu totalement indépendant de la Terre, c’est à dire déterrestré. Et bien, l’être déterrestré, c’est un être qui n’habite plus la Terre !
Se sentir habiter le monde
Nicole Pignier : J’ai l’habitude de dire qu’il existe dans notre monde une dynamique d’anesthésie (anesthésiante) avec en face l’autre dynamique qui propose d’en sortir. L’anesthésie, mot formé à partir du préfixe privatif « a » ou « an » et du radical « esthés » provenant du grec « aisthanesthai » (sentir ; percevoir), c’est quand on ne sent plus rien, quand on est devenu insensible aux choses et, comme Augustin vient de le dire, quand on s’est coupé de la Terre. L’anesthésie, c’est finalement quand on est « hors-sol », que l’on ne sent plus que l’on est vivant parmi les autres vivants, sur Terre.
Que nous dit Marcelle Delpastre, cette paysanne écrivaine limousine si soucieuse d’apprécier le vivant, dans le film documentaire « A fleur de vie »4 ? :
« Mais cette terre générale, cette terre universelle, je la vois quand même avec les yeux d’un paysan, en quelque sorte, mais surtout je la vois d’encore plus près quand je tiens dans ma main une poignée de terre. Dans une poignée de terre, il y a l’univers, il y a le soleil, il y a les étoiles, il y a tout. Et si je parle de microcosme, je veux parler aussi de macrocosme. Je veux parler de tout ».
Quand elle dit ça, elle pointe le fait que les gestes, les outils et les techniques que nous mobilisons nous habitent autant que nous les habitons. Ils habitent nos manières de faire, de percevoir les autres, d’apprécier le monde, d’habiter un lieu, d’être habité.e.s par un lieu, d’y vivre en tant qu’êtres humains parmi les autres vivants.
Dans les Jardins partagés d’Eymoutiers5, Jean-Jacques (Peyrissaguet) nous disait :
« Quand je bêche, je danse ». Quand je bêche, je sens la terre, je la vois ; je vois le ver de terre, je vois le merle; il est toujours là, il m’accompagne et je lui donne un ver, un deuxième ver, je m’amuse avec lui. Je lui donne même un ver blanc et il est très embêté parce qu’il ne sait pas lequel prendre. Alors la polémique : est-ce qu’il faut bêcher ou prendre la grelinette ? Tailler ou pas tailler ? Est-ce qu’il faut labourer ou pas labourer ? Mettre du Glyphosate ou non. La polémique techno-centrée, on s’en fout ».
En effet, l’essentiel ou ce qui est en jeu, c’est le rapport au vivant et à la terre-Terre ̶ en tant que sol mais aussi en tant que cosmos ̶ que nous tissons, la manière dont les lieux nous habitent avec le vivant qui est là et toutes ses forces de vie. Comment entrons-nous dans l’orchestre ? Qu’est-ce qui en émane ? C’est ça l’essentiel. Et dans notre rapport à la Terre, le passage à l’industrialisation des pratiques – on conduit des machines bourrées d’ordinateurs fermé.e dans sa cabine à écouter la radio -, ne met plus cette perception à portée de corps, à portée de vers de terre, à portée de merles. Et le saut est encore plus grand quand on ne se donne même plus le temps de toucher la terre, de descendre du tracteur, de prendre une poignée de terre dans sa main. Avec ladite « smart agriculture », il y a une coupure de plus puisque cette terre, au lieu de la vivre comme contenant d’un même élan les humains, les êtres vivants et l’univers (les étoiles et le soleil), elle est réduite à des « données », passées à la moulinette des algorithmes et alors, elle se réduit pour nous à des superficies. S’impose alors une relation de « traçage » : il faut suivre le travail, non pas dans un rapport sensible à la vie du champ mais à partir de la photo sur l’ordinateur et suivre le chemin tracé par les algorithmes.
Malgré la doxa6 et sa dynamique anesthésiante, certaines personnes, des paysan.ne.s, cultivent partout dans le monde, y compris en Limousin, les facultés à prendre soin du vivant, à en apprécier le paysage sonore, à composer avec lui. Le musicien-acousticien Bernie Krause désigne par géophonie, les sons de la Terre – l’eau, le vent, les roches, la terre, le feu –, par biophonie les sons des êtres vivants végétaux, animaux, par anthropophonie les sons des humain.e.s. Il explique que nous couper des sons du vivant – (en ville avec les voitures, à la campagne avec les tondeuses et les machineries agricoles) a de graves répercussions sur notre santé mentale. Mais vous pourriez dire, après tout on s’en fout, quand on est anesthésié on ne sent plus rien ! Dans son livre, Le grand orchestre animal, il relate les résultats d’études scientifiques mesurant le degré de stress de personnes habituées au bruit (des camions, des voitures…) et celles qui ne sont pas habitées à ce bruit et qui y sont confrontées un peu à la manière de l’indien dans le film Un indien dans la ville. Ces travaux ont démontré que des gens qui n’ont plus conscience d’être dérangés par le bruit ont des niveaux de stress physiologiques aussi élevés que ceux qui sont exposés au bruit alors même qu’ils étaient habitués au calme.
En conclusion : alors que mentalement les gens ne se sentent pas exposés au bruit, leur corps se manifeste, perd de ses facultés. C’est en ce sens que je parle d’anesthésie ; la perte de conscience du bruit et de tout ce qui est non vivable dans nos mondes « hors-sol », la perte de conscience, de sensibilité de ce que signifie être vivant parmi le vivant sur Terre. Le biologiste australien Derek Denton définit pourtant l’émergence de la conscience comme le sentiment d’être relié au vivant, relié à la nature, non pas en tant que nature sauvage, mais en tant qu’altérité de laquelle nous émanons et qui nous dépasse. Alors, des questions se posent : Est-ce que ce mouvement d’anesthésie serait une des spécificités de l’être humain ? Quelles sont les spécificités de l’habiter humain ?
L’écoumène ou « l’habiter » humain
Augustin Berque : une des spécificités de l’être humain est, entre autres, de tendre à dominer, de dominer ce qui est l’habiter des autres espèces. Par exemple, à propos du bruit : vous avez peut-être entendu parler de ces baleines qui perdent le nord parce que leur mode de communication, leur « chant » formé d’infra-sons chargé de sens (ce qu’on appelle la bio-sémiotique), dont la portée dépasse 3000 km, est brouillé par les infrasons émis par tous nos navires et sous-marins qui sillonnent le globe. Ce qui fait que les baleines et d’autres animaux peuvent être délogés de leur milieu et, ayant perdu le nord, vont s’échouer.
Alors, notre habitat, notre habiter, qu’a-t-il de spécifique ?
Cette expansion indéfinie ne connait pas de limite : l’habiter humain ne cesse de s’étendre et pas simplement sur le plan écologique, mais en même temps sur le plan technique et symbolique. C’est ce qui fait que l’habiter humain dépasse les limites de la biosphère, on peut même dire qu’il les transcende. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Si vous prenez par exemple un système symbolique tel que le langage (les langues humaines mais aussi celle des baleines etc.), vous savez immédiatement de quoi il s’agit. Mais je pourrais vous parler des galaxies, notamment une : GNZ11. C’est la galaxie la plus lointaine qu’on ait pu détecter. Elle est à une distance effective de 32 milliards d’années-lumière. Pourtant je peux vous en parler ici et maintenant car, même si on ne la perçoit pas concrètement, on peut en parler grâce à un système symbolique proprement humain. Tout à l’heure, je vous parlais de la biosémiotique : qu’elle est la différence entre les langues humaines et les modes de communication propres à tous les êtres vivant ?7 La différence est essentielle. C’est un linguiste, André Martinet, qui l’a définie en 1961 en parlant de double-articulation. Grosso-modo, vous avez dans toutes les langues humaines sans exception l’articulation de deux plans. D’une part, on a les « phonèmes », c’est-à-dire les unités qui en elles-mêmes n’ont pas de sens, et d’autre part les unités qu’on appelle « morphèmes » et qui en elles-mêmes ont du sens. Vous allez agencer les deux et c’est cette articulation qui fait que vous pouvez énoncer une infinité de messages possibles. En tout cas, cela nous permet de parler par exemple de cette galaxie précédemment évoquée dont les particules de lumière (photons) qui frappent nos télescopes ont été émises « seulement » 400 millions d’années lumières après le Big Bang. C’est une très, très vieille lumière. Alors nous, humains, nous pouvons faire cela, nous pouvons transcender l’espace et transcender le temps en parlant du Big Bang, qui s’est passé il y a environ 14 milliards d’années-lumière. Tout cela « existe » bel et bien pour nous. Ainsi, l’habitat humain, ou plutôt « l’habiter » humain, ce processus actif qui ne cesse de se développer (avec nos connaissances), constitue ce que l’on appelle, l’écoumène.
La planète est un système physico-chimique comme il y en a une infinité dans les galaxies. A partir de ce système physico-chimique, il y a 4 milliards d’années lumières, quelque chose d’une toute autre complexité a commencé à se développer, un système écologique : la biosphère. Et beaucoup plus tard va apparaître par le développement des systèmes techniques et symboliques (ex : le langage) qui sont surtout propres à l’humain (mais pas uniquement) quelque chose d’incommensurable aussi bien à la planète qu’à la biosphère : l’écoumène. Ecoumène vient du grec, « l’habitée ». Ici, il faut établir une distinction entre l’usage traditionnel en géographie du mot « écoumène » qui veut simplement dire, « partie de la terre habitée par les humains » et peut avoir une définition cartographiée, mesurable physiquement. Pour les géographes, c’est UN écoumène, au masculin. Mais la mésologie, qui est l’étude des milieux humains en tant que tels, utilise le terme écoumène au féminin (UNE écoumène). La mésologie reprend le sens originel venant du grec voulant dire quelque chose de beaucoup plus profond, à tonalité ontologique : « la demeure de l’être humain ».
L’idée d’écoumène que je viens d’exposer serait améliorée si on la complémentait par quelque chose figurant dans le titre de cette discussion : la coénonciation (du vivant).
Coénonciation et sensibilté parmi tous les vivants
Nicole Pignier : Cette notion d’ « énonciation » – on va parler ici de coénonciation- nous vient de la linguistique, notamment du théoricien Emile Benveniste8 . Ce dernier montre qu’il y a des manières de dire qui vont impliquer celui qui parle et celui à qui s’adresse l’énoncé.
Par exemple, quand les étudiants font grève contre un projet d’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants étrangers et disent : « Nous ne voulons pas de l’augmentation des droits pour les étrangers ! », on est là dans un « nous », sous-entendu « nous-vous », comme confrontation-implication directe : c’est la notion d’énonciation impliquée (et embrayée) de la (des) personne(s). Les responsables de l’université peuvent répondre « vous nous cassez les pieds, nous allons réfléchir ». Mais ils répondront plutôt « L’université se prononcera à l’issue de… ». Là, on est dans le « il », le neutre, la mise à distance pour éviter le conflit, dans la non personnalisation. A l’origine, c’est ça l’énonciation, la manière dont l’instance d’énonciation – celle ou celui qui parle – se manifeste dans son énoncé, marque sa présence, à partir de la situation concrète et située dans laquelle elle est amenée à énoncer. Mais si cette approche – linguistique – de l’énonciation est nécessaire, elle n’est pas suffisante.
Prenons un exemple. Quand les étudiant.e.s clament, « Non à l’augmentation des droits pour les étudiants étrangers ! », la marque de présence de l’instance énonciative n’est plus « nous-vous », la phrase est impersonnelle ; elle engage linguistiquement des gens qui parlent d’autres gens sans s’adresser à eux mais pourtant, cette phrase peut se manifester, se donner à percevoir de façon très personnelle, en quoi ? Parce que les personnes énoncent ce slogan en brandissant des banderoles et des panneaux écrits en gros au marker, en faisant même une haie d’honneur au président de l’université. A ce moment là l’énonciation n’est plus seulement un jeu de pronoms personnels à l’intérieur de la phrase, c’est en définitive la couche sensible d’un énoncé d’une phrase, d’un texte qui passe aussi par une matérialité, un corps sensible. Un type de matérialisation très sensible de l’énoncé dont les vibrations proviennent de l’écriture manuscrite même. Il ne s’agit plus de la mise à distance académique, on y implique le corps que ce soit dans les lieux, dans la manière de poser les revendications, dans les choix des couleurs etc. C’est ça l’énonciation, cette couche sensible qui vient faire que des énoncés, des discours peuvent parfois vous toucher et vous atteindre. A l’oral, cette couche sensible est ce que l’on peut appeler « la multi-modalité », c’est à dire la mise en écho à travers l’inflexion de la voix, le regard, la posture, l’adresse, la note, le corps, la voix qui peut trembler d’émotion… : un ensemble de forces de vie qui viennent ainsi se manifester.
L’énonciation, c’est ce qui est si important notamment dans le développement de nos enfants ; elle appelle une relation sensible, phénoménologique, située, concrète. C’est dans ces conditions que des énoncés plus ou moins abstraits peuvent raisonner/résonner en eux et les habiter. Et c’est cela que l’on oublie quand, aspirés par les écrans, on leur parle en venant les chercher l’école tout en regardant le portable. Le « Ça s’est bien passé aujourd’hui ? » n’a pas de sens pour l’enfant hors relation coénonciative. La coénonciation désigne la relation qui se tisse entre celui ou celle qui écoute, regarde, lit, et celui ou celle qui parle ou manifeste par d’autres modalités – gestuelle, visuelle, … – un énoncé. Dans un livre, également, nous coénonçons, silencieusement.
Alors, la coénonciation est-elle propre aux êtres humains ? Sans doute que non9. Je suis frappée justement par la capacité à nous toucher de Jean Claude Ameisen quand il parle de la communication animale10 et raconte les travaux d’éthologues à ce sujet11. Dans son livre, Les Battements du temps,12 il parle de cet oiseau-jardinier qui a édifié ce qu’il appelle une « architecture » à l’adresse de l’oiselle. Il fait cette réflexion : est-ce que c’est un temple fait par instinct, juste fonctionnel pour séduire la femelle et faire l’amour ? Sans doute que non. Il reconnait une sensibilité esthétique de l’oiseau. L’œuvre architecturale de cet oiseau du Japon n’est pas seulement fonctionnelle, c’est un discours qu’il énonce à l’adresse de l’oiselle. Les éléphants énoncent eux aussi, lorsqu’ils font leur rituel de deuil en tournant de façon circulaire, lentement, silencieusement, autour d’os de défunts disparus depuis longtemps.
Vous allez me dire : « Et les plantes ? Peut-on dire qu’elles énoncent ? » D’un point de vue sémiotique, les plantes effectivement coénoncent. Ernst Zürcher13, collègue suisse, spécialiste des arbres et de la communication entre les arbres, explique qu’au printemps, quand la végétation se vit en lien avec le milieu sonore ambiant – les insectes, le chant des oiseaux, la floraison, le déploiement des feuilles des arbres – il se passe quelque chose de très important qui fait que les plantes poussent mieux et plus vite, dans la concrescence avec leur milieu. C’est cela sémiotiquement que j’appelle la coénonciation du vivant ; cette capacité à manifester quelque chose de soi à son milieu, sans forcément d’intention, de volonté réfléchie mais toujours avec intentionnalité, c’est-à-dire des tensions appréciatives avec lesquelles un être vivant accueille ce qu’énonce son milieu14.
Quant aux animaux, certains sont doués d’une énonciation symbolique, c’est-à-dire faite de signes aptes à représenter l’absent. Par exemple, les abeilles qui créent une danse dans le noir au sein de la ruche pour indiquer à leurs sœurs l’endroit où elles pourront trouver de la nourriture15. C’est vrai aussi chez les singes et les éléphants avec leurs rituels. On est là dans une capacité à se représenter quelque chose qui n’est plus là. Chez les plantes, ce n’est sans aucun doute pas du même ordre, même si les biologistes disent que leurs racines forment une sorte de cerveau. La « coénonciation » n’est pas du niveau symbolique mais par continuité sensorielle. Pour autant peut-on réduire ceci à une relation stimuli-réponse ? Sans doute que non.
Augustin (Berque) va nous préciser maintenant le lien entre la notion de coénonciation des êtres vivants que je propose et la notion de subjectité (traduite du japonais par Augustin) suggérée par le biologiste japonais Kinji Imanishi.16 La subjectité, me semble-t-il fait écho aux travaux du philosophe Hans Jonas17 relatifs à la « propension à être soi », à la « capacité d’appréciation » de son milieu, à la capacité à évoluer grâce à cette coénonciation, non pas par déterminisme mais en lien créatif, non programmable avec son milieu. Je tiens à ces notions de « coénonciation » des êtres vivants en tant que subjectités et non sujets autonomes et pensants de Descartes car coénoncer avec le vivant, c’est pointer ce côté irréductible de la capacité à communiquer des êtres vivants, sans tomber dans l’anthropomorphisme végétal pour autant.
Venus de l’écologie scientifique, la « subjectité » et le « croître-ensemble »
Augustin Berque : Qu’est-ce que ça veut dire subjectité (et non pas subjectivité) ? La subjectité, c’est le fait même d’être sujet et non pas objet. A partir de là on peut développer des vues subjectives sur l’ensemble des choses. Le cogito18, lui, s’approprie, s’arroge la subjectité qui devient de ce fait même un objet. D’où découle un « mécanicisme » – dans la fonction de penser. Donc, ce n’est plus de la subjectité.
Le biologiste Uexküll (1864-1944) est le premier à avoir insisté sur le fait que tout le vivant (il parlait surtout des animaux) est doué de subjectité. Chaque être vivant est un sujet, Uexküll dit de manière imagée un « machiniste », et non pas une machine (mécanique). Le machiniste interprète des signaux qui lui sont fournis par son milieu et décide quelle conduite suivre.
Imanishi, que je sache, ne s’est jamais référé à Uexküll, néanmoins lui aussi insiste sur le fait que tout être vivant est un sujet et il ajoute l’idée qu’il y a interrelation entre le sujet et son milieu (il emploie le mot « environnement »). Il parle de transformation de l’environnement en sujet et du sujet en environnement, ou plus exactement de la subjectivation de l’environnement et de l’environnementalisation du sujet. Ce qui revient à ce que disait Uexküll quand il parlait de « contre-assemblage » entre l’animal et son milieu. Dans tout cela, il y a un « croître ensemble » : une concrescence. Cette notion qui est à prendre dans un contexte tout à fait concret (et non pas abstrait comme le fait le philosophe Whitehead) débouche sur une question proprement linguistique qui est la dichotomie19 entre les mots et les choses.
Partenaires de coénonciation (plutôt que sujets d’énonciation)
Nicole Pignier : En effet, il ne s’agit pas de dire que cette coénonciation du vivant implique des « sujets » (d’énonciation) mais plutôt des partenaires qui sont en ajustement – ou en compétition aussi. Mais toutes ces forces travaillent ensemble, se travaillent mutuellement dans une ambiance concrète sur Terre, de façon éco-phénoménologique, en un certain sens toujours évolutif.
Bernie Krause , musicien acousticien, donne et précise le côté effectif et bien concret de ce que nous appelons la coénonciation quand il dit : « Dans les biomes20 existent une densité et une diversité importante de voix animales – il parle des biomes où une présence humaine peut exister mais n’a pas dégradé les milieux. Les organismes vivants y évoluent de façon à structurer leurs communications sonores en relations réciproques spécifiques de coopération ou de compétition à peu près comme un ensemble orchestral. Chaque espèce existante requiert sa largeur de bande (sonore) préférée pour se fondre ou créer un contraste à la manière d’un arrangement orchestral (…) Le fait que toutes les voix des occupants d’un habitat se répartisse entre des niches présente un avantage considérable. Le son de l’ensemble est souvent plus riche, plus énergique, plus puissant que la somme des sons émis par les parties. ».
Mais alors, nous, humain.e.s, sommes-nous capable de coénoncer avec le vivant ? Bernie Krause observe que l’évolution en 25 ans de beaucoup de lieux où il est retourné récemment laisse à penser que de moins en moins de communautés sont capables de coénoncer avec le vivant. Pire encore, nous pouvons même totalement empêcher la coénonciation du vivant. Il dit : « dans les milieux dégradés par les sons cacophoniques de certaines pratiques humaines, l’association des sons des êtres vivants est arbitraire. Cela veut dire qu’il n’y a plus de coénonciation. La combinaison du rétrécissement des habitats et du tohu-bohu croissant des êtres humains a engendré une saturation de la communication nécessaire à la survie des animaux. En même temps que les êtres vivants, disparaît une mine d’information qui part des origines de presque toutes les facettes culturelles de notre existence ».
Cette « association (lien) arbitraire » des sons des être vivants peut sembler analogue aux conceptions du structuralisme qui considère que le choix des mots pour dire des choses est arbitraire. C’est à dire, qu’on peut nommer n’importe comment telle chose. J’aimerais vous inviter, Augustin (Berque), à développer ce lien entre les mots et les choses.
Les mots et les choses : liaison, milieu et histoire
Augustin Berque : Christophe (Bonneuil) a parlé du « présentisme ». Le présentisme c’est en somme ne pas prendre en compte l’Histoire, alors que les réalités sont dans un certains sens toujours historiques et toujours affaire de milieu. Il n’y a pas de réalité pour tel ou tel être vivant en général ̶ et pour nous les humains en particulier ̶ qui ne soit historique et mésologique. Quand vous perdez cela de vue, vous tombez dans le présentisme, ce que j’appelle un « arrêt sur objet ». Vous n’avez plus de lien(s) avec la chose qui devient un pur objet du temps-zéro (T0)
Quand les choses autour de nous deviennent de purs objets, tout ce que nous pouvons dire à leur propos devient effectivement arbitraire. Du fait du dualisme moderne, nous plaquons arbitrairement des mots sur les choses devenues des objets. Seule notre volonté, notre décision arbitraire compte. Ceci a été une vue dominante dans la linguistique moderne. Michel Foucault, dans un livre célèbre, Les mots et les choses21, a détaillé ce processus, donc les caractéristiques de la modernité ̶ alors que dans d’autres cultures, le lien existe.
Du point de vue de la mésologie (l’étude des milieux humains), le lien entre les mots et les choses existe aussi. Il est historique (et non pas arbitraire) parce que, si vous vous coupez de l’Histoire, il n’y a aucune raison que cette chose-là (il montre la table devant lui) soit appelée « table » en français et « zhuo zi » en chinois. Il y a une très longue histoire commune dans la concrescence22 entre tout ce qui constitue un milieu, entre les mots et les choses : un milieu est toujours nécessairement historique.
Je vais prendre un exemple contraire à la philosophie de la modernité (comme le structuralisme). Dans la philosophie grecque, on retrouve l’ancêtre de la notion de milieu chez Platon dans Le Timée à propos de ce que Platon appelle la « chôra ». La chôra est ce là (ce lieu, cet endroit) où se trouve plongé l’être qu’il appelle « genesis », c’est à dire l’être en devenir, l’être relatif. Platon montre qu’entre la chôra et la genesis, il y a un rapport étrange (illogique) qui est à la fois un rapport d’empreinte et de matrice : réciproquement, la chôra et la genesis sont empreinte et matrice l’une de l’autre. C’est l’ancêtre de l’idée qu’il y a concrescence entre l’être et son milieu. Nos systèmes symboliques (langages oraux, écritures, représentations intellectuelles) font partie de cette relation entre l’être et son milieu. Ils ont une histoire qui s’origine dans les systèmes de communication du vivant, donc dans la bio-sémiotique qui est elle-même coextensive avec la vie. Les logiciens aiment dire pour illustrer leur démarche que « le mot chien n’aboie pas, donc ce n’est pas un chien ». Il n’empêche que le lien entre le mot chien et un chien est cependant tout à fait historique ; le chien et le mot chien ( son mot français) n’est pas découplé du temps, il n’est pas abstrait de l’histoire (de telle ou telle société et civilisation donnée).
De son côté, le philosophe Jacques Derrida (1930 -2004)23 entre autres, va faire de la Chôra quelque chose qui relève du texte lui-même. Il montre que c’est le texte tournant sur lui-même qui est à la fois le commencement et la fin de soi même. Cette démarche fait une sorte d’écho lointain de l’Etre absolu qu’était Yahvé sur le mont Horeb. L’être absolu qui se retourne sur lui même en provoquant une sorte de renaissance absolue de son être avec son être lui-même, à la manière de l’uroboros, le serpent allégorique qui se mord la queue, se mangeant lui-même. Dans cette mesure, le texte devient quelque chose n’ayant plus besoin de contexte ; il n’a plus besoin de la chôra comme l’athénien du temps de Platon, pour qui la chôra est quelque chose d’absolument nécessaire à son existence la plus biologique car c’est ce territoire campagnard environnant qui fournit les vivres à la cité. Mais d’un point de vue poststructuraliste, il n’y a plus de lien.
Retrouver l’esthésie
Nicole Pignier : Cela me fait penser à une réflexion faite par Marcelle Delpastre dans le documentaire A Fleur de vie. Elle dit : « Le limousin (la langue), ça parle des choses vivantes, ça ne parle pas de choses abstraites : ce n’est pas le langage de l’administration, non ! ».
Est-ce à dire qu’en français, on ne peut pas avoir de relation charnelle et sensible entre les mots et les choses ? Sans doute pas. Quand on regarde la manière dont certain.e.s paysan.ne.s parlaient ou parlent de leur païs, de leur paysage, ils ont toute une diversité de mots pour désigner des choses, non pas abstraites mais des liens perceptifs et sensibles, très pratiques aussi, avec le lieu. Par exemple, « le petit pré ». Logiquement c’est un petit endroit de la ferme où on va avoir de l’eau même en pleine chaleur, un endroit où on ne peut pas trop y passer les machines. Mais on le garde précieusement car quand l’été il n’y a plus d’herbe ailleurs, là il y a de la bonne herbe verte. Et puis il y a « le couderc ». Le couderc n’est pas un mot spécifiquement limousin. Il désigne soit un lieu commun, donc ça peut être un bien de section, lieu communal où on peut mener paître ses animaux et où se tissent des rencontres, du lien social, soit de petits endroits qui vont créer une continuité entre l’habitat et la terre paysanne de la ferme. Le couderc est un endroit juste à proximité de la maison, souvent entouré de haies, dans lequel il y a une continuité entre les êtres végétaux et animaux parce qu’on va y mettre les poules, parfois un cochon ; il va y avoir des pommiers, un châtaignier : ça fourmille de vie. Il peut y avoir aussi les « ribières », c’est à dire des champs très humides etc. Il s’agit là de toute une diversité de terres et de liens, de gestes à leur égard, une diversité de « l’habiter », en quelque sorte.
Mais aujourd’hui, on dit : « Je vais mettre en culture ma parcelle« . On sait d’où ces propos viennent : dans les déclarations PAC24, les terres sont des parcelles cadastrales portant un numéro.
J’ai à ce sujet une petite anecdote. Il y a quelques mois un ingénieur agronome venant du Mali est arrivé à Limoges. Il accompagne dans son pays des paysan.ne.s dans une démarche d’agroécologie paysanne et fait parfaitement la différence entre celle-ci et l’agro écologie industrielle standardisée. Mais ce qui m’a frappée, c’est sa manière d’en parler : « les parcelles », « calculer les ressources », « gérer la biodiversité ». Le même parler que celui de nos ingénieur.e.s en France, alors même qu’il semblait très sensible au lien que les paysan.ne.s de son pays entretiennent avec leurs terres. Quelqu’un dans la salle justement lui a fait remarquer : « Quand on t’écoute, on est en décalage avec ce dont on s’attendait sur l’agriculture paysanne au Mali, c’est à dire ce lien symbolique au païs ». Et là, il a été quelque peu désarçonné …
Quelque part, le langage de l’ingénierie occidentale a colonisé sa sensibilité. Cela m’a un peu ébranlée. Ainsi, on peut être anesthésié par la colonisation et la standardisation des mots. C’est notamment de cela dont il faut se garder. Il s’agit de se donner le droit de créer du lien entre les mots et les choses de façon située afin de retrouver « l’esthésie », cette aptitude à sentir, à percevoir son milieu, en tant qu’être vivant parmi les autres vivants sur Terre.
Justement, Augustin, vous avez proposé une notion qui nous amène à réfléchir au réveil de la sensibilité : la « recouvrance ».
La recouvrance du lien avec la Terre-terre
Augustin Berque : « Recouvrance » est le substantif qui va avec le verbe « recouvrer » dont le sens est proche du verbe récupérer (ce qu’on a perdu, par exemple la santé). J’utilise ce terme de recouvrance depuis quelques années, après un séminaire en Corse où une amie me parlait du mot riaquistà qui correspond en français à recouvrance. Je me suis rappelé alors d’une église au Québec appelée Notre Dame de la Recouvrance. Ce sanctuaire est issu d’un épisode historique au Canada à l’époque où l’établissement fondé par Champlain (aujourd’hui Montréal) avait été pris par les anglais (en 1629). Champlain avait alors fait le vœu que s’il reprenait – s’il « recouvrait » – Montréal, il dédirait une chapelle à Notre Dame (de la recouvrance). De tels sanctuaires existent en France même, dans l’Ouest, en Normandie et en Bretagne où cela a également un sens (lieux de prière pour les femmes de marins partis en mer afin que ceux-ci puissent recouvrer la terre sain et sauf).
Le mot « recouvrance » tel que je l’utilise aujourd’hui veut dire que nous devons recouvrer nos liens avec la Terre en raison des terribles menaces existant aujourd’hui sur le vivant (6ème extinction des espèces etc.). Nous ne pouvons pas vivre sur Terre si nous détruisons les autres vies puisqu’il y a une interdépendance, dont nous ne sommes pas (assez) conscients, dans tout ce qui forme la biosphère25. Nous ne pouvons pas nous en abstraire indéfiniment comme nous y convie toute l’idéologie moderniste dont le fondement ontologique a été énoncé par Descartes (nous l’avons vu précédemment). Nous ne pouvons pas être cette substance dont la nature n’aurait besoin d’aucun lieu pour être, l’écologie le démontre.
Il s’agit maintenant d’accéder à un stade actif de recouvrance de nos liens avec la Terre, une terre à double échelle. Terre, à la fois comme la planète Terre et puis la terre qui est sous nos pieds tout simplement. Il ne s’agit pas de « retourner à la terre » comme sous le régime de Pétain. Non, il s’agit d’en finir avec ce qui n’est même plus de l’agriculture qui, elle, fait accéder la terre à quelque chose qui peut être un enrichissement des milieux et peut même diversifier les espèces, comme l’atteste l’histoire de l’agriculture et des milieux humains.
De l’esthésie pour des pratiques culturelles-culturales situées
Nicole Pignier : cette notion de recouvrance fait écho à la notion « d’esthésie ». On a vue l’an-esthésie, avec la préfixe « an »(privatif), qui est la privation de sensibilité. En revanche, l’esthésie c’est : percevoir, entendre, sentir, se sentir parmi, être habité par…
Mais comment la retrouver ? Derek Denton, nous rappelle dans L’Emergence de la conscience que les premiers arts, la musique, la peinture, le chant n’ont pas été créés dans une rupture, dans une supériorité de l’être humain sur le monde du vivant et sur les éléments naturels. Au contraire, ils ont été créés dans une continuité sensible et perceptible et en toute modestie puisque, par exemple, il s’agit d’un roseau dans lequel on souffle pour faire écho aux sons, aux chants du vent dans le feuillage … Derek Denton nous dit que cette motivation esthétique est née conjointement à la conscience et dans ce sentiment d’exaltation que procure le lien aux éléments naturels ainsi qu’ au vivant.
Là, il faut revenir à Marcelle Delpastre et aux gestes occasionnés par l’agriculture – prendre une poignée de terre, la sentir et la toucher – pour trouver les moyens de cette motivation et de cette conscience dans nos formations, dans la recherche comme dans notre quotidien. C’est ce que fait Michel Deslandes, ce paysan qui nous disait hier à Eymoutiers qu’il faisait auparavant des analyses de sol et que désormais, il n’en avait plus besoin car il le connaissait son sol. Cela ne veut pas dire, « je suis vachement intelligent, je connais mon sol ! ». Si ce paysan est effectivement « intelligent » c’est parce qu’il est capable d’orchestrer des formes sensibles et des formes intelligibles. Il existe même une méthodologie déployée de cette manière, utilisée par Hervé Coves26, un ingénieur agronome qui a cette poésie du vivant. Pour connaître un sol, on va le sentir, apprécier dans son odeur sa dose de champignon, ses forces de vie, ce qui le travaille, etc.
Retrouver l’esthésie, c’est aussi ne plus découper la société en secteurs avec, d’un côté, les gens qui s’occuperaient des affaires culturelles – le tertiaire – et, de l’autre, les gens qui s’occuperaient des affaires culturales, qui travailleraient la terre pour nous alimenter – le fameux secteur primaire -. Eh bien, non. L’esthésie, c’est quand on arrive ensemble à faire ré-émerger en un même élan, comme le font beaucoup de personnes ici (sur la Montagne limousine, dans les Monts de Blond et plus largement en Limousin), des paysages nourriciers dans tous les sens du terme, ceux-ci nourrissent notre corps, nourrissent notre lien social, nous ouvrent à un dehors, à une altérité dont on émane mais qui nous dépasse en même temps : cette irréductibilité27 dont parle Christophe (Bonneuil). Retrouver l’esthésie, c’est cela.
C’est cela aussi que je veux vivre (en tant qu’universitaire) dans mes manières de faire de la recherche (qu’on appelle académique) en sortant de ce carcan d’instrumentalisation de la recherche par le marché et des normes académiques. J’ai envie de poser cette question à la manière d’une personne du Burkina Fasso qui disait : « Mais l’agriculture industrielle, est-ce qu’elle nourrit son homme ? Non, elle ne nourrit pas son homme, elle est destinée à nourrir le marché ! ». C’est fort, quand même, car « nourrir son homme » indique un lien direct entre ce que je vais faire avec la terre et ce que je vais « vivre » dans tous les sens du terme et vivre avec les autres. Ainsi, la Recherche est-elle destinée à « nourrir son homme » ou sa femme ? Non, bien souvent elle est destinée à nourrir le marché. Nous les premiers, en tant que chercheurs, chercheuses, avons intérêt à développer d’autres manières de faire de la recherche, plus nourricières.
Quand nous nous intéressons en tant que chercheur ou chercheuse aux gestes et aux pratiques paysannes, nous parlons habituellement « d’objet » de recherche » Eh bien, NON, la paysanne, le paysan, en l’occurrence, ne sont pas mes « objets » de recherche, pas plus que leurs activités. Ils m’enseignent autant que je vais pouvoir contribuer, peut être, à participer à des initiatives avec eux. Cela ne veut pas dire que je (chercheuse) vais être confondue avec le paysan ou la paysanne. Chacun garde son altérité mais avec cette mise en tension de l’altérité de l’un et de l’autre et cette mise en accord sur quelque chose qu’on partage, sans être d’accord forcément mais parce qu’il s’agit d’une recherche située. Qu’on ne nous fasse pas croire à cette « objectivité » universelle ! Bien sûr, c’est important d’avoir des moments de retrait, de regarder le dedans du dehors mais toujours dans un processus situé, concret. C’est d’abord cela qu’il faut admettre.
Augustin (Berque), vous êtes entrain d’écrire un livre, La nature sera toujours à naître, pouvez-vous en dire un mot ?
La nature est à naître avec nous, dépasser l’agriculture industrielle
Augustin Berque : la 6ème extinction des espèces vivantes sur terre serait (sera ?) notre propre extinction, alors que la nature continuera d’exister sous des formes qui auront évolué. La nature n’a pas besoin de nous pour exister. Mais je voudrais faire un retour en arrière. Je vous avais parlé de la Terre avec un T majuscule (la planète, la biosphère) et puis la terre avec un petit t, celle avec laquelle on est directement en rapport quand on marche dessus ou qu’on la cultive. L’activité humaine qui a le rapport le plus direct avec cette terre-ci, c’est l’agriculture. Or l’agriculture moderne est devenue une industrie mortifère c’est à dire qui apporte la mort et repose sur le principe contraire à la vie. « Coénoncer avec le vivant » comme le dit Nicole, c’est justement ce que nous devrions faire : l’agriculture serait alors une co-expression de la vie avec le vivant qui a pour nous une « utilité » proprement humaine. Or l’industrie mortifère qu’est devenue l’agriculture moderne tue la terre (avec un petit t) à tous égards. D’abord elle tue les sols. Comme Jean Jacques (Peyrissaguet) le disait, ici sur le plateau de Millevaches, avec la sylviculture, en quelques années les sols disparaissent pour ne laisser place qu’à des cailloux. Et cela concerne toute l’agriculture moderne, pourquoi ? Parce qu’au lieu de considérer les sols comme quelque chose de vivant on les considère seulement comme quelque chose de physico-chimique qu’on va engraisser avec des intrants chimiques pour faire tourner plus vite les cultures. Avec l’utilisation d’une mécanique et des machines de plus en plus lourdes, on écrase les sols et cela contribue à les tuer. S’y ajoutent les pesticides que je préfère appeler « biocides » parce que cela tue avec des effets sur tout le vivant. En outre, les paysans qui les utilisent sont empoisonnés aussi bien que les consommateurs des ces productions. Et, cerise sur le gâteau, l’élevage est devenu une industrie de torture des animaux, par exemple, comme nous l’on dit des paysans, en leur coupant les cornes. On doit en finir avec cette agriculture là ; il faut la dépasser. Ce sera l’autre aspect de la recouvrance de la Terre.
Revenons à la question de la 6ème extinction. En latin, on dit : natura, natura semper. Natura c’est le participe futur du verbe nascor qui veut dire « naître ». Littéralement, natura (au féminin = LA terre-mère, la nature-mère qui engendre) signifie « là, devant naître », c’est à dire « qui est à naître ». Semper veut dire « toujours ». Donc la traduction de la phrase latine est : « la nature est à naître toujours ». Il est plus encourageant de dire que « la nature est à naître avec nous » que de supputer notre disparition historique avec la 6ème Extinction .
Pour que nous « coénonçions avec le vivant » – et nous pouvons enrichir ce rapport avec la créativité humaine et non pas en dépit de celle-ci – il faut écouter l’Autre, qu’il soit humain (chercheur de discipline différente ou toute autre personne) mais écouter aussi l’autre qui n’est pas humain, quel qu’il soit dans le monde du vivant, c’est à dire appartenant à la communauté générale de la biosphère.
Nature/culture (artifice) : indistinction ou distinction ?
Ajustement mais pas domination
Nicole Pignier : Pour conclure, j’ai envie de poser cette question de la pertinence qu’il y a à abolir la distinction nature/culture.
Beaucoup de personnes dont Philippe Descola28 considèrent que cela ne veut rien dire de parler de « nature », pas plus que de « culture » parce nous nous trouvons dans des milieux anthropisés29 (la main de l’homme est absolument partout, les forêts dites primaires ne sont pas primaires). Donc tout est nature et culture à la fois. Son livre, L’Ecologie des autres, finit par un débat ; l’auteur répond notamment à la question suivante d’une doctorante en philosophie à l’INRA30 (p. 102 à 104) : « Vous avez traité de l’opposition nature/culture, je me demande quelle est la place de l’artifice dans votre dispositif. Dans notre société occidentale, nous ne nous comportons pas de la même façon envers les entités que nous considérons comme naturelles et envers celles que nous considérons comme artificielles. Les premières relèvent ainsi d’une éthique du respect alors que les secondes sont d’une éthique de la responsabilité. Je me préoccupe particulièrement des questions éthiques qui ont été soulevées à propos des biotechnologies à usage agricole. N’est-ce pas la culture qui distingue les classes des non-humains et parmi les êtres naturels ou les êtres artificiels ?
Réponse de P. Descola : » Certes, les humains ont partout produit ce que nous appelons de l’artifice en fabriquant et en utilisant des outils ; on sait aujourd’hui qu’ils ne sont pas les seuls à le faire et que nombre d’espèces animales savent aussi façonner des substances de façon intentionnelle pour se procurer des moyens d’existence. Il ne s’ensuit pas que de telles opérations soient perçues comme relevant de l’artifice. (…) En Amazonie, l’idée d’artifice n’a guère plus de sens. La vannerie, par exemple, sur laquelle on dispose de monographies remarquables, n’est pas du tout vue comme la fabrication d’un objet culturel par élaboration d’un matériau naturel, mais comme l’actualisation incomplète du corps d’esprits d’animaux reconstitués à partir de fibres végétales assimilées à de la peau humaine. (…) Il ne s’agit donc aucunement pour le vannier de produire un artefact mais bien de rendre possible et d’accompagner une métamorphose.
Alors, faut-il conserver la distinction entre nature et artifice ? Je ne le crois pas. (…) Un virus est « naturel », mais il ne commence à avoir une existence scientifique (et médicale) qu’au moyen des « artifices » qui l’objectivent dans un laboratoire ; une plante génétiquement modifiée produite « artificiellement », mais elle peut ensuite se propager et s’hybrider (se modifier génétiquement) « naturellement » ; le mécanisme du réchauffement de la surface de la terre par les gaz à effet de serre est « naturel », mais l’augmentation importante de ces derniers dans l’atmosphère au cours du dernier siècle semble bien résulter de façon inintentionnelle dans un premier temps, de « l’artifice humain », etc. »
Dans cet échange, Philippe Descola met sur le même plan le lien au vivant et aux éléments naturels entretenu ici par le vannier d’Amazonie et le lien entre l’humain et le vivant créé par l’ingénierie génétique … Cela revient à faire un amalgame entre évolution génétique des semences paysannes, par exemple, et organismes génétiquement modifiés (par mutagenèse ou transgénèse31). Il y a un problème, parce que si je mets ces deux types de liens sur le même niveau, je suscite un impensé, une chose qu’on n’a plus le droit de penser. Pourtant, une différence de fond existe car le vannier ou le paysan (avec ses semences paysannes) tisse un lien d’ajustement entre partenaires : le vivant n’est pas cet objet destiné à être dominé et programmé comme pour les biotechnologies.
En ce qui concerne le lien au vivant en tant que « partenaire » qui se tisse entre les paysan.ne.s et leurs semences, le facteur temps dont a parlé Christophe Bonneuil32 intervient ; il y a également le facteur culturel : les langues, les mots, les liens entre les gens, cette coénonciation entre les plantes et l’activité humaine. Tout cela saute quand il s’agit de biotechnologies. L’impensé créé de la sorte efface la distinction entre, d’un côté, ce lien existentiel par ajustement avec le vivant et de l’autre un lien de domination et de maîtrise (illusoire) du vivant. Bien sûr, aujourd’hui, la nature telle que Descartes l’envisage n’a plus de sens.
Augustin (Berque), pouvez-vous nous rappeler en quoi la notion de nature n’est pas uniquement occidentale ? Les chinois ont eu des mots pour dire la nature en un certain sens, non cartésien, n’est-ce-pas ?
Aux origines grecques et chinoises de la notion de nature
Augustin Berque : la nature est un concept apparu à une certaine époque de l’histoire humaine : aux environs du VIème siècle avant JC chez les philosophes dits présocratiques pour l’Occident et à peu près au même moment pour la Chine et l’extrême Orient. Du côté occidental, le mot « nature » (« natura » en latin) a été la traduction du grec « phusis » qui, lui, venait d’un radical indoeuropéen qui veut dire « pousser ». A partir de là, l’idée de nature a comme sens « la poussée des plantes qui croissent ». C’est le sens qu’a le mot « phusis » chez Homère33,repris au XXe siècle par Heidegger avec le mot « aufgehen »34– monter) . Donc, en Occident, la nature c’est l’idée de plante qui pousse.
Du côté de la Chine, à la même époque, dans le taoïsme, on va se mettre à utiliser le terme « Zìrán » composé de deux sinogrammes 自 然 dont le premier veut dire « de soi même » et le second « ainsi ». La traduction littérale est donc « de soi-même ainsi » (nature). Dans le Tao Te king, il est dit que « L’Homme se règle sur la Terre, la Terre se règle sur le Ciel, le Ciel se règle sur la Tao et le Tao se règle de soi-même ainsi« . Il y a là une ambivalence essentielle car justement ce « de soi-même ainsi » (la nature) est à la fois dehors et en nous mêmes. Au IVème siècle, le poète chinois du retour à la terre, Tao yuanmíng , écrit un poème sur l’abandon de la ville et de sa carrière pour aller à la campagne. Il dit que ce faisant il retourne à自然(Zìrán) c’est à dire, à la fois à la nature et à sa nature (« soi-même ainsi »). Il y a les deux sens dans ce retour à la nature qui est à la fois un retour à mon authenticité personnelle. Et justement, c’est un idéal qui rencontre l’idéal de la « recouvrance » : pour être véritablement humain nous avons à recouvrer nos liens avec la nature.
Le vivant, autre que soi et alter ego
Nicole Pignier : Merci beaucoup Augustin.
Ainsi, au lieu de rendre caduque cette distinction nature/culture, j’invite plutôt à la penser comme une mise en tension de deux pôles schémiques35, non par opposition mais par interaction, par complémentarité, comme l’élément masculin peut se compléter avec le féminin au lieu de s’affronter ou même de fusionner. Une mise en tension de la nature et de la culture, cela sert à quoi concrètement ? Si nous conservons, nous humains, une altérité avec la nature, mais de laquelle nous émanons, cela permet de réfléchir concrètement, de façon située, à ce que font nos gestes, nos pratiques, les outils que nous déployons, à cette altérité du vivant. Et en retour l’effet que produit, toujours en milieu situé, cette altérité
1 l’exposé de Christophe Bonneuil (Comment ne pas gouverner les vivants) est publié dans le n° précédent (212) de La Lettre du cercle Gramsci
2 Ontologie : Partie de la métaphysique qui pose la question de l’être en soi, de ce qui est. 3 Emmanuel Kant (1724 –1804), philosophe prussien, principal penseur de l’Aufklärung (Lumières allemandes), a exercé une influence considérable sur la philosophie moderne (idéalisme, philososphie analytique, phénoménologie) et la pensée critique en général.
4 Marcelle Delpastre (1925-1998), poète, conteuse, romancière, ethnologue, paysanne de langue occitane-limousine et française. Patrick Cazals, A fleur de vie, documentaire (1996) Les Fims du Horla ,2005.
5 Nous faisons référence ici à la rencontre « Cultiver transmettre, soigner » le 17 mai 2019 aux Jardins partagés d’Eymoutiers.
6 Ensemble des opinions reçues sans discussion, comme évidentes, dans une civilisation donnée.
7 Tous les êtres communiquent, transmettent du sens dès le stade le plus primitif, cela va avec le vie elle-même (A.Berque).
8 Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1966.
9 Cf. Pignier, Nicole, (2018), « L’énonciation animale : une praxis énonciative en lien avec le vivant ? », revue Fabula, partie Actes de colloque « La parole aux animaux. Conditions d’extension de l’énonciation, Journée d’études organisée par le Groupe d’Activités Sémiotiques de Paris 8 sous la direction de Denis Bertrand et Michel Constantini. Lien : https://www.fabula.org/colloques/sommaire5363.php
10 Jean-Claude Ameisen (né en 1951) est un médecin, immunologiste et chercheur français en biologie. Il est directeur du Centre d’études du vivant de l’université Paris-Diderot
11 L’éthologie est l’étude scientifique du comportement des espèces animales, y compris l’humain, dans leur milieu naturel ou dans un environnement expérimental.
12 Sur les épaules de Darwin – Les Battements du temps, 2012, Les Liens qui Libèrent éditeur.
13 Zürcher, Ernst (2016), Les arbres entre visible et invisible, Paris, Actes Sud.
14 Cf. Nicole Pignier, (2021), « Fondements d’une éco-sémiotique. Vie du sens, sens du vivant ? », in Joseph Paré et Lamine Ouédraogo, Construire le sens, bâtir les sociétés, Edts Connaissances et Savoir. P. 41-58.
15 Derek Denton a documenté cette danse sur le plan symbolique : cf. Les émotions primordiales et l’éveil de la conscience, Flammarion, 2005
16Kinji Imanishi (1902-1992) écologue, anthropologue, primatologue japonais. Cf. Imanishi Kinji (2015). La liberté dans l’évolution, suivi de La mésologie d’Imanishi par Augustin Berque, ouvrage traduit du japonais par Augustin Berque, Wildproject, collection « domaine sauvage ». Version d’origine parue en 1985 aux éditions Chûôkôron sous le titre Shutaisei no shinkaron.
17 Hans Jonas (1903-1993) est un philosophe allemand qui a traité des questions de l’éthique pour l’âge technologique, développées dans son œuvre principale, Le Principe responsabilité (1979) .
18 Expérience fondamentale du sujet pensant. Argument philosophique développé par Descartes dans le Discours de la Méthode et qui est la première certitude résistant à l’épreuve du doute méthodique pratiqué à l’égard des objets de connaissance (source : dictionnaire CNRS en ligne ).
19 Dichotomie : Division, opposition (entre deux éléments, deux idées). Botanique : mode de ramification par divisions successives en deux branches.
20 biome : vaste région biogéographique s’étendant sous un même climat, comme la toundra, la forêt tropicale humide, la savane ou encore le récif corallien.
21 Michel Foucault (1926-1984) philosophe français connu en particulier pour ses critiques des institutions sociales (la psychiatrie, la médecine, le système carcéral…), ses théories générales sur le pouvoir et les relations complexes entre pouvoir et connaissance. Les mots et les choses (1966)
22 Concrescence : nom provenant de cum crescere en latin qui signifie « le fait de croître avec »
23 Jacques Derrida (1930–2004), philosophe français : a créé et développé l’école de pensée dit de la « déconstruction », à travers le questionnement des grandes philosophies traditionnelles (métaphysique, phénoménologie).
24 PAC: Politique Agricole Commune
25 biosphère : ensemble des organismes vivants et leurs milieux de vie, donc la totalité des écosystèmes présents (système écologique global autoentretenu de la planète Terre).
26 Hervé Coves : ingénieur agronome de formation accompagne ceux-celles qui veulent se former à l’agro-écologie et à la permaculture. Son parcours professionnel s’accompagne d’un parcours spirituel de religieux franciscain.
27 voir compte-rendu numéro précédent de La Lettre du cercle Gramsci
28 Philippe Descola (né en 1949), anthropologue français, grandes figures américanistes de l’anthropologie (à partir de ses recherches de terrain chez les indiens en Amazonie).
29 Milieu anthropisé : milieu où Homo est présent ou a été présent.
30 INRA : Institut National de la Recherche Agronomique
31 Mutagenèse, techniques qui visent à provoquer volontairement des mutations génétiques en exposant ou en introduisant des agents (chimiques, physiques) chez un organisme vivant. Transgenèse : fait d’incorporer un ou plusieurs gènes dans le génome d’un organisme vivant.
32 cf. exposé de Christophe Bonneuil précédemment cité en note.
33 Dans l’Odyssée, quand Ulysse et ses compagnons abordent l’île de Circé, Circé fait boire une philtre aux compagnons d’Ulysse qui sont transformés en cochons. Ulysse, lui, a droit à un traitement de faveur car Hermès, le dieu des transformations, lui montre une plante dont les dieux seuls connaissent le nom, le « molu », Ulysse l’a tire de la terre alors que pour les humains c’est très difficile de le faire. Cette plante a une fleur blanche et une racine noire. Morale : cette chose là, les humains ne savent pas la dire, de plus elle est contradictoire parce que à la fois blanche et noire. Grâce à cette plante qui va devenir ce qu’on appelle un « pharmacon », c’est à dire un produit qui peut être à la fois un remède et un poison suivant la manière dont on l’utilise, Ulysse échappe grâce à cet antidote au charme de Circé et va pouvoir jouir au contraire de son amour. 34Aufgehen, en allemand : se lever, se soulever
35Les schèmes sont des dualités dynamiques, des forces éco-bio-psychiques qui constituent nos aptitudes perceptives et nous relient à la Terre. Nous avons consacré une publication à ce sujet Cf Pignier, Nicole, (2020), « Le sens, le vivant ou ce qui nous relie à la Terre », in Nicole Pignier et Lina Marcela LIÑÁN DURÁN (coord.), Le design de « l’Intelligence artificielle » à l’épreuve du vivant, dossier revue Interfaces Numériques n°1/2020, vol. 9. Lien : https://www.unilim.fr/interfaces-numeriques/4144